Un délit d’initié secondaire justifie l’extradition

Dans un arrêt 1C_196/2021 du 28 mai 2021, le Tribunal fédéral a tranché une question de principe : celle de savoir si l’extradition d’un individu peut être accordée pour un délit d’initié secondaire au sens de l’art. 154 al. 3 LIFM (Loi sur l’infrastructure des marchés financiers). Il y a répondu par l’affirmative.

 L’art. 154 LIMF sanctionne l’exploitation d’informations d’initiés. Cette disposition légale s’articule en quatre parties. En résumé, l’art. 154 al. 1 LI MF punit d’une peine privative de liberté de trois ans au plus quiconque, en qualité d’organe ou de membre d’un organe de direction notamment, ou en tant que personne qui a accès à des informations d’initiés en raison de sa participation ou de son activité, obtient un avantage pécuniaire en utilisant une information d’initié. L’art. 154 al. 2 LIMF punit d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus quiconque obtient un avantage pécuniaire de plus de 1 million de francs en commettant un acte visé à l’al. 1. Quant à l’art. 154 al. 3 LIMF, il punit d’une peine privative de liberté d’un an au plus quiconque obtient un avantage pécuniaire en exploitant une information d’initié que lui a communiquée ou donnée une des personnes visées à l’al. 1. Enfin, l’art. 154 al. 4 LIMF punit d’une amende uniquement toute personne qui, n’étant pas visée aux al. 1 à 3, obtient un avantage pécuniaire en exploitant une information d’initié.

Distinction

En d’autres termes, l‘alinéa premier de l’art. 154 LIMF réprime les initiés primaires, soit les personnes qui ont accès directement à l’information en raison de leur position d’organe ou de leur activité. L’alinéa trois vise les initiés secondaires, soit les personnes ayant obtenu l’information d’un initié primaire. Et l’alinéa 4 érige en simple contravention punie d’une amende uniquement le cas des initiés fortuits, soit qu’ils obtiennent l’information par hasard, soit que la source de l’information ne peut pas être déterminée.

Dans l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt de principe, le recourant soutenait que ne serait punissable selon l’art. 154 al. 3 LIMF, que la personne qui reçoit l’information privilégiée directement de la part de l’initié primaire. Lorsque l’information ne provient pas d’un initié primaire, ce serait l’art. 154 al. 4 LIMF (simple contravention) qui serait applicable.

Cette distinction porte à conséquence en matière d’extradition, notamment avec les USA, puisque selon l’art. 2 al. 1 TexUS (Traité d’extradition entre la Confédération Suisse et les Etats-Unis d’Amérique), une infraction n’est considérée comme donnant lieu à extradition que si son auteur est passible d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté de plus d’un an. D’autre part, selon la loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale, l’extradition peut être accordée si l’infraction est frappée d’une sanction privative de liberté d’un maximum d’au moins un an aux termes du droit suisse et du droit de l’Etat requérant (art. 35 al. 1 let. a EIMP). En d’autres termes, si l’accusé ne doit répondre que d’une infraction passible d’une amende, il ne peut être extradé.

Identité connue

Dans le cas d’espèce, il était reproché au recourant d’avoir, avec un complice, reçu des informations de la part d’intermédiaires en sachant que ces informations provenaient d’initiés primaires, soit d’une part d’un membre du conseil d’administration d’une société de biotechnologie, et d’autre part des employés de deux banques. Le recourant connaissait l’identité des initiés et ceux-ci auraient d’ailleurs été rémunérés avec une partie du produit des infractions. Le Tribunal fédéral a ainsi estimé que, à tout le moins prima facie, de tels agissements pouvaient tomber sous le coup de l’art. 154 al. 3 LIMF.  

Restait à savoir si cela peut suffire à ordonner l’extradition, puisque l’art. 154 al. 3 LIMF prévoit une peine privative de liberté d’un maximum d’un an alors que selon le Traité d’extradition entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d’Amérique, une infraction n’est considérée comme donnant lieu à extradition que si son auteur est passible d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté de plus d’un an aux termes du droit des deux Parties contractantes (art. 2 al. 1 TexUS).

Griefs écartés

La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a reconnu que la peine privative de liberté prévue à l’art. 154 al. 3 LIMF (soit un an au maximum), était inférieure au seuil fixé à l’art. 2 al. 1 TExUS (soit plus d’une année). Elle a toutefois considéré que l’art. 35 al. 1 let. a EIMP (loi fédérale sur l’entraide internationale en matière pénale) qui n’exige qu’une peine d’au moins un an de privation de liberté pour permettre l’extradition, rendait possible l’octroi de l’extradition.

La jurisprudence considère en effet que l’existence d’un traité d’entraide judiciaire ou d’extradition ne prive pas la Suisse de la faculté d’accorder sa coopération en vertu des règles éventuellement plus larges de son droit interne. Le principe dit “de faveur” découle de la considération générale que les traités ont pour but de favoriser la coopération internationale, et non de la limiter. Selon la jurisprudence il serait paradoxal et contraire à l’esprit des traités conclus dans ce domaine que la Suisse refuse l’extradition à des Etats auxquels elle est liée par une convention, dans des situations où elle l’accorderait à d’autres Etats sur la seule base de son droit national. Pour le Tribunal fédéral il s’agit d’assurer qu’un Etat lié à la Suisse par un traité ne se retrouve pas désavantagé par rapport à un Etat non conventionné.  

C’est ainsi que les griefs du recourant en rapport avec le principe de la double incrimination ont été écartés par le Tribunal fédéral.

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.