Qui est-t-il, le déserteur russe ?

© N. Sikorsky

La publication, en français et en russe, de mon texte « Dissidents, déserteurs, profiteurs »  a provoqué une vive discussion sur le site du Temps (et je vous en remercie) et un silence radio dans Nasha Gazeta (que j’ai préféré à la crucifixion à laquelle je m’attendais). Et une avalanche de messages des Russes me demandant mon avis sur comment les autorités suisses vont-ils réagir à une demande d’un visa humanitaire ou encore mon conseil sur le meilleur trajet pour arriver en Suisse sans être muni d’un visa Schengen. Vous comprenez bien que je ne suis pas compétente pour répondre à ces questions.

Il y a eu aussi des situations tragi-comiques. Un lecteur de la Suisse alémanique (Russe, ingénieur, en Suisse depuis 6 ans et demi, permis C, travail stable) m’envoie un courriel paniqué : une convocation à se présenter dans un commissariat militaire à Saint-Pétersbourg (d’où il vient) avant le 30 novembre en vue de la mobilisation immédiate lui est parvenue à son domicile suisse. Signée par « le commissaire militaire pour la Suisse », stempel et tout. « Mon ami a reçu la même chose. Évidemment, nous n’irons pas, mais faut-il alerter la police ? », me demande mon correspondant effrayé. J’envoie une demande d’explication à l’Ambassade de Russie à Berne et reçois une réponse qu’il s’agit de toute évidence d’un « fake ». Je me prépare à commencer une investigation quand un nouveau message arrive : « Je dois m’excuser auprès de vous. Il se trouve que c’est un ami qui m’a fait une blague. C’est un crétin ». Je n’ai pu que confirmer ce diagnostic. Fine Russian humour.

Mais le plus intéressant c’était de rencontrer un « vrai déserteur » qui, à mon avis, donne une bonne idée du profil général de ce groupe de Russes. J’ai établi le contact avec Vassily (prénom modifié) quand il se trouvait dans un camp de migration à Chiasso. Il a profité du weekend pour venir à Genève. Vassily a 35 ans. Il vient d’une ville en Sibérie occidentale dont la population approche 1 200 000 personnes. Une grande ville, même à l’échelle russe. Diplômé de droit, il a travaillé dans la police comme investigateur. Déçu par des moyens limités, il a changé de métier et est devenu instructeur dans un auto-école. Ce grand sportif a également fait l’armée, où il a été assigné aux forces spéciales. Avec le temps, de simple instructeur il est devenu le propriétaire de l’auto-école, « la troisième plus grande dans notre ville », me dit-il avec fierté.

Tout allait pour le mieux. Il gagnait assez bien sa vie pour fêter son anniversaire à Istanbul et passer les vacances d’été, cette année encore, sur la Côte d’Azur. Avec sa femme, il rêvait d’un enfant. « En 2014 déjà, j’étais totalement contre l’annexion de la Crimée. J’ai participé une fois à une manifestation et me suis fait arrêter. On m’a sévèrement prévenu de ne pas recommencer », me raconte Vassily. « Quand j’ai appris que la Russie avait déclenché la guerre, je n’ai fait que jurer. C’était atroce. Je ne m’y attendais pas.»  Mais malgré cela, vous êtes parti vous promener à Nice, remarquai-je, non sans reproche. « Vous avez raison. Mais que pouvais-je faire ?! Je ne me suis pas senti concerné ». Comme tant d’autres en Russie ! Jusqu’à l’annonce de la mobilisation partielle. « J’ai reçu un appel du commissariat et décidé de partir. En 12 heures tout a été prêt, y compris les procurations notifiées par le notaire, au cas où… »

Il a traversé à pied la frontière avec le Kazakhstan en laissant derrière lui son père propoutinien, sa femme qui a fini par accepter sa position, et son affaire fructueuse. « Bien sûr, j’aurais pu donner un pot de vin et échapper à la mobilisation, mais j’ai préféré de ne pas le faire. J’ai trop honte des Russes, y compris mes proches, qui se couvrent de Z et soutiennent la guerre – la propagande est efficace ! Le peuple russe est très patient, même ceux qui vivent dans la misère, qui se nourrissent de la bouffe qu’en Suisse on ne donnerait même pas aux chiens, croient encore aux promesses d’un avenir glorieux », Vassily vide son cœur. « J’ai du sang ukrainien aussi, l’Ukraine est un état souverain et ce n’est pas à la Russie de régler ses problèmes internes. Pour rien au monde je n’irai tuer les gens qui ne m’ont rien fait ».

