Questions d’orthogaffe

Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy

 

Nous sommes en 1987 ou 1988, quelque part au terme des années 80 et un jour de ces années-là, j’ai l’impression de mettre les doigts dans une prise. 

J’ai décidé, après mes études universitaires, de me consacrer à l’enseignement et j’effectue ce qu’on appelle encore les « études pédagogiques ». Il y a à boire et à manger, des trucs débiles comme une sociologue qui nous enseigne Freud grâce au Profil d’une œuvre (les vieux reconnaîtront cette mascogne d’avant Internet) mais aussi des gens de grande qualité comme ce formateur de français qui a décidé de faire corriger une dictée test à la dizaine de futurs profs à déniaiser dont je suis. L’exercice est solitaire et nous sommes, il faut le dire, assez soulagés, étudiants évalués pour devenir de futurs évaluateurs, de constater que nous avons tous relevé entre 22 et 25 « fautes », terme théologique consacré aux erreurs d’orthographe, dans ce qui s’assimile au torchon d’un cancre. 

Du moins l’avions-nous jugé ainsi.

Las ! Si nous avions appliqué les tolérances orthographiques de l’Académie française de 1901 (pas de coquille, non, non, pas de coquille dans cette date) nous apprend le fin formateur, nous aurions dû considérer que la dictée en question, que nous nous apprêtions à jeter aux orties et le candidat virtuel avec, ne présentait AUCUNE faute. Donc pas le bonnet d’âne, mais le 6 pointé si l’un de nous avait déjà vaguement entendu parler de la liste de tolérances publiées bien avant la naissance des grands-parents de chacun d’entre nous. 

Un électrochoc, comme je vous le dis. 

Pourquoi n’en avions-nous jamais entendu parler avant ? Mystère et c’est bien la question. On se plaît à dépeindre l’Académie française comme un club qui s’arcboute contre le changement. Mon œil. L’inverse était vrai en l’occurrence, comme pour les listes de tolérance qui ont suivi et que personne ne connaît. 

Est-ce que ces messieurs et ces quelques dames s’étaient mêlés de « rectifier » le français ? Non ! Évidemment, ils et elles sont trop cultivés pour ça. Ils et elles savent ce qu’est la langue, en connaissent le processus de transformation. Ils et elles savent parfaitement que l’usage décide et qu’on ne se substitue pas à l’usage : L’Académie française propose des formes alternatives acceptables, et laisse « les choses se faire ». Pas besoin de se raidir, de jouer le pion ou la maîtresse d’école revêche. L’un ou l’autre se dit ou se disent. On ne s’énerve pas parce qu’il n’y a pas mort d’homme. Mais on ne joue pas non plus les messies qui vont aider les élèves-vulnérables-ou-en-grande-fragilité à s’approprier la langue plus facilement.  

Le deuxième acte se passe dans les années nonante, alors que j’ai été admise à évaluer (!). J’enseigne donc, et j’ai pris le parti d’étudier en détail avec mes élèves de dernière année du cycle d’orientation les modifications orthographiques jugées admissibles par le Conseil de la langue française. Il ne s’agit toujours pas de « rectification », je précise. Cette équipe-là n’a pas non plus la prétention du club des patrons de la CIIP mouture 2021. Il s’agit simplement d’admettre par exemple que « crâne » puisse s’écrire sans circonflexe, entre autres. Et là, surprise encore : ce ne sont pas de vieux-et-vieilles messieurs-dames qui s’indignent : non, ce sont nos gamins de 14 ans qui décrètent qu’ils ne laisseront jamais passer des cranes. J’en souris un peu et je commence à comprendre ce qu’est l’usage, le fruit d’une élection collective au quotidien entre des « possibles orthographiques » laissant au temps le soin de décanter ce qui, au fil des années, s’imposera entre les doublons. 

