Procédure pénale: des aveux, des aveux, encore des aveux

La révision de l’art. 53 CP, qui régit l’exemption de peine en cas de réparation, a été adopté mardi à l’unanimité par le Conseil des Etats.

Dans sa version actuelle, l’art. 53 CP prévoit que l’autorité renonce à poursuivre, à renvoyer en jugement ou à infliger une peine à l’auteur d’une infraction qui a réparé le dommage ou accompli « tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu’il a causé ». Il faut aujourd’hui pour cela que les conditions du sursis à l’exécution de la peine soient remplies et que l’intérêt public et l’intérêt du lésé à poursuivre l’auteur pénalement soient «peu importants». Concrètement, une exemption de peine est à ce jour possible lorsque la peine qui pourrait être infligée s’élève jusqu’à deux ans de prison.  Si le prévenu indemnise la victime, ou répare le tort causé, il peut ainsi espérer ne pas être condamné. Aucun aveu n’est à cet égard nécessaire. Seule la réparation est exigée.

Les critiques qui se sont élevées contre cette disposition relevaient qu’elle revenait à permettre aux plus riches de s’acheter une virginité, et soulignaient l’injustice entre le prévenu fortuné qui pouvait « acheter » l’absence de condamnation et le prévenu désargenté qui ne le pouvait pas.

Un an au maximum

Le conseil des Etats a donc décidé, dans sa séance du 27 novembre 2018, de ne permettre l’exemption de peine au motif de la réparation du dommage que lorsque la peine envisagée est une peine d’emprisonnement avec sursis jusqu’à un an au maximum, des jours-amendes avec sursis ou une amende. De plus, le prévenu devra passer aux aveux, condition qui ne figure pas dans le texte actuel. Enfin, lorsque la responsabilité pénale d’une entreprise est engagée, celle-ci pourra également bénéficier d’une telle exemption de peine.

Certes, le résultat – qui a été adopté à l’unanimité- restreint les possibilités d’exemption de peine, et atteint en ce sens partiellement le but recherché. Mais philosophiquement, le raisonnement peut surprendre. Doit-on tolérer un tel processus, qui peut choquer pour les motifs exposés ci-dessus, mais qui présente également l’avantage d’encourager le prévenu à véritablement tout mettre en œuvre pour réparer le préjudice subi ? Dans la négative pourquoi ne pas supprimer purement et simplement cette possibilité ? Dans l’affirmative, pourquoi en restreindre la portée, s’agissant des peines privatives de liberté, à une année avec sursis? En effet, la limite de 2 ans de peine privative de liberté actuellement en vigueur s’inscrivait dans une certaine logique, puisqu’elle correspond à la peine privative de liberté maximale pour laquelle un sursis total peut être accordé.

Aveux imposés

Et surtout, pourquoi imposer désormais des aveux ? Selon le rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national du 3 mai 2018, la formulation de l’exigence des aveux est reprise des articles 352 CPP et 358 CPP, à savoir des dispositions indiquant à quelles conditions une ordonnance pénale peut être rendue (à savoir lorsque les faits sont établis ou admis), et à quelles conditions une procédure simplifiée peut être mise en œuvre (à savoir à la demande du prévenu qui a reconnu les faits). Le législateur érige donc une fois de plus les aveux en élément central, alors qu’il appartient en principe à l’Etat d’établir les faits, conformément aux règles de procédure en vigueur.

On peut s’interroger sur les conséquences d’une telle tendance. Certes, la problématique ne se pose pas de la même manière ne matière d’exemption de peine qu’en matière de procédure simplifiée, qui présente le risque d’aboutir à la condamnation d’innocents. Condamnation consentie par peur d’une sanction plus sévère (de nombreux cas ont été observés aux Etats-Unis). Mais les aveux jouent un rôle toujours plus central dans la procédure pénale, il convient de veiller à ce que ce ne soit pas au détriment de l’établissement minutieux et précis des faits. Il faudra par exemple veiller à ce que l’enquête reste orientée sur la recherche de la vérité, et non sur l’obtention d’aveux. Comme l’explique Fabio Benoit, officier de police judiciaire à Neuchâtel, l’interrogatoire de police ne doit pas être orienté principalement sur la recherche des aveux. Car aveux et vérité ne concordent pas toujours.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Les rétrocessions pourraient s’assimiler à de la corruption privée

En septembre, le Tribunal fédéral a rendu public un arrêt du 14 août 2018 confirmant que l’absence de transparence en matière de rétrocessions bancaires peut être constitutif de gestion déloyale.

