Une banque jugée responsable après l’exécution d’un ordre de paiement falsifié

Nous en faisons tous l’expérience, l’email n’est pas un moyen de communication fiable, avec un nombre incalculable de messages falsifiés. Or les fraudes qui ont cours dans l’univers numérique se produisent aussi dans le monde réel, avec des conséquences financières considérables. Un récent arrêt du Tribunal fédéral (TF 4A_425/2021) vient de le mettre en évidence. Le Tribunal fédéral (TF) a aussi mis en lumière, dans le cadre de ce jugement, la responsabilité des banques dans l’exécution d’ordres de paiement.

L’affaire concerne d’un côté quatre héritiers, et de l’autre un gestionnaire au sein d’une banque, ainsi que son assistante. A première vue, la banque avait mis en place un système de contrôle solide pour vérifier la légitimation du donneur d’ordre lorsqu’un ordre de virement est transmis par courrier, afin de détecter d’éventuelles tentatives de fraude. Ainsi, les directives internes prévoyaient que la banque devait authentifier le donneur d’ordre, vérifier la signature, procéder à un contrôle de la plausibilité et effectuer un contre-appel au client en cas de doute. De plus, le gérant devait marquer son accord à l’exécution de l’instruction en y apposant son visa.

Exigences plus élevées

Dans le cas précis, comme le relate le TF, après le décès du père titulaire de la relation bancaire, l’établissement financier a exigé que des instructions lui soient communiquées par courrier postal: «En effet, lorsqu’une hoirie est composée de plusieurs membres, la banque pose des exigences plus importantes et demande que les instructions des héritiers lui soient transmises par la voie postale, avec la signature de toutes les personnes concernées, la communication par téléphone ou par courriel n’étant pas suffisante en pareil cas.»

Mais malgré ce système de sécurité, une fraude a pu intervenir, concernant une somme de près de 142’000 euros. Il s’agissait, pour les héritiers, de verser ce montant à la notaire responsable de la succession du défunt. Ce versement avait au préalable été discuté par téléphone par l’un des héritier avec la banque. Une copie scannée de l’ordre de versement, munie de la signature de tous les héritiers, a été adressée par courriel à la banque, précisant que cette instruction était postée à l’attention de la banque le jour même.

Courrier intercepté

Or des escrocs sont parvenus à intercepter l’instruction envoyée par courrier postal. Comme le détaille le TF dans son arrêt, les malfrats ont remplacé l’instruction qui était contenue dans le pli postal en changeant les coordonnées bancaires (IBAN et BIC) de la notaire destinataire (et donc de la banque destinataire) et en corrigeant le nom de l’un des héritiers qui, dans l’ordre original, apparaissait, par erreur, deux fois. La banque a reçu cet ordre falsifié et l’a exécuté. Le gestionnaire a déclaré qu’il n’avait pas vérifié cette instruction, ajoutant qu’il déléguait la tâche de vérifier les signatures à ses assistantes.

Une fois que l’escroquerie a été détectée, les héritiers ont demandé, sans succès, le retour de l’argent à la banque destinataire. Ils ont ensuite attaqué en justice la banque qui avait exécuté le versement et le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné l’établissement financier à verser aux demandeurs quelque 2700 euros. Ensuite, les héritiers ont fait appel auprès de la Cour de justice du canton de Genève, qui a condamné la banque au paiement des quelque 142’000 euros précités, plus intérêts aux héritiers. Enfin, la banque a saisi le TF d’un recours, qu’il a rejeté.

Directives pas respectées

Il est intéressant de lire l’opinion du TF. D’abord, la haute cour valide des éléments mis en avant par la Cour de justice du canton de Genève. Ainsi, le gestionnaire n’avait pas lui même vérifié l’instruction falsifiée reçue par courrier postal, l’ayant délégué à une assistante. Or la vérification des signatures relève de la responsabilité du gestionnaire du compte, comme le stipulent les directives de la banque.

Ensuite, la banque aurait dû comparer l’instruction (scannée) reçue par email avec l’instruction (écrite et signée) reçue par courrier postal. Cela aurait dû permettre de détecter la fraude, d’autant que cette comparaison aurait permis de voir que les coordonnées IBAN et BIC n’étaient pas les mêmes dans les deux ordres (numérique et postal). De plus, une correction à la main figurait dans l’un des deux documents et pas dans l’autre. Enfin, le TF estime que «comparer les deux ordres – scanné et écrit – relève de la prudence élémentaire, d’autant plus lorsque l’ordre de virement porte sur un montant important.» La haute cour souligne qu’«il est connu que des fraudes se produisent lors d’envoi par courriel, mais aussi par courrier postal.»

Cet arrêt doit ainsi inciter les établissements financiers à faire preuve de prudence. Et tout un chacun à avoir conscience que r les ordres de virement envoyé par courrier postal ne sont pas infalsifiables.

Référence: Arrêt du 23 août 2022 TF 4A_425/2021

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

2 réponses à “Une banque jugée responsable après l’exécution d’un ordre de paiement falsifié

  1. Au fait, la banque savait dès le début qu’elle avait tort, mais elle a essayé de se dérober en pensant qu’il y a des chances pour elle d’échapper au dédommagement, puisque les clients ne portent pas toujours plainte. Portez plainte signifie des dépenses qui peuvent parfois être colossales et dissuasives pour les plaignants. La plus grande injustice dans notre pays; est que les avocats ne peuvent pas prendre une affaire et être rémunérés sur le résultat seulement, puisque l’élite ne veut pas que monsieur tout le monde puisse facilement obtenir justice. Le justice est faite principalement par les riches et pour les riches. Parfois les boites aux lettres en ville sont débordantes à la fin de la journée, ce qui facilite le vol des lettres. La poste ne le sait que trop bien.

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