Le ménage dont la CIIP aimerait se faire la nettoyeuse est maladroit et un peu arrogant. Les réseaux ont dénoncé, à raison, le terme de « rectification » qui n’a pu être conçu que par des personnes pas franchement bien informées du sens de ce terme : il eût fallu, pour ce faire, admettre que l’orthographe antérieure/traditionnelle fût “fausse”. Qui l’eût pu ? Par ailleurs, faire de la liste des propositions de 1990 la « règle » et des formes « traditionnelles » une tolérance est une inversion franchement inutile, par laquelle nos sages espéraient peut-être briller. Le problème est que la langue ne leur appartient pas plus qu’il ne leur appartient de décider ce qui est la règle et ce qui reste « toléré » : si l’école est bien la pépinière de la société en devenir, elle n’a pas de fonction régulatrice de la société : cette dernière confie à l’école le soin d’enseigner ce qu’elle a à enseigner. Une rectification (d’ailleurs brusquement appelée “réformette” quand la météo politique commence à chahuter un peu) outrepasse le champ de compétences des dicastères qui ont leur mot à dire sur les méthodes pédagogiques, pas sur le fond.

Sur le plan pédagogique, d’ailleurs, cette orthographe rectifiée, nouvelle, simplifiée, moderne, facilite-t-elle les apprentissages ? Est-elle “plus cohérente parce que comprenant moins d’exceptions” ? Laissera-t-elle, comme la CIIP nous le promet, plus de place pour le raisonnement et moins pour la mémorisation ? Je demande à voir si les élèves ont à se casser la tête sur le fait qu’on époussette ou qu’on époussète, que les cheveux d’Anne frisottent ou frisotent. Ce qui est “ambigu” a poussé son tréma sur le u, à savoir la lettre qui se prononce dans “ambigüe” alors que je portais encore des socquettes. Que les coroles et les giroles perdent une guibole (?) ne dispensera pas l’apprentissage de “colle”, de molle” et de “folle”, laquelle, dieu merci, conserve son double l. Les tirets désormais placés entre tous les nombres nous privent de ce qui était un chouette exercice entre les centaines, les dizaines et les unités qui géraient différemment ce petit trait horizontal. Il reste des exceptions toutefois comme le circonflexe qui demeurent là où il pourrait y avoir ambiguité : sur/sûr. Mais on est invité à écrire “surement”, pour plus de cohérence, sans doute.

Ce n’est d’ailleurs pas du tout sur ces éléments que sèchent les élèves qu’on dit faibles en français. S’il suffisait de l’époussetage de ces 14 principes pour faciliter la vie des écoliers, ça se saurait.

Personnellement, dans les faits, je peux vivre avec la plupart de ces options, pour autant qu’elles demeurent des options, des possibles. Mes oignons ont un i, mais je m’accommode parfaitement de ceux qui n’en ont pas. Il faudra pour ce faire simplement que les enseignants soient au fait de ces formes possibles, histoire de ne pas religieusement sanctionner (!) des formes qui ont déjà dépassé le purgatoire des fautes.

Mais me navrent au plus haut point des formules comme “On évite le circonflexe sur le i et le u partout où il est inutile”, dont nous gratifient nos autorités dans leur Petit Livre d’Or, comme si ces circonflexes-là étaient superfétatoires, ne servaient à rien, ne disaient rien de ce qu’est la langue. De telles formules transpirent précisément le mépris de la connaissance de ce qu’est un usage qui se transforme et qui appartient aussi à la connaissance de la langue.

 

 

 

 

Marie-Claude Sawerschel

Après une carrière consacrée à l’éducation et à l’enseignement, Marie-Claude Sawerschel veut conjuguer la réflexion sur l’humain et les trésors de la philosophie. Parce que la philosophie est soluble dans les sciences, la politique, les arts, l’entreprise, le sport, dans la vie sous toutes ses formes et qu’elle n’est pas réservée aux seuls spécialistes.

28 réponses à “Questions d’orthogaffe

  1. Vous faites des leçons de français et utilisez cette horreur d’écriture inclusive!!!! Que l’académie française a décrite à l’unanimité comme un péril mortel pour la langue française!!! (Academie formée de véritables scientifiques de la langue). Cette écriture qui fait avancer le féminin au lieu de faire avancer les femmes. Ce changement là est tout sauf bon. Est-ce qu’en Allemagne, la cause des femmes est meilleure parce que leur pluriel est féminin? Vous devriez vraiment arrêter cela.

