Quand l’éthique vient aux informaticiens

Photo d'un livre de code éthique
Code éthique
Source: Pamela Carls, Copyright: Creative Commons, flickr.com

Le 17 juillet, l’Association for Computing Machinery annonçait la publication de son nouveau code éthique. Remplaçant un code qui datait de 1992, la nouvelle version représente une évolution considérable qui a pour ambition de fournir des réponses aux questions induites par l’importance de plus en plus grande que prennent les technologies de l’information dans nos vies. Les membres de cette association scientifique ont maintenant pour défi d’en faire un standard de référence pour l’ensemble des informaticiens.

Annonce du nouveau code éthique

Fondée en 1947, l’Association for Computing Machinery (ACM) est l’une des plus grandes sociétés scientifiques traitant d’informatique et des technologies de l’information. Composée de plus de 100’000 membres, elle rayonne dans 190 pays. Elle réunit des enseignants, des chercheurs et des professionnels désireux de surmonter les défis posés par ce domaine. Traditionnellement, elle s’est centrée sur des objectifs d’excellence académique, scientifique et technique et ses publications sont réputées. Elle est l’organisatrice du prix Turing, décerné chaque année et qui est considéré comme l’équivalent du Nobel pour ce domaine, au même titre que la médaille Fields pour les mathématiques. Confrontée aux problématiques soulevées par les techniques de l’information, mais aussi par celles liées aux personnes et aux organisations qui les font, elle s’est engagée depuis de nombreuses années pour faire face à ces questions. Elle est présente en Inde et en Chine. Elle est très active sur les questions d’égalité et travaille activement à renforcer la présence des femmes dans le monde des technologies de l’information.

Alors que le code de 1992 était essentiellement centré autour de l’excellence académique et technique, le code éthique de 2018 demande (entre autres) aux membres de l’ACM de :

  • Contribuer au bien-être de la société et des êtres humains, en tant compte du fait que toutes les personnes sont des parties prenantes des technologies de l’information (article 1.1).
  • Éviter tout mal ou toute conséquence négative (article 1.2)
  • Favoriser la conscience et la compréhension du public par rapport aux technologies de l’informatique, aux technologies associées et à toutes leurs conséquences (article 2.7)
  • Concevoir et construire des systèmes qui sont robustes, sécurisés et conviviaux (article 2.9)
  • Veiller à ce que le bien public soit la préoccupation centrale de tout travail informatique (article 3.1)
  • Articuler, encourager l’acceptation et évaluer le respect des responsabilités sociales par les membres de l’organisation ou du groupe (article 3.2)
  • Gérer le personnel et les ressources pour améliorer la qualité de la vie professionnelle (article 3.3)
  • Reconnaître et prendre un soin tout particulier des systèmes qui s’intègrent dans l’infrastructure de la société (article 3.7)

D’autres professions, dont la médecine et la psychologie ont des formations à l’éthique et sont organisées de manière à faire en sorte que le respect de leur code ne soit pas pris à la légère. La société des ingénieurs et architectes a également un code d’honneur et un organisme dédié au traitement des plaintes et des situations qui pourraient s’avérer problématiques. Nous sommes encore très loin d’être au même point dans le monde de l’informatique. Mais la prise en compte des questions éthiques de plus en plus graves liées au développement et à l’utilisation des technologies de l’information par l’une des plus grandes sociétés scientifiques du domaine est un pas en avant qui peut aussi soutenir les personnes de terrain à agir dans le même sens au sein de leur entreprise, leur institution de formation, leur administration ou sur le plan politique.

Qu’il s’agisse de systèmes de vote électronique conçus et vendus avec des « portes arrière » cachées (i.e. des dispositifs facilitant la maintenance à distance, facilement piratables et sans traçabilité de leur utilisation), d’automates médicaux vendus avec des systèmes d’exploitation et des logiciels obsolètes depuis de nombreuses années (et avec des failles de sécurité largement connues), de jouets interdits à la vente car ils espionnent les enfants qui les utilisent, de réseaux sociaux qui s’avèrent avoir été conçus comme des drogues (et fonctionner comme tels), ou de réseaux de distribution électriques dont la vulnérabilité au piratage donne des sueurs froides aux décideurs ([1], [2], [3]), toutes ces situations hautement problématiques démontrent combien ce nouveau code éthique est indispensable.

Faire en sorte que l’ensemble des professionnel-le-s de l’informatique le connaissent et le prennent au sérieux est un changement majeur par rapport à l’attitude actuelle. Y arriver sera le fruit d’une très grande lutte. Les institutions de formation pourraient jouer un rôle important de sensibilisation de leurs élèves aux questions éthiques en les intégrant pleinement dans leurs cours. La pression du public en droit d’exiger un comportement responsable de la part de tout professionnel sera aussi un aiguillon indispensable.

Marie-Noëlle Baechler

Marie-Noëlle Baechler est ingénieure en informatique. Active depuis de nombreuses années dans le secteur public, elle a vu comment les technologies de l'information et de la communication ont progressivement influencé les collectivités publiques sans que ces dernières en aient toujours conscience. Elle a aussi le souci que les technologies soient au service des personnes et du vivant.