Un robot pour juge? Non merci

La robotisation de la justice est en marche. Après l’Estonie, la France projette de remplacer les juges par des robots dans certaines affaires jugées de peu d’importance, et de plus en plus d’avocats utilisent des logiciels de justice prédictive. Ceux-ci sont destinés à anticiper l’issue d’un litige en se fondant sur une importante masse de données. En Suisse, il n’est pour l’heure pas question de juge-robots, mais le sujet fait déjà débat.

Que nous puissions être jugés par des robots m’inquiète. Car au-delà de la science juridique, des lois et de la jurisprudence, nécessaires au prononcé d’une décision judiciaire, il y a, et il doit y avoir, l’humain. Les juges disposent d’une certaine marge de manœuvre, d’un pouvoir d’appréciation, dans l’application du droit. C’est ainsi qu’ils s’assurent de rendre des décisions justes, non pas seulement techniquement, mais aussi humainement. Comment peut-on confier ce travail à un logiciel?

Le résultat : des décisions standardisées et prévisibles, mais figées et inhumaines 

Certes, confier à une machine le prononcé de jugements assurerait très certainement une meilleure harmonisation des pratiques et des jugements plus prévisibles. Ceci dit, penser que l’intelligence artificielle rendrait des décisions plus «justes» que celles prononcées par des êtres humains, et exempt de tout biais, est un leurre. N’oublions pas que le logiciel en question est conçu par des êtres humains, et alimenté par des données issues de jugements rendus par des hommes et des femmes.

De plus, l’avantage de la prévisibilité, souvent mis en avant, se concrétiserait au détriment de toute souplesse et de tout possibilité d’évolution de la jurisprudence. Un logiciel qui se fonde sur les décisions passées pour rendre les décisions futures figerait définitivement le droit, alors que celui-ci doit au contraire suivre l’évolution des mœurs et de la société, lorsqu’il n’en est pas le précurseur.

Des juges en chair et en os impliquent quelques incertitudes liées aux décisions inattendues, «hors-normes», et aux revirements de jurisprudence, mais aussi le formidable espoir que telle interprétation désuète cède sa place à une décision plus en phase avec l’évolution des mœurs, voire même innovante. Cet espoir est rendu totalement vain en présence d’un programme informatique, même qualifié d’«intelligent». La cristallisation de la jurisprudence à laquelle conduirait une telle forme de justice n’est pas souhaitable. Un logiciel qui ne se fonde que sur les décisions passées, ne permettra plus d’évolution jurisprudentielle. Les jugements “exceptionnels” seront totalement supprimés, et la position – même légèrement – dominante sera renforcée au fil des décisions pour devenir parole d’évangile.

Supposons en effet que selon l’analyse du logiciel, un justiciable dans une situation donnée, n’a obtenu gain de cause “que” 45 fois sur 100. Le juge robot donnera invariablement tort à toutes les personnes se trouvant dans une situation jugée identique (alors qu’elles avaient pourtant 45% de chance de gagner!). Et cette même situation sera rapidement pronostiquée comme n’ayant plus aucune chance de succès.

Le processus judiciaire ne doit pas être déshumanisé

La composante humaine est également essentielle dans le processus judiciaire. La justice ne se contente pas de se dire, elle se rend. Comparaître en audience, pouvoir s’expliquer par oral ou par écrit, être entendu, sont autant d’éléments essentiels qui participent au processus judiciaire et dont les justiciables ont souvent besoin, même dans les affaires que d’aucuns qualifieraient de « petites ».

L’outil informatique est très appréciable pour aider les femmes et hommes de lois dans leur travail, mais il doit rester à cette place. Il y a à mon sens une énorme différence entre se servir d’un logiciel de justice prédictive pour aider une prise de décision stratégique et se servir du même logiciel pour rendre un décision contraignante à l’égard d’un justiciable.

Et même lorsque l’on n’utilise l’intelligence artificielle que comme outil destiné à élaborer une stratégie, je plaide pour que les justiciables et leurs conseils osent, lorsqu’ils l’estiment juste et justifié, se lancer dans des combats pour  lesquels les logiciels ne les donnent pas gagnants. En effet, une idée nouvelle, une situation particulière ou un contexte différent peuvent et doivent pouvoir conduire à un résultat positif. Sinon, la doctrine et la jurisprudence – même légèrement – majoritaire deviendra vite pensée unique.

Un robot comme assistant, oui. Comme juge, non merci.

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

2 réponses à “Un robot pour juge? Non merci

  1. L’injustice réside d’abord dans les honoraires… qui paie, combien et pour quel résultat? Donc oui, connaître véritablement dans quelle mesure sa cause est défendable permet au justiciable d’éviter de se faire arnaquer, de gagner du temps et de l’argent. L’idée que la justice cesse de se transformer en enfer est des plus séduisante.
    Nous sommes dirigé par des corporations de financiers et de d’avocats… deux métiers qui peuvent être de plus en plus facilement remplacés avec un gain d’efficacité significatif par des ordinateurs. Cela laisse songeur.

  2. Je vous remercie pour ce billet sont j’approuve le fond et d’avoir défendu au préalable votre position dans l’émission Forum.

    Je me permets d’ajouter que l’on peut légitimement douter que le fait de voir sa cause jugée par un programme informatique (quel intérêt de fabriquer un robot…) respecte la garantie constitutionnelle et faisant partie intégrante des droits de l’Homme d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial. Je ne conçois pas que le terme de tribunal puisse couvrir la notion de programme informatique. Au contraire, je trouve qu’il est inhumain de voir sa cause jugée par un tel programme.

    Par ailleurs, très concrètement, et pour avoir pratiqué le métier d’avocat, je ne comprends pas comment on procéderait d’un point de vue procédural. Comment avancer ses preuves qui peuvent être des témoignages, des photos, vidéos et des textes, etc. et faire en sorte que le programme les comprennent sans faire d’erreur, les assimile et en tienne compte pour rendre son verdict ? Cela me dépasse pour être franc.

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