Une chambre à Chiasso

Vassily trouve les conditions de vie dans le camp de Chiasso très bonnes. Il s’exerce quotidiennement et apprend le français en attendant la décision des autorités suisses. Il sait qu’être déserteur ne suffit pas pour avoir un statut de réfugié, mais il tente sa chance en espérant que lui-même, sa femme ainsi que leur futur enfant pourront vivre dans un pays libre. Il se voit déjà coach de fitness, instructeur dans une auto-école, ou chauffeur… Et sinon ? « Sinon je vais retourner en Russie et j’irai en prison ». Difficile de dire pour combien de temps car les nouvelles lois adoptées à toute vitesse les unes après les autres sont floues même pour un juriste professionnel : la peine peut aller de 2 à 10 ans, selon l’humeur du juge.

Mais pourquoi fuir plutôt que sortir dans les rues et renverser ce régime qui le pousse en exil ? lui posai-je la question qu’on me pose à moi depuis le début de la guerre. « Pour cela nous avons besoin d’un leader, de coordination. Tous les leaders potentiels sont soit morts, soit en prison. Toutes les lois en Russie renforcent la verticale du pouvoir, la suppression est violente, le lavage de cerveau est efficace, la censure serre les vis. Je ne crois pas en une révolte de masse spontanée. »

Voici le tableau sombre que Vassily m’a dépeint. Qui est-il donc, selon vous : un traitre de sa patrie, un lâche ou juste un homme qui souhaite une meilleure vie pour lui-même et les siens ? Qui osera lui jeter la pierre ?

Je remercie Brigitte Bocquet-Makhzani pour le relecture de ce texte. 

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

34 réponses à “Qui est-t-il, le déserteur russe ?

    1. Madame,

      Vous avez écrit sur le blog de René Longet, en réponse à son article du 28 octobre dernier intitulé “La pandémie du populisme: quelle folie a donc saisi le monde?” (https://blogs.letemps.ch/rene-longet/2022/10/28/la-pandemie-du-populisme-quelle-folie-a-saisie-le-monde/):

      “Je vote UDC
      Je suis chrétienne orthodoxe et fière de l’être
      Je soutien les valeurs traditionnelles et fière de l’être

      Tous ces gauchistes, socialistes, écologistes etc autres fanatiques wokistes ne sont pas capables de gouverner, juste semer le chaos”.

      En réponse à votre commentaire, M. Longet vous a posé certaines questions auxquelles j’ai ajouté quelques autres, sous pseudo “joulik”. Nous attendons toujours avec intérêt votre réponse.

      1. Vous partez à la chasse des commentateurs pour les ramener dans un autre blog, je trouve cela assez déplaisant. Choisissez où vous voulez squatter, et si possible ne changez pas sans cesse d’étiquette sous le judas de votre porte, sinon personne ne viendra plus sonner.

  1. Puis-je demander à Kounitsyna qui il (ou elle) est ? Prend-il (-elle) lui même les armes ? Envoie-t-il sont enfant, s’il en a, combattre et assassiner et violer dans cette guerre ?
    J’ai terminé de lire hier soir le livre “Z comme zombie” de Iegor Gran (Ed. P.O.L) qui cite et explique les discours et les sentiments les plus haineux, issus de la propagande poutiniene depuis 20 ans. C’est terrifiant et, dans le même temps, hélas, tellement compréhensible.

    1. Moi aussi, j’ai lu, avec effroi, le livre de Iegor Gran. Quant à Mme Kounitsyna, elle habite Genève.

  2. Regard helvétique (d’un enseignant, pasteur, retraité) :

    Qu’avez-vous accepté de faire ?
    Qu’avez-vous refusé de faire ?
    Qu’avez-vous essayé de faire ?
    Qu’auriez-vous souhaité faire ?
    Que vous engagez-vous à faire ?

