Y a-t-il encore de la place pour les idéalistes ?

J’ai récemment donné mon premier séminaire, en anglais, aux étudiants de la Geneva School of Diplomacy, une institution privée située dans le quartier de l’ONU et autres organisations internationales, préparant justement les cadres à leur intention.

Il y avait une soixantaine des jeunes dans ma classe, online et offline mélangés, de tous les coins du monde : Suisse, Italie, Inde, États-Unis, Kenya, Émirats… Tous charmants, très polis et témoignant de l’intérêt pour le sujet proposé : « Diplomats and journalists: the importance of being idealists ». Hélas, personne n’a saisi mon allusion à la célébré pièce d’Oscar Wilde, « The importance of being ernest », personne n’ayant lu la pièce et deux personnes seulement ayant vaguement entendu parler de l’auteur. Idem pour le Genevois Albert Cohen et sa « Belle du Seigneur » – bien que ce magnifique roman leur donnerait quelques indications bien utiles sur leur futur milieu professionnel demeuré presque inchangé depuis les années 1930.
Reste que cela a ouvert le dialogue et permis d’aborder tout de suite la question d’identité, réelle et fausse, supprimée et exposée. Les enfants – qu’ils me pardonnent cette familiarité – sont entrés dans le jeu.

M’étant présentée, je leur ai demandé d’en faire autant en ajoutant aux « nom/pays » habituels une rapide, et en une seule phrase, réponse à la question « Pourquoi veux-je devenir un diplomate ? » Une seule personne, une jeune femme de la Malaisie, a donné la réponse que j’espérais entendre de tous. « Je veux changer le monde pour le mieux », a-t-elle dit. Une idéaliste seulement sur soixante. Quelle déception !

Mais, comme on dit en français, la sauce a bien pris et notre échange – où j’avais limité la partie théorique au strict minimum – a été productif et, pour moi, très intéressant : ces jeunes avaient plein de choses à dire!

Nous avons parlé des origines de nos métiers réciproques, des similitudes et des différences de nos « cahiers de charges », des moyens par lesquels nous formons l’opinion publique, des privilèges et des dangers, de la possibilité de garder son indépendance d’opinion, des qualités dont il faut disposer pour les exercer au mieux. Leur liste fut vite faite: convictions, honnêteté, persévérance, culture générale, esprit critique, bonne résistance psychologique… Nous avons examiné des cas concrets et hypothétiques.

Nous avons également essayé de trouver la meilleure définition à la notion d’idéaliste, quelque part entre un rêveur ordinaire, un visionnaire et une personne qui croit aux valeurs supérieures… Malgré cette ambiguïté et au bout de deux heures d’une discussion fort animée, tous mes adorables interlocuteurs se déclaraient prêts à s’afficher avec une pancarte « Je suis un/une idéaliste ». C’est ainsi que je pense avoir accompli ma mission. Et si en plus ils se mettent à lire !..

 

Nadia Sikorsky

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’université Lomonossov. Après avoir passé 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

2 réponses à “Y a-t-il encore de la place pour les idéalistes ?

  1. “Hélas, personne n’a saisi mon allusion à la célébré pièce d’Oscar Wilde, “The importance of being ernest”.

    Peut-être vos auditeurs se demandaient-ils qui est Ernest – toute l’intrigue de la pièce de Wilde, “The Importance of Being Earnest, A Trivial Comedy for Serious People”, étant construite sur le double sens “earnest” (sérieux, fidèle) et le prénom “Ernest”, les deux se prononçant de la même manière.

    Les disparités entre les diverses traductions françaises de la pièce sont d’ailleurs révélatrices du quiproquo que son titre engendre. “The Importance of Being Earnest” est en effet traduit en français de diverses façons :

    “L’Importance d’être Constant”, “L’Importance d’être Ernest”, “L’Avantage d’être constant”, “Il est important d’être Aimé” (traduction de Jean Anouilh), “De l’importance d’être Fidèle” ou encore “L’Importance d’être sérieux”.

    (En revanche, je n’ai encore jamais trouvé, en anglais, de version avec pour titre “The importance of being ernest”).

    C’est un fait que proposer à des jeunes candidat(e)s à la carrière de diplomate une pièce bâtie toute entière sur un quiproquo peut représenter un réel défi, bien à la hauteur des enjeux auxquels ils seront confrontés plus tard. Pourtant, j’ai quelque peine à voir le lien entre un idéaliste et le libertin Ernest. Serais-je resté aveugle, moi aussi, à votre allusion à cette célèbre satire des moeurs victoriennes?

    1. Bonjour, merci de votre commentaire. Non, ce n’est pas un problème de traduction – surtout que le séminaire s’est déroulé en anglais – mais de l’absence de connaissance. Et il m’y a pas de lien entre un idéaliste et un libertin. J’ai évoqué Ernest pour parler de “switching identitites” – ce qui est le vrai sujet de la pièce et un atout utile pour les diplomates qui les permet de s’imaginer à la place de leur interlocuteur.

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