Désespoir et irresponsabilité

Syrian refugees arrive on a beach covered with life vests and deflated dinghies on the Greek island of Lesbos in an overcrowded dinghy after crossing a part of the Aegean Sea from the Turkish coast September 22, 2015. REUTERS/Yannis Behrakis - RTX1RUYU
Gilets de sauvetage abandonnés sur l’île grecque de Lesbos. (Reuters)

Le débat ambiant sur la crise des réfugiés est traversé de nombreuses contradictions. Parmi celles-ci, les interrogations sur l’origine de ce « regain » de migration interpellent. Quelles sont les raisons de cette « soudaine » vague d’immigrants, se demandent de nombreux analystes. Pourquoi une telle acuité en quelques semaines cet été, renchérissent-ils. À quoi ceci est-il dû, se questionnent d’autres plus en avant. Étrange cécité, en réalité, qui, une fois de plus, se donne le change trop aisément en refusant de faire le lien entre causes évidentes de l’irresponsabilité étatique et conséquences prévisibles du désespoir humain.

C’est désormais un aspect attendu de chaque crise de ce début de vingt-et-unième siècle – dernière attaque terroriste, crise politique, épidémie ou crash financier – que l’on entonne, derechef, le refrain du « Comment n’a-t-on pas vu venir ceci ? » et s’ouvre le bal de la quête des causalités.

Déficit de leadership

Le mouvement massif de migrants du sud de la Méditerranée vers l’Europe au cours des derniers mois est indéniablement un exode complexe rassemblant diverses populations provenant d’horizons variés, brassant une variété de classes sociales et mettant en scène des motivations économiques et politiques multiples. Pour autant, c’est bien un développement commun qui se retrouve visiblement à l’origine du départ d’un large pan de ces Afghans, Irakiens, Libyens et Syriens de chez eux, à savoir l’intervention militaire et le chaos qui, invariablement, s’en suit. Afghanistan 2001, Irak 2003, Libye 2011 et la récente crise syrienne.

Aussi, on ne peut faire l’économie de ces raccourcis militaires et ce déficit de leadership étatique qui, au Sud comme au Nord, ont générés le chaos actuel. Sur un flanc, l’autoritarisme et l’impéritie sans cesse renouvelée de régimes corrompus a mené irrémédiablement à des rebellions sociétales en quête de lendemains meilleurs. Sur l’autre, des gouvernements, pour beaucoup héritiers de logiques coloniales, qui n’ont eu de réponses aux rendez-vous de l’histoire que l’impatience, le rapport de force et l’obsession sécuritaire. Celle-là même que les transitions avortées ont hybridement instrumentalisées ; mi-fiction de changement, mi-entêtement dictatorial.

Décrédibilisés de part et d’autre, ces « Deux États » assistent désormais à la liquéfaction de leurs espaces autrefois souverains. Ici, des groupes armés transnationaux s’en emparent et y bâtissent des « États ». Là, des familles à pied brisent les murs de la Forteresse mettant à nu sa fragilité. L’histoire nous apprend que tous les conflits ne mènent pas nécessairement à l’exode. Ceux qui naissent de la nonchalance étatique contemporaine semblent, pour leur part, voués à offrir aux populations qui en sont victimes ni patrie ni refuge.

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou

Historien politique, Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est professeur d'histoire et politique internationales au Geneva Graduate Institute (Institut de hautes études internationales et du développement) à Genève. Précédemment à l’Université Harvard, il a également enseigné à Sciences Po Paris.