Justice à l’anglaise

Bafoué, trompé, abandonné par ceux qu’il croyait proches, Terry Flynt a connu de sales moments. Un cauchemar qu’il a tenté de noyer dans l’alcool, réflexe quasi héréditaire chez un fils de gros buveurs irlandais. Mais tout cela, c’est du passé. Il a arrêté de boire, fondé une famille et gagne désormais sa vie comme greffier dans le cabinet juridique Kopf-Randall-Purdom à Londres. Une vie paisible mise en péril un soir où, travaillant tard au bureau, il répond au téléphone d’une collègue absente.

Un job empoisonné

Selon la règle de l’appel et de la réponse – “On t’appelle, tu réponds présent, et c’est à toi que revient l’affaire” – il décroche alors un job qui va lui valoir les pires ennuis. Il s’agit d’assister sa patronne Janet Randall dans la défense de Vernon James, un très riche homme d’affaires accusé d’avoir étranglé une jeune femme dans la suite de luxe d’un grand hôtel londonien. Un procès surmédiatisé et qui va faire grand bruit, se réjouissent les associés du cabinet. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que Terry Flynt a été le meilleur ami de Vernon James jusqu’à ce que ce dernier ne l’accuse injustement de vol, et obtienne ainsi son renvoi de Cambridge où il étudiait le droit. Depuis, la haine de Terry pour Vernon est restée intacte. Elle ne l’empêchera pas de risquer sa vie pour percer à jour l’énigme qui entoure cette affaire. Et ce qu’il découvre, je vous le promets, est parfaitement stupéfiant.

Les coulisses de la justice

Gros thriller palpitant, bien rythmé et habilement conçu, “Le verdict” de l’anglais Nick Stone évoque tout à la fois la préparation du procès, ses à-côtés parfois pittoresques ou épiques, et son déroulement. Nous conviant au cœur même de l’Old Bailey – cour criminelle centrale de la Couronne britannique, il nous introduit dans les coulisses du pouvoir judiciaire et nous en explique les rouages. Et si vous ne connaissez rien au fonctionnement de la justice anglaise, pas de souci. Sans didactisme excessif ni pédanterie, l’auteur nous en explique tous les ressorts et les particularismes. Et c’est totalement passionnant.

“Le verdict”. De Nick Stone. Traduit de l’anglais par Frédéric Hanak. Folio policier, 790 p.

 

 

 

Horreurs boréales

Reconnaissons-le! “La fille sans peau” de Mads Peder Nordbo n’est pas un livre tendre. Il comprend une série meurtres cruels et glaçants. Il a en outre pour fil rouge la maltraitance et les abus sexuels sur les enfants. Typiquement nordique, diront certains. Ils n’ont pas tort. “La fille sans peau” n’est cependant pas un polar nordique parmi d’autres. C’est d’abord un bon polar où l’auteur évite toute complaisance dans la torture et l’horreur pour privilégier une forme de témoignage. Ces violences et ces abus, ce sont en effet l’un des fléaux de la société groenlandaise qui sert de cadre et de décor au roman. Un pays que l’auteur connaît bien. Il y a vécu de nombreuses années, en travaillant notamment pour la mairie de Nuuk, la capitale du pays. “La fille sans peau” est le premier volet d’une trilogie. On ne peut que s’en réjouir.

Une macabre découverte

Comme l’écrivain, son “héros” Matthew Cave est un homme venu d’ailleurs. Journaliste danois, il s’est établi à Nuuk, après un accident de voiture qui a coûté la vie à sa femme enceinte. Engagé par le journal local, il se retrouve en première ligne lorsque, en août 2014, on découvre un corps parfaitement conservé dans la glace, la momie de ce qui pourrait être “le dernier des Vikings”. Il a déjà rédigé son article quand, le lendemain, le cadavre s’est volatilisé. Et plus grave encore, le policier chargé de monter la garde est lui-même retrouvé mort, nu, éventré de l’entrejambe au sternum. Il a été éviscéré comme un phoque. Un procédé qui évoque, pour les locaux, une série d’anciens et terribles meurtres restés impunis.

