Je, je, je et moi

Ah ! qu’il fait bon se frotter aux Grands de ce monde, le temps d’un petit forum de Davos. La grande messe de Klaus Schwab remplit sa caisse, celle des hôtels de la région et permet à une flopée de journalistes de gonfler leur ego, qui semblent en avoir bien besoin par les temps qui courent.

Et que je te fais un selfie avec M. Attali, et que je montre que Bill Gates et moi sommes cul et chemise et que finalement, eux et moi, c’est kif-kif. Comment ne pas être heureux de savoir que notre Darius national tweete à la mitraillette (39 tweets en 4 heures, selon « Le Matin »), que l’envoyé du « Blick » a été témoin de la bise échangée entre Mme Lagarde et notre M. Jordan de la Banque Nationale Suisse (preuve semble-t-il du soutien de Mme Lagarde à la décision de la BNS qui a mis tant de monde dans la m…).

Et comment ne pas être triste en apprenant, par sa bouche, que la pauvre rédactrice en chef de « Bilan » n’a pas pu se rendre à Davos car son prédécesseur avait quitté son poste pour « Le Temps » – ô le vilain – emportant le badge VIP le seul qui vaille la peine que l’on se déplace. On sent aussi un petit regret dans la voix de celles et ceux qui nous décrivent le ballet des avions privé et hélicoptères qui transportent les Grands, alors qu’ils sont eux, condamnés au train. Néanmoins, flattés, badgés, entendus (à défaut d’être écoutés), les quelques 500 journalistes présents savent que le ticket d’entrée pour l’année prochaine a un prix : mettre une sourdine à toute critique de ce cirque.

Pyromanes pompiers, nombre de politiciens, banquiers et autres participants à ce forum, font partie de ceux qui, depuis des années, mettent le monde à feu et à sang et viennent ensuite papoter dans les salons feutrés du centre de congrès sur les solutions à apporter pour sortir des guerres et des crises. Complices, les journalistes ? Même pas…Trop d’entre eux ont simplement oublié en quoi consistait leur métier. Où êtes-vous, les Gil Baillod ou Roger de Diesbach quand on a tant besoin de vous ?

Si les journalistes (ou plutôt ceux qui les envoient) ne dépensent que quelques milliers de franc pour assister à la messe, les 120 « partenaires stratégiques » du Forum paient chacun 500.000 francs pour avoir le droit d’envoyer 5 délégués, qui paieront encore 20.000 francs chacun (plus évidemment les frais de voyage, d’hôtel, etc.). La hausse du franc suisse va donc faire des heureux… ce d’autant plus que les partenaires stratégiques vont devoir cracher 600.000 francs chacun dès l’année prochaine.

Alors, ce Forum, une simple histoire de gros sous ? Non, ce serait un jugement trop réducteur. Notamment car il convient de reconnaître à Klaus Schwab un talent remarquable : alors que M. de la Fontaine disait que « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute », M. Schwab fait payer les flatteurs et en vit confortablement. Ah… vanitas, vanitatis

Michael Wyler

Heureux retraité, Michael Wyler est un ex. Ex avocat, ex directeur de feu le Groupe Swissair en Chine et ex dircom. Au passé comme au présent, journaliste, chroniqueur, père de Jonathan et Julie, dont il est fier, tout autant qu'il l'est de son épouse Cécile, hypnothérapeute, enseignante en hypnose et PNL, auteur et conférencière.