    1. Vous aurez observé que je n’y ai consenti qu’à un endroit, pour la démonstration. Je suis loin d’être une tenante de cette forme d’écriture, loin s’en faut, pour des raisons de lourdeurs et d’histoire de la langue : les neutres singuliers ayant été absorbés par le genre masculin et les neutres pluriels par le féminin.

      Cela dit, je considère aussi stérile de faire de l’écriture inclusive un combat idéologique que de la pourfendre comme si la peste noire avait fait sa réapparition.

      1. Excusez-moi de m’être emporté, mais je croise tellement de personnes qui l’utilisent que mon sang n’a fait qu’un tour quand j’ai vu ce passage. Je continue à penser que cette écriture ne peut se justifier. Je vous souhaite une bonne journée et je vous demande pardon d’avoir été si brutal.

      2. Je me disais que cette écriture inclusive était très pédagogique : est-ce que cela ne permettrait pas de mieux comprendre les accords du participe passé par exemple ? On pourrait donc ne l’utiliser qu’en classe, comme procédé pédagogique pour les cours de grammaire ! Parce qu’en effet à lire dans un roman cela devient vite lourd.

        1. Je ne suis pas sûre de comprendre… Les accords de participes passés marquent une cohérence liée aux genres grammaticaux. On peut faire comprendre le mécanisme sans avoir besoin de convoquer le langage inclusif qui, pour le coup, complique jusqu’à plus soif l’accord du participe.

          1. Mon idée est qu’on pourrait s’en servir simplement comme exercice en classe. Si on prend une phrase comme : “ils.elles sont intéressés.es par la grammaire”, ou bien “il.elle est pris.e par le temps” , je me demande si cela ne rentrerait pas mieux avec ce procédé. L’élève comprendrait peut-être mieux ou mémoriserait peut-être plus vite que ce n’est pas l’infinitif, parce qu’il.elle aurait pris l’habitude 10 fois par jour de se poser la question et d’accorder.
            Quand on en parle, les gens disent tous qu’ils se servent du moyen mnémotechnique qui consiste à prendre un verbe du 3 ème groupe pour savoir si on met “er” ou non. Ce qui prouve qu’il n’ont pas réellement compris.

            J’ai trouvé ce débat sur l’écriture inclusive intéressant et plutôt qu’en faire un débat, j’en ai déduit une piste pédagogique à explorer, car quand même, c’est bien vrai qu’en tant que fille, c’est casse-pied d’entendre : “le masculin l’emporte” pendant toute sa scolarité…

          2. Vous mettez le doigt sur quelque chose d’intéressant. A côté du procédé qui consiste à substituer un verbe à accorder par un verbe du 3e groupe pour entendre la différence sonore entre un infinitif et un participe, on recourt en fait déjà souvent à la substitution du masculin par le féminin pour décider de la terminaison du participe et ne pas le confondre avec une terminaison de l’indicatif, par exemple. Je ne suis pas certaine que le fait de recourir à ces “trucs” signale le fait que la réalité grammaticale n’est pas comprise : pour choisir le bon truc, ne faut-il pas déjà avoir compris quelque chose ?

            Je vous rejoins sur le fait qu’il est casse-pied d’entendre que “le masculin l’emporte”. Je garde de la première fois où mon institutrice a lâché cette règle sans sourire, sans prévenir, sans mettre en lumière, un souvenir net et stupéfait. On peut l’expliquer autrement. Parce que sexe biologique et genre grammatical sont deux choses assez différentes.

            Lorsque on me dit que “les Genevois sont râleurs”, j’entends clairement une formule qui inclut les hommes et les femmes (et les autres).
            Si on me dit que les “Genevoises sont râleuses”, j’ai de bonnes raisons d’en faire une affaire personnelle.
            Si on tient à préciser que ce sont les citoyens genevois de sexe (suis-je vielle école ?) masculin qui sont râleurs, je dois alors passer par une tout autre formulation pour effacer la dimension déjà inclusive des “Genevois” en passant par une formule comme : Les Genevois de sexe masculin sont des râleurs”.

            Je laisse ici de côté “la vigie” et “la sentinelle” qui nous égareraient, tout en confirmant la distinction.