Matthew voit son scoop lui échapper. Il lui est par ailleurs formellement interdit d’évoquer l’affaire et, “quand ça vient d’en haut, on préfère obéir. Dans cette ville, c’est comme ça”, lui précise son rédacteur en chef.Pour lui permettre de se changer les idées tout en faisant quelque chose d’utile, ce dernier lui suggère de se pencher sur ces fameux meurtres perpétrés dans les années 1970, “parmi les plus terribles affaires non élucidés des pays nordiques”.  Quatre hommes, encore jeunes, avaient été retrouvés morts, éventrés, éviscérés et qui plus est écorchés, probablement avec un ulo, un couteau inuit muni d’une lame en demi-lune.

Des notables impliqués

Par où commencer? Matthew se tourne d’abord vers un ancien du journal. Ottesen, un policier dont le père avait travaillé sur l’affaire, lui confie ensuite le carnet tenu par l’un des enquêteurs à l’époque. Il y découvre que les hommes assassinés étaient fortement soupçonnés d’avoir abusés de leurs filles et que des gens influents de Nuuk – eux encore en vie – semblaient impliqués dans ces maltraitances. Intimidations et menaces ne tardent pas à confirmer les soupçons du journaliste. Pour échapper à ses poursuivants et découvrir la vérité, Matthew va bénéficier de l’aide de Tupaarnaq, une jeune Groenlandaise fière et rebelle, emprisonnée à l’âge de 15 ans pour avoir tué son père, sa mère et ses deux petites sœurs et qui vient d’être libérée. Aussi mystérieuse que fascinante, cette habile chasseuse de phoques a le corps entièrement recouvert de tatouages. Vous l’avez devinez, la fille sans peau, c’est elle.

 

“La fille san peau”. De Mads Peder Nordbo. Traduit du danois par Terje Sinding. Actes Sud, 380 p.

 

Une guêpe dans le bonheur

Addictif! Tout simplement addictif! Une fois plongé dans “Nid de guêpes” de Rachel Abbott, on n’en sort plus. La preuve, une fois encore, de l’habileté de cette Anglaise qui excelle dans l’art diabolique de tisser les fils d’un suspense. Et qui d’emblée nous prévient: “Tout le monde ment. A soi et aux autres.”

Le mensonge, justement, c’est le gros problème d’Anna Franklyn. Pour réussir dans la vie et ménager ses proches, la jeune femme a dû mentir à tout le monde sur son passé. A l’école dont elle est la brillante et énergique directrice, à son prévenant mari Dominic, à ses deux jeunes enfants, à ses parents. Et ça a marché. Désormais, tout va pour le mieux. Du moins jusqu’à ce lundi de début septembre où elle découvre une guêpe posée sur la vitre de sa voiture flambant neuve couleur framboise. Plus de peur de que mal, mais pour Anna, c’est un mauvais présage. Qui ne tarde pas à se confirmer.

Giflée par le passé

En plein embouteillage, alors qu’elle écoute à la radio son émission favorite “On m’a quitté”, un homme qui prétend s’appeler Scott évoque en deux mots l’histoire d’amour qu’il a vécue avec une femme surnommée Spike. S’il est sélectionné par les auditeurs, il promet de tout révéler la semaine suivante. Or Spike, c’est Anna, et cette histoire, c’est la sienne, une histoire passionnelle et destructrice qui s’est terminée, il y a juste quatorze ans dans le Nebraska, par la mort de Scott. Le jeune homme aurait-il survécu? Impossible, elle le sait, car c’est elle qui l’a tué.

La vérité! Quelle vérité?

Que c’est-il passé à l’époque? L’auteure – de son vrai nom Sheila Rodgers, née en 1952 près de Manchester – nous le chuchote avec parcimonie, au fil des pages, à doses quasi homéopathiques. Elle n’a pas son pareil pour suggérer sans dire et lancer habilement l’hameçon qui emprisonne et tire le lecteur vers l’avant. Celui-ci devra donc attendre la fin du roman pour découvrir la vérité. Et encore, même la vérité comporte ici plusieurs visages.

Dans “Nid de guêpes”, le suspense ne s’applique toutefois pas qu’au passé. Un premier, puis un deuxième homme sont retrouvés morts, tous deux assassinés dans un parking de Manchester où se situe le roman. Anna connaissait fort bien l’un d’eux. Personnage récurrent des polars de Rachel Abbott, le Detective Chief Inspector Tom Douglas mène l’enquête, tout en se démenant avec ses problèmes privés. Et cette fois-ci, le lecteur a de l’avance sur lui. Il sait, ou croit savoir, mais se laisse malgré tout surprendre. Diabolique! On vous avait prévenus.

“Nid de guêpes”. De Rachel Abbott. Traduit de l’anglais par Véronique Roland. Belfond, 448 p.

Sur la même auteure, dans Polars, Polis et Cie, “La disparue de Noël”. Le retour des morts…vivants

 

L’homme qui aimait les étangs, les rivières et les poissons

Une fois n’est pas coutume, délaissons le polar pour déguster un petite merveille, “Comment j’ai rencontré les poissons” du Tchèque Ota Pavel, une chronique familiale douce amère pleine d’humour, d’intelligence et de tendresse. Publié en 1971, deux ans avant la mort de son auteur, ce livre vient de sortir en poche dans la collection Folio. Et c’est le grand écrivain italien Erri De Luca qui, en quatrième de couverture, lui sert d’ambassadeur en nous promettant “une lecture physiquement contagieuse, qui produit des bulles de joie sous la peau”. Il dit vrai! Ce livre est un régal.

Une vie marquée par la tragédie

Qui est Ota Pavel? De son vrai nom Otto Popper, il est né en 1930 à Prague d’un père juif et d’une mère chrétienne. Ses deux frères aînés, Jirka et Hugo, l’initient à la pêche. Arrive la Seconde Guerre mondiale qui met fin à cette vie heureuse. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école, la famille Popper quitte Prague pour s’installer dans la maison des grands-parents à Buštěhrad en Bohème – on y trouve aujourd’hui un musée consacré à l’écrivain. Les deux aînés puis le père sont envoyés en camp de concentration. Par chance, ils survivront et reviendront à la fin de la guerre, plus ou moins mal en point. C’est à ce moment-là que la famille change de nom pour prendre celui de Pavel.

Joueur de hockey passionné, le jeune Ota rêve de devenir professionnel. Il doit y renoncer mais décroche un poste de journaliste sportif à la radio nationale. Et c’est lors d’un reportage aux Jeux olympiques d’hiver d’Innsbruck en 1964 que se manifestent les premiers signes de sa maladie mentale. Après avoir reçu des injures antisémites de la part d’un joueur, il part dans les montagnes et met le feu à une grange dont il fait sortir les animaux pour les épargner. “Je désirais allumer une grande lumière pour chasser le brouillard”, écrira-t-il pour expliquer son geste. Diagnostiqué bipolaire, il est hospitalisé à de nombreuses reprises avant de mourir, d’une crise cardiaque, le 31 mars 1973. C’est durant cette période de souffrance extrême qu’il a écrit ses livres. Deux d’entre eux sont traduits en français.

Rivières et poissons

“Comment j’ai rencontré les poissons” évoque tout cela avec humour et malice, avec un brin de mélancolie parfois, mais sans tristesse. Et avec une fraîcheur de regard qui trouve ses racines dans l’enfance. Au gré de descriptions magiques et sensibles, l’écrivain partage avec le lecteur son amour pour les ruisseaux, les rivières, les étangs et les barrages à poissons, “ce que j’avais jamais vécu de plus beau”. A ses côtés, on guette, on braconne, on capture. On s’émerveille devant les chevaines argentés, le barbeau élégant, les anguilles d’or, les gardons ventrus des eaux calmes et les vandoises des courants rapides. Sans oublier de somptueuses carpes malheureusement confisquées par la Wehmarcht.

Champion du monde dans la vente d’aspirateurs

Au fil de ce voyage dans le passé, Ota Pavel compose également un magnifique portrait de son père Leo. Un homme excessif et généreux, recordman du monde de la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs pour la firme Electrolux et capable de faire un miracle pour offrir à ses fils un dernier repas de viande avant leur départ pour le camp de concentration. Lui-même revenu sain et sauf de l’enfer, ce père relève alors avec une énergie déconcertante les plus improbables défis comme la diffusion d’un attrape-mouches prétendument révolutionnaire ou l’élevage de lapins argentés de Champagne. Et quand, alors qu’il est mourant, une ambulance vient le chercher pour l’emmener à l’hôpital, il accroche fièrement au portillon de sa maisonnette une belle pancarte qui proclame: “Je reviens de suite”.

“Comment j’ai rencontré les poissons”. De Ota Pavel. Traduit du tchèque par Barbora Faure. Folio, 276 p.

Cinq petits nègres aux Marquises

Géographe, professeur à l’Université de Rouen – spécialiste en géographie électorale, Michel Bussi est par ailleurs une véritable star du polar français. Depuis la parution en 2011 de “Nymphéas noirs”, accueilli par une pluie de prix divers, ses livres – un par an en principe – caracolent en tête des ventes. Ils sont traduits dans pas moins de 35 pays et les droits de plusieurs d’entre eux ont été cédés en vue d’adaptations télévisuelles. Michel Bussi, 54 ans, est également auteur de contes pour enfants. Bref, de quoi susciter autant d’admiration … que de méfiance.

Plaire au plus grand nombre? Voilà en tout cas qui ne gêne guère ce défenseur de la culture populaire. Un auteur qui se dit lui-même “enfant de Jules Verne, de Maurice Leblanc et d’Agatha Christie” et qui évoque, parmi les livres qui ont façonné ses premières années, les aventures du Club des cinq ou les enquêtes d’Alice. Michel Bussi sait aussi faire preuve d’humour et d’autodérision. Il le prouve dans son nouveau roman, “Au soleil redouté” qui vient de sortir aux Presse de la Cité, comme les précédents.

Atelier d’écriture aux Marquises

Cette intrigue, fort bien ficelée, met en scène un écrivain célèbre, adulé et sans doute quelque peu vaniteux. Extrêmement prolifique, il écrit cinq livres par an au grand dam de son éditrice qui peine à lui faire comprendre qu’on ne peut pas en publier plus d’un tous les six mois. Dans le cas présent, il est toutefois d’abord question du talent des autres plus que du sien. Pierre-Yves François, alias PYF, encadre un atelier d’écriture, accessible sur concours et organisé aux Marquises par sa maison d’édition, les éditions Servane Astine.

Jacques Brel et Paul Gauguin

Les cinq lauréates, sélectionnées parmi quelque 32 000 candidats, n’ont apparemment qu’un rêve, écrire. Avec leur mentor, elles sont logées, ainsi que leurs deux accompagnants – la fille de l’une, le mari d’une autre – dans la pension Au soleil redouté. Entre tartare de thon coco, purée d’umara et poulet fafa, leur quotidien est rythmé par les chansons de Jacques Brel et l’ombre de Gauguin. En dépit de son ventre trop rond et de son crâne à moitié dégarni, Pierre-Yves François plaît aux femmes et ne s’en prive pas. Il donne par ailleurs à son auditoire conquis quelques conseils et deux exercices. Avant de disparaître avec une troublante mise en scène. Peu après, une participante est assassinée puis une deuxième. Pierre-Yves François est retrouvé mort lui aussi. Et l’on se doute bien que ce n’est pas terminé.

Suspense et fausses pistes

Agatha Christie et ses “Dix petits nègres” ne sont pas loin. Grand amateur de fausses pistes, Michel Bussi ne se prive pas de nous le suggérer, en se cachant derrière les textes et les récits de ses personnages. Je m’arrête là, et n’ayez aucune crainte. Je n’ai rien révélé d’essentiel. Le suspense, promis juré, reste intact. D’autant que Michel Bussi apprécie les retournements virtuoses de dernière minute. “J’aime qu’entre le point de départ de l’histoire et la dernière page, la résolution paraisse impossible”, annonce-t-il en quatrième de couverture. La fin d'”Au soleil redouté” – nom emprunté à la chanson “Les Marquises” de Jacques Brel – s’avère effectivement assez bluffante.

“Au soleil redouté”. De Michel Bussi. Presse de la Cité, 428 p.

Perpignan: le mort du Vendredi saint

Rien de tel qu’un bal masqué pour régler ses comptes avec l’humanité et commettre un crime impunément. Une procession de pénitents peut offrir “les mêmes avantages”, avec ses cagoules en pointe et ses longues robes de bure, pour autant que l’on prenne soin de bien choisir ses chaussures afin de brouiller les pistes et de ne pas être aussitôt identifié. Telle est la leçon d'”Une ritournelle ne fait pas le printemps” du Français Philippe Georget, quatrième polar d’une série dédiée aux saisons et dont les enquêtes sont confiées aux bons soins du lieutenant Gilles Sebag, un policier attachant et particulièrement humain.

Le roman débute à Perpignan, un Vendredi saint, en pleine procession de la Sanch. Les pénitents défilent, cachés sous la traditionnelle caparutxa. Craignant un attentat terroriste, la police est sur les dents. Mais c’est de l’intérieur que viendra le danger. Et la mort. Après une fausse alerte – des pétards lancés par des enfants gitans – un des participants s’effondre, frappé d’un coup de couteau en plein cœur.

Un ami de Charles Trenet

La victime s’appelait Christian Aguilar. Professeur de piano “discret, voire secret, célibataire sans enfants”, cet homme de 63 ans vivait dans une maison ayant appartenu précédemment à Charles Trenet, qu’il semblait par ailleurs avoir bien connu. Le pianiste avait-il le même goût pour les jeunes hommes que le chanteur? Avait-t-il commis quelque geste déplacé envers l’un ou l’autre de ses élèves? Pour bien comprendre le contexte, il faut aussi préciser qu’au moment du crime, étrange coïncidence, le lieutenant Gilles Sebag et son collègue Jacques Molina avaient été rappelés en urgence pour s’occuper d’un hold-up dans une bijouterie, boulevard Clémenceau

Chronique d’une ville

Y aurait-il un lien entre les deux affaires? La police le soupçonne. Ce qui rend l’enquête plus complexe encore. Et sans révéler le fin mot de l’histoire, précisons que Philippe Georget n’est pas auteur à se contenter des évidences et que le lecteur n’est donc pas au bout de ses surprises. Né en 1963 dans la région parisienne, licencié en histoire, grand voyageur devenu journaliste, l’écrivain connaît en outre bien la région ayant travaillé pour France 3 à la Locale de Perpignan. Clair et rythmé, son nouveau polar se fait la chronique de cette ville, avec ses petits et ses grands trafics, ses notables pas tout à fait nets, ses quartiers pauvres et bien sûr sa gastronomie. Entre deux interrogatoires, Gilles Sebag et son équipe se retrouvent régulièrement au Carlit pour une cargolada – des petits escargots gris grillés sur la braise – ou aux Halles Vauban où “on sait avec qui on vient déjeuner mais on ignore toujours avec qui, au final, on partagera une table.”

 

“Une ritournelle ne fait pas le printemps”. De Philippe Georget. Editions Jigal, 262 p.

Fureur et mystère dans le marais camarguais

Questions de style, questions de rythme, les bons polars se reconnaissent souvent dès les premières pages. On croche, on adhère, un vrai bonheur. Réédition, chez Belfond, d’un livre paru en 2004 à L’Ecailler du Sud, “La Bête du marais” de Xavier-Marie Bonnot – réalisateur de documentaires et auteur d’une dizaine de romans – fait partie de ces réjouissantes découvertes. D’emblée l’auteur pose le décor, tisse une atmosphère et patiemment noue les fils de l’intrigue. Très imagée, sa langue n’en reste pas moins naturelle et quand l’argot ou le patois s’en mêle, c’est toujours à propos.

Un monstre mythique

La bête du marais, c’est la Tarasque, un monstre du folklore provençal, une sorte de dragon décrit par Jacquesde Voragine dans la Légende dorée et qui, semant la terreur, est censé hanter les marécages dans la région de Tarascon. La Tarasque a sa fête, le jour de la Sainte-Marthe, et ses chevaliers. Se serait-elle soudain réincarnée? Peu probable, et pourtant….Le mythique animal constitue le fil rouge reliant toute une série de meurtres dont les victimes, affreusement mutilées, font l’objet de terrifiantes mises en scène.

De Palma, flic atypique amateur d’opéra

La vengeance d’un justicier masqué? Les morts appartenaient au milieu ou semblaient impliqués dans diverses magouilles. A l’exception du premier, toutefois, un mystérieux industriel allemand tombé amoureux de la Provence et de son passé. Pour mener l’enquête, Xavier-Marie Bonnot, lui-même né à Marseille en 1962, fait appel à son personnage fétiche, Michel De Palma, alias le Baron, flic idéaliste et atypique, “homme de colère et de tempête” par ailleurs très cultivé et grand amateur d’opéra. Toujours hanté par l’ancien meurtre d’une jeune fille qu’il n’est pas parvenu à élucider, le policier se remet à peine d’une blessure. Souffrant de terribles migraines, il se jette à corps perdu, et au péril de sa vie, dans une traque qui le conduit – et nous avec – de Marseille à Mausane, au pied des Alpilles, et de Tarascon à La Capelière, au bord de l’étang de Vaccarès.

Et si vous vous êtes attaché au commandant De Palma, réjouissez-vous! Vous le retrouverez dès mars prochain dans “La voix du loup”, une réédition également, à découvrir chez le même éditeur.

“La bête du marais”. De Xavier-Marie Bonnot. Belfond, 476 p.

Enquête futée d’un Marocain à Paris

De l’humour, voilà qui rare et bienvenu dans le monde du polar. Certes, celui de Soufiane Chakkouche peut s’avérer parfois un peu lourd et convenu, mais on lui pardonne volontiers. Son deuxième roman, “L’inspecteur Dalil à Paris”, témoigne d’un sens du rythme et de la langue que l’on souhaiterait à bien d’autres. Ce n’est en outre pas tous les jours que l’on tient entre ses mains un roman policier marocain. Avec ce que cela apporte de fraicheur et de différence dans l’approche et le point de vue.

Cette singularité se manifeste déjà dans le choix du personnage principal puisque l’inspecteur Dalil, le héros de l’histoire, n’aurait justement rien à y faire en principe, dans l’histoire. “Ancien inspecteur de police déchu de son titre par le temps”, il se consacre désormais à la pêche en compagnie de son chien, “un magnifique rottweiler femelle très sage pour son jeune âge”. Parallèlement, ce jeune retraité dialogue en quasi permanence avec sa Petite voix, sorte de conscience ironique et lucide qui ne manque pas une occasion de donner son avis, souvent des plus pertinents.

Transhumanisme et Daesch

La quiétude de notre pêcheur est toutefois de courte durée. Le voilà brusquement tiré de sa paisible activité par une offre qu’il ne peut décliner car elle vient de très haut. Le BCIJ (le Bureau central d’investigation judiciaire) lui demande, à 61 ans, de reprendre temporairement du service et de partir pour Paris.Il s’agit de collaborer avec le commissaire Guillaume Maugin, le patron du 36, quai des Orfèvres, sur une enquête urgente et délicate. Bader Farisse, un étudiant marocain qui préparait une thèse sur le transhumanisme, a été enlevé devant la mosquée de la rue Myrha alors qu’il venait de mettre au point une puce qui, greffée sur le cerveau humain, devait donner à son porteur un savoir et un pouvoir infinis, lui permettant notamment de se connecter directement à Internet. En résumé l’heure est grave, très grave, d’autant que l’enlèvement du petit génie a été revendiqué par Daesh.

Grelottant sous la pluie et de plus en plus enrhumé, se méfiant de tous y compris de ses collègues français auxquels il réserve quelques pièges de son cru, l’inspecteur Dalil va découvrir tout à la fois Paris, et la vérité. Dont la logique n’est pas aussi manichéenne qu’on aurait pu l’imaginer.

“L’inspecteur Dalil à Paris”. De Soufiane Chakkouche. Jigal polar, 192 p.

 

 

 

 

 

 

Huis-clos sur arrière-plan mafieux

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, “Une affaire comme les autres” n’est pas un roman noir ordinaire. Sans doute parce qu’il a d’abord été pensé comme un film et qu’il porte la trace du parcours original de son auteur. Un homme associé à l’image plus qu’à la littérature. Né en 1962 à Nuoro, en Sardaigne, diplômé en architecture à Turin, Pasquale Ruju a travaillé dans les milieux du cinéma et du théâtre comme acteur avant de se consacrer au doublage de personnages de feuilletons et de dessins animés. En 1995, il a rejoint l’équipe des scénaristes de la bande dessinée “Dylan Dog”. Il est également l’auteur de mini-séries.

Côté pile, côté face

Sobre, efficace, très visuel, “Une affaire comme les autres” est son premier roman. Le récit est entièrement construit autour du face-à-face entre Silvia Germano, jeune et brillante substitut du procureur, et Annamaria Ferraro, veuve de Marcello Nicotra, un puissant chef de clan de la ‘Ndrangheta – la mafia calabraise, qui vient d’être assassiné. Annamaria a trente-sept ans, elle est belle, si belle que même l’inspecteur chargé de l’accueillir et qui “en vingt ans de service croyait avoir vu toutes les femmes possibles et imaginables”, en est profondément troublé. Au fil d’un huis clos hypnotique, l’une puis l’autre va raconter ce que son interlocutrice ignore ou feint d’ignorer. Le côté pile et le côté face de la vie d’un mafioso puissant, impitoyable et orgueilleux mais qui, à sa manière, fut profondément amoureux de sa femme.

Annamaria commence par raconter sa rencontre avec Marcello – elle n’a alors que quinze ans, leur mariage et leur quotidien luxueux en Calabre. Elle évoque aussi le silence et le mystère qui entourent l’origine de l’argent et la nature du “travail” de son mari, puis les raisons leur installation dans une petite ville du Piémont, aux portes de Turin. Un déménagement imposé par le vieux, le chef suprême, Battista, celui dont on lui a bien précisé qu’il “vaut mieux ne pas prononcer son nom. Jamais. Même à la maison”. Au fil de cette “reconstitution”, Annamaria parlera aussi de son deuxième amour secret, une personne dont, jusqu’à la toute fin du livre, on ignorera le nom.

S’emparer du Nord

Il revient ensuite à la magistrate, Silvia Germano, de retracer “l’autre partie”. Les règlements de comptes entre ‘ndrine rivales, le trafic des déchets toxiques, l’ascension de Marcello, dit ‘u Primu, son amitié indéfectible avec le Catanais, les raisons pour lesquelles il avait été envoyé dans le Nord. “Le siècle s’était achevé et en Italie les choses avaient changé. Les anciens partis avaient laissé place à de nouveaux, les centres de pouvoir étaient en train de se former et de se réorganiser, région par région, ville par ville. Ces gens-là avaient besoin de voix pour les élections, et d’argent. Des voix? De l’argent? Les familles pouvaient leur procurer les uns comme les autres.” Une infiltration qui, on s’en doute, n’est pas sans risque. Mais est-ce de cela que Marcello finira par mourir, assassiné? Pasquale Ruju sait ménager le suspense et tenir son lecteur en haleine jusqu’aux dernières pages.