Pour notre haute cour, un gérant de fortune qui tait à son client les prestations qu’il reçoit de la banque dépositaire commet un acte de gestion déloyale. Car le client, faute de l’information nécessaire, n’est pas en mesure de réclamer au gérant la restitution à laquelle il est en droit de prétendre.

Dans le cadre d’une conférence que j’ai donnée il y a quelques jours dans le cadre d’un séminaire de formation de l’association romande des intermédiaires financiers (ARIF), j’ai été amenée à m’interroger sur le traitement de telles rétrocommissions sous l’angle de l’infraction pénale de corruption privée.

Le 1er juillet 2016 sont en effet entrés en vigueur les art. 322octies et 322novies du code pénal réprimant la corruption privée active (punissant le «corrupteur») et passive (punissant le «corrompu»).

Même aux meilleures conditions

Selon la doctrine, une rémunération en échange de l’ouverture d’un compte au nom du client, non divulguée à celui-ci par son mandataire (et apporteur d’affaire de la banque) peut être constitutive de corruption privée. Et cela non seulement si le mandataire ne choisit pas la banque offrant les meilleures conditions. Mais également si le choix de la banque dépend du pouvoir d’appréciation du mandataire (CASSANI Ursula, Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique : blanchiment d’argent et corruption privée, in: Revue pénale suisse, 2018, vol. 136, n° 2, p. 179-213). Et cela même si, en définitive, la banque choisie est bien celle offrant les meilleures conditions pour le client.

Certes, la loi prévoit que les avantages de faible importance conformes aux usages ainsi que ceux autorisés par le règlement de service ou convenus par le contrat ne sont pas des avantages indus (art. 322 decies al. 1 du code pénal). La jurisprudence tracera les contours de ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas. Rappelons à cet égard que les clauses indiquant par exemple que toute rétrocession accordée par des banques restent acquises à la société de gestion de fortune et que le client renonce à ce qu’on lui rende compte de ces rétrocessions et abandonne toute prétention à cet égard ne sont pas valables si les clients n’ont reçu aucune information préalable concernant l’ampleur de ce à quoi ils renonçaient. En d’autres termes, pour déployer des effets, un tel accord du mandant doit être éclairé. Il devra également être antérieur à la perception des commissions.

Risque pénal

Le risque pénal lié aux rétrocessions ne saurait être négligé, ni par les particuliers, ni par les entreprises. En effet, l’infraction de corruption privée active est également susceptible d’engager la responsabilité primaire de l’entreprise (au sens de l’art. 102 al. 2 du code pénal). Celle-ci doit donc veiller à prendre en son sein les mesures organisationnelles nécessaires à la prévention de tels comportements susceptibles de constituer de la corruption privée active (au sens de l’art. 322 octies du code pénal).

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Affaires Maudet et peut-être Broulis: acceptation d’un avantage, de quoi parle-t-on ?

Dans le cadre des dossiers Maudet et Broulis, l’infraction d’acceptation d’un avantage est actuellement sous le feu des projecteurs. Mais de quoi parle-t-on exactement?

L’infraction d’acceptation d’un avantage (art. 322 sexies CP) consiste, pour un fonctionnaire, à se faire promettre ou accepter un avantage indu, en sa faveur ou en faveur d’un tiers, pour accomplir les devoirs de sa charge. Cette infraction ne doit pas être confondue avec celle de corruption passive (art. 322 quater CP), destinée à sanctionner le fonctionnaire qui se sera fait promettre ou aura accepté un avantage indu, en sa faveur ou en celle d’un tiers, pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation.

A la différence des infractions de corruption, passibles au maximum d’une peine privative de liberté de 5 ans, l’acceptation d’un avantage, passible d’une peine maximale de 3 ans de prison, ne nécessite pas de lien direct entre l’octroi de l’avantage indu et une contre-prestation consistant en un acte ou une omission contraire aux devoirs du fonctionnaire ou dépendants d’un pouvoir d’appréciation de l’agent public.