    Le courage est parfois inné, le plus souvent il doit s’apprendre. Pareillement, la lucidité et ce qu’on veut et peut apporter à la vie et au monde.

    À lui, par son témoignage et ses actes, de montrer et prouver qui il est.

  3. Je ne souhaite pas à ceux qui se permettent des jugements péremptoires dénigrants sur ce “déserteur”, étant eux.mêmes bien tranquillement à l’abri en Suisse, de se trouver un jour dans la situation de cette personne. Facile de condamner dans l’abstrait, mais que feraient-ils s’ils étaient confrontés au même genre de situation? L'”ennui” avec les êtres humains est qu’ils ont une conscience (au moins la plupart !) et que celle-ci peut se trouver en totale opposition au devoir d’obéissance citoyenne, d’autant plus dans des pays à régimes peu démocratiques. Le courage consiste parfois à suivre ce que dicte ladite conscience plutôt qu’un “patriotisme” aveugle et déshumanisé. Pour prendre un exemple dans un pays démocratique, les opposants à la guerre du Vietnam aux Etats-Unis dans les années 1960-70, étaient-ils des traîtres à leur patrie?

  4. Bonjour Madame,

    Merci pour ce témoignage

    Lors de toute guerre, on observe des comportements de refus de la part de certains potentiels “mobilisés”.

    Ceux qui refusent l’engagement tout comme ils s’opposaient au conflit déclaré par leur pays. Ils témoignent alors d’un esprit critique nourri par leur désaccord avec la ligne politique de leur pays. On peut les appeler “déserteurs”, ou “résistants de l’intérieur” ou opposants selon la forme et la manifestation tangibles de leur refus.
    Il y a ceux qui n’ont pas bronché aux débuts des hostilités, n’étant pas encore concernés par l’engagement au front. Leurs réactions après une mobilisation devient plus délicate à interpréter. S’accommodaient-ils des choix de leurs pays tant qu’ils ne courraient aucun risque ? Auquel cas, en refusant l’engagement,ce ne sont pas des opposants, mais des opportunistes, et de potentiels déserteurs au sens des lois de la guerre. Étaient-ils trop peu solides pour manifester un désaccord clair avec leur pays et ce désaccord apparaît-il à l’instant du concret ?Il est alors difficile de ne pas voir encore l’opportunisme dans leur comportement, à peine atténué par la peur supposée d’exprimer une opinion opposante plus tôt.
    Dans les deux cas une forme de lâcheté à ne pas s’opposer à l’idéologie de leur pays est là. Même si la peur d’un régime ancrée au plus profond d’eux la justifie. Personne ne sait à l’avance ce qu’il ferait.

    Il y a ceux qui adhèrent aux décisions de leur pays. Mais qui ne veulent pas les défendre. Le mot lâcheté les décrit bien.

    Et puis je vois une dernière catégorie d’hommes refusant la mobilisation. Ceux qui n’expriment aucune position morale ou politique claire, mais qui placent la défense de leurs familles et d’eux-même comme justification de tout. Pour avoir vécu des guerres, je sais que cela est humain, mais j’ai spontanément plus de respect pour ceux qui ne se choisissent pas un alibi. Une guerre est le tragique moment où l’on doit se révéler.

    Vassily, parti se “promener” à Nice, ne “se sentent pas concerné” jusqu’à la mobilisation, est un homme devant lequel, instinctivement, je ne tournerai pas le dos,ne lui faisant pas confiance.
    Je ne le jugerai pas plus loin car le comportement humain est difficilement prévisible. Mais jamais je ne lui ferai confiance.

    Espérant ne point avoir été trop long et vous remerciant,

  5. Les héros de guerre abandonnent leur famille le jour où ils meurent, ce n’est pas fuir que de penser à celle-ci ailleurs que sur le champ de bataille. Ensembles dans la vie, la femme et les enfants de Vassily pourront lui remettre leurs décorations sincères qu’il mérite.

