Athènes: j’y étais, j’ai tout vu…

Ras-le-bol de lire tout et n’importe quoi sur la Grèce et donc, cap sur Athènes, où je viens de passer quelques jours, histoire de me faire ma propre idée.

Cela ne fait évidemment pas de moi un expert. Je pense toutefois avoir une vue plus complète – ou du moins plus terre à terre – de ce que vivent les habitants de ce pays que les nombreux journalistes qui savent tout sans avoir quitté leur bureau, les membres de la troïka, qui arrivent en limousine et séjournent dans les hôtels de luxe ou M. Schaüble qui ne connait de la Grèce que des chiffres.

Certes, Athènes n’est pas la Grèce, mais c’est quand-même 40% de la population du pays et sur les îles, où la plupart des habitants sont propriétaires de leur maison et font souvent pousser fruits et légumes, la situation semble être moins dure qu’en ville. Voici donc ce que j’ai vu, entendu et ressenti en allant me balader aussi bien dans les quartiers chics que défavorisés et dans les parcs du centre-ville où s’entassent des centaines de migrants notamment d’Afghanistan, d’Irak, de Turquie et Syrie, mais également de Roumanie, de Bulgarie et de Russie.

Les touristes sont très nombreux au centre d’Athènes, dans le triangle que forment les quartiers de Plaka et Monastiraki avec la place Syntagma. On y trouve des ruelles bardées de magasin de souvenirs (huile d’olive, T-shirts, Ouzo) affichant des prix « européens », tout comme une myriade de tavernes où la nourriture est aussi fade que les quelques refrains connus, débités par des musiciens fatigués.

En fin de journée, dès qu’il fait un peu moins chaud, la jeunesse dorée locale se donne rendez-vous sur les toits des plusieurs immeubles de la place Monastiraki, où se trouvent les bars branchés. Ils sont des centaines à s’envoyer des mojitos et autres caïpirinha à 10 euros le verre. Rejetons de parents aisés, Grecs vivant en Europe ou aux Etats-Unis, ils viennent retrouver leurs amis en été. La crise ? Elle ne les touche pas et en sortant du bar pour retrouver leur Porsche ou BMW, ils ne voient même pas les petits vieux qui cherchent à vendre l’un une nappe brodée, l’autre une icône, aux touristes qui déambulent sur la place.

Eux, ces petits vieux qui vivent à Athènes, ils la sentent passer, cette crise. Ils avaient souvent des emplois modestes, payaient leurs impôts et leur cotisations sociales et se réjouissaient de leur retraite. Mais leurs pensions ont fondu et ils doivent se débrouiller avec 200 euros par mois, voire moins, tout en ayant un loyer à payer et devoir se nourrir. Mendier ? Non. C’est indigne. Alors on joue de l’accordéon, on vend quelques bibelots, des nappes en espérant que la saison d’hiver, peu touristique, ne soit pas trop dure, ni trop froide et que le corps tienne le coup sans médicaments, souvent trop chers.

L’Eglise – ou plutôt les popes – sont omniprésents. Fonctionnaires de l’Etat, bien payés et manifestement bien nourris si l’on croit leur embonpoint, ils connaissent la dévotion de leurs ouailles et tout prétexte, que ce soit conjurer le mauvais sort, une naissance, un mariage, un baptême, une visite de malade, une bénédiction, un décès, est bon pour tendre la main et prendre à ces pauvres les quelques sous qui leur restent. Cela permet à l’Eglise d’être généreuse, de dispenser des soins et des aliments et donc, d’être populaire auprès de ceux qui oublient que c’est finalement avec leur argent que tout cela se paie…

On les voit moins, ces popes, derrière la grande place Omonia où de nombreux Chinois se sont installés. Petits commerces, gros trafics. Ce sont les triades qui alimentent en drogue les Africains qui monopolisent la vente. La plupart des immeubles sont tagués et on y voit dans les rues les ravages de l’héroïne. Quelques hommes s’y piquent déjà tôt le matin, sous le regard indifférent des prostituées roumaines, russes, moldaves ou autres, à 10 ou 20 euros la passe (« syphilis, sida ou hépatite garantie », me dit mon chauffeur de taxi). A quelques pas de cette Chine miniature, les ghettos d’Albanais, de Macédoniens, de Turcs qui souvent, dorment dans des maisons abandonnées, aux vitres cassées et aux murs plein de graffitis. Il est peu recommandé d’y venir seul la nuit….