Exemple du voyage d’agrément

Les infractions d’acceptation et d’octroi d’un avantage (322 quinquies) visent ainsi à réprimer les manœuvres d’ «alimentation progressive» (Anfütterung) ou d’ «entretien du climat» (Klimapflege) visant à influencer favorablement et de façon générale un agent public. Elles visent également les «paiements de facilitation» (Facilitation Payments), dans lesquels l’agent public perçoit un avantage indu pour un acte ou une omission, mais qui demeure conforme à ses devoirs, l’avantage perçu ayant uniquement pour but de garantir ou accélérer l’obtention d’une prestation à laquelle le «corrupteur» a droit.

Comme exemple de libéralité tombant sous le coup de l’article 322quinquies CP, le message du Conseil fédéral cite l’exemple du voyage d’agrément offert à des décideurs du secteur énergétique (Message du Conseil fédéral concernant la modification du Code pénal suisse et du Code pénale militaire (révision des dispositions pénales applicables à la corruption) et l’adhésion de la Suisse à la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, du 19 avril 1999 (FF 1999 5145, p. 5084)).

Infraction intentionnelle

Tous les cadeaux reçus sont-ils ainsi susceptibles de constituer une infraction pénale ? Non, outre le fait que les cadeaux d’usage de faible valeur ne sont pas concernés, seules sont incriminées les libéralités destinées à influencer l’agent public. En d’autres termes, l’avantage doit être de nature à agir sur l’accomplissement des devoirs du fonctionnaire visé.

De plus, l’infraction d’acceptation d’un avantage est une infraction intentionnelle. Cela signifie que le fonctionnaire doit savoir que l’avantage lui est octroyé ou promis en vue de son activité future, dans le cadre de ses fonctions. Il doit avoir conscience du lien entre cet avantage et le comportement qui est attendu de lui. Sinon, il n’est pas punissable.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

 

 

 

 

L’absence de transparence en matière de rétrocessions bancaires est un délit

Le fait pour un gérant de fortune de taire les rétrocessions perçues est pénalement punissable. C’est ce qu’a dit le Tribunal fédéral dans un arrêt (TF 6B_689/2016 du 14 août 2018) rendu public le 6 septembre. Le gérant de fortune doit informer ses clients des rétrocessions et rétributions qu’il perçoit de la banque dépositaire. S’il omet de le faire, il peut être condamné pour gestion déloyale.

Le devoir du mandataire de rendre compte est une obligation d’agir, dont la violation peut constituer un acte de gestion déloyale. L’idée qui sous-tend ce raisonnement est que pour pouvoir être en mesure de contrôler l’activité du gérant de fortune, et, le cas échéant réclamer ce qui doit lui être restitué, le client doit être tenu informé de ces rétrocessions.

Clauses sans validité

Dans le cas qui a donné lieu à cet arrêt, des clauses de renonciations avaient pourtant été signées par les clients de la société de l’auteur. Elles mentionnaient que « toute rétrocession ou tout rabais accordé par des banques, intermédiaires financiers ou fonds de placement à la société, sur la base d’un accord, reste acquis à la société. Le client confirme qu’il renonce à ce qu’on lui rende compte de ces rétrocessions et abandonne toute prétention à cet égard ». Or, le Tribunal fédéral a confirmé que, selon sa jurisprudence déjà publiée, ces clauses n’avaient aucune validité, les clients n’ayant pas préalablement reçu une information complète et véridique concernant les prestations que le gérant recevrait de la banque dépositaire ou d’autres tiers. Il a également refusé de mettre le gérant, qui plaidait avoir cru à la validité de ces clauses, au bénéfice de sa prétendue bonne foi.

Un peu plus de dix ans après avoir statué que les rétrocessions qu’un gérant de fortune indépendant avait perçues de l’établissement bancaire dépositaire des fonds de son client étaient en principe soumises à l’obligation de restitution (ATF 132 III 460 du 22 mars 2006), notre Haute Cour fait aujourd’hui un pas supplémentaire. Ceux qui ont connu l’ère antérieure à 2006 trouveront peut-être cette décision sévère.

A une vitesse fulgurante

C’est peu dire que le traitement des rétrocessions a radicalement changé ces dernières années, et ce à une vitesse fulgurante. D’une pratique souvent opaque, mais courante et communément admise avant 2006, elles sont devenues un système critiqué, et aujourd’hui – à certaines conditions – criminalisé.  La perception de rétrocessions ne peut désormais intervenir qu’en totale transparence avec le client. L’évolution jurisprudentielle suit ainsi les mœurs. La tendance est à la transparence.

