Des procès diffusés à la télévision ? La question ne doit pas être taboue

En France, le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti veut restaurer la confiance en la justice de ses concitoyens en leur permettant de suivre des audiences à la télévision. C’est pourquoi son projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » présenté le 14 avril 2021 prévoit d’autoriser désormais – pour un motif d’intérêt public – les enregistrements audio et vidéo des audiences en vue de leur diffusion.

Aux Etats-Unis, la diffusion de procès à la télévision est déjà une réalité. On se rappelle du procès d’O.J. Simpson, suivi par 100 millions d’américains. Actuellement, celui de Derek Chauvin, accusé d’avoir tué George Floyd, est lui aussi diffusé en direct sur une chaîne de télévision américaine.

En Suisse de telles pratiques n’ont pas cours. Le code de procédure pénale interdit même expressément les enregistrements audio et vidéo dans le bâtiment du tribunal (art. 71 CPP).

Plus de transparence

Pourra-t-on bientôt, en Suisse aussi, suivre des audiences depuis son canapé ?

Cette question ne doit pas être taboue. La justice aurait certainement beaucoup à gagner à être mieux connue et donc mieux comprise par tout un chacun. La transparence que permettrait une diffusion vidéo de certains procès serait un élément positif et rendrait plus effectif le principe de publicité des audiences qui existe déjà.

Toutefois les risques sont nombreux : dérive voyeuriste, théâtralisation à outrance, manque de spontanéité et de sincérité dans les débats, atteintes à la personnalité, violation de la présomption d’innocence, influence potentiellement néfaste sur le processus décisionnel judiciaire, mise à mal des principes d’indépendance et d’impartialité. C’est pourquoi, des garde-fous solides devraient accompagner une telle ouverture.

Nombreux points à régler

Ces gardes fous devraient en tous cas donner des réponses aux questions suivantes :

  • Quels procès pourront être filmés ? Qui va prendre cette décision ?
  • L’accord de toutes les parties, de tous les témoins et de tous les avocats, procureurs et juges sera-t-il nécessaire ? Un accord donné pourra-t-il être retiré ultérieurement ?
  • L’absence de consentement d’une personne aura-t-il pour conséquence d’empêcher tout enregistrement, ou seulement d’imposer l’occultation des éléments d’identification de cette personne ?
  • Qui va filmer les débats ? L’Etat ou une entité privée ?
  • Quels seront les conditions posées en termes de prises de vue (angles, gros plans etc.) et de montage pour garantir l’objectivité du processus ? Comment éviter que les images soient sorties de leur contexte ?
  • Par quel canal interviendra la diffusion ? Public ou privé ? Des chaines de télévision privées vont-elles en arriver à se battre pour obtenir les droits de diffusion de tel ou tel procès très médiatisé à l’image de ce qui a cours pour la retransmission des matchs de football de ligue des champions ?
  • La diffusion doit-elle avoir lieu en direct, en léger différé ou au contraire bien plus tard, après la fin de la procédure et l’entrée en force de la décision, lorsque plus aucun recours n’est possible ?
  • Si la diffusion a lieu en direct, comment éviter que certains passages n’influencent négativement les juges s’ils sont vus, voire vus et revus par ceux-ci ?
  • Si la diffusion a lieu après épuisement de toutes les instances de recours, ces enregistrements pourraient-ils servir de preuve à l’appui d’une éventuelle demande de révision ?
  • La diffusion sera-t-elle accompagnée d’un éclairage par une personne professionnelle du droit ?
  • Pendant combien de temps ces films pourront-il être diffusées ? Pourra-t-on garantir le droit à l’oubli ?
  • Que penser de l’influence sur l’opinion publique ? Comment éviter le risque de faire (re)juger une affaire par le public ?

Les questions sont nombreuses et complexes, et les enjeux cruciaux.

On se réjouit de connaître les réponses définitives que la France y apportera.

Sur cette question passionnante j’ai eu le plaisir d’être invitée à participer à un débat dans l’émission de radio Forum de la RTS le 16 avril 2021.

Miriam Mazou, avocate pénaliste à Lausanne

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.