A quoi bon apprendre l’histoire ?

Cette question sacrilège, je l’ai posée à Korine Amacher, professeure d’histoire russe et soviétique à l’Université de Genève, l’une des trois rédacteurs de « Histoire partagée, mémoires divisées. Ukraine, Russie, Pologne ». Ce recueil d’articles d’une vingtaine d’historiens de différents pays est le résultat tangible d’une sérié de colloques sur l’histoire de l’Europe de l’Est organisé par l’UNIGE depuis 2014 et financé par le FNS. J’avoue que je m’attendais à une succession de textes « scientifiques », que j’imaginais ennuyeux. Pas du tout ! Le recueil se lit comme un roman, ce qui n’est pas vraiment étonnant, puisque, lisons-nous sur la couverture, « cet ouvrage montre comment, de l’histoire à la mémoire, des « romans nationaux » antagonistes sont écrits.

Le livre est sorti en 2021, aux Éditions Antipodes, à Lausanne, et attend déjà une réédition, tel a été son succès. La date de la parution est importante, car aujourd’hui de nouveaux auteurs et de nouveaux thèmes y auraient forcément été ajoutés. Mais, pas de chance : malgré tous les avertissements des historiens, la guerre a éclaté – de toute évidence, les gens refusent d’apprendre les leçons d’histoire. Est-ce un échec professionnel, un échec des mesures préventives ? Oui et non, selon la professeure Amacher, bien que la question ne lui soit pas agréable. « Le rêve de chaque chercheur qui travaille avec des questions de mémoire c’est d’avoir une certaine influence sur les politiciens, sur la société, – me dit-elle dans son bureau au boulevard des Philosophes. – Oui, la Russie a attaqué l’Ukraine après la sortie de notre livre. La conclusion négative c’est que ce livre n’a servi à rien pour prévenir le conflit, toutes les horreurs se répètent. D’autre part, le livre est épuisé, cela veut dire que le public a besoin de comprendre, et ça c’est positif. Je pense tout de même, que sans les historiens cela aurait été pire. »

Le recueil que j’ai lu très attentivement de A à Z m’avait laissé un gout amer d’impuissance devant cette montagne de blessures anciennes et récentes, de carences accumulées, des choses non-dites ou dites trop brutalement dont la liste ne fait que s’allonger. Devant le désaccord sur l’interprétation de pratiquement chaque fait, chaque événement et chaque personnage historique. Le sentiment d’impasse, dont la seule sortie, selon la professeure Amacher, est « de comprendre la perception de l’autre » et « d’admettre le tort collectif de tous les participants de cette histoire ». Wishful thinking, comme disent les anglophones ?

Le désaccord est donc sur tout sauf sur ce constat unanime : tous les gouvernements essayent d’utiliser le passé pour influencer le présent, tous jouent avec la mémoire collective et réécrivent continuellement l’histoire au profit de leur politique du jour. « Mazepa était un homme politique et donc un hypocrite de haut niveau », écrit l’historien de Kharkov Volodymyr Masliychuk en parlant d’hetman ukrainien le plus connu en Europe : immortalisé par Alexandre Pouchkine dans son poème « Poltava », ce héros de la nation ukrainienne a été décerné par Pierre Ier de Russie, un titre d’infamie, l’Ordre de Judas, créé spécifiquement pour lui pour qualifier sa traîtrise. Un exemple parmi tant d’autres.

Mais alors comment les historiens peuvent-ils faire leur travail si toutes les « sources » mentent, si aucune n’est fiable ? « Ceci est une question primordiale, admet Korine Amacher, à laquelle notre recueil a essayé d’apporter une réponse en comparant les avis divergents, en croisant les sources, en étant le plus objectif possible ».

Pour aller au fond des choses dans l’histoire tumultueuse des trois pays, les chercheurs remontent jusqu’au XI siècle, car le discours politique d’aujourd’hui revient toujours à ces origines-là. « La Rus de Kiev est le point nodal qui est un facteur dans la politique extérieure russe actuelle, explique la professeure Amacher. Dès que les Russes disent que la Rus de Kiev n’a jamais été ukrainienne, ou que les Ukrainiens affirment le contraire, la dispute redémarre. Ceci est très décourageant ».

