Ubuntu et droits politiques

Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy

Recueillir des signatures dans la rue pour une initiative ou un référendum est un exercice que je recommande à tout citoyen. Il y a une beauté (j’ai réfléchi au terme) à constater en acte, sur son temps libre, les pieds gelés, que notre démocratie peut tenir à ce petit geste élémentaire qui consiste à aborder un passant pour lui demander s’il est d’accord avec telle ou telle idée et lui proposer de la soutenir. 

Que cet embryon d’association puisse constituer un levier de changement dans un pays tout entier est un joyau politique que nous devons chérir, cultiver, protéger. 

Et pratiquer.

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Il y a le passant fermé qui ne vous voit pas, qui se protège pour ne pas entrer en matière (Le Suisse est un être plutôt discret, pas facilement enclin à la discussion de rue, état de fait qui rend d’autant plus fascinant notre système de démocratie directe) et qui ne tourne même pas la tête en entendant le son de votre voix. 

Il y a la passante qui vous dit qu’elle est pressée, qu’elle n’a pas le temps. 

Il y a la passante accorte qui se dit très intéressée, mais qui n’a pas le droit de vote. 

Il y a la retraitée qui se dit contre votre initiative, qui vous raconte sa vie pour vous expliquer les raisons de son désaccord, qui signe enfin, reconnaissant que votre projet serait une solution pour empêcher que ce qu’elle a vécu d’abominable puisse se reproduire pour les nouvelles générations. 

Il y a celui qui vous dit que “ça ne l’intéresse pas” (comme si l’essentiel était là). 

Il y a celle qui s’arrête pour en débattre, hésitante (pendant que vous calculez le nombre de signatures potentielles perdues  en enregistrant malgré vous le nombre de piétons qui se sont faufilés à vos côtés) et qui finit par vous dire qu’elle va y réfléchir. 

Il y a celui qui ne sait pas ce qu’est un référendum, qui trouve le dispositif magnifique lorsque vous le lui expliquez et qui s’indigne illico alors qu’en général les lois puissent être votées sans que les citoyens soient consultés. 

Il y a ceux qui pensent devoir consulter leur employeur avant de signer, comme si leur emploi en dépendait. 

Il y a celui à qui on doit apprendre que sa signature n’est pas valable. 

Il y a celui qui vous propose d’autres sujets d’initiatives (il en a à l’esprit une liste longue comme le bras). 

Il y a celle qui cherche du regard l’approbation de son mari avant de signer. 

Il y a celui qui, par principe, ne signe jamais rien dans la rue. 

Il y a celui qui en a entendu parler et qui est très content d’avoir l’occasion de signer. 

Il y a celui qui essaie de vous faire croire qu’il ira regarder sur le site internet pour s’informer plus en profondeur. 

Il y a celle qui a un témoignage à vous faire, lequel vous donne à comprendre mieux encore l’importance de ce que vous êtes en train de faire signer. 

Il y a tous ceux qui ne savent pas qu’en signant une initiative, ils ne sont pas en train de décider la mise en application de ladite. 

Il y a celui qui vous demande de quelle obédience vous êtes et qui signe (ou pas) pour cette raison seule. 

Il y a ceux qui vous disent qu’ils ne sont pas personnellement concernés par le sujet, mais qui signent quand même. Ou pas. 

Il y a celui qui vous dit qu’il a déjà signé. 

Il y a celle qui ne se souvient pas si elle a déjà signé. 

 Il y a celui qui vous demande d’entrée si vous allez lui demander de l’argent et qui signe ensuite les yeux fermés quand il sait que ce n’est pas le cas. 

Il y a celui qui vous dit qu’il n’est pas du tout d’accord avec le projet mais qui signe immédiatement par solidarité parce qu’il a, par le passé, lui aussi recueilli des signatures dans la rue et qu’il sait à quel point ça peut être ingrat. 

Il y ceux qui vous remercient de vous geler dans le froid pour un sujet aussi important. 

Il y a celle qui se retourne encore une fois après avoir signé et vous souhaite “bonne chance” avec un grand sourire. 

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Au fil des heures et des jours, je me dis que notre système de démocratie directe exemplifie les thèses UBUNTU des Bantous : je suis ce que je suis parce que nous sommes. Ou « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » Si les signatures se succèdent rapidement, je sens mon pays changer. Si les passants se renfrognent et ignorent ma présence, je sens que je dois abandonner le rêve que j’avais.  

La première forme d’initiative populaire en Suisse remonte à 1793 et c‘est le canton de Vaud qui connaît le premier, en 1845, le principe de l’initiative populaire qui donne alors à 8 000 citoyens la possibilité de faire soumettre au peuple “toute proposition”. 

C’était il y a longtemps. Mais pas tant que ça. Les modifications apportées au sytème des intitiatives et des référendums ont été nombreuses depuis. Ces structures changeront encore. Elles ne datent pas de Moïse et ne sont pas garanties jusqu’à la fin des temps.

Ayons de l’intérêt pour elles.

Pratiquons-les.

Protégeons-les.

Tu es parce que nous sommes.