  6. Je suis capitaine dans l’armée suisse. Je n’accepte pas qu’en alléguant un conflit de conscience inexistant un petit gauchiste suisse puisse faire du service civil bien au chaud comme enseignant de théorie du genre, médecin dans un hôpital ou gardien de musée, soignant ainsi sa future carrière civile, alors que ses camarades doivent faire un service militaire pénible et demain peut-être mourir au combat dans une guerre qui n’est plus du tout improbable.

    Alors pour ce type dont vous nous parlez, je ne veux pas le juger. Je ne veux pas non plus prendre la défense du régime russe. Mais vous nous dîtes qu’il a fait partie des forces spéciales. Par conséquent il n’est pas un objecteur de conscience mais au contraire un militaire d’élite et probablement un volontaire. Il a été volontaire et il a donné son consentement au régime de son pays et à sa politique de défense. C’est ce qui lui a permis de faire une certaine carrière comme instructeur dans la police puis dans le privé et d’atteindre un bon niveau de vie. Il est un bénéficiaire du régime et maintenant que ce régime, à tort ou à raison, estime que la patrie est en danger, il veut se soustraire à son devoir alors qu’il fait évidemment partie des militaires formés et mobilisables. C’est un privilégié, à son niveau, et il ne veut pas défendre son pays. Impossible de ne pas penser que sa motivation première est avant tout de ne pas renoncer à son niveau de vie. Il espère trouver une bonne combine pour être admis en Suisse et jouir d’avantages encore meilleurs que dans son pays.

    Sa position n’est pas respectable.

    1. Monsieur, Merci pour votre commentaire. Je ne veux ni défendre, ni accuser Vassily, j’aimerai juste clarifier: il a accepté de faire le service militaire pour, justement, pouvoir quitter la police, où il a été un investigateur et pas un instructeur. Dans l’armée russe on est assigné au certain service, qu’on ne choisit pas. Votre logique n’est donc pas tout à fait correcte.

      1. C’est possible. C’est pourquoi j’ai dit que je ne veux pas le juger, ne connaissant pas le cas. Mais tout de même quand son pays est en guerre, on ne peut pas déserter. D’ailleurs, en tant qu’observateur extérieur, il est très évident que depuis trente ans l’empire occidental agressif que représente l’OTAN fait tout pour encercler la Russie et la mettre à genoux. On ne peut nier cette évidence que si on est de mauvaise foi ou de parti pris. C’est un fait. L’OTAN n’accepte pas que la Russie ne se soumette pas inconditionnellement à ses diktats. Vous en avez sans doute parlé avec Michael Gorbatschov et je suis sûr qu’il faisait lui aussi ce constat. On exige de la Russie qu’elle se contente d’un rôle subalterne dans la gouvernance mondiale, sans aucune co-décision, bref on veut la réduire à un rôle de colonie exploitée par des oligarques pro occidentaux. Les Ukrainiens auraient préféré que leur pays puisse s’entendre à la fois avec l’Europe et avec la Russie, comme l’indique son nom qui signifie pays de frontière. Mais l’OTAN ne veut pas de l’Ukraine comme état tampon, pour maintenir la paix entre l’Est et l’Ouest. On veut arracher l’Ukraine à toute coopération avec la Russie, comme l’a théorisé Zbignew Brzezinski, car on sait que privée de l’Ukraine, la Russie est faible et devra se soumettre inconditionnellemnt à la domination de l’OTAN. Aujourd’hui on peut lire déjà les projets impérialistes très concrets de démembrement de la Russie, si on réussit à la vaincre militairement en Ukraine. Alors comment ne pas reconnaître qu’une opération préventive pour empêcher ces plans de démembrement du monde russe était une nécessité existencielle pour la Russie? Le régime qui a pris cette décision n’est pas sympathique. C’est un régime de kleptocrates qui ont fait main basse sur les richesses du pays. Mais si ce n’étaient pas ces kleptocrates là ce seraient d’autres kleptocrates au service de l’étranger, comme les Kodorkovsky, Gouzinski et autres qui ont été mis au pas par Poutine ou éliminés. Il y a eu apparemment un partage du pouvoir avec quelques oligarques qui se sont entendus avec le pouvoir pour garder leurs acquis, comme Vekselberg, qui possède la plus grande entreprise suisse (Sulzer) et avec des “siloviki” qui se sont enrichis. Alors évidemment on peut comprendre que certains n’aient pas envie de mourir pour défendre les intérêts de ces élites là. Mais je ne vois pas comment on peut nier que la volonté de l’ouest est de créer une Ukraine militarisée à l’extrême, agressive contre la Russie et membre de l’OTAN, ce qui est une menace existencielle pour la Russie, quels que soient ses dirigeants. On peut regretter que Poutine n’ai pas commencé cette opération avec tout de suite assez d’effectifs pour obtenir une victoire décisive rapide et protéger les Russes du Donbass de l’épuration ethnique qui devait être déclenchée le 25 février et qui était décrite, par ceux qui la préparaient, comme “solution croate”, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Et ça devait être fait par des gens qui sont VRAIMENT des nazis et qui ont été nourris comme mouvement underground par la CIA depuis 1945 en préparation d’une attaque contre la Russie. Poutine est un homme prudent, qui veut économiser ses soldats, c’est pourquoi il a commencé cette opération avec une toute petite armée, qui a obtenu des succès incroyables en infériorité numérique. Maintenant il est nécessaire de faire une mobilisation partielle pour finir le travail. Pour un Russe qui ne veut pas le démembrement de son pays, c’est un devoir d’obéir à l’orde de mobilisation, même si on n’approuve pas le gouvernement. Désolé, mais je le vois comme ça.

