L’absence de transparence en matière de rétrocessions bancaires est un délit

Le fait pour un gérant de fortune de taire les rétrocessions perçues est pénalement punissable. C’est ce qu’a dit le Tribunal fédéral dans un arrêt (TF 6B_689/2016 du 14 août 2018) rendu public le 6 septembre. Le gérant de fortune doit informer ses clients des rétrocessions et rétributions qu’il perçoit de la banque dépositaire. S’il omet de le faire, il peut être condamné pour gestion déloyale.

Le devoir du mandataire de rendre compte est une obligation d’agir, dont la violation peut constituer un acte de gestion déloyale. L’idée qui sous-tend ce raisonnement est que pour pouvoir être en mesure de contrôler l’activité du gérant de fortune, et, le cas échéant réclamer ce qui doit lui être restitué, le client doit être tenu informé de ces rétrocessions.

Clauses sans validité

Dans le cas qui a donné lieu à cet arrêt, des clauses de renonciations avaient pourtant été signées par les clients de la société de l’auteur. Elles mentionnaient que « toute rétrocession ou tout rabais accordé par des banques, intermédiaires financiers ou fonds de placement à la société, sur la base d’un accord, reste acquis à la société. Le client confirme qu’il renonce à ce qu’on lui rende compte de ces rétrocessions et abandonne toute prétention à cet égard ». Or, le Tribunal fédéral a confirmé que, selon sa jurisprudence déjà publiée, ces clauses n’avaient aucune validité, les clients n’ayant pas préalablement reçu une information complète et véridique concernant les prestations que le gérant recevrait de la banque dépositaire ou d’autres tiers. Il a également refusé de mettre le gérant, qui plaidait avoir cru à la validité de ces clauses, au bénéfice de sa prétendue bonne foi.

Un peu plus de dix ans après avoir statué que les rétrocessions qu’un gérant de fortune indépendant avait perçues de l’établissement bancaire dépositaire des fonds de son client étaient en principe soumises à l’obligation de restitution (ATF 132 III 460 du 22 mars 2006), notre Haute Cour fait aujourd’hui un pas supplémentaire. Ceux qui ont connu l’ère antérieure à 2006 trouveront peut-être cette décision sévère.

A une vitesse fulgurante

C’est peu dire que le traitement des rétrocessions a radicalement changé ces dernières années, et ce à une vitesse fulgurante. D’une pratique souvent opaque, mais courante et communément admise avant 2006, elles sont devenues un système critiqué, et aujourd’hui – à certaines conditions – criminalisé.  La perception de rétrocessions ne peut désormais intervenir qu’en totale transparence avec le client. L’évolution jurisprudentielle suit ainsi les mœurs. La tendance est à la transparence.

La décision de notre Haute Cour est au demeurant parfaitement cohérente. Pour que le client puisse concrètement obtenir la restitution des rétrocessions éventuellement perçues par son gérant de fortune, il faut qu’il en soit informé. L’arrêt du Tribunal fédéral garantit ainsi l’efficience de la règle jurisprudentielle qui exige depuis 2006, à défaut d’accord contraire valable, la restitution des rétrocessions. Il s’inscrit également dans la droite ligne du projet de loi sur les marchés financiers (LSFin) soumettant les prestataires de services financiers à l’obligation d’informer leurs clients des avantages reçus de tiers.

Miriam Mazou

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Etude St-François, Lausanne

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

2 réponses à “L’absence de transparence en matière de rétrocessions bancaires est un délit

  1. J’ai été gérant de fortunes indépendant pendant des années. C’était il y a 20 ans et plus, les choses ont bien changé. La plupart des gérants indépendants tiraient la moitié de leurs revenus de ces fameuses rétrocessions. Etait-ce immoral, scandaleux? Je ne le pense pas. On peut discuter longtemps de la valeur morale d’une catégorie professionnelle comme les gérants de fortune, les vendeurs de voitures, les agents immobiliers, les marchands de bétail, etc., tous ces métiers où il faut être débrouillard et parfois un peu malin. Tous ces métiers où, pour survivre, il faut souvent cacher certaines choses à ses clients. Ce ne sont peut-être pas des modèles mais il n’y a pas de sot métier, seulement de sottes gens. C’est très facile, et très stupide, de les accuser de tous les maux. Donc je trouve tout à fait détestable cette forme de dénigrement systématique d’une profession, dont le TF tire parti maintenant pour sortir un jurisprudence bien moralisante et hypocrite qui obligera quelques milliers de professionels à fermer boutique. Je trouve choquant également cet article d’une grande avocate qui se pique de donner le ton en matière juridique. Si on continue comme ça on va rentrer dans un monde économiquement puritain, invivable, hypocrite, dans lequel toutes les affaires deviendront impossibles, sauf, bien entendu, pour les grandes entreprises multinationales ou banques géantes qui se moquent de toutes ces règles. Le plus insupportable dans cette mentalité pharisaïque c’est qu’elle se présente en toute bonne conscience comme un discours éthique et moral. Or, rien n’est plus faux. Ces prêcheurs ne sont en fait (peut-être inconsciemment, tellement ils sont formatés) que les porte paroles du big business qui veut tuer les petits indépendants en les asphyxiant. Ici, dans ce problème des rétrocessions, ils donnent une caution pseudo morale à la volonté des grandes banques d’étrangler les gérants indépendants, pour mieux s’en débarrasser. J’avais déjà remarqué il y a 25 ans dans les discussions sur le statut professionel des gérants indépendants,qu’un lobby bancaire était à l’œuvre, pour défendre les intérêts des grandes banques, précisément en essayant de rendre illégales les rétrocessions. Maintenant ce lobby a gagné sur toute la ligne. Il obtient même un triomphe avec cette criminalisation de la non transparence des rétrocessions. C’est écoeurant!

  2. Merci, Maître, de cet article intéressant.
    Peut-on admettre que cet arrêt remet en cause une pratique courante dans certaines contrées, pratique qui consiste à voir les gérants d’immeubles encaisser pour leur compte et de manière occulte des commissions sur le chiffre d’affaire réalisé à leur service par divers maîtres d’état intervenus sur les immeubles de leurs clients ?
    Il me paraît clair que cela se traduit en fin de compte par une augmentation de la facture reçue par le propriétaire de l’immeuble, le maître d’état cherchant à couvrir la rétrocommission. Le gérant ne s’en plaindra pas puisque une augmentation de la facture aura pour effet d’augmenter sa rétrocommission…

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