A ma surprise, Korine Amacher n’est pas opposée à la démolition des monuments, le sport dans lequel on excelle maintenant sur le territoire postsoviétique. A son avis, il y a des monuments qui sont représentatifs d’une certaine époque, d’une certaine vision du monde mais qui n’ont pas leur place dans la modernité. Personnellement, j’aurai préféré des plaques qui expliqueraient pourquoi des idées et des actions d’un tel personnage doivent être réévaluées; la démolition des monuments contribue justement à cette réécriture de l’histoire dont nous parlons. « Peut-être, mais dans ce cas ces anciens monuments ne céderont jamais la places aux nouveaux, me répond Korine Amacher. Mets-toi à la place d’un descendant d’un esclave qui doit passer tous les jours devant un monument dédié à un esclavagiste ? »

Certes. Mais il y a des exemples plus proches de nous tout de même, et il est beaucoup plus facile pour moi de me mettre à la place d’une personne ayant perdu ses proches dans un pogrom ou dans un ghetto et qui doit maintenant passer devant les monuments de Stépan Bandera dont le nombre grandit en Ukraine. (Cet idéologue nationaliste ukrainien, collaborateur des nazies, antisémite de premier ordre, responsable des massacres des Juifs ainsi que des Polonais s’est installé après la Deuxième guerre mondiale en Allemagne de l’Ouest, où il est assassiné, en 1959, par les services secrets soviétiques.) Seront-ils démolis à leur tour ? « J’espère que oui, me répond Korine Amacher. Je suis d’accord, l’immortalisation de certains personnages historiques pose un problème, et l’Ukraine aurait dû choisir des héros qui unissent la société et pas le contraire. D’autre part, il est bien dommage qu’en Russie il y ait ceux qui souhaitent remettre Dzerzhinsky [le fondateur de KGB actuel dont le monument à Moscou a été renversé en 1991] sur son socle ». Bien dommage, effectivement.

… Et ainsi en rond, ou plutôt en cercle vicieux. A quoi bon donc apprendre l’histoire si elle ne nous apprend rien ? « C’est une question bien triste, avoue la professeure Amacher. L’histoire pose presque plus de questions qu’elle ne donne de réponses, et nombreuses questions devront être adressées une fois la guerre finie. » Elle reste néanmoins convaincue que les livres, comme le recueil en question, sont utiles et que sans les historiens il n’y aurait personne pour contredire les politiciens qui manipulent la conscience collective et pour interrompre les discours les plus radicaux.  Je suis prête à lui donner raison.

En déclenchant la guerre, le président Poutine a automatiquement rendu l’Ukraine « toute blanche » et la Russie « toute noire » dans les yeux du public. Mais comment cette période sera-t-elle évaluée par les historiens des prochaines générations ? Y verront-elles des « nuances de Grey » ? Je n’en sais rien mais j’aimerai tant que ce recueil soit traduit en polonais, russe et ukrainien car c’est à ces peuples là qu’il est indispensable pour mieux connaitre leur histoire mouvementée afin de pouvoir vivre en voisinage obligé. Hélas, pour l’instant la traduction n’est pas prévue, les francophones ont donc le privilège de bénéficier de ce savoir réuni.

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Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

21 réponses à “A quoi bon apprendre l’histoire ?

  1. Merci Nadia pour votre blog et vos éclairages. J’ai gardé de mon activité en Russie et en Ukraine des amis à Moscou et à Kiev avec qui je parle encore mais malheureusement pour l’heure je n’échange pas.

    Lorsque mon ami Roman à Moscou, m’as dit, en février, tu verras ce sera fini dans une semaine, je lui ai dit qu’au contraire nous allions être bloqué longtemps et qu’à la sortie ce sera notre rôle de rebâtir les ponts.

    La situation actuelle m’attriste profondément, j’ai grandi en Suisse pendant la guerre froide et j’ai toujours rêvé de paix grâce aux échanges commerciaux. Ma profession m’a permis d’y contribuer pendant quelques années. Et depuis février tous les projets que nous avions mis sur pied ensemble sont détruits. C’est un terrible gâchis.

