Extradition de Julian Assange: une analyse juridique

Le 10 décembre 2021, la High Court of Justice de Londres a annulé la décision de la District Juge qui avait refusé l’extradition de Julian Assange. La High Court of Justice a estimé que les garanties données par les Etats-Unis en cours de procédure rendaient possible l’extradition du lanceur d’alerte. Les autorités américaines ont en effet assuré qu’en cas d’extradition, Julian Assange ne sera pas soumis à des conditions de détention particulièrement sévères , qu’il ne sera pas détenu dans la prison de très haute sécurité de Florence, au Colorado, qu’il recevra des soins médicaux adaptés à son état de santé et que s’il devait être condamné, il pourrait purger sa peine en Australie. D’après la High Court of Justice, ces garanties permettent d’éviter tout risque pour la vie de l’intéressé. Les avocats de ce dernier ont immédiatement recouru contre cette décision.

Le point déterminant est celui de savoir si la vie de Julian Assange est en danger. La première Juge a estimé que tel était le cas, et qu’en cas d’extradition le risque de suicide était trop important pour être pris. La seconde autorité judiciaire a estimé que compte tenu des garanties offertes par les Etats-Unis, ce risque pouvait être écarté.

Motif politique?

Pourquoi la Grande-Bretagne ne refuse-t-elle pas l’extradition de Julian Assange au motif qu’il est poursuivi pour un motif politique? En effet, il s’agit d’un motif permettant généralement de refuser l’entraide. En droit suisse par exemple, de même que selon la convention européenne d’entraide judiciaire et selon la convention européenne d’extradition, de même que selon le Traité d’extradition entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d’Amérique, signés par la Suisse, une demande d’entraide provenant d’un Etat étranger est irrecevable lorsque la procédure étrangère vise un acte qui, selon les conceptions suisses, revêt un caractère politique prépondérant (art.  3 al. 1 EIMP; art. 2 let. a CEEJ; art. 3 CEExtr, art. 3 ch. 1 TEXUS). Un telle exception existe-t-elle s’agissant des relations entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ? Oui et non.

Oui, car le traité d’extradition qui lie le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et les Etats-Unis d’Amérique (Extradition Treaty between the Government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the Government of the United States of America with Exchange of Notes)  précise à son article 4 ch. 1 que l’extradition d’une personne ne saurait être ordonnée si l’infraction pour laquelle elle est requise est de nature politique. Non car cette disposition, bien que contenue dans le traité, n’est pas applicable.

Argument écarté

La défense de Julian Assange n’a pas manqué de plaider l’application de l’exception du délit politique contenue à l’article 4 ch. 1 du traité devant la District Judge. En vain. Il a pourtant été exposé que la majorité des infractions reprochées à Julian Assange relevaient de l’espionnage, et que les 18 chefs de préventions pesant sur lui avaient en commun le reproche d’avoir eu l’intention d’obtenir ou de rendre public des secrets d’Etat américains  mettant en péril sécurité du gouvernement. Cet argument a été écarté par la justice anglaise en première instance déjà. Non pas parce que la juge a estimé que les infractions pour lesquelles Julian Assange était poursuivi ne sont pas politiques. L’argument de l’infraction politique a été écarté au seul motif que le traité d’extradition entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis ne confère en lui-même aucun droit aux particuliers.

En effet, ce n’est qu’après avoir été incorporés au droit interne britannique que les dispositions d’un traité international confèrent de véritables droits. C’est ce que l’on appelle le système dualiste – par opposition au système moniste connu en droit suisse, en vertu duquel les traités internationaux ratifiés par la Suisse sont directement applicables. Or en l’espèce, le Parlement britannique n’a pas voulu rendre cette exception du délit politique applicable.

C’est pour ce motif que la décision de refuser l’extradition de Julian Assange – renversée par la High Court of Justice – reposait sur la santé mentale fragile de Julian Assange et le risque de suicide que faisait peser sur lui une extradition vers les Etats-Unis.


A ce sujet, j’ai eu le plaisir d’être invitée à participer à un débat dans l’émission de radio Forum de la RTS le 14 décembre 2021.

