International: un vilain mot pour le ministre de la défense

Beaucoup a déjà été dit et écrit au sujet de la position de la "rupture de collégialité" d'Ueli Maurer, de ses excuses et du reste. Les médias s'essaient maintenant à deviner ce qu'il y a avait de volontaire ou de fortuit dans cette interview de 3 pages dans la Weltwoche. Peu importe car les faits pourraient bien lui donner tort à l'heure où l'OSCE qu'il décrie vient de décider de l'envoi de 100 observateurs en Ukraine, avec l'accord de tous et sur proposition de la Suisse. Mais l'article de la Weltwoche mérite bien d'autres commentaires qui n'ont rien à voir avec la rupture de collégialité ou la forme de neutralité que doit adopter la Suisse. Pour la première fois, un Conseiller fédéral s'en prend au fait que la haute administration et nombre de cadres de l'armée puissent avoir une culture qui s'étende au-delà du pays!

Ainsi peut-on lire dans cette interview qui fera date que le ministre de la défense constate avec regret que dans l'organisation de l'armée il existe "nach wie vor eine Generation von Kadern, die vorwiegend international ausbebildet sind". La lecture du paragaphe indique clairement qu'il s'agit là d'un défaut et non d'une qualité. La phrase serait anodine, prise isolément. Mais dans la même interview, le Conseiller fédéral Maurer regrette qu'il en aille de même dans l'administration en général: "die Verwaltung dagegen ist international und immer mehr unter ihresgleichen in den internationalen Organisationen". C'est pour lui un gros défaut car on finit par y attraper l'esprit du lieu, souligne-t-il. 

J'ai beaucoup de peine à comprendre qu'un Conseiller fédéral puisse regretter la connaissance du monde des cadres de l'administration fédérale, particulièrement lorsqu'il s'agit de la défense ou de la diplomatie! Certes, la défense des intérêts de la Suisse donne à chacun le devoir de savoir prendre la distance nécessaire. Mais si, pour un pays qui vit et se nourrit de ses relations avec l'étranger, la haute administration devait avant tout être formée de personnes dont l'univers et la compréhension du monde se réduit à la Suisse, il y a de quoi se faire du souci.

Pour ce qui me concerne, peu importe de savoir si Ueli Maurer voulait ou non donner des gages à son parti avec ses propos dans la Weltwoche. Le problème, pour moi, n'est pas qu'il les ait tenus, corrigés ou non. Le problème est qu'il pense ce qui a été écrit et qu'il représente à sa manière un parti qui se prévaut d'être le seul à défendre les intérêts de la Suisse. On aurait pu penser qu'un Conseiller fédéral responsable de la défense, à la veille d'une votation importante pour l'indépendance de la Suisse en matère de défense, ait eu autre chose à dire. Ou bien s'accomode-t-il de plus en plus à l'idée de confier durablement la défense de notre espace aérien à la France et à l'Autriche? 

Martine Brunschwig Graf

Martine Brunschwig Graf est une femme politique suisse membre du Parti libéral-radical (PLR). En octobre 2003, elle est élue au Conseil national et intègre la commission de la science, de l'éducation et de la culture. En 2012, elle préside la Commission fédérale contre le racisme.