        1. Vous avez le droit d’avoir votre avis et de l’exprimer: heureusement pour vous, vous vous trouvez dans un pays démocratique.

        2. Capitaine,

          Si j’étais l’un de vos supérieurs, je serais particulièrement intéressé par , et votre avis sur ce conflit ,et vos arguments !
          Et je m’interrogerais sur vos accointances. Vraiment, je m’interrogerais.

          PS: Madame vous dit fort justement que vous avez de la chance de vivre dans un pays démocratique.

          1. Mon message est parti trop vite et à la mauvaise place. Je reprends:

            Vassily est un Juste, qui a pris la bonne décision.

    2. Votre manque de compréhension et de perspective me fait penser que vous n’êtes pas absolument pas capitaine dans l’armée, mais juste un troll comme il y en a quelques uns par ici. Rien que votre pseudo pointe vers des mouvances qui sentent mauvais l’extrémisme. Si vous êtes réellement militaire et officier, vous n’en êtes pas digne. J’espère que votre hiérarchie tombe sur votre pamphlet et prenne les mesures qui s’imposent.

  7. Dans les années 1960-70, les jeunes Américains réfractaires à la conscription pendant la guerre du Vietnam disaient: “Better red than dead” (mieux vaut rouge que mort). Aujourd’hui, un jeune Russe qui refuse la “mobilisation partielle” (et bientôt générale?) ne pourrait-il pas dire: “Mieux vaut lâche que mort”? Une jeune palestinienne qui refusait d’être enrôlée dans le Front de Libération de la Palestine (FLP) pendant l’Intifada disait, elle: “Je veux bien vivre pour une cause, pas mourir pour elle”. En effet, est-on plus utile à son pays mort que vivant?

    Aux Etats-Unis, la contestation contre la guerre du Vietnam était générale et étendue d’une côte à l’autre. En Russie sous le régime de Poutine, elle a été réduite au silence. Les Américains disaient avoir perdu la guerre non pas sur le terrain, où ils gardaient l’avantage militaire, mais “at home”, “poignardés dans le dos” par leurs propres concitoyens comme les Allemands disaient avoir perdu la Première Guerre Mondiale pour les mêmes raisons.

    Pour ma part, étudiant en Californie à cette époque, je me souviens de plus d’un de mes camarades revenus du front atteints à vie dans leur santé, en particulier par exposition à l’agent orange de sinistre mémoire, utilisé par l’U. S. Air Force. Beaucoup de ceux qui avaient servi au Vietnam, de retour au pays, ne comprenaient pas comment ni pourquoi leurs propres camarades qui avaient échappé à la conscription dénonçaient une guerre à laquelle eux-mêmes, comme conscrits, avaient été obligés de prendre part.

