Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

« Le premier polar croate traduit en français », annonce fièrement son éditeur, l’excellente maison Agullo. « L’Eau rouge » de Jurica Pavičić (né à Split en 1965) représente toutefois plus que cela. C’est une façon intelligente, subtile et non partisane de relire l’histoire de l’ex-Yougoslavie, avec ses guerres, ses mutations, ses douloureuses tables rases et l’arrivée abrupte d’un capitalisme sauvage notamment lié au tourisme. Les valeurs ont changé en même temps que l’on déboulonnait les statues. Les héros d’hier sont devenus les parias d’aujourd’hui, les superflics mis sur la touche se sont reconvertis dans l’immobilier. C’est dans ce contexte mouvant que prend place la quête qui traverse tout le récit de « L’Eau rouge », celle de Silva Vela, une jeune fille de 17 ans qui a disparu du bourg de Misto le 23 septembre 1989.

Plus rien ne sera comme avant 

La Yougoslavie se fissure, elle s’apprête à basculer dans le chaos, mais nos héros ne le savent pas encore. « C’était une journée chaude et splendide de septembre, comme si le ciel se moquait d’eux par avance », écrit Jurica Pavičić. Après un dîner en famille, Silva quitte ses parents et son frère jumeau Mate pour se rendre à la fête des pêcheurs. C’est la dernière fois qu’ils la verront. La jeune fille ne rentre ni le lendemain, ni les jours qui suivent. Les policiers interrogent son petit ami – absent de Misto ce soir-là – ainsi que le fils du boulanger, Adrijan, avec qui elle a passé la soirée. Peu à peu le portrait de la jeune fille un brin rebelle mais sans histoire se fissure. On découvre qu’elle dealait de l’héroïne et rêvait de s’enfuir à l’étranger. Le père et son fils placardent des photos de la disparue dans toute la région. On craint le pire. C’est alors qu’une jeune femme déclare l’avoir vue le lendemain de sa disparition à la gare routière de Split où elle s’apprêtait à acheter un billet au guichet international.

Un piste? Mais qui s’avère impossible à suivre. A l’image du pays, la famille de Silva se déchire. La police abandonne les recherches. Cassé par les soupçons, le jeune amoureux d’un soir meurt à la guerre dans l’explosion d’une mine. Mais Mate, le frère de Silva, ne renonce pas. Dès qu’un témoin croit avoir vu la jeune femme quelque part, il saute dans sa voiture ou dans un avion. De fausse alerte en fausse alerte, sa quête va durer plus de vingt ans. Le temps pour le lecteur de scruter l’évolution d’une bourgade, d’un paysage, et de se replonger dans l’histoire d’un pays qui n’est plus.

« L’Eau rouge ». De Jurica Pavičić. Traduit du croate par Olivier Lannuzel. Agullo, 362 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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