Un manque de données criant

Peut-être vous demandez-vous pourquoi nous n’avons pas plus de connaissances sur les substances chimiques présentes dans notre environnement. Pourquoi ne savons-nous pas quels composés nous entourent? Dans notre air ou dans notre eau?

Ce sont des questions récurrentes lors des conférences publiques que je donne.

En effet, idéalement, nous devrions être capables de prédire quelles substances nous pouvons trouver dans les eaux, dans les sols et même dans l’air. Cela permettrait de focaliser sur les plus problématiques et ainsi permettrait de prendre les mesures adéquates en cas de problème.

Mais pour faire de telles prédictions, il faudrait avoir accès à des données concernant le type de substances utilisées dans les différents produits, ainsi qu’à des données sur les quantités consommées.

Or, même en temps que chercheur, nous n’avons aucun accès à ces informations.

Prenons quelques exemples.

Dans le cas des pesticides, le problème se pose déjà au niveau des produits vendus. En effet, si vous lisez consciencieusement l’étiquette au dos du produit, vous verrez que l’ingrédient actif est déclaré (par exemple le glyphosate), mais qu’il ne constitue qu’un petit pourcentage de la composition (souvent inférieur à 5%). Le reste, se sont des additifs, et nous n’avons aucun moyen de savoir lesquels. Aux Etats-Unis, l’Agence de protection de l’environnement (US EPA) recense plus de 1000 additifs entrant dans la composition des produits pesticides. Ce chiffre est supérieur aux 400 ingrédients actifs sur le marché en Suisse!

Même situation dans le cas des médicaments. L’ingrédient actif est déclaré, mais les autres composants  (colorants, bactéricides, etc…) ne le sont pas. En 2011, le Monde publiait ainsi un article sur la présence de parabènes (une famille de conservateurs dont certains sont des perturbateurs endocriniens) dans les médicaments.

Dernièrement, nous avons travaillé sur les cosmétiques.

Voici un cas de produits où toutes les substances sont déclarées me direz-vous!

C’est en tout cas ce que l’on peut imaginer en lisant la longue liste de composés figurant sur l’étiquette au dos du produit. Malheureusement, même dans ce cas, la déclaration n’est pas complète, le type de parfum ne devant pas être spécifié (le terme “parfum” suffit).

Nous voyons donc qu’il nous manque des données fiables sur le type de substances utilisées tous les jours pour développer un programme de surveillance pertinent.

De plus, pour les substances que nous connaissons (les ingrédients actifs des médicaments ou des pesticides), nous n’avons aucune données sur les quantités utilisées. A nouveau, cela nous empêche d’évaluer les composés les plus problématiques à surveiller.

Concrètement, il y a deux manière d’estimer les quantités utilisées:

  1. Sur la base des données de vente
  2. Sur la base des habitudes des consommateurs

Reprenons les cas des pesticides. Les données de vente sont confidentielles, aucune firme de souhaitant que ces concurrents ne connaisse son marché. Nous reste donc les sondages auprès des utilisateurs. Cela signifie demander à un certain nombre d’agriculteurs de transmettre leurs données d’épandage. Même avec de la bonne volonté, cela prend du temps, et tous les agriculteurs ne sont pas d’accord de participer. Il faut donc espérer que le petit nombre sondé soit représentatif de l’ensemble des utilisateurs.

Pour les médicaments, il est possible d’obtenir des données de ventes, mais moyennant finance. Pour les données d’une année de consommation (en Suisse) pour un seul médicament, cela représente 15’000.- Impossible pour un chercheur d’acheter ces données pour les quelques 2000 médicaments sur le marché. A nouveau, reste alors les sondages auprès des médecins, des pharmaciens ou des patients…avec un taux de réponse pas vraiment plus élevé que chez les agriculteurs.

On le voit, sur la base des données accessibles dans les domaine public, impossible de développer des approches pro-actives pour la surveillances des substances chimiques dans l’environnement. Nous devons nous contenter de découvertes au gré des améliorations de la chimie analytique.

Un bon exemple est celui de la metformine, une anti-diabétique, largement présent dans les eaux de surface. Il n’y en a pas moins de 20 tonnes dans le lac Léman.

Sa présence a été découverte par hasard, parce que le laboratoire qui faisait les analyses d’eau pour la CIPEL l’avait ajouté à sa liste des substances recherchées.

De mon point de vue, le risque que représentent les substances chimiques de synthèse pour la vie à long-terme est réel. Il me paraîtrait donc urgent que les données de composition de produits, de même que les données de leur utilisation, puissent être connues. Si je peux comprendre les craintes des industries liées à la concurrence, l’enjeu en terme de santé publique et environnemental me semble suffisant pour que, au moins les chercheurs et les organes de surveillance de l’environnement puisse avoir accès de manière confidentielle à ces données.

Nathalie Chèvre

Nathalie Chèvre est maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Ecotoxicologue, elle travaille depuis plus de 15 ans sur le risque que présentent les substances chimiques (pesticides, médicaments,...) pour l'environnement.