La décision de notre Haute Cour est au demeurant parfaitement cohérente. Pour que le client puisse concrètement obtenir la restitution des rétrocessions éventuellement perçues par son gérant de fortune, il faut qu’il en soit informé. L’arrêt du Tribunal fédéral garantit ainsi l’efficience de la règle jurisprudentielle qui exige depuis 2006, à défaut d’accord contraire valable, la restitution des rétrocessions. Il s’inscrit également dans la droite ligne du projet de loi sur les marchés financiers (LSFin) soumettant les prestataires de services financiers à l’obligation d’informer leurs clients des avantages reçus de tiers.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Procédure simplifiée: pas de rabais de peine si elle n’est pas menée à terme

En matière pénale, la procédure dite simplifiée est celle par laquelle le prévenu qui reconnait les faits négocie avec le procureur un «accord pénal» fixant notamment la sanction. Le prévenu qui sollicite une telle négociation espère évidemment qu’elle aboutira à un accord qui lui est favorable, et à une peine des plus clémente.

Dans un arrêt récent (TF 6B_1023/2018), le Tribunal fédéral a validé le fait que la proposition du ministère public dans le cadre de la procédure simplifiée soit généralement inférieure à la peine qu’il aurait requise dans le cadre d’une procédure ordinaire. Faute avouée à moitié pardonnée. Mais attention, à l’inverse, si la négociation pénale n’aboutit pas, le ministère public reprend toute latitude notamment s’agissant de la sanctions qu’il requerra devant le tribunal.

Dans le cas qui a donné lieu à cet arrêt, l’intéressé, condamné à une peine privative de liberté de six ans pour brigandage qualifié notamment, au terme d’une audience à laquelle le ministère public avait requis une peine privative de liberté de sept ans, invoquait que ce même ministère public lui avait préalablement proposé une peine de quatre ans et demi. Le condamné soutenait ainsi dans son recours au Tribunal fédéral que le ministère public avait violé le principe de la bonne foi en requérant, pour les mêmes faits, une peine notablement plus sévère que celle proposée dans le cadre de la négociation pénale qui n’avait pas abouti.

Le Tribunal fédéral lui a donné tort. Il lui a en premier lieu rappelé que les déclarations faites par les parties dans la perspective de la procédure simplifiée ne sont pas exploitables dans la procédure ordinaire qui pourrait suivre. Or cela concerne tant les aveux du prévenu que les déclarations du ministère public. Ainsi, l’intéressé ne peut pas se prévaloir de ces dernières.

De plus, la proposition de peine formulée par le procureur dans le cadre d’une procédure simplifiée ne lie pas ce dernier en cas d’échec de cette procédure. Comme l’a précisé le Tribunal fédéral, «lorsque la négociation vise précisément la peine, il est normal que la proposition du ministère public dans le cadre de la procédure simplifiée soit inférieure à la peine qu’il aurait requise dans le cadre d’une procédure ordinaire, sans quoi la négociation n’aurait pas de sens.» En d’autres termes : en cas de retour à une procédure ordinaire, le procureur peut parfaitement requérir une peine plus sévère, même en l’absence d’éléments nouveaux au dossier.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Absoudre les entreprises pour mieux blâmer leurs dirigeants?

Le Temps s’est fait l’écho la semaine dernière de l’accord qui se profilerait actuellement entre deux dirigeants de PetroSaudi et le Ministère public de la Confédération dans le cadre de l’affaire 1MDB. De telles conventions, en matière de criminalité économique, ne sont pas rares. Outre la question de la réparation et des montants payés dans un tel contexte, se pose celle de la sanction, ou de son absence.

Le droit pénal permet en effet, à certaines conditions, d’exempter de toute peine l’auteur d’une infraction. Reste à savoir qui doit pouvoir bénéficier d’une telle exemption: l’entreprise, ou ses dirigeants? Alors que dans l’affaire Alstom, le parquet fédéral avait condamné la filiale suisse de la société précitée, et exempté les personnes physiques impliquées, la tendance semble aujourd’hui se renverser. La justice préférerait désormais affranchir les entreprises et se montrer plus sévère à l’encontre de leurs collaborateurs.