    2. La langue n’a vraiment rien de scientifique, si ce n’est l’usage de termes propres à une science. Elle ne s’est pas construite en laboratoire, c’est une forme de communication qui a évolué dans le monde humain progressivement, selon des composantes multiples. Héritage au travers des générations, elle s’est perfectionnée au cours du développement cérébral, qui peut également avoir été favorisé par effet de boucle durant les échanges visant à la construction des représentations.

      Le bon français n’est pas en premier celui des Parisiens du monde cultivé, il est le bon aussi dans les maisons bigarrées des Créoles, et n’oublions pas l’accent que l’écriture ne reflète pas, il appartient à la langue avec ses consonances qui se marient à la couleur de la mer, des palmiers, des plumes des perroquets, et même des carcasses de voitures rouillées. Je pourrais dire la même chose des gens de Paris, Marseille, la Bretagne, partie intégrante du paysage où ils sont nés.

      Quant à l’existence du féminin dans la langue française, je ne vois pas où dans son article la rédactrice en ferait un plat. Vous pouvez donc être rassuré sur votre masculinité, du moins pendant que vous êtes dans le blog, ailleurs dans la vie je ne pourrais rien garantir, d’autant plus qu’en faculté de lettres ou psychologie les femmes sont sensiblement plus nombreuses qu’en apprentissage sur le chantier. Mais la question que vous posez sur la cause des femmes meilleure ou non, en Allemagne où le pluriel existe au féminin, m’amène à poser une hypothèse : la reconnaissance du féminin plus étendu dans une langue qu’une autre, pourrait être révélatrice du regard porté sur le sexe faible. Par analogie, je choisis en illustration la manière dont les Anglais désignent les enfants, soit comme les animaux : « It’s ». Hé oui, la fameuse époque victorienne où ceux-ci étaient dressés comme des chiens, et encore bien après… Une époque où la langue anglaise apprise dans les meilleures règles à Eaton, grâce aux coups de canne, n’était pas celle de Soho où les parents n’avaient qu’un pauvre héritage à transmettre. Mais le vrai pudding ou le mouton à la menthe, culture culinaire, c’est encore là qu’on le trouve, pas à Londres où sont proposées toutes les pizzas du monde, même les Suisses ! À Soho, j’ai mangé d’authentiques spécialités anglaises, et je donne l’adresse : L’Armée du Salut ! Les bancs en bois, les gars qui braillent, les rires, les courants d’air glacés, sont authentiques aussi. Seule petite ombre, l’odeur de transpiration et de chaussettes sales, mais cela ne m’a pas gâché le bon goût de vanille et de menthe : That was délicieux and delicious !

  2. Comme votre propos relève du simple bon sens, il est condamné à ne pas être suivi. Le nivelage par le bas a commencé depuis longtemps, et ira s’accélérant. Et les techniques modernes du traitement de texte, si elles offrent des commodités et des gains de temps prodigieux, n’en ont pas moins dangereuses. Au reste, si vous voulez passer un moment de franche rigolade (jaune), allez sur un système de dictée sonore (tous les ordinateurs en ont), et vous essayez de dicter, en articulant bien, par exemple les imprécations de Camille dans la tragédie de Corneille, Horace. Ou même une simple fable de La Fontaine. Le texte qui sort n’a rien à voir avec le texte original dicté. Pour revenir à votre sujet, tant que l’on ne forcera pas nos gamins à lire autre chose que des BD, et que les dictées ne seront pas appréciées à leur juste valeur, la civilisation française continuera à décliner.

  3. Si seulement on laissait tomber ces analyses grammaticales qui fleurent bon la “scientisation” dans l’apprentissage des langues (groupes colorés, puis cod/coi, puis groupes adverbiales et j’en passe), en tout cas chez les <16 ans, pour libérer plus de temps pour la pratique de la lecture, études de textes et productions écrites (ne parlons pas des autres langues, dont l'enseignement du moins sur GE/VD, semble être tout aussi calamiteux qu'il y a 40 ans). Quand au reste de l orthographe, il faut être en phase avec les dictionnaires.
    Bien à vous.

  4. “transpirent précisément le mépris de la connaissance…”

    et de l’excellence.

    En Corée, ils font stopper les avions pour ne pas déranger les apprenants lors du baccalauréat; en Europe, on va stopper le baccalauréat pour ne pas déranger les apprenants et leur permettre de partir en vacances par avion une semaine plus tôt.

