Cher patron, je suis malade chronique

Cher patron,

Certains disent que je suis un peu naïve, et que ça finira par me perdre. Dans ce monde, il faut se vendre, être productif, compétitif, vous donner un mirage de perfection tout en camouflant avec finesse ses faiblesses.

Mais moi, comme une idiote, je vais m’asseoir devant vous, vous regarder dans les yeux et vous raconter ma maladie, mes problèmes de santé, mes futures absences, et surtout, si vous me posez la question, je vais vous dire qu’aucune guérison n’est possible, qu’aucun traitement miraculeux ne pourra changer cela. On nous appelle les malades chroniques, parce que voyez-vous, ça dure. Un gène altéré par là, une morsure de tique de l’autre côté, un accident inattendu et voilà qu’on rejoint le panier des “fragiles”.

Qualifiez-moi d’innocente, de candide si cela vous chante, mais je ne suis pas sûre qu’on puisse encore l’être quand on est habitué à traverser les flots déchaînés qui inondent les couloirs blancs, quand on ne cesse jamais de ramer, rythmé par le son des paramètres vitaux qui s’affichent à l’écran.

Mais voyez, à force de tirer sur les rames, on devient fort. Peut-être que la barque, usée par les vagues, chavirera à nouveau. À ce moment là, le temps que des mécaniciens tout vêtus de blanc – ou de bleu, c’est selon – viennent la réparer, je serai absente. Non rentable, même pire, une charge pour vous. De l’argent perdu, un surplus de travail pour les collègues. Vous allez me dire que c’est trop risqué, le budget ne prévoit pas les cas comme moi.

Pourtant, si je puis me permettre, entravé par vos angoisses vous en avez oublié l’essentiel. Vous avez omis que la petite embarcation, tant qu’elle sera à flot, avancera avec vaillance. Elle connait le cap qui se dessine à l’horizon, car elle a déjà tant appris de la vie. Les tempêtes lui ont donné une expérience et une compréhension de l’humain qu’aucune école ne pourra jamais inculquer. Tout part en vrille, le travail fuse de partout, il faut réagir au quart de tour? Elle saura rester calme, car elle est devenue experte dans la gestion du stress, elle qui devait se montrer sereine lorsqu’on lui prédisait la tourmente. Elle saura rester positive, car les chirurgies successives lui ont appris qu’après chaque typhon, elle reprendra sa navigation avec une volonté d’autant plus tenace. Chacune des journées de son voyage sera marquée par sa motivation, son énergie, car oh oui, elle sait combien la vie est belle, et quelle chance elle a d’être à ce poste.

Cher patron, je vous laisse vous faire votre propre opinion. Je suis malade, certes, et serai un peu plus absente que mes collègues. Mais accordez-moi qu’un bon salarié est une personne pour qui son emploi a un sens et qui met du cœur à l’ouvrage. Chaque matin, je saurai que si je suis là, sur mes deux jambes, c’est que ce sera à nouveau une belle journée et ce sentiment me donnera des ailes. Je vous défie de trouver des employés qui présentent plus de volonté dans leurs tripes et plus d’enthousiasme à la besogne qu’une malade chronique, guerrière aguerrie de ses batailles silencieuses, habituée à suer pour vaincre les épreuves.

Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient. Sénèque

Avec mes meilleures salutations,

Myriam

Myriam Duc

Enfant, Myriam Duc côtoie quotidiennement la violence de ses parents et de ses camarades d'école. Ado, on lui diagnostique un Syndrome d'Ehlers-Danlos, une maladie qui fragilise ses organes. A 17 ans, le SPJ intervient pour maltraitance et elle quitte son domicile familiale. S'ensuivent deux opérations du cœur. Aujourd'hui, elle se reconstruit grâce au sport et parcourt le monde sac au dos.

17 réponses à “Cher patron, je suis malade chronique

    1. Le SPJ m’a aidée à partir de chez mes parents en raison de maltraitance. Ma maladie est une problématique différente et pas liée au SPJ ni à ce que j’ai pu vivre avec ma famille

      1. Désolé pour la question.

        je craignais qu’ils n’avaient pas compris que votre maladie fragilisait vos os.

        1. La maladie ne fragilise pas particulièrement les os, même s’il y a une ostéoporose précoce, mais principalement la peau, les tendons, les arriculations, les vaisseaux sanguins (ça dépend du type de la maladie.
          La question est pertinente car effectivement il peut y avoir une fausse suspicion d’abus car on a des plaies qui cicatrisent mal, qui sont nombreuses et des hématomes au moindre choc.
          Il n’ y a pas de mal 🙂

  1. Comme toujours, Madame, vous êtes magnifique de courage et de joie de vivre. Merci. J’ai emprunté une goutte de votre “potion magique” pour la partager avec d’autres.
    Belle fête des Rameaux.
    Suzette Sandoz

  2. Chère Myriam, je souhaite très sincèrement que vous puissiez vous maintenir à flot dans les meilleures conditions possibles.
    Très belle fête Pascale.
    Marie-Madeleine Lorson-Nanchen

  3. Bonjour Myriam,
    Des phrases et un vécu très fort qui me laisse un peu sans mot dire…
    Me réjouis une fois de plus de vous croiser lors de la future projection 🤞🏻👍

  4. Je viens de lire votre livre et je regarde votre blog
    Quel courage et quelle persévérance mais les douleurs familiales donnent la force de vivre et de se battre
    Votre combat contre la maladie est exemplaire c’est tout simplement merveilleux
    Profitez de la vie et soyez heureuse vous le meritez

  5. À l’Ile de Beauté,

    La vie a mis des pierres sur ton chemin et tu as décidé d’en faire un PONT et non un mur.