    Au-delà des symboles et de l’histoire, il y a toutes ces humains, ces fourmis, de part et d’autre qui ont rêvé au quotidien de bâtir un monde meilleur au gré de la liberté de circuler et d’échanger, qui se voient écrasés.

    Continuez de nous éclairer de vos avis et merci.

  2. Votre excellent article rejoint ce que Gogol a résumé dans son roman Tarass Boulba, que je viens de relire en russe: à savoir les relations “compliquées” (c’est un euphémisme) , entre l’Ukraine, la Russie et la Pologne, déjà au XVI e siècle. Il y relève notamment le rôle important des Cosaques du Don, qui selon Gogol, cherchaient la bagarre avec tout le monde, notamment les Tatares de Crimée, les Turcs, tous les musulmans, les Juifs et les catholiques, de préférence les Polonais. Certaines descriptions sont d’une effroyable cruauté. Il est toujours instructif de constater, grâce à l’histoire, que la bête humaine ne changera jamais…

  3. Pour compléter le commentaire ci-dessus, j’ajouterais que la couverture du livre si bien présenté par Madame Sikorsky montre la statue érigée à Kiev à la gloire de Bohdan Khmelnytsky (1595-1657), chef militaire et politique des Cosaques d’Ukraine, un héros ukrainien, symbole de la résistance cosaque. C’est pourtant un personnage ambivalent. Il a été à la fois l’artisan d’un rapprochement des Cosaques avec la Moscovie, mais aussi l’auteur de massacres de Polonais et d’Uniates, et de pogroms d’une rare cruauté envers les Juifs, probablement entre 40 et 100’000 tués, spécialement durant les années 1648 et 1649 ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Bogdan_Khmelnitski ).
    Voir aussi le témoignage de Nathan ben Moses Hannover (+1663) : “Le Fond de l’abîme”, ainsi que le roman de Isaac Bashevis Singer : “La Corne du bélier”.

    1. Merci pour ce commentaire. Effectivement, Bogdan Khmelnitsky est un autre “cas” – j’en parle dans mon texte en russe, plus détaillé.

  4. C’est une question utile, à condition de ne pas confondre “histoire” et “récit”. Alors votre titre aurait aussi pu s’énoncer “Comment apprendre DE l’histoire”. Y compris dans le champ de ce qu’on a appelé à un certain moment “l’histoire immédiate”. Ce matin, au Parlement, il ne devait pas y avoir beaucoup d’historiens sous la coupole. Signer l’achat d’avions intrusifs au prétexte d’une guerre, très et maladroitement fondée sur le récit, place les citoyennes et les citoyens devant un fait accompli: leur collaboration avec l’OTAN – responsable de méfaits irréversibles, et c’est un euphémisme, historiquement attestés. Or la moitié des Suisses avaient refusé l’idée de l’acquisition de cette arme. Étudier et encore étudier. Et non pas s’approprier la version des faits qui convient dans le frisson identitaire du réseau social complaisant. Il semble bien que dans l’histoire la plus complexe, donc la plus difficile à étudier, le récit ait ici gagné. Au mépris des populations.