    Imaginer une telle contestation en Russie aujourd’hui paraît invraisemblable, d’autant plus quand on constate que la quasi-totalité de ‘l”establishment”, à commencer par les recteurs des universités russes et les élites économiques, industrielles et financières du pays, dont une bonne partie a été formée à l’Ouest et parle couramment anglais, soutiennent la politique guerrière de Poutine, même si elles la rejettent en privé. A cet égard, le livre d’Iegor Gran, “Z comme zombie”, dont je viens de finir la lecture après en avoir pris connaissance grâce au commentaire d’un de vos lecteurs, et qui m’a laissé pantois à chaque page, montre bien l’abdication lâche des élites face à la montée de l’autoritarisme. Celle des recteurs d’université ne rappelle-t-elle pas la même lâcheté de leurs homologues des universités allemandes face à la montée du nazisme?

    La propagande délirante, imbécile et mensongère dont la presse soumise à l’Etat abreuve la population n’explique donc pas à elle seule pourquoi la Russie dans sa grande majorité soutient la guerre que mène Poutine, à la fois avatar d’Ivan le Terrible, de Pierre le Grand et de Staline, comme le décrit I. Gran – à ceci près avec ce dernier que, arrivés à peu près au même âge après vingt ans de règne, alors que la santé de Staline se dégradait, Poutine, lui, paraît en pleine forme. Au contraire de l’entourage de Staline, celui du maître actuel du Kremlin ne peut compter sur une dégradation de son état de santé pour voir la fin de son règne.

    De plus, la grande majorité des élites font mine de souscrire au discours officiel sans y croire elles-mêmes, soit par peur de perdre leur poste soit, si elles contestent ce discours, d’êtres emprisonnées. Ces élites n’ont-elles alors pas une responsabilité de premier plan dans cette sinistre mascarade guerrière dont on ne voit pas le fin?

  8. Vous connaissez ma position.

    S’il cherche un leader pour se battre contre les forces de Poutine, il peut se tourner vers Zelensky. C’est un leader charismatique.

    Son expérience militaire sera par ailleurs utile aux Ukrainiens.

    La Suisse accueille les femmes et les enfants; pas les hommes en âge de se battre.

    1. Un leader charismatique? Avez-vous lu les Panama Papers?

      Quant à son expérience militaire, jusqu’à preuve du contraire ne se résume-t-elle pas à celle de de Gaulle, éducation et classe en moins, qui a sauvé la France courageusement retranché derrière son micro dans les salons feutrés de la BBC à Londres, comme l’acteur Zelensky devant micros et cameras?

    2. @JP: Il y a une différence entre refuser d’aller tuer des Ukrainiens, qui sont les agressés dans cette histoire, et aller se battre à leur côté pour tuer ses propres compatriotes qui, pour la plupart, ne sont là que par obligation. Vous ne le comprenez pas? Et j’espère bien que la Suisse continuera à accorder l’asile à ceux qui font le choix de ne pas soutenir les actions guerrières de Poutine et qui risquent très gros de ce fait s’ils restent en Russie. Entre parenthèses, pourquoi faire une distinction entre les HOMMES en âge de se battre et les femmes? J’avais cru comprendre que cette vision machiste n’était plus de mise à notre époque.

      1. La population suisse a voté récemment la disposition suivante:

        “Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être.”

        https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1999/358/fr#art_3

        En Russie et en Ukraine, seuls les hommes sont appelés à servir dans l’armée. Si vous souhaitez vous opposer à cette discrimination des femmes, je vous invite à aller manifester là-bas…

