Une bouchée de bonheur

Photo : Suju

Comment l’alimentation influence-t-elle notre état émotionnel ? Dr. Sylviane Picasso, nutritionniste – nutrithérapeute, explique le lien entre nutriments et sentiments.

Sous mes coups de couteau, le pot de Nutella subit malgré lui le tragique destin qui lui est réservé : combler le sentiment d’abandon provoqué par la violente dispute de ce matin. De bouchée en bouchée, de tartine en tartine, un sentiment de réconfort s’installe gentiment en moi. Le temps se dilue, l’émotion s’apaise… cliché, mais vrai. D’où est-ce que cet aliment tire son pouvoir ?

Un plaisir inhérent à la nutrition

« La consommation de chocolat augmente la synthèse d’endorphines, hormones provoquant un sentiment de bien-être » explique la nutrithérapeute. Ses bénéfices ne se réduisent pas aux moments de déprimes solitaires : à Bournemouth, dans le sud-ouest de l’Angleterre, plusieurs boîtes de nuit distribuent des barres de chocolat à la sortie afin de réduire les violences nocturnes.

L’alimentation répond à des nécessités physiologiques, mais elle est aussi un puissant régulateur émotionnel. « Manger, c’est nourrir à la fois son corps et son esprit » définit Sylviane Picasso. Réciproquement, les émotions suscitent certains comportements alimentaires. Un état de tristesse, de colère ou d’anxiété pousse naturellement vers des aliments réconfortants, appelés « aliments doudous » ou « madeleines de Proust » : riches en sucres, ces derniers ramènent à un souvenir ou un sentiment particulier.

Notre attrait initial pour ces nutriments caloriques est issu du besoin de nos ancêtres de faire des réserves, ce qui s’avère utile dans un environnement où l’horaire du prochain repas est incertain. « Consommer ces aliments pose problème uniquement lorsque cela génère des sentiments de honte, souvent causés par les restrictions des régimes » ajoute Sylviane Picasso. La culpabilité que génèrent les injonctions alimentaires et le contrôle mental qui en découle déséquilibrent le comportement alimentaire en interférant avec l’aspect physiologique et émotionnel de l’alimentation.

Bien-être hormonal

L’impact de l’alimentation sur l’état émotionnel s’observe dès le plus jeune âge, lorsqu’une tétée vient apaiser les pleurs du poupon : « la nourriture répond aussi à une recherche de bien-être et de lien social » souligne la nutritionniste. Les aliments provoquent des émotions agréables en stimulant la sécrétion de certaines hormones, comme la dopamine, responsable du plaisir, de l’action et de la vigilance. Étant donné qu’elle est principalement sécrétée le matin, il peut être utile d’encourager sa production en mangeant un petit-déjeuner protéiné, accompagné d’oléagineux (amandes et noix), tout en évitant les aliments sucrés.

Plus tard dans la journée, entre 16 et 17 heures, le corps sécrète de la sérotonine, encourageant la bonne humeur et permettant le contrôle des pulsions. Il est recommandé d’éviter les protéines animales le soir pour s’alimenter de légumineuses et de céréales complètes. Cela favorise la sécrétion de cette hormone, qui, quelques heures plus tard, pourra donner naissance à la mélatonine, responsable du sommeil. Une nuit reposante contribue également à améliorer la production de la sérotonine, engendrant un cercle vertueux.

Les oléagineux et les protéines du petit-déjeuner, les légumineuses et les céréales complètes consommées le soir influencent également la sécrétion de l’hormone nommée gaba, qui ralentit le cœur, calme le système nerveux et provoque un sentiment d’apaisement ; un avantage de plus à s’orienter vers ces aliments. Pour favoriser la production de ces hormones du bonheur, la nutritionniste recommande également la consommation de chocolat, d’œufs, de viande et de poisson gras nourris de façon traditionnelle.

Une alimentation dans l’instant présent

Les émotions sont également influencées par l’état de l’écosystème intestinal, aujourd’hui reconnu comme le deuxième cerveau : regroupant toutes les bactéries de l’intestin, il peut sécréter chacune des hormones responsables du bien-être. Bien nourrir son intestin consiste à adopter une alimentation riche en végétaux et à éviter les produits transformés et les pesticides dans son assiette ; une raison de plus de s’orienter vers des produits issus de l’agriculture biologique.

L’alimentation a donc une influence sur les émotions, mais d’autres facteurs entrent en jeux : une exposition au soleil provoque aussi la sécrétion de la dopamine, le rire et le sport favorisent l’endorphine, se baigner en fin de journée ou se faire masser augmente le taux de sérotonine, mais encore… « Faites un câlin à une personne qui a un trouble alimentaire vingt secondes avant son repas, elle produira alors de l’ocytocine, hormone de l’attachement, et elle mangera moins » mentionne Sylviane Picasso.

Que faut-il retenir au sujet de ces hormones du bonheur ? « Quel que soit le régulateur émotionnel, qu’il s’agisse d’alimentation, de méditation ou de techniques respiratoires, le plus important est d’être épicurien. Il ne s’agit pas, comme on le croit, de manger énormément, mais de savoir tirer un maximum de plaisir de chaque bouchée » explique Sylviane Picasso. Dans Manger en pleine conscience, Dr. Jan Chozen Bay propose également d’observer l’effet de l’alimentation sur nos sens. Observer, sentir, toucher, prêter attention au bruit provoqué par le croquement, et bien sûr examiner chacune des saveurs. Un exercice requérant beaucoup de concentration, qui permet d’apprécier l’alimentation dans toutes ses dimensions.

Marion Marchetti

Marion Marchetti est hypnothérapeute. Son accompagnement et ses réflexions se focalisent sur l'hypersensibilité et l'environnement.

5 réponses à “Une bouchée de bonheur

    1. Merci beaucoup pour ce retour ! Ce dialogue est un magnifique article, très enrichissant et très agréable à lire 🙂

  1. Merci pour votre article qui devrait être lu par un grand nombre de personnes. En tant que naturopathe je suis en accord avec votre article. Personnellement je prône le fait de se faire plaisir en mangeant de tout mais en quantité raisonnable, de qualité biologique ou de son petit producteur local, et surtout d’éviter l’extrémisme dans la nourriture et dans notre vie en général. Les extrêmes n’apportent que confusion, violences, mal etre, ect…
    Bonne journée

    1. Merci beaucoup pour votre commentaire. C’est très bien dit ! Le plaisir dans la modération 🙂
      Très belle journée à vous également !

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