Mon chauffeur, 32 ans, né en Allemagne de parents grecs est revenu au pays à l’âge de 12 ans. Il a deux enfants, travaille entre 12 et 14 heures par jour, 7 jours sur 7 et ramène entre 600 et 700 euros par mois quand tout va bien. Il m’amène dans un magnifique parc du centre-ville, naguère prisé tant des Grecs que des visiteurs. Il est 08h.30 et il fait déjà 34 degrés. Des centaines de tentes sont plantées le long des allées. Mises à disposition par des organisations caritatives, elles abritent des familles de migrants, demandeurs d’asile, réfugiés. Hommes, femmes, enfants, bébés. Ils n’ont. Ne font rien. Ne peuvent rien faire. Attendent. A un croisement d’allées, deux toilettes portables, un petit dispensaire et une distribution d’eau, d’habits et de nourriture sert de lieu de rencontre. Les Grecs, traditionnellement hospitaliers et généreux, aident. Mais souvent démunis, ils ne peuvent pas offrir grand-chose. Le moral est dans les chaussettes ; on se sent mal compris, incompris, abandonné alors que tant de migrants et réfugiés se poussent au portillon, surchargeant l’Etat et les organisations caritatives.

On a déjà tout dit et redit sur cette Grèce qui a « triché » pour entrer dans l’Europe, avec l’aimable complicité de ces fumiers de banquiers d’affaires et de gestionnaires de fonds qui s’en sont mis plein les poches sur le dos de ce pays. On a plus que largement fait état de cette Eglise, riche à milliards et qui ne paie pas d’impôts, de ces nantis ayant planqués des sommes faramineuses en Suisse et ailleurs, de cette « indiscipline » quant au paiement des impôts. Je sais tout cela.

Mais en voyant ce magnifique pays, ces habitants chaleureux, ouverts, bon vivants, ayant le sens de la fête, je me dis que nous nous comportons, nous aussi, amis Européens, comme une belle bande de salopards. Solidarité ? Bof. Partage ? Re bof. Empathie ? Connais pas. Pendant que les gouvernements européens, Suisse incluse, pratiquent la masturbation intellectuelle pour savoir combien de réfugiés ils pourraient éventuellement sous toutes réserves accepter sans que cela ne vienne trop troubler leur sieste, nos voisins, les habitants de la Grèce, souffrent.

J’aimerais tant que pour une fois, nous cessions de compter les francs et les centimes (ou les milliards de dettes, que d’autres pays ont également et dont on sait qu’ils ne seront jamais remboursés) et que nous agissions en frères humains. Certes, les Grecs ont le sens de la tragédie et tendent parfois à en rajouter. Et alors ? Quand rien ne va, les peuples du nord vont chez le psy et prennent du Prozac. Les Grecs pleurent, mais chantent et dansent. Y’a pas photo ! Alors… à vot’ bon cœur Messieurs-Dames des gouvernements européens : il est temps pour les Grecs de retrouver l’envie d’entreprendre et à nous de les aider pour y arriver.

Michael Wyler

Heureux retraité, Michael Wyler est un ex. Ex avocat, ex directeur de feu le Groupe Swissair en Chine et ex dircom. Au passé comme au présent, journaliste, chroniqueur, père de Jonathan et Julie, dont il est fier, tout autant qu'il l'est de son épouse Cécile, hypnothérapeute, enseignante en hypnose et PNL, auteur et conférencière.