    RESPECT et gros gros becs Ma Myriam.

    Nadia Lamy ❤️

    1. Oh merci merci et merci du fond du cœur pour tout ce soutien et cette bienveillance ❤ merci d’être toujours là et toujours à l’écoute ❤

      Gros bisous à toute la famille

  6. Message d’une vieille malade chronique à une jeune malade chronique ….
    Bonjour, j’ai apprécié votre magnifique texte. Merci beaucoup. Et je peux d’autant mieux le comprendre que je suis et resterai une « chronique » vivant en permanence sur les frontières et cela depuis bien plus qu’un demi-siècle. Car depuis très longtemps, trop longtemps pour les statistiques médicales, mon MDRD valve gaiement entre le rouge et l’orange, sans jamais flirter avec le noir (= la zone dialyse etc.). Certaines de mes valeurs ne sont absolument jamais normales mais dans des cas comme le mien, restent tout à fait acceptables ! Aucun employeur ne devrait rien avoir à y redire sauf que cela dérange bien trop souvent et tout le temps. Car les chroniques sont en permanence assommé(e)s de remarques déplacées voire assassines. Nous avons donc un énorme parapluie de résilience pour nous protéger de ces attaques qui ne s’arrêtent jamais. Parfois dans les conflits, il y a des trêves. Hélas, il n’y a jamais de cessation des conflits pour les chroniques.

    Le dénigrement familial massif, je connais aussi par cœur depuis ma toute petite enfance. Les insultes familiales, je connais par cœur. Les « mises de côté » villageoises et scolaires, je connais par cœur. Puis les menaces dans le cadre du travail. Comme vous je connais par cœur ! Et les réflexions et intimidations même pas voilées d’un médecin du personnel sont gravées dans ma mémoire pour toujours. Un peu comme le coup de massue d’un jugement. “Chronique = rebut de l’humanité”.

    Être porteur/porteuse d’une maladie chronique reste une tarre dans cette société, même lorsque ce problème « de naissance ou datant de la petite enfance » ne nous empêche aucunement de travailler et de travailler très dur grâce à d’autres aptitudes. De facto, nous nous absentons beaucoup moins que les « parfaitement bien portants ». Car nous bénéficions d’une grande endurance et de résilience.

    Les malades chroniques supportent aussi non-stop toutes sortes de réflexions malsaines qu’il faut automatiquement éluder et prendre au deuxième degré. Par exemple les réflexions par rapport à la fatigue physique chronique et à l’incompétence sportive dans un monde qui met énormément d’accent sur le sport. Les non-sportifs sont des extra-terrestres.
    A ce sujet, une petite histoire amusante bien réelle: des cardiologues éludent avec superbe vos antécédents médicaux car il est trop fatiguant de lire le rapport d’un collègue d’une autre spécialité et vous proposent donc un test d’effort, alors que vous avez été exemptée d’efforts physiques depuis de nombreuses décennies. Qui sont donc les ânes flemmards ? Les médecins ou les patient(s) chronique(s) ? Puisque même la lecture est trop épuisante pour certains spécialistes.

    Le dénigrement médical des internistes, je connais aussi par cœur. Pas assez intelligents pour comprendre la pharmaco-génétique et/ou la pharmaco-toxicologie, ils sont enclin à vous massacrer à chaque prescription si vous ne contrôlez/supervisez par tout. Et donc la conscience parfaitement tranquille, ils vous prescrivent des drogues vraiment interdites selon votre profil génétique particulier. Ou alors ils vous jettent votre passeport d’allergies à la figure. C’est du vécu, du vrai de vrai. Retournons donc la question: tous ces incompétents travaillent-ils de manière saine ? Évidemment non, mais ils ne sont jamais sanctionnés par quiconque. Contrairement à nous les malades chroniques.

    Comme vous l’écrivez si justement, « à force de, on devient fort » ….. Nous devenons si forts et si combattifs que nous dérangeons très fortement. Les tempêtes médicales que nous affrontons ne nous ont jamais empêché de travailler et de gagner notre vie dignement. Ni de mener notre vie tambour battant, néanmoins à notre manière, c’est-à-dire vraiment très différente de la norme.

    Je vous souhaite le meilleur. Et vous savez que votre combat ne s’arrêtera jamais.
    Eliane AB

  7. J’ai enfin lu cette dernière chronique ainsi que la longue réponse d’Eliane. Tout est dit donc je n’y rajouterai rien sauf qu’une fois de plus en lisant ces lignes je ne peut que me réjouir un peu plus de vous croiser…
    Tout de bon !

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