A toi, Adrien

A toi l’ami à la bonne humeur imperturbable, solide pilier contre lequel je pouvais me reposer, à toi le géant au grand cœur toujours prêt à me suivre dans mes aventures les plus folles, avec lequel j’ai appris à tellement aimer la vie et le sport. J’aurais voulu te dire au revoir. Un dernier câlin, un dernier burger chez Holy Cow, une dernière virée ensemble en montagne. Je m’imagine encore tes yeux rieurs qui enlevaient toutes mes peurs et me disaient simplement : vas-y ne t’inquiète pas, profite de la vie. Je courais à la lenteur d’un escargot, tu étais trois fois plus rapide et pourtant tu me félicitais, tu me disais que j’allais super vite et que j’étais au top. Oui, tu étais le genre d’ami qu’on a tous rêvé. Mais cette fois tu es parti trop vite, trop haut, trop loin et je n’arrive pas à te rattraper.

Adrien, à mon retour en Suisse j’aurais voulu qu’on parte une nouvelle fois faire du vélo à 5h du matin. On se serait posé au milieu de la nature et je t’aurais raconté mon voyage. T’aurais adoré entendre ça, t’as toujours aimé les trucs un peu fous.

Je t’aurais raconté comment après la Turquie j’ai rejoint la Géorgie et l’Arménie, les journées de stop à -10°C, les mecs bourrés qui étaient insupportables dans ce pays où l’on m’invitait à un verre de vodka au petit déjeuner. Je t’aurais raconté ma rencontre avec Lisa, la famille adorable qui nous a hébergées et qui nous proposait des têtes de poisson en apéro, leurs toilettes qui se résumaient à un trou au fond du jardin.

Je t’aurais raconté l’Iran et son hospitalité légendaire, la nuit à neuf sur le même tapis, la beauté du désert et de ses dromadaires. Ce n’était pas non plus de tout repos, il y avait aussi régulièrement les interrogatoires de police à n’en plus finir, eux qui se demandaient ce qu’une petite femme comme moi faisait seule au bord de la route à demander des «free lift» aux conducteurs. Je t’aurais confié mes cauchemars angoissants, mon passé que j’ai vomi et à quel point j’en suis sortie nettoyée et apaisée.

Là, du haut de la montagne, je t’aurais expliqué pourquoi j’ai évité le Baloutchistan – c’était trop dangereux. La route, je l’ai reprise à Karachi, au sud du Pakistan, et je me suis retrouvée dans un bus à dissimuler l’entier de ma tête dans un foulard en faisant semblant de dormir pour échapper à l’escorte de police. Ce pays si mal aimé m’a accueillie les bras grands ouverts, de parfaits inconnus m’ont tout donné et j’ai trouvé une nouvelle famille dans le club de boxe à Islamabad.

Tu sais, j’aurais inspiré un grand coup d’air frais en me remémorant l’Inde et sa chaleur suffocante, le garçon duquel je suis tombée amoureuse malgré moi, la route que j’ai reprise seule avec le cœur en peine. Je t’aurais montré les photos de Goa, de ses plages bordées de palmiers et de mon premier essai de surf durant lequel j’ai bien dû avaler deux litres d’eau. Tu aurais éclaté de rire et tu m’aurais donné plein de conseils.

Tu aurais été heureux de savoir que Blandine va bien et qu’on a voyagé ensemble dans le Kerala. Je t’aurais raconté avec enthousiasme mon deuxième essai de surf à Varkala et tu aurais été super fier de moi… j’ai pris la majorité des vagues debout et sans tomber. On aurait fêté ça avec un morceau de pain et de fromage tout en observant le soleil levant et les oiseaux qui volent.

Avec Blan on est allé à l’extrême Sud de l’Inde, où les trois mers se rejoignent. On est venu là pour te dire un dernier au revoir. Et aujourd’hui, pendant que mes amis se sont retrouvés autour de toi en Suisse, j’ai ramé de toutes mes forces avec la planche loin au large des côtes du Sri Lanka où j’ai déposé dans l’eau la plus belle des fleurs que j’ai pu trouver… ainsi que toutes les larmes de mon corps.

Parce que toi, tu viens de mourir. Et que nous, on crève de chagrin.

Myriam Duc

Enfant, Myriam Duc côtoie quotidiennement la violence de ses parents et de ses camarades d'école. Ado, on lui diagnostique un Syndrome d'Ehlers-Danlos, une maladie qui fragilise ses organes. A 17 ans, le SPJ intervient pour maltraitance et elle quitte son domicile familiale. S'ensuivent deux opérations du cœur. Aujourd'hui, elle se reconstruit grâce au sport et parcourt le monde sac au dos.