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

6 réponses à “Extradition de Julian Assange: une analyse juridique

  1. Je soutiens l’extradition de cette personne, et je regrette qu’il ne sera en outre jamais jugé pour les plaintes pour viol. #metoo l’a oublié !!

    La presse suisse crie au crime – à juste titre – quand un hacker vole des données d’une commune suisse. Ce personnage a fait la même chose, à un niveau 10’000x plus grave, et – surtout – il a refusé de caviarder le nom des informateurs, indics, espions américains à travers le monde. Encore en 2020, des personnes qui combattaient pour la démocratie et la liberté ont été exécutées car ce personnage voulait le buzz et n’a pas voulu prendre le temps du caviardage ! Des alternatives existaient (consortium de journalistes,…) mais elles ne lui auraient pas donné toute la lumière. Je souhaite que ce personnage soit jugé, enfin. Bravo aux juges anglais !

    En ce qui concerne l’asile, que vous n’abordez pas, je rappelle qu’il est australien et non américain. L’asile protège exclusivement contre son Etat d’origine. Les journalistes se discréditent en relayant ses demandes d’asile. Il ne demande pas l’asile, mais un passe-droit et une protection diplomatique.

    PS: Snowden doit être jugé à Genève, pour ses crimes contre notre souveraineté ! Puis extradé aux USA, après avoir purgé sa peine. Que les Russes nous le livre 😏

  2. Jamais compris pourquoi la gauche le soutient, alors qu’il est accusé d’avoir violé une femme en Suède…

    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/02/12/le-livre-confession-d-anna-ardin-harcelee-depuis-sa-plainte-contre-julian-assange_6069778_4500055.html

    Au fait, pourquoi son avocat à le droit d’exercer son métier alors qu’il a été mis en examen pour viol ?

    https://www.lefigaro.fr/faits-divers/juan-branco-mis-en-examen-mardi-pour-viol-selon-une-source-proche-du-dossier-20211124

    Beaucoup de personnes accusées de viol…

    1. La plainte pour viol en Suède a été retirée depuis, s’il suffisait d’accuser quelqu’un pour le faire condamner on ne vivrait plus dans un Etat de droit…
      Pendant ce temps, les Etats-Unis ont commis des crimes de guerre en Irak mais ça manifestement ce n’est pas un chef d’accusation suffisamment grave pour mériter votre attention.

      1. Merci de donner votre source, à l’appui de votre première phrase.

        Je me suis exprimé sur le soutien des pro #metoo à un homme poursuivi pour viol.
        Je vous retourne dès lors votre question. Les crimes de guerre en Irak justifient d’exonérer de sa responsabilité un homme accusé de viol ? et l’absout de se présenter devant les juges Suédois ?

        NB: la poursuite pénale est malheureusement prescrite en Suède depuis août 2020 (prescription de 10 ans)… Le tribunal suédois a cependant jugé fondés «les soupçons visant Julian Assange et reconnaît le risque qu’il tente de se soustraire à la justice»…

        https://www.letemps.ch/monde/suede-un-tribunal-rejette-demande-darrestation-julian-assange-viol

  3. L’avocat de NoVax Joe Covid est magnifique. Il plaide en ce moment l’annulation pour cause de faute de frappe. 🤣🤣🤣🤣

    Avocat: The notice is defective.
    Autorités: An “unfortunate typo” is “unfortunate but immaterial”. 🤪😇

    Assange aurait dû le prendre; plaider la nullité de la procédure pour une faute de frappe.🤣🤣🤣🤣😅

    Bon, d’ici à ce que vous aurez validé mon commentaire, Nole aura déjà gagné Roland Garros.

    Alors question à long terme: en Suisse, on peut sanctionner un avocat qui se permet d’invoquer une faute de frappe pour annuler une procédure ? Moyen dilatoire? Abusif? Mauvaise foi ?

    Et pourquoi les tribunaux ne sanctionnent quasiment jamais ces moyens qui nuisent à la crédibilité et au prestige des institutions ? Copinage? Manque de courage ?

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