  5. La poids effroyable de l’histoire est-elle une création de l’esprit humain néfaste? Sommes-nous contaminés par un virus qui s’appelle l’attrait pour l’histoire? Comme il s’agit d’un passé révolu, on voit les temps anciens comme peu dangereux, peu susceptibles de nous atteindre. Or, le passé a un masque très discutable qui s’appelle le nationalisme et parfois l’impérialisme chez les peuples qui ont eu un passé “glorieux”. Chez ces derniers, il est difficile de ne pas se croire le plus malin, le plus fort alors que les temps ont avancé, les richesses et les connaissances de pointe ont changé de mains. Et surtout après des milliers et des milliers de guerres, les dirigeants qui ont un cerveau se rendent compte qu’une guerre n’a pas de vainqueur et laisse des traces sans fin. Certains ne peuvent s’empêcher de rêver de vengeance ou de prolongation des conquêtes. C’est là le poids empoisonné de l’histoire et cela va loin. C’est aussi le besoin de se mettre en sécurité, l’absence de confiance et d’amitié envers ses voisins. N’oublions pas “homo homini lupus”. Mais j’ose espérer que le souvenir des souffrances inutiles, la puissance de l’opinion mondiale des peuples non concernés qui observent, les voyages, internet, les organisations internationales (ONU malgré son apparente faiblesse, efforts de coopération commerciales ou industrielle, scientifique (Airbus, vaccins, apports de pays tiers dans diverses fabrications…) ont avancé depuis le dix-neuvième siècle. Que dire sur l’utilité d’apprendre l’histoire? Peut-elle faut-il réserver cette étude aux dirigeants, aux politiciens, aux spécialistes des relations internationales et diriger une majorité de personnes vers des études essentielles au futur de l’humanité, comme la médecine, les moyens de communication, les procédés industriels partagés, l’espace, la physique des particules… Les historiens ont un poids dans nos sociétés qui n’est pas justifié. Nous avons besoin de choses qui nous unissent, pas de fantasmes du passé qui nous menacent. Orienter l’Education! Endoctriner pour le bien de l’espèce humaine! Je n’aime pas Stéphane Bern qui détourne l’argent de la recherche médicale de la construction de maisons pour les pauvres, de l’aide aux pays en difficulté pour restaurer de vieux monuments qui ne sont que vanité. Hélas, le passé nous empoisonne quand il n’est pas un unique progrès de la Connaissance utile. Travailler ensemble contre nos vrais ennemis que sont les maladies, l’ignorance, la pauvreté, cela nous unit. Concernant la Russie, le travail n’est-il pas uniquement de lui faire prendre conscience du fait qu’elle est une nation du XXIème siècle pas du XIXème, une nation comme les autres et non impériale. Et l’avant-Poutine me fait penser que c’est très possible. “Sans les historiens cela aurait été pire», Hum! Pour oublier, il faut penser à autre chose, se passionner, je dis bien se passionner sur autre chose et travailler ensemble. Avançons, bon sang! Quand la Russie collaborait avec d’autres pays pour la conquête de l’espace, la recherche internationale, l’enrichissement, la survie des pays pauvres, elle faisait l’admiration des autres nations. Elle était elle-même.

    1. La conquête spatiale est aussi un récit impérial (soviétique, américain, chinois ou européen).
      A mes yeux, ce qui empoisonne les enfants pour en faire de petits soldats, ce sont les manuels scolaires, avec leurs récits mythiques, et leurs héros tous préparés.
      Pour le reste, l’histoire est une source d’humilité si on la regarde comme une histoire très variée des échecs de l’humanité.
      Donc pas sûr que ce soit vraiment le passé qui nous empoisonne. Ce sont nos imaginations fantasmées du passé, hérigées en doctrines politiques.

  6. Comme la philosophie, la littérature et la science – quand celle-ci n’est pas promue que pour son utilité pratique – l’histoire n’a-t-elle pas toujours été la bête noire des démagogues? Comme les journalistes, ces historiens de l’instant, les historiens, ces reporters du passé, n’ont-ils pas pour rôle de mettre en question les discours des politiciens et des publicistes? Dans l’actuelle guerre de l’information, ou plutôt de la désinformation que se livrent les belligérants russes et ukrainiens, historiens et journalistes ne risquent d’ailleurs pas de manquer de pain sur la planche.

    Pourtant, font-ils vraiment leur travail? Au lieu de rapporter les faits en toute indépendance et avec neutralité, le journaliste ne se contente-t-il pas trop souvent de privilégier le “petit fait vrai”, l”‘intérêt humain” et l’appel aux émotions? Or, les meneurs de jeu ont une nette préférence pour ce que Nathalie Sarraute, si l’on en croit cette femme écrivain française d’origine russe, appelait les “petits faits faux”.

    Quant à l’interprétation biaisée de l’histoire russe que fait Poutine pour justifier son agression illégale de l’Ukraine, ne trouve-t-on pas autant d’historiens pour la réfuter que pour la justifier? Une lectrice attire aussi l’attention sur le distinguo histoire-récit. Mais l’histoire est-elle autre chose qu’une… histoire, donc un récit dont chacun(e) défend sa propre version? Dès lors, qui croire – Tolstoï ou Douguine?