En Suisse, l’entreprise est punissable indépendamment des personnes physiques en présence de certaines infractions déterminées telles que le blanchiment d’argent ou la corruption. Une personne morale peut ainsi faire l’objet d’une condamnation pénale si elle n’a pas pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher une telle infraction (article 102 al. 2 du Code pénal). Dans de tels cas, tant la société que les personnes physiques responsables peuvent être condamnées.

L’article 53 du Code pénal permet l’exemption de peine de l’auteur d’une infraction lorsque celui-ci a réparé le dommage ou accompli tous les efforts dans ce sens. Il faut également que l’intérêt public et celui du lésé à ce que l’auteur soit poursuivi pénalement soient peu importants. Cette disposition est aujourd’hui l’objet d’un avant-projet de modification visant à en restreindre la portée. La Commission des affaires juridiques du Conseil national a indiqué vouloir «montrer qu’il ne suffirait pas de réparer ses torts pour échapper à une peine» 1. Ainsi, alors que l’exemption de peine est actuellement possible si la sanction encourue est une condamnation avec sursis, soit au maximum une peine privative de liberté de deux ans, le législateur envisage d’abaisser ce seuil à un an.

Encourager l’auto-dénonciation?

S’agissant des personnes morales, le Ministère public de la Confédération semble au contraire favorable à l’élargissement des possibilités d’exonération, appelant de ses vœux l’introduction d’une nouvelle procédure (Deferred Prosecution Agreement) 2. Celle-ci permettrait aux entreprises qui se dénonceraient spontanément, ou du moins collaboreraient remarquablement, d’éviter la condamnation pénale en échange, notamment, d’une mise en conformité surveillée 2. La justice offrirait ainsi une nouvelle possibilité aux entreprises d’échapper à toute sanction pénale et aux inconvénients y relatifs, en les encourageant à s’auto-dénoncer.

On peut comprendre le souci du législateur d’éviter que des individus puissent «acheter» une exemption de peine par les montants offerts au titre de la réparation. On comprend moins pourquoi promouvoir à l’inverse une telle forme d’amnistie des entreprises. Ce sont en effet elles qui ont généralement bénéficié en premier lieu des avantages liés aux infractions dont elles ont permis la commission, lorsqu’elles ne les ont pas encouragées. L’idée est probablement de favoriser l’éclatement au grand jour des infractions, en rendant attractive, pour l’entreprise, son auto-dénonciation.

Cette démarche ne sera cependant que peu attrayante si elle a pour conséquence la condamnation pénale des personnes physiques. L’auto-dénonciation ne sera ainsi décidée que par les organes dirigeants qui s’estiment, à tort ou à raison, hors de cause. Et qui auront tout intérêt à rendre d’autres individus responsables. Le risque sera alors de voir d’anciens dirigeants devenir les fusibles d’une nouvelle direction en quête d’absolution.


1. Communiqué de presse du 20 octobre 2016 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national intitulé: «Droit pénal: durcissement des conditions préalables à l’exemption de peine en cas de réparation».
2. Grégoire Mangeat, Fanny Margairaz, «La possibilité d’un Defferred Prosecution Agreement à la façon suisse, bientôt dans notre droit?», «Le Temps», 3 mai 2018.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Corruption internationale : l’OCDE invite les autorités suisses à faire preuve de plus de transparence et de cohésion

Le rapport de Phase 4 sur la Suisse adopté par le Groupe de Travail de l’OCDE sur la corruption le 15 mars dernier pointe du doigt des pratiques différentes selon les autorités de poursuite pénale en matière d’exemption de peine. Les examinateurs leur recommandent également de faire preuve de plus de transparence s’agissant des conditions dans lesquelles certaines affaires de corruption transnationales se clôturent, en particulier par le prononcé d’une condamnation par ordonnance pénale.

  1. Davantage de transparence pour les condamnations prononcées par ordonnance pénale

Cette recommandation de transparence fait écho à la volonté des autorités suisses de recourir fréquemment aux procédures dites « spéciales » pour résoudre dans les meilleurs délais les affaires de corruption transnationale complexes en réduisant les coûts, les aléas de l’entraide judiciaire, et les problèmes liés à la prescription. Les examinateurs ont exprimé l’opinion selon laquelle la Suisse doit renforcer et systématiser la publicité faite aux affaires de corruption transnationale conclues en application de ces procédures, « afin de ne pas donner l’impression d’une justice décidée hors des tribunaux et sans contrôles opportuns » (page 40 du rapport).

