Petite chimie du quotidien

Non, les agriculteurs ne sont pas forcément des pollueurs

Ces dernières années, j’entends souvent dire que les agriculteurs sont des pollueurs. N’est-ce pas à eux que l’on doit la pollution de nos eaux par les pesticides?

Mais est-ce vraiment le cas?

S’il est vrai qu’en zone agricole, les pesticides détectés dans les rivières sont largement dus à l’agriculture, ce n’est plus le cas dès que ces mêmes rivières traversent des zones urbanisées.

Dans nos villes, nous sommes nombreux à sprayer des pesticides dans nos jardins, contre les pucerons ou les champignons. On considère que 5% des pesticides vendus sont utilisés dans les jardins privés. Or, ces pesticides, comme les pesticides agricoles, sont entrainés par les pluies vers les cours d’eau. Ceci est encore plus rapide en zone urbaine qu’en zone agricole car les terrains sont fortement imperméabilisés et les grilles d’égouts conduisent souvent directement dans les cours d’eau.

De plus, les villes utilisent des pesticides pour entretenir les parcs et jardins. En raison du risque que présentent ces substances pour l’environnement, certaines d’entre elles ont d’ailleurs renoncé à  ces produits chimiques, non sans difficultés (voir article du Temps, 9 mars 2017). Rajoutons que les terrains de sport ainsi que les golfs sont des gros consommateurs de pesticides.

Mais au delà de cette utilisation pour protéger les jardins, il existe d’autres usages dont on se doute moins. Ainsi, les pesticides sont incorporés dans les peintures de façades comme biocides, pour les protéger du développement d’algues et de moisissures. Lorsqu’il pleut, ces substances sont également entrainées vers les eaux de surface.  Tel est le cas du diuron, un herbicide également utilisé pour le traitement des vignes. Dans les rivières urbaines, les concentrations issues de cet usage sont du même ordre de grandeur que celles liées à l’agriculture. Il faut noter qu’en Suisse, jusqu’à 300 tonnes de pesticides sont utilisés dans les peintures chaque année (Projet Urbic, OFEV).

On peut également citer le mecoprop, un herbicide qui empêche le développement des racines et qui est largement utilisé comme additif dans les revêtements bitumineux. De même que le diuron, on le trouve dans les effluents de stations d’épuration dû à son utilisation en milieu urbain. Idem pour les insecticides et les fongicides utilisés pour le traitement du bois de construction. Plusieurs études ont d’ailleurs montré que les ruisseaux en aval des scieries étaient souvent de mauvaise qualité chimique et biologique, dû à la présence d’insecticides en concentrations élevées. Or les insecticides sont parmi les pesticides les plus toxiques.

A cela, rajoutons encore que les industries produisant ces mêmes pesticides sont elles aussi sources de pollution des eaux. En 2005, la Commission pour la protection des eaux du Léman (CIPEL) a mis en évidence des concentrations très importantes de sulfonylurées (une classe d’herbicides) dans le Léman. Les quantités dépassaient très largement les quantités issues de l’agriculture. Il s’est avéré que les industries produisant ces substances, lors des changements de processus et notamment lors du lavage des cuves servant à la production, rejetaient des quantités importantes de pesticides dans les eaux usées. Non traitées par les stations d’épurations, ces substances se rejetaient ensuite dans le Rhône, lui-même les emmenant jusqu’au Léman. Si la situation s’est améliorée depuis lors, elle n’est pas résolue pour autant, et les contrôles de la CIPEL montrent que l’on trouve toujours des pesticides issus des industries dans le Léman.

Alors oui, l’agriculture est l’une des sources de pollution des eaux par les pesticides, mais ce n’est pas la seule.

Ceci n’est pas une raison pour ne rien faire me direz-vous. C’est vrai. Des actions ont d’ailleurs lieu à différents niveaux pour réduire l’utilisation des pesticides en agriculture. Pour la protections des eaux, mais aussi pour la protection de la santé des consommateurs.

D’abord, je dirais que beaucoup d’agriculteurs ont pris conscience de cette problématique et cherchent eux-mêmes des solutions. Pour donner régulièrement des conférences sur le sujet, je peux dire qu’en 20 ans, l’intérêt va grandissant. J’ai souvent à répondre à des agriculteurs qui me demandent comment substituer un pesticide problématique pour l’environnement par un autre.

Ensuite, il existe des initiatives locales pour réduire les rejets de pesticides dans les eaux. C’est le cas du projet mené par le Canton de Vaud sur le Boiron de Morges. Comme je l’ai entendu dernièrement dans une conférence, une amélioration de la qualité des eaux de la rivière Boiron a pu être observées entre 2005 (début du projet) et 2016.

Plusieurs mesures ont été prises: des mesures pour réduire la perte au champ (remplacement des pesticides les plus toxiques, lutte contre le ruissellement, désherbage mécanique), une formation continue des agriculteurs, et une réduction des pertes lors du lavage des cuves. Ce dernier point est très intéressant. En effet, lors de nos études sur les concentrations en pesticides dans les eaux pendant mon séjour à l’Eawag, nous nous étions aperçus que les concentrations les plus élevées étaient observées juste après l’épandage. Il s’avère que lorsque l’agriculteur lave sa cuve dans la cour de la ferme, les eaux de lavage partent directement dans la rivière via les grilles d’égouts. Dans le cas du Boiron, un place de lavage avec un traitement des eaux a été mis en place et est utilisée régulièrement par les agriculteurs. Cette mesure a contribuer à diminuer les pics de concentrations de pesticides dans la rivière.

Donc si il est vrai que l’agriculture contribue à la pollution des eaux par les pesticides, ce n’est pas le seul secteur qui y participe. Le bâti et les industries y amènent également leur part. Et si des initiatives se mettent en place pour réduire la part liée à l’agriculture,  ce n’est pas vraiment le cas pour le bâti. Quant aux industries, si certaines d’entre elles prennent des mesures, ce n’est de loin pas le cas de toutes.

Références:

Milano M, Reynard E, Chèvre N, Rubin JF. 2017. Diagnostic des eaux de surface. Application du système modulaire gradué au Boiron de Morges. Aqua & Gas 2: 58-64. Février 2017

Chèvre N, Niwa N. 2015. Phytosanitaires et fertilisants. Dans: « Dictionnaire de la pensée écologique ». Bourg D et Papaux A. Editeurs. Presses Universitaires de France. pp 769-772.

Chèvre N, Klein A. 2013. Suivi de la pollution du Léman. Des années 60 à nos jours. Aqua & Gas 5: 26-34.

Burkhardt M, Zuleeg S, Marti T, Boller M, Vonbank R, Brunner S, Simmler H, Carmeliet J, Chèvre N. 2009. Biocides dans les eaux de façades. Solutions à trouver. ARPEA 241: 13-16.

 

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