16 réponses à “A toi, Adrien

  1. Bonjour,
    Très beau texte comme toujours
    On devine dès le départ qu’il s’agit d’un hommage/adieu mais la fin reste quand même difficile.
    Comme dirait quelqu’un de mon entourage: ”Hakuna Matata”

  2. Grand Bonjour Myriam.
    Toutes nos condoléances ;c’est dur et triste de perdre un ami. Nous sommes heureux d’avoir enfin de tes nouvelles. Sans te le cacher,nous étions inquiets de ne plus rien savoir. Que de chemins parcourus ! Bravo tu es admirable ! Nous t’embrassons.
    Olivier et Nadia

  3. Myriam,
    merci de te livrer codeur ouvert …. Envie de te dire que les départs n’en sont pas, que ce qui a été vécu en amour avec les êtres chers est là pour toute éternité.

    Cela a existé et nous reprenons la route un peu loin, d’autres rencontres auront lieu avec la certitude qu’il s’agit finalement du même chemin , celui du grandir celui d’apprendre à aimer

    je te souhaite le courage et la détermination du guerrier qui ne se retourne pas et qui voit à l’horizon , se lever le soleil dans une lumière nouvelle.

    Beau voyage Myriam

  4. Bonjour Myriam, je t’avais dit que je suivrais tes aventures. Je suis heureuses pour toi que tu réalises ton voyage. Je comprends ta peine quand à la perte de cet ami. Moi, dans ma famille dernièrement une personne âgé est décédé . Le père de mon cousin par alliance “Titi”. Cette personne a^gé m’avait eu reçu plus jeune en Espagne. Ca m’a touché et peiné pour “Titi”. On voit les gens partir, et on ai impuissant face à ce phénomène et pour nous nos larmes mêlent tristesse, peine, colère souvent envers nous, nostalgies, souvenirs, vide( un froid intérieur). Je compatis à ta peine. Mais notre destin c’est de vivre, de continuer notre route. Sur ta route , tu rencontreras de nombreuses personnes, de nouveaux amis mais aucun ne remplacera celui-là. Je te souhaite bonne route, pensant à toi souvent.
    Je te présente toutes mes condoléances. Ravie d’avoir pu par le biais de cet écrit d’avoir pu partagé avec toi ce moment. Je te souhaite bon voyage, bonne route. Au plaisir de te lire.
    Melle Bazelaire Amélie

  5. Myriam
    Je suis ton aventure avec beaucoup de tendresse. Il y a quelque qui résonne en moi quand je te lis. Cet appel que tu as suivi, je le ressens aussi. Autrement. Fiévreusement. Je te souhaite la lumière et je pense à toi qui traverse cette épreuve. Frederic

  6. Magnifique belle suite de route “la cabossée”, malgré les inévitables aléas qui font autant les routes de la vie que celles de la soie 🙂

  7. (re)bonjour Myriam,
    en pensée avec vous en ces temps de chagrin et de tristesse. Ne restez pas sur le regret d’avoir perdu un ami très cher, mais imaginez la grande chance que vous avez eue de le connaître et de le côtoyer; emportez-le partout avec vous pour la suite de votre voyage qui, je l’espère, sera bienveillant avec vous.
    Nicole

  8. Chaque absence est comblée par les souvenirs de lumière et d’amour. Mais elle n’en reste pas moins douloureuse. Courage, le chemin est parsemé de nouvelles rencontres…

  9. Bonjour Myriam
    Je comprends ta douleur de perdre un ami.
    Suis ravie d’avoir des nouvelles de ce voyage si risqué. Il semble avoir un effet tellement positif sur toi. Quelle victoire, tu es redoutable…tu a pris ta revanche…BRAVO.
    J’attends le livre de ton histoire, elle est tellement belle et riche !!!
    Bises Katell

  10. Chère Myriam,
    Cela faisait plusieurs semaines que je guettais des nouvelles de ta part. Je dois te dire que ta première communication m’a beaucoup touché. Et j’ai été ému à chaqu’un de tes reportages. Ton écriture est vraie, belle, universelle et joyeuse, même lorsqu’il s’agit de dire adieu à ce que l’on a de plus précieux dans la vie, un ami, Adrien. C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un être aimé.
    Merci pour ton exemple de résilience absolue, va ton chemin, tu es fantastique Myriam !
    Toutes mes amitiés
    Jclaude

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