Parmi les procédures spéciales, celle de l’ordonnance pénale a régulièrement été mise en œuvre en Suisse en matière de corruption internationale. Celle-ci permet au procureur de prononcer, sans l’intervention d’un juge, une condamnation allant jusqu’à six mois de peine privative de liberté. Cet outil, qui a permis la condamnation de plusieurs personnes physiques et morales pour corruption, est jugé efficace par les examinateurs. Ceux-ci déplorent cependant l’absence de publication de ces décisions, ce qui restreint leur portée et surtout nuit à la transparence de l’action répressive. Les examinateurs recommandent ainsi à la Suisse de « rendre publiques, de manière plus détaillée, les raisons ayant motivé le choix de telle ou telle procédure ainsi que des conditions de la décision et des sanctions rendues ». (page 39 du rapport)

  1. Cohésion souhaitée entre les pratiques de la Confédération et des cantons en matière d’exemption de peine

D’autre part, le rapport de l’OCDE pointe également du doigt les pratiques divergentes des autorités de poursuites fédérales (Ministère public de la Confédération) et cantonales (Ministères publics cantonaux), s’agissant de l’exemption de peine au motif de la réparation.

A ce jour (cette disposition fait actuellement débat) l’art. 53 du Code pénal permet, à certaines conditions, de renoncer à poursuivre un auteur ayant réparé le dommage ou accompli tous les efforts pour compenser le tort qu’il a causé lorsque l’intérêt public et l’intérêt du lésé à poursuivre l’auteur pénalement sont peu importants. Le Ministère public de la Confédération a notamment fait usage de cette possibilité dans les célèbres affaires Alstom (dont la filiale suisse a été condamnée en Suisse) et Siemens (condamné en Allemagne et aux Etats-Unis), considérant qu’une fois les personnes morales précitées condamnées, il n’y avait plus d’intérêt public à poursuivre les personnes physiques impliquées.

Le rapport de l’OCDE précise que le Ministère public de la Confédération a depuis lors abandonné l’usage de l’art. 53 du Code pénal pour résoudre des affaires de corruption transnationale, estimant désormais que l’intérêt à la poursuite, dans de telles affaires, ne peut pas être considéré comme « peu important ».

Or, comme le soulignent les examinateurs de l’OCDE, certains Ministères publics cantonaux, eux aussi saisis d’affaires de corruption transnationale, ont une pratique bien différente. Le rapport mentionne les Ministères publics de Genève, Zurich et Zoug, qui continuent de recourir à l’art. 53 CP dans ces affaires.  Ceux-ci ont louent l’utilité de ce mécanisme dans les affaires de criminalité économique complexe, afin de pallier aux problèmes de prescription et aux difficultés à recueillir des preuves. Les examinateurs déplorent ces différences qui nuisent à la lisibilité de l’action publique.

 

 

L’internement à vie n’est pas forcément ce qu’il dit

Le Tribunal fédéral vient d’annuler l’internement à vie prononcé à l’endroit de Claude D. L’occasion de rappeler la distinction entre une internement «ordinaire» et un internement à vie.

Un internement qui n’est pas «à vie» peut parfaitement conduire l’auteur à rester enfermé toute sa vie, alors que, à l’inverse, un condamné interné «à vie» peut, dans des cas très exceptionnels, être libéré. Explications.

L’internement (ordinaire ou à vie) est une mesure qui, à la différence d’une peine, n’a pas de vocation punitive, mais une double vocation thérapeutique et sécuritaire. C’est ainsi principalement la question de persistance (ou non) la dangerosité de l’auteur qui déterminera la durée de son enfermement.

Conditions à remplir

D’après le code pénal, le juge ordonne l’internement à vie si l’auteur a commis un assassinat, un meurtre, une lésion corporelle grave, un viol, un brigandage, une contrainte sexuelle, une séquestration, un enlèvement, une prise d’otage ou un crime de disparition forcée, s’il s’est livré à la traite d’êtres humains, a participé à un génocide ou a commis un crime contre l’humanité ou un crime de guerre et que les conditions suivantes sont remplies: (a) en commettant le crime, l’auteur a porté ou voulu porter une atteinte particulièrement grave à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui; (b) il est hautement probable que l’auteur commette à nouveau un de ces crimes et (c) l’auteur est qualifié de durablement non amendable, dans la mesure où la thérapie semble, à longue échéance, vouée à l’échec.