    Quand j’étais journaliste, mon rédacteur-en-chef me reprochait de trop faire de l’histoire – ce qui n’est pas la même chose que faire l’Histoire – dans mes articles et de ne pas lui vendre assez de “petits faits vrais”. Devenu professeur d’histoire (Korine Amacher, alors encore étudiante, a été ma remplaçante quand j’enseignais dans le post-obligatoire), on me reprochait de faire des “flashes” – bref, d’être minimaliste et flemmard.

    Il est vrai que j’ai toujours tout fait à l’envers et à rebours du bon sens, raison pour laquelle, désormais retraité, je ne me sens pas trop dépaysé dans un monde qui tourne de plus en plus à l’envers.

  7. Bonjour,
    Je vous écris pour vous signaler un petit évènement littéraire ce dimanche 18 septembre à 18.00 à la résidence d’écrivains au chateau de Lavigny (entre Morges et Aubonne): il y aura ELENA KOSTYUCHENKO
    une journaliste qui travaillait pour Новая Газета.
    Je serai très reconnaissant si vous pouviez le signaler aux lecteurs de votre blog.

    Par avance un merci.

    Данила Кандауров

  8. Ce qui ne va pas c’est de regarder perpétuellement vers le passé: l’histoire spatiale a été une lutte impériale vers ses débuts. Elle avait cessé de l’être quand la Russie envoyait des hommes vers la station spatiale, pratiquait une coopération. Oui, l’histoire “empoisonne” les enfants avec sa réinterprétation de récits “mythiques” difficiles à exposer avec tous leurs à-côtés et causes, de héros “tout préparés” revus et corrigés au gré des puissants actuels, oui. Il faut réorienter l’attention des enfants vers une prise de conscience des grandes impuissances actuelles, vers une meilleure connaissance de ce qui est déjà acquis dans ces combats, donc des connaissances scientifiques réputées plus arides, moins distrayantes. Bref, se concentrer vers l’avenir et sa préparation et non sur le passé, ses scories ou sur les diverses “versions” plus ou moins anti-objectives. Oui, l’histoire se concentre trop sur un appel à certaines “émotions” qui ne sont pas dynamisantes mais affaiblissantes pour le progrès de l’humanité. Regarder vers l’avenir, c’est déjà un peu oublier le passé. La phrase “oublier le passé, c’est se condamner à le revivre” me semble douteuse. Oublier le passé, c’est se permettre de “regarder ensemble vers la même direction”

    1. Oublier le passé?
      Je crois que ce serait la pire chose qui puisse arriver à l’humanité.
      La mémoire est le fondement de toute civilisation, de toute sagesse. Et disant cela, je ne justifie absolument pas l’instrumentalisation de la mémoire, qui est une trahison banale.
      Quant à “regarder ensemble vers la même direction”, je ne le souhaite absolument pas. L’humanité est multiple, et je préfère qu’elle le reste. Pourquoi tous devraient regarder dans la même direction?
      Une humanité unifiée qui regarde dans une même direction, cela me semble une dystopie.
      Que ferez-vous de ceux qui regardent dans une autre direction?
      Sont-il destinés à être “rééduqués”?
      Quant à l’histoire spatiale elle est l’expression exacte de ce que sont les mythes étatiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
      Tous les programmes spatiaux sont liés à des projets de prestige et de superpuissance des Etats qui les financent.

  9. La conquête spatiale est un outil de prestige pour les puissances argentées mais se limiter à cette affirmation c’est simplifier à l’excès la réalité des choses. Les travaux de ces pays sont un espoir pour l’ensemble des autres. Quand la raison prévalait on s’acheminait vers une collaboration étendue de nombreux pays, ce qui a donné James Web, Ariane, la station spatiale… Je dois revenir sur l’intérêt d’avoir dans l’espace un groupe de personnes survivant à une catastrophe nucléaire, une énorme éruption volcanique, un météore, un virus implacable. Cela pour repeupler la terre après. L’histoire réactive les haines à demi-oubliées, fait revivre les rancœurs justifiées ou non. Elle empêche la réconciliation par-dessus les tombes en remettant l’attention sur les côtés abominables des affrontements passés. Se remémorer Attila, Napoléon, Staline c’est mettre en avant l’inhumain chez les hommes, flatter l’attrait pour la destruction des autres nations et de soi. L’histoire c’est la glorification de la guerre, des morts inutiles, des progrès à oublier, du retour en arrière des économies. C’est faire croire que l’agressivité masculine sauve plus de vies que la douceur féminine. Le passé est passé… et le reste, si on cesse de l’adorer. Le passé c’est l’impuissance à y changer quelque chose, une réactivation de souffrances à effacer. Il y a un attrait morbide à regarder en arrière parce que c’est ruminer la guerre de 14, refaire la bataille de Waterloo ou se croire avec orgueil capable de réinventer l’histoire car elle n’est pas toujours bien connue. C’est un plaisir empoisonné qui nourrit les impérialismes, l’esprit de destruction, thanatos. Sans aucun doute étudier l’histoire, celle qu’on discute encore et celle qui fait la prédominance du clan des vainqueurs, c’est moins fatigant que de se concentrer sur des efforts pragmatiques préparant l’avenir. Regarder l’avenir c’est étudier les mathématiques (le langage de Dieu), c’est étudier la chimie, la physique qui nous révèlent des secrets puissants mais trustés par certains, c’est étudier les relations entre les hommes dans le présent pour éviter les affrontements stupides, c’est s’étudier soi-même pour se rendre plus fort. S’appuyer sur les connaissances élaborées dans le passé et non sur les tueries sans cesse répétées. Concentrons-nous sur la préparation de l’avenir. Il réclame tous nos efforts car il sera dur. Le passé ça s’oublie, l’avenir ça se prépare

    1. “Regarder l’avenir c’est étudier les mathématiques (le langage de Dieu)…”

      De quel Dieu – celui de Descartes? De Platon? De Piaget et de Vigotsky? Celui de Wall Street (“In Go(l)d We Trust?

      Pour en avoir le coeur net, j’ ai demandé la confirmation de Son existence à mon ordinateur en consultant sa base de données déductive et orientée objet dans un langage simple, non mathématique, avec les mots-clé suivants:

      “Dieu existe”

      Voici sa réponse:

      “Mot inconnu: Dieu”

      Comme le citoyen Pierre-Simon de Laplace présentait au général Bonaparte la première édition de son “Exposition du Système du monde”, Napoléon lui dit: “Newton a parlé de Dieu dans son livre. J’ai déjà parcouru le vôtre et je n’y ai pas trouvé ce nom une seule fois.” À quoi Laplace lui répondit: « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. Si elle explique “tout”, elle ne permet de prédire “rien” et n’entrait donc pas dans mon domaine d’étude.”

      Dans son traité de cosmologie, Laplace cite la critique de Newton par Leibniz : “C’est avoir des idées bien étroites de la sagesse et de la puissance de Dieu”.

      Il existe une histoire des mathématiques et de la logique comme de la physique, de la chimie et de la biologie. L’avenir sera-t-il plus radieux s’il est préparé par des illettrés, comme c’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui?

  10. “Le passé est passé…”
    C’est justement ainsi qu’on justifie les crimes du passé – en disant qu’on ne peut rien y faire et qu’il vaut mieux oublier.
    Après une phase d’amnésie, les victimes ont justement besoin de la mémoire et de la reconnaissance des crimes pour se reconstruire.
    Pour le reste l’étude de l’histoire, c’est justement la déconstruction des mythes.
    Ce n’est absolument pas la glorification de la guerre.
    Enfin, les sciences dures – que vous semblez aduler – peuvent se révéler très dangereuses sans un minimum de conscience et d’éthique.
    D’ailleurs, sans les ingénieurs, il n’y aurait pas d’armes modernes, ni de guerre moderne, non? Est-ce les historiens qui ont inventé les gaz mortels ou les missiles, la ballistique?
    Enfin, les divers progammes spatiaux sont liés de près ou de loin à des progammes militaires. Ce n’est pas le monde des bisounours que vous nous présentez! Absolument pas.

  11. Non, ce n’est pas ce monde n’est pas celui des bisounours. Les programmes spatiaux sont liés aux militaires. Espérons que cela sera un peu moins vrai dans les prochaines avancées. L’ambiguïté est et restera partout, le mal, le bien. Dans l’avenir qui nous attend, tôt ou tard, il y aura une catastrophe à laquelle il faudra être préparé. Ne jetez pas les ingénieurs avec l’eau du bain, sans eux nous serions dans des cavernes. Je rêve d’un monde avec plus d’ingénieurs justement, de créatifs, de chercheurs efficaces en médecine en psychologie. Un monde avec des historiens raréfiés parce qu’il y faut plus de pragmatisme, moins de littérature ne débouchant sur rien, plus de conscience de ce qui peut menacer. Un monde qui sécurise au maximum le futur des générations à venir. Dans une certaine mesure et toutes proportions gardées, pensez à la différence de façon de penser aux USA tournés vers la réussite et la vieille Europe obstinément engluée dans le souvenir des siècles passés. Faire les bons choix dans le monde de l’éducation

    1. Les ingénieurs sont partout dans le monde actuel. Dans la finance, dans l’Etat, dans tous les “progrès” techniques.
      Et pourtant la société humaine va très mal.
      Dès lors, il faudrait commencer à se poser des question:
      Est-ce que la “technologisation” de la vie humaine est vraiment la solution?
      Les gens aspirent à vivre en paix et en harmonie. Ils n’aspirent pas à toujours plus de progrès techniques.
      La technique doit être au service, et pas aux commandes.
      Au centre, ce sont les relations humaines qui sont essentielles.

  12. Madame Sikorsky,
    Voilà une analyse fort intéressante, factuelle et impartiale. Tout le contraire de la pensée moderne. A lire vos commentateurs, on pourrait croire à la résurrection de l’historique lutte entre les Anciens et les Modernes, tristes joutes ne menant à rien. L’Histoire n’est pas, ou ne devrait pas être comprise comme la mémoire et la glorification d’évènements et de personnages sélectionnés au gré des préférences du moment présent, de celles des apprentis sorciers ou des diseuses de bonne aventure. L’Histoire est le souvenir de faits réels et d’expériences humaines qui nous rappellent nos origines et nos traditions. Origine unique et traditions multiples. L’unité dans la diversité ou un pour tous, tous pour un. Tout le contraire de la pensée unique d’une mondialisation mortifère.

  13. Il ne s’agit pas de la solution à tous les problèmes mais à certains problèmes difficiles et importants. Je cite encore les météores contre lesquels on ne peut toujours rien, une maxi-éruption volcanique, un virus mortel, une guerre totale. On peut ajouter la surpopulation génératrice de pauvreté, le manque de connaissances en sciences, le réchauffement climatique (c’est peut-être provisoire et peut être solutionné). Les relations humaines sont importantes mais je crains que la guerre folle ait lieu un jour, tôt ou tard. Donc l’espace, malgré des conditions terribles, mettrait quelques individus hors de portée des abominations. De plus, je trouve que le passé ne peut plus être changé. Même les puissants d’aujourd’hui ne le peuvent pas. Voir certains films américains rêvant de revenir en 1941 pour empêcher Pearl Harbor. La recherche dans le passé des causes et conséquences, de l’enchaînement des évènements est hélas passionnante. Mais il nous faut nous discipliner pour consacrer toute notre énergie contre les dangers qui peuvent causer la destruction totale et définitive de notre espèce. Ne pas perdre notre temps à des études du passé mangeuses de temps et d’énergie. Il n’ y pas de leçons de l’histoire mais les erreurs, les aveuglements, les impuissances, les inactions d’aujourd’hui se paieront au centuple… dans le futur. Oui, la société va très mal. Nous ne sommes pas Dieu, nous ne pouvons pas trouver une solution à tout. Mais c’est notre devoir de faire du mieux possible, c’est-à-dire de faire les bons choix dans nos efforts et actions.

    1. @ Martin
      Ne pas étudier les erreurs, aveuglement, impuissance de passé – c’est très mauvaise habitude, signe d’une fuite en avant ou d’une attitude myope, comme celle de l’autruche.
      De ce point de vue, l’étude critique du passé est essentielle pour faire des choix pertinents aujourd’hui.
      C’est une attitude de responsabilité, rien de plus.

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