    Notre société est devenue celle de l’à-peu-près.

    1. “En Corée, ils font stopper les avions pour ne pas déranger les apprenants lors du baccalauréat…”

      Ils les font stopper en vol?

        1. “Qu’est-ce qu’un enseignant? C’est un enseigné qui se lève au premier rang pour monter sur l’estrade et s’asseoir dans la chaise du professeur. Il n’a rien vécu entre temps.” – Denis de Rougemont, “Les Méfaits de l’Instruction publique” (1929) aggravés d’une “Suite des Méfaits” (1972), Eureka, Lausanne

          “L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les “autorités” et à obéir aux “institutions.” – Ivan Illich,: “L’école enseigne à l’enfant qu’il doit être inévitablement classé par un bureaucrate”, France-Culture, 2 mai 2017 (https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/rencontre-avec-ivan-illich-1ere-diffusion-12081972).

  5. Amusant comme une “réformette” fait couler beaucoup d’encre.
    Comme on dit il faut savoir raison garder. Nos écritures ne sont que des codes graphiques qui permettent de lire des mots. Différents codes ou signes graphiques existent dans le monde; Latin, Grec, Arabe, Hangul, Chinois, Indiens, etc..
    Si un circonflexe disparait sur disparaitre l’orthographe sera modifiée mais la langue française ne sera pas appauvrie. Pour preuve en espagnole le mot “l’orthographe” s’écrit “la ortografía” ce qui rend l’écrit agréable et aisé contrairement à l’orthographe française.

    1. Cher Monsieur,
      Votre pétition est le reflet d’un esprit ne supportant pas le changement. En tant qu’ancien maitre (pardon devrais je écrire maistre ou maître) vous devriez savoir que le monde évolue et que “l’ortograf” et l’écriture aussi. En outre comme beaucoup de gens vous confondez amour d’une langue et orthographe qui n’est qu’un code permettant à des signes graphiques de former des mots et des phrases.

      1. Absolument, l’orthographe n’est qu’un code. Mais pour qu’un code fonctionne, il faut que tout le monde y adhère.

        Pourquoi cette réforme n’a pas été soumise ni au peuple, ni au parlement ?
        La langue française et son code graphique appartient tout autant à la population qu’à un cercle restreint de fonctionnaires.

        La pétition est donc parfaitement justifiée.

      2. “Les réformes n’ont pour but que de maintenir le statu quo.” – Michel Butor

        “Les réformes sont faites pour que rien ne change.” – Henri Roorda

        “Les réformes, avec des affectations de libéralisme, tendent toujours à un regain du dogme, à un renforcement de l’arbitraire. Les réformes sont toujours un retour à un système, un raccroc de doctrine.” – Denis de Rougemont, “Les Méfaits de l’instruction publique”

        “Je répugne toutefois à lier partie avec ces empressés d’occasion, ces faiseurs de zèle sans danger. Ceux qui se démènent le plus sont justement ceux qui sont intéressés à ce que cela change le moins. – Edmond Gilliard, “L’école contre la vie”

      3. C’est justement parce que la langue évolue à son rythme et donc la graphie aussi qu’il faut la laisser vivre. Ce que je conteste est l’intervention sous forme de décret de la CIIP, qui n’a pas l’autorité de le faire.

        1. Sur le fond vous êtes d’accord, mais pas sur la forme?

          Vous devez être le prof d’un de mes profs. J’avais des points bonus car j’avais une belle écriture…. comme si cela m’aidait à faire moins de fautes…

      4. En fait l’orthographe n’est pas qu’un code. S’il y a un “î” dans maître, c’est parce que cet accent circonflexe est un accent de longueur. Le son “è” doit être long. On s’en rend compte avec la graphie maistre, plus ancienne. Ce “s” oblige à laisser traîner un peu la voix. Et le circonflexe est là pour nous le rappeler et par là-même rappeler l’étymologie du mot.
        Lorsqu’on explique cela à un enfant de 8 ans, c’est amusant, intéressant. La “complexité” du français est un faux problème. C’est complex si on ne comprend rien. Si on parle un peu de l’origine des mