Post Scriptum

Halte aux travaux forcés !

HOT ! La votation sur revenu de base inconditionnel échauffe les esprits et il semble – hélas – que les Suisses soient trop attachés à leur "métro-boulot-dodo" pour voter massivement OUI. Un petit rappel de ce qu'est réellement le travail me semblait utile il y a une année. Il me parait aujourd'hui indispensable !

Dieu n’a pas fait dans la dentelle! Au premier «couac» d’Adam, agréablement installé au paradis, la sentence tombe: «puisque tu as mangé du fruit de l'arbre défendu, c'est désormais à la sueur de ton front que tu te nourriras» lui dit en substance l’Eternel. Cette malédiction est à l’origine du mot «travail», du latin «trepalium», un instrument formé de trois pieux, auquel on attachait les esclaves pour les punir. Travailler devient ainsi «torturer, tourmenter avec le trepalium». Dans les sociétés primitives, on n’accordait aucune valeur au travail.

Les activités auxquelles elles s’adonnaient avaient pour objectif d’assurer leur survie. On n’en accordait pas plus dans la société grecque où le travail est assimilé à des tâches dégradantes. Ne sont alors valorisées que les activités éthiques et politiques. D’ailleurs, à l’époque romaine, même Dieu ne travaillait pas, la création du monde étant considérée comme «opus» (œuvre) et non «labor» (travail, châtiment). Pour l'église, le travail va être défini comme une loi naturelle à laquelle personne ne peut se soustraire pour subvenir aux besoins de la communauté. Il va progressivement devenir un instrument privilégié de lutte contre l'oisiveté, la paresse et les mauvaises tentations qui détournent de la tâche principale: la contemplation et la prière. Cependant le travail n'est pas valorisé: il est pénitence et jusqu’à la fin du Moyen Age, restera une activité dégradante.

Il faut attendre Adam Smith et son ouvrage «La Richesse des Nations», paru en 1776 pour assister à un début de valorisation du travail, car, dit Smith, bien organisé, le travail humain est une puissance formatrice de valeur et donc un facteur de production. Ce n'est toutefois qu'au cours de la seconde partie du 19ème siècle que les marxistes associent pleinement les mots «travail» et «valeur», en bonne partie en opposition aux "parasites" détenant le capital.

Ainsi, après 30 siècles au cours desquels le travail était une malédiction d’origine divine, le voici qui devient le rapport social qui structure nos sociétés. Mais travaille-t-on réellement par plaisir ou est-ce par nécessité, pour disposer d’un revenu permettant non seulement d’assurer notre survie, mais aussi nos envies et besoins ? Or, si le travail couplé à la rémunération n’est pas la panacée, pourquoi pointer du doigt ceux qui n’en ont pas ou n'en veulent pas ?

Dans nos sociétés industrialisées, ne pas avoir d'emploi, lorsqu'on n'est ni riche, ni retraité, est souvent assimilé à une perte d’identité. «Je travaille, donc je suis et si je ne travaille pas, je ne suis plus rien». Les personnes sans emploi ont donc souvent honte de leur situation. Ils/elles se sentent inutiles, culpabilisent, se terrent et perdent progressivement confiance en eux. Ils sont chômeurs et parfois, après quelques mois d’indemnisation et de découragement, disparaissent des statistiques et deviennent des «non-personnes».

Chômeur? un terme qui provient du grec «kauma» qui signifie «se reposer pendant la chaleur». Le rêve, non? Depuis le début du 20ème siècle, c’est toutefois devenu «l’état d’inactivité d’une personne souhaitant travailler». Souhaitant travailler ? hum… je dirais plutôt «ayant besoin d’un revenu». Car si tout le monde disposait d’un revenu qui ne soit pas lié au travail, ne travailleraient que ceux qui le souhaitent vraiment, que ce soit par passion, pour occuper leur temps ou mettre du beurre dans leurs épinards. Il me semble avéré qu'au cours des décennies à venir, il y aura de moins en moins de travail "humain" et donc d'emplois. Ce qui implique que le nombre de personnes sans revenu provenant d'une activité lucrative va fortement augmenter.

Toujours plus de monde pour toujours moins d’emplois est une recette explosive. Sauf si l’on "découple" travail et revenu. Car les richesses sont là. Certes, de moins en moins bien réparties, mais là quand-même. En l’espace de moins de 20 ans, nous avons assisté à un déplacement de richesses phénoménal. Le nombre de milliardaires recensés (2.325) bat des records, tout comme la fortune qu’ils possèdent (7.300 milliards de francs) et un petit pourcent de la population mondiale détient 95 % de l'ensemble des richesses de notre monde. Peut-être le moment est-il venu de repenser aussi bien le travail que la valeur qu’on y attache.

Le travail rémunéré? Il y en aura de moins en moins et donc, il est grand temps de réfléchir à un changement de paradigme auquel nous n’échapperons pas. Il faut donc voter en faveur du revenu de base inconditionnel. «Il ne peut y avoir de démocratie lorsque les richesses sont concentrées dans les mains de quelques individus». (Louis Brandeis, juge à la Cour Suprême des Etats-Unis, 1856-1941)

Quitter la version mobile