Par «durablement non amendable», il est fait référence à un état lié à la personne de l’auteur, qui n’est pas susceptible de se modifier au cours de sa vie. Si l’internement à vie est envisagé, le juge doit statuer en se fondant sur les expertises réalisées par au moins deux experts indépendants l’un de l’autre et expérimentés, et qui n’ont pas traité l’auteur ni ne s’en sont occupés d’une quelconque manière.

Durée indéterminée

Avant l’entrée en vigueur de l’internement à vie, il existait déjà (et il existe toujours) l’internement ordinaire, qui permet de priver une personne de sa liberté pour une durée indéterminée. Dans les faits, cet internement «simple» peut lui aussi durer toute la vie du condamné, si celui-ci reste jugé dangereux.

Quelle différence alors entre ces deux mesures?

En présence d’un internement «simple», la situation du condamné est réexaminée régulièrement. Une libération conditionnelle est par principe possible. Tandis qu’en présence d’un internement à vie, ce n’est que si de nouvelles connaissances scientifiques pourraient permettre de traiter l’auteur de manière qu’il ne représente plus de danger pour la collectivité qu’une libération conditionnelle peut être envisagée. Le texte légal prévoit également la possibilité pour le juge de libérer conditionnellement une personne de l’internement à vie lorsque, à cause de son âge, d’une maladie grave ou pour une autre raison, elle ne représente plus de danger pour la collectivité.

Ainsi une personne condamnée à un internement «à vie» peut en théorie être un jour libérée. Et un auteur condamné à un internement ordinaire peut parfaitement rester enfermé toute sa vie.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Cinq manières novatrices de confondre des criminels grâce aux nouvelles technologies

Smartphones, assistants personnels, réseaux sociaux… Les nouvelles technologies sont de plus en plus utilisées par les enquêteurs pour confondre les auteurs de crimes. Voici cinq exemples récents qui montrent que la police voit s’ouvrir un nouveau champ des mesures d’instructions possibles. A condition, souvent, que les responsables de ces technologies coopèrent.

1. Facebook

Au Canada, une meurtrière vient, en ce début d’année, d’être confondue par un selfie qu’elle avait posté sur Facebook. Elle niait avoir étranglé sa meilleure amie. Les enquêteurs ont cependant découvert sur le réseau social un selfie de l’auteure et de son amie, posté quelques heures avant le décès de cette dernière. Sur le cliché, l’auteure portait la même ceinture que celle découverte à proximité du corps de la victime…

2. Application santé

En Allemagne, un meurtre a récemment été élucidé grâce à l’application de santé de l’iPhone du prévenu. Celle-ci, installée automatiquement sur les iPhone 6S et suivants, a révélé des éléments déterminants sur l’état physique de l’accusé au moment des faits. Le nombre de ses pas et son rythme cardiaque coïncidaient avec les faits qui lui étaient reprochés, soit notamment d’avoir trainé le corps de la victime, après l’avoir assassinée.

3. Alexa

Aux Etats-Unis, l’assistant domestique d’Amazon, Alexa, aurait pu être «témoin» d’un homicide. La justice américaine a tenté de faire parler l’Echo d’Amazon, un cylindre servant à commander des fonctionnalités de la maison connectée dans le spa dans lequel un homme a été retrouvé mort. Cet appareil est relié à des micros, nécessaires pour lui permettre de réagir quand l’appelle. Amazon a refusé de transmettre les données à la justice, invoquant les droits constitutionnels de son client, avant d’obtempérer suite à l’accord du suspect.

4. Stimulateur cardiaque

L’année dernière, le peacemaker d’un américain a permis l’inculpation de celui-ci pour incendie criminel et fraude à l’assurance. Les enquêteurs ont examiné les enregistrements de son rythme cardiaque, et ont constaté qu’ils ne corroboraient pas sa version des faits. Il était très improbable qu’il ait pu, comme il l’avait affirmé, recueillir des objets de sa maison, sortir par la fenêtre et transporter ces objets lourds.