        1. Prise de position du Conseil fédéral:

          “Comme le Conseil fédéral l’a déjà expliqué à diverses reprises, le Secrétariat d’Etat aux migrations est conscient de la situation difficile que traversent les déserteurs et les objecteurs de conscience russes. Il suit l’évolution de la situation et intègre en continu les enseignements tirés de ses observations dans la pratique en matière d’asile et de renvoi (…). Les ressortissants russes peuvent – comme tous les autres ressortissants étrangers – entrer en Suisse aux conditions usuelles d’admission et d’entrée prévues par la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI ; RS 142.20) et par l’ordonnance sur l’entrée et l’octroi de visas (OEV ; RS 142.204). Les dispositions usuelles s’appliquent ; elles diffèrent en fonction du motif et de la durée du séjour (p. ex. regroupement familial, travailleurs hautement qualifiés, étudiants, visas pour un séjour d’au plus 90 jours par période de 180 jours). La Suisse offre la possibilité d’invoquer la réglementation concernant les étrangers, de déposer une demande de visa humanitaire ou encore de demander l’asile en Suisse et contribue ainsi à surmonter les difficultés engendrées par la mobilisation partielle ordonnée en Russie. La Suisse ne manifeste pas sa volonté d’accueillir un profil particulier de requérants d’asile, mais examine chaque demande individuellement.”

          https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20224158

  9. Par “expérience militaire”, je précise que je me réfère à celle de Zelensky et non du transfuge russe:

    “Lorsqu’il arrive au pouvoir, en avril 2019, Volodymyr Zelensky est un chef d’Etat sans expérience politique ni militaire.” (Le Temps, “Volodymyr Zelensky, ancien comédien sans expérience propulsé chef de guerre” 1er mars 2022 – https://www.letemps.ch/monde/volodymyr-zelensky-ancien-comedien-experience-propulse-chef-guerre).

    Je me suis permis cette extrapolation à la lecture du commentaire de JP. J’espère qu’il ne m’en tiendra pas rigueur. Notons en passant que Zelensky rejoint à cet égard Poutine et son ministre de la Défense qui, eux non plus, n’ont pas un seul jour de service militaire à leur actif. Autre points communs entre le chef d’Etat ukrainien et l’entourage de Poutine: leurs liens avec le réseau des sociétés offshore révélés par les “Pandora Papers”, qui font suite aux “Panama Papers”
    (“Offshore Holdings of Ukrainian President and his Inner Circle” – https://www.occrp.org/en/the-pandora-papers/pandora-papers-reveal-offshore-holdings-of-ukrainian-president-and-his-inner-circle).

    Pour un président qui avait fondé sa campagne électorale sur la lutte contre la corruption, son charisme doit être à géométrie variable. Huit mois de guerre lui aurait-ils refait une virginité?

    1. Bonsoir L.L,

      Je ne sais si une guerre “refait une virginité” mais je sais d’expérience qu’elle peut transformer un homme.

      Du reste, nos puissants d’Occident ont eu de coupables faiblesses pour Poutine et son régime, faiblesses qui ont mis à mal leur virginité. Nos pays devraient se garder de juger les errances possibles de Zelensky.
      Écrit il y a quelques années maintenant……
      https://desk-russie.eu/2022/10/28/relire-andre-glucksmann.html

      Vous souhaitant le bonsoir,

      1. Merci pour ce lien vers le texte de Glucksmann, que je ne connaissais pas. Il aurait pu ajouter un passage sur l’aide matérielle que les Etats-Unis ont fourni à l’Union soviétique pendant la seconde guerre mondiale pour l’aider à lutter contre les nazis – fait que Poutine se garde bien de rappeler, tout comme il passe sous silence le pacte germano-soviétique de 1939, quand il brandit le drapeau rouge de la victoire dans la “Grande guerre patriotique”:

        “Le matériel militaire livré par les États-Unis à l’U.R.S.S. a aidé à vaincre le nazisme”

        Dans le cadre de la loi sur le prêt-bail (“Lend Lease” adoptée par le Congrès en 1941), au bout du compte, l’Amérique aura envoyé à son allié russe les équipements militaires suivants :

        400 000 jeeps et camions
        14 000 avions
        8 000 tracteurs
        13 000 chars

        (Share America – https://share.america.gov/fr/le-materiel-militaire-livre-par-les-etats-unis-a-lu-r-s-s-a-aide-a-vaincre-le-nazisme/).

