Au théâtre, le fait divers sordide peut engendrer le pire. Dans Une femme sans histoire, présentée dans le cadre de La Bâtie, Dorian Rossel en tire le meilleur. Un récit exemplaire, proche du mythe. Une épure magnifique d'épaisseur subtile à qui l'on pardonne volontiers des choix musicaux et un intermède dansé plus que discutables. Au-delà du fait divers, Une femme sans histoire parle aussi de réalité et d'illusion, du corps et de son langage singulier, de parole volée et reconquise. Bref, du théâtre. Magnifiquement.
Mais venons-en au fait. A ce fait divers terrible qui fit la Une des médias dans les années 2000: l'affaire dite des "bébés congelés". Alors qu'elle vivait en Corée du Sud, la Française Véronique Courjault avait tué ses deux bébés à leur naissance après avoir réussi à cacher à tous, et notamment à ses proches, ses grossesses. Les cadavres furent découverts par son propre mari. Arrêtée, elle avouera en avoir tué un troisième. Son procès eut lieu en juin 2008. Elle fut condamnée à 8 ans d'emprisonnement.
Des minutes de ce procès, le cinéaste Jean-Xavier de Lestrade a tiré un film intitulé L'affaire Courjault, parcours meurtrier d'une mère ordinaire. Une docu-fiction dont Dorian Rossel s'est inspiré à son tour pour créer une pièce qui raconte "la naissance d'une parole". Ce qui le passionne, le fascine et nous fascine à notre tour, c'est la façon dont cette femme – magnifiquement incarnée par Sara Louis – peu à peu prend conscience d'elle-même, de son corps, de son histoire familiale, de sa réalité. Quelques tables, des chaises, un rideau qui par moment s'anime. Le décor est réduit à l'essentiel et le jeu des comédiens d'une très grande justesse. Pas de gémissements, pas de cris, pas vraiment de larmes, aucun pathos superflu. Et un art subtil d'inviter les silences. Chapeau!
"Une femme sans histoire". Mise en scène Dorian Rossel. Tournée: 13 novembre au Théâtre Palace à Bienne. Les 19 et 20 novembre à Bonlieu Scène Nationale à Annecy. Du 26 au 29 novembre au TPR à La Chaux-de-Fonds.