5. Bracelet de fitness connecté

L’an dernier toujours, aussi aux Etats-Unis, un bracelet de fitness d’une victime a permis de démasquer son assassin de mari. Celui-ci avait expliqué aux enquêteurs que son épouse venait de rentrer du sport lorsqu’elle avait été tuée par un homme qui s’était introduit dans leur maison. Cependant, le bracelet connecté de la malheureuse indiquait qu’elle avait parcouru plus de 365 mètres après son arrivée au domicile..

Et en Suisse?

Le Tribunal fédéral (ATF 143 IV 270) a récemment confirmé que la recherche sur Facebook par les autorités pénales ne viole pas le principe de la territorialité. Dans cette affaire, la recherche sur internet reposait sur la saisie d’un billet, que le prévenu avait tenté de faire sortir de son lieu de détention, comprenant les données d’accès à son compte Facebook. Notre Haute Cour a indiqué qu’une telle recherche ne viole ni le droit du prévenu de ne pas s’auto-incriminer, ni le principe de territorialité, puisque les investigations en ligne ont été effectuées à partir d’ordinateurs se trouvant en Suisse. Le simple fait que les données électronique se trouvent sur des serveurs gérés à l’étranger ne permet pas de qualifier une telle recherche d’acte d’instruction inadmissible sur territoire étranger.  Le Ministère public était donc légitime à faire rechercher sur internet des messages issus des discussions sur Facebook et à les faire saisir.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

 

Un SMS mortel… mais pas de meurtre

L’automobiliste qui a provoqué un accident mortel à la Chaux-de-Fonds alors qu’il utilisait son téléphone portable en conduisant a finalement été condamné à 14 mois de prison avec sursis.  Le Tribunal a retenu, comme le soutenait l’accusation, que la cause de l’accident ayant provoqué la mort d’un scootériste trouvait exclusivement sa cause dans l’utilisation, par conducteur de la voiture, de son téléphone portable. Les juges ont condamné l’automobiliste à 14 mois de prison avec sursis pour homicide par négligence.

Le procureur demandait pourtant une condamnation pour meurtre par dol éventuel, et une  peine de 5 ans de prison, le minimum pour cette infraction. Il soutenait ainsi que l’automobiliste avait non seulement estimé qu’une issue fatale était possible, mais qu’il avait également accepté une telle issue pour le cas où elle se produirait.

Une frontière difficile à tracer

L’infraction de meurtre par dol éventuel n’est pas fréquemment prononcée en matière de circulation routière. Elle a été retenue à quelques reprises en présence de rodéos routiers, comme par exemple en juillet 2017 par la Cour d’appel genevoise dans l’affaire du rodéo routier des Charmilles.

La frontière entre l’homicide par négligence et le meurtre par dol éventuel est souvent difficile à tracer, en particulier dans des affaires de ce type. Si le Tribunal admet que le conducteur, qui avait conscience des risques mortels, est parti du principe, par une imprévoyance coupable, que ceux-ci ne se concrétiseraient pas, il le sanctionnera pour homicide par négligence. Si par contre les juges estiment que le chauffard était non seulement conscient du risque létal, mais que de surcroit il l’a accepté pour le cas où il se produirait, ils le puniront pour meurtre par dol éventuel.

Des meurtriers potentiels sanctionnés d’une amende de 100 francs seulement 

Le fait de lire ou écrire des SMS en roulant est apparemment assez répandu, puisqu’à en croire une étude citée par la RTS,  30% des automobilistes agiraient de la sorte. Ce comportement causerait même un à deux décès par année en Suisse. Cela fait froid dans le dos.

Dans ces circonstances, il paraît choquant, et même inquiétant, que l’utilisation du téléphone au volant ne soit puni que d’une amende de 100 francs. La modicité d’une telle sanction, eu égard aux conséquences possibles du comportement réprimé est de nature à indigner. Si l’on peut débattre de la question de savoir si et dans quelles circonstances un chauffard doit être condamné pour meurtre, il parait évident que le fait d’envoyer des SMS ou de surfer sur internet en roulant devrait être plus sévèrement réprimé qu’à l’heure actuelle. Le conducteur sanctionné pour ce comportement doit réaliser la gravité de celui-ci. Il doit saisir qu’en agissant de la sorte il met en danger la vie des autres usagers de la route. Et qu’en cas d’accident mortel, il pourrait devoir faire face à une accusation de meurtre.