        Seul problème: quand les Russes ont reçu le matériel américain, comme les Anglais et les Chinois, autre bénéficiaires de l’aide d’Oncle Sam, ils ont constaté à leur tour qu’il était estampillé “U. S.” pour “UnServiceable”.

        1. Bonjour et merci pour ce lien,

          UnServiceable pour des questions diplomatiques, mais techniquement utilisables malgré tout ?

          Les interventions inconnues du grand public sont essentielles en temps de guerre, et même en temps de paix.
          Butler disait : “Le monde se divise en trois catégories de gens: un très petit nombre qui fait se produire les événements, un groupe un peu plus important qui veille à leur exécution et les regarde s’accomplir, et enfin une vaste majorité qui ne sait jamais ce qui s’est produit en réalité”…….

          Pour en revenir au “déserteurs” ou ” non déserteur” évoqué dans ce blog, il ne faut pas mésestimer la position des services de renseignement russes qui usent de ces conjectures pour infiltrer des agents, et la position des services de renseignement occidentaux qui tiennent bien évidemment compte de ces hypothèses. Alors qualifier une femme ou un homme qui quitte son pays, et qui peut avoir toute l’apparence de la sincérité, relève d’une logique beaucoup plus complexe et cynique. Mais nécessaire. La question n’est plus déserteur ou pas, mais nouveau risque d’infiltration ou pas.

          Belle journée à toutes et tous,

          1. “UnServiceable” est bien sûr à prendre au sens humoristique, et non à la lettre.

            Par ailleurs, je ne comprends très bien votre remarque laissant entendre que des services de renseignements russes utiliseraient des déserteurs comme agents infiltrés à des fins d’espionnage. Tout réfugié peut être et est souvent considéré comme un élément de la “cinquième colonne”.

            Pour ne citer que Genève, considérée comme haut lieu de rencontre entre services secrets de tous pays, Youri Nossenko, officier du KGB qui a fait défection aux Etats-Unis en 1964, était affecté à la mission diplomatique soviétique de Genève quand il a pris contact pour la première fois en 1962 avec la CIA. En février 1964, il demande à passer à l’Ouest, déclarant que sa trahison a été détectée. Il avait affirmé détenir des informations au sujet de Lee Harvey Oswald et de l’assassinat du président John Kennedy à Dallas, en 1963.” (Le Monde, 1er septembre 2008 – https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2008/09/01/iouri-nossenko-espion-sovietique_1090075_3382.html).

            Compte tenu de la mise en garde d’un autre transfuge, Anatoli Golitsyne, selon lequel le KGB envoie de faux transfuges pour semer le doute au sein des services occidentaux, et de la paranoïa du chef du service de contre-espionnage à la CIA, James Angleton, la CIA est partagée sur la confiance à lui accorder. “Sa vie était un roman”, écrit le journal “Le Monde”. “Un roman ou un film d’espionnage, comme la guerre froide entre l’Union soviétique et l’Occident en a tant inspiré. Iouri Nossenko a été pendant des années au centre de ces entrelacs entre espions retournés, agents doubles, taupes, et son cas n’a cessé jusqu’à la fin de sa vie d’être l’objet de controverses aux Etats-Unis, mettant aux prises les divers agents qui l’avaient traité après sa défection.”

            Colonel du KGB diplômé en 1950 du prestigieux Institut d’Etat des relations internationales (MGIMO) de Moscou, Nossenko n’était ni un déserteur, ni un réfugié. Il est peu probable qu’un transfuge qui fuit son pays pour échapper à la conscription ou pour des motifs politiques suscite autant d’intérêt que cet ancien membre de la mission permanente soviétique à Genève, dont les véritables raisons de la défection n’ont jamais été élucidées. Mais chacun est libre de fantasmer…

  10. Si La Russie tombe, les USA s’attaqueront à la Chine, à l’Iran ou la Corée du Nord. Les USA avec leur outil, l’OTAN trouveront toujours un prétexte pour faire la guerre.
    Il faut se battre pour son pays. L’heure est grave. Il ne faut pas s’enfuir.

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