 

“Une affaire comme les autres”. De Pasquale Ruju. Traduit de l’italien par Delphine Gachet. Denoël, 286 p. 

 

 

Il était une fois Bratislava…et 1968

C’était il y a 50 ans. Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les tanks soviétiques envahissaient la Tchécoslovaquie, mettant fin aux espoirs d’ouverture et de liberté associés aux réformes initiées par Alexander Dubček, ce que l’on a appelé le Printemps de Prague.Villiam Klimáček avait alors dix ans. Une quinzaine d’années plus tard, il sera l’un des fondateurs du fameux théâtre GUnaGu et devient le dramaturge slovaque le plus joué. Parallèlement à son travail pour la scène, la radio, la télévision et le cinéma, il a écrit une vingtaine d’ouvrages, dont “Bratislava 68, été brûlant” paru en 2011. Un livre magnifique, souvent drôle, inspirant et émouvant qui, publié par la très bonne maison d’édition Agullo, vient d’être traduit en français.

Une nation condamnée à la tendresse

“Nous sommes une nation condamnée à la tendresse. On nous envahit facilement”, nous prévient l’écrivain en préambule. Inspiré de témoignages réels, son récit en cinquante tableaux se veut “un roman vu du bas”. “Je mets de côté les noms qui ont électrisé nos pères et nos mères, qui ont bourdonné à nos oreilles d’enfants et que nous avons depuis refoulés. Ils étaient les protagonistes de la grande Histoire, alors que moi j’écris l’histoire des petits”, précise Villiam Klimáček. Pour incarner ces “crédules anonymes” broyés par des événements qui les dépassent, il met en scène trois couples et leurs enfants presque adultes. Une micro-société dont on suivra les pérégrinations, les épreuves, les deuils et les réussites sur plusieurs années.

De la plume élégante et tendre de l’auteur surgit ainsi l’incroyable figure de Jozef Rola. Cet homme éminemment polyvalent a d’abord étudié la théologie. On lui a toutefois refusé l’ordination parce qu’il n’acceptait pas d’espionner ses paroissiens. Pour subsister, ce pasteur sans ouailles travaille donc à la radio slovaque après s’être lancé dans des études d’art dramatique. Jozef est le beau-frère d’Alexander, dit Šani, qui occupe un poste important dans “l’unique entreprise tchécoslovaque de matériel médical”. Habillé par sa femme d’un gilet tricoté noir et jaune qui le fait ressembler à une guêpe, il est très fier de son cabriolet Škoda Felicia – beaucoup moins apprécié par son épouse. Le couple a une fille, Petra, qui termine brillamment sa médecine et qui a vécu, durant ses études, dans la famille juive de son amie Tereza. Fille d’un rescapé des camps de concentration, cette dernière se trouve justement en vacances dans un kibboutz au moment de l’invasion de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie. 

Un choix cornélien

Rentrer? Rester? Partir? Chacun va devoir faire son choix. Au plus vite. “Pendant quelques jours, la frontière d’Etat fut un vrai boulevard, comme le constaterait plus tard un politicien avant de la faire fermer”, note l’auteur. Conscients que les choses allaient rapidement empirer en Tchécoslovaquie, plusieurs des personnages de “Bratislava 68, été brûlant” opteront pour l’exil, laissant au pays en “otage” une mère, une femme, un frère. Pour les uns comme pour les autres, la vie ne sera pas facile. Et les pressions du régime pour faire plier les réfractaires se révéleront aussi sournoises que déloyales.

“Bratislava 68, été brûlant”. De Viliam Klimáček. Traduit du slovaque par Richard Palachak et Lydia Palascak. Agullo, 368 p.