Kaliningrad, le miroir éclaté de l’Europe

(c) Dominique de Rivaz

Selon le récent sondage réalisé par Sotomo pour le compte de la SSR, la deuxième vague de Covid-19 a déclenché dans la population un coup de blues bien plus important que la première. Les mesures restreignant la liberté de mouvement personnelle restent, globalement, notre principale préoccupation. La plupart d’entre nous avons manqué les vacances d’été, puis celles d’octobre et quant à la période de Noël et Nouvel-An rien n’est plus qu’incertain.

Nous rêvons de voyages ! Il est peu probable que la ville de Kaliningrad soit une priorité sur la liste des destinations de rêve des Suisses – certains ont peut-être appris son existence grâce aux quatre matchs de la Coupe du monde de football qu’elle a accueilli en 2018. Qui sait ? Peut-être d’autres en rêveront après avoir découvert le nouveau livre, ou plutôt le nouvel album de photos et de textes que présentent les Éditions Noir sur Blanc.

Kaliningrad donc, que Cédric Gras appelle très justement « une séquelle topographique de la Seconde Guerre mondiale » car sa nouvelle vie a commencé au moment où « la Prusse a perdu son « P ». L’épellation de son nom se ressemble peu dans diverses versions linguistiques : Калининград en russe, Königsberg en allemand, Królewiec en polonais, Karaliaučius en lituanien) Aujourd’hui c’est une ville russe située dans une enclave territoriale, totalement isolée du reste du territoire russe, entre la Pologne et la Lituanie.

Son histoire est indissociable de l’histoire des guerres européennes, toutes les sources l’attestent unanimement. On apprend que Kaliningrad se trouve sur le site de l’ancienne Königsberg (nom allemand qui signifie littéralement mont du roi, en l’honneur du roi Ottokar II de Bohême ayant pris part aux croisades dans la région), fondée en istoireles Prussiens. La ville fit partie de la Ligue hanséatique en 1340. À la suite des défaites des Chevaliers teutoniques dans leur lutte contre la Pologne et après la chute du château de Marienburg en 1457, Königsberg devint la capitale de l’Ordre teutonique. Lorsque, en 1525, le dernier Grand-maître de l’ordre, Albert de Brandebourg-Ansbach, sécularisa celui-ci, c’est tout naturellement que Königsberg devint la capitale du nouveau duché de Prusse qu’il venait de créer après sa conversion au luthéranisme. Lorsque le duché fut érigé en royaume par Frédéric III de Brandebourg en 1701, Königsberg devint vice-capitale royale avec Berlin. Elle fait partie du royaume de Prusse, puis de l’Empire allemand en 1871. Après la Première Guerre mondiale et la défaite allemande, elle est intégrée à l’État libre de Prusse – jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’assaut de la ville par les troupes soviétiques, sous le commandement du maréchal Alexandre Vassilievski, commença le 6 avril et se termina le 9 avril 1945 par la capitulation de la garnison allemande. Königsberg fut renommée Kaliningrad le 4 juillet 1946, lorsque l’URSS reçut ce territoire en compensation des destructions et des pertes subies lors de la Seconde Guerre mondiale. La ville des rois s’est vue ainsi transformée en ville du président du Præsidium du Soviet suprême et membre du Comité central du Parti communiste, Mikhaïl Kalinine.

(c) Dmitri Leltschuk

C’est à la recherche des traces de ces deux empires, prussien et soviétique, que sont partis les deux photographes, une suissesse Dominique de Rivaz et un biélorusse Dmitri Leltschuk, un duo qui s’était formé lors de leur collaboration pour le livre « Hommes de sable de Choïna », paru en 2013 chez Noir sur Blanc.

Toutes les photos de Dimitri sont en noir en blanc, ce qui leur confère un aspect « historique ». Toutes celles de Dominique sont en couleur, ce qui les rend plus humaines, plus proches de nous. Et parfois vice versa. Dans l’ensemble elles nous permettent d’explorer cette ville bourrée d’Histoire où, selon Dominique de Rivaz, le temps semble s’être arrêté mais où la population, qui approche un demi-million de personnes, bouillonne de vie.

Néanmoins plusieurs questions demeurent sans réponses : par quel miracle un bas-relief ancien a-t-il survécu sur un immeuble moderne ? pourquoi les habitants ont-ils préféré donner à l’aéroport local le nom de l’impératrice Élisabeth plutôt que celui du philosophe Emmanuel Kant, qui est né et mort à Königsberg ? Que signifie un médaillon en argent où figurent, côte à côte, une étoile de David et une croix gammée ?

Je crains que pour avoir des réponses il faille se rendre à Kaliningrad où le nouveau livre pourrait vous servir de guide.

Alors bon voyage ! Et pour ceux qui lisent le russe, voici une interview de Dominique de Rivaz.

 

 

 

 

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

3 réponses à “Kaliningrad, le miroir éclaté de l’Europe

  1. Merci pour cet article sur un sujet rarement évoqué.

    “peu probable que Kaliningrad soit une destination de rêve” ? Pas sûr du tout. La Riviera Baltica vous proposera un patrimoine tant naturel qu’historique qui mérite le déplacement et, si vous vous rendez à Pétersbourg, ça vaut la peine d’y aller en voiture, en prenant tout son temps.
    Mais attention, Калининград est bien en Russie et si vous voulez éviter des tracasseries à la frontière, c’est utile de parler un peu le Russe.

    1. Étant précisé que le territoire bénéficie du régime de visas électroniques ce qui simplifie au moins cet aspect.

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