Des contingents pour sauvegarder une politique à courte vue!

Le beurre, l'argent du beurre et la crémière en prime! Voilà un adage qui colle bien à la Suisse depuis ce mercredi, date à laquelle le gouvernement a décidé d'actionner la clause de sauvegarde, autrement dit, le contingentement de la main-d'oeuvre étrangère de provenance européenne…. Car enfin, nous ne cessons de nous gargariser du fait que nous gagnons deux francs sur trois à l'étranger, que notre économie, nos emplois, nos finances publiques, se nourrissent des échanges internationaux et de notre capacité à exporter nos produits et nos services sur l'ensemble de la planète. Mais quand il s'agit de la libre circulation des personnes, il en va autrement. Nous avons besoin de main-d'oeuvre étrangère, certes. Mais nous voulons la doser, à notre bon plaisir uniquement.

Si le même raisonnement était appliqué par nos partenaires commerciaux à l'égard des produits que nous exportons, il y a belle lurette que nos ventes à l'étranger se seraient effondrées. La Suisse manque de matières premières, il est normal qu'elle les importe. La Suisse manque de main-d'oeuvre, on en importe aussi, mais en considérant celles et ceux qui viennent de l'étranger comme un mal obligé dont on voudrait bien se passer…

Cette atmosphère grandissante de méfiance et de rejet à l'égard de celles et ceux qui ne disposent pas du passeport suisse m'inquiète au plus haut point. Elle est savamment entretenue pour des raisons politiques, elle est trop peu combattue par nos autorités. L'introduction du contingentement, même pour une période limitée et même si la clause était prévue par le traité pour la libre circulation, est un signal malsain et qui ne calmera personne. C'est tout de même le comble de l'hypocrisie que de laisser croire que les étrangers venus en Suisse grâce à la libre circulation sont responsables de tous nos maux, et d'ailleurs de quels maux parle-t-on? Nous avons le taux de chômage le plus bas des pays de l'OCDE, Norvège et Corée du Nord mis à part!  Le chômage des jeunes reste, heureusement, dans la moyenne et n'indique pas, comme dans d'autres pays, une génération pour laquelle un jeune sur quatre ne trouve pas de travail! Et lorsque les difficultés économiques frappent certaines branches en Suisse, ce n'est pas au détriment des Suisses dont le taux de chômage est de 2.2% mais plutôt des étrangers (6.6%).

La décision de réintroduire les contingents est une réaction de peur. Peur devant les votations à venir et dont on n'a pas anticipé l'accompagnement, peur face aux réactions de la population pour qui le premier étranger à rejeter est l'Allemand qui vient du pays voisin… Ce n'est donc pas une question de culture ou de mode de vie très différent qui propvoque le rejet. C'est simplement l'autre, celui qui traverse la frontière.

Je ne sais pas encore ce que donnera le contingentement nouvellement introduit. Mais je me souviens fort bien de ce que les précédents contingentements ont provoqué: travail au noir, personnes sans papier occupées dans les secteurs en pénurie de personnel, bureauratie renforcée pour gérer les autorisationsé, pénurie de personnel "organisée".

Je ne parle même pas ici de ce qui attend les Suisses de l'étranger. Bien sûr, sur le papier, rien ne changera. Mais dans les faits, la politique à courte vue de la Suisse et son attitude de repli dans une Europe en crise ne resteront pas sans conséquence sur celles et ceux qui, à l'étranger, assument le rôle d'ambassadeur de l'image et du savoir-faire de la Suisse.

 

 

 

Martine Brunschwig Graf

Martine Brunschwig Graf est une femme politique suisse membre du Parti libéral-radical (PLR). En octobre 2003, elle est élue au Conseil national et intègre la commission de la science, de l'éducation et de la culture. En 2012, elle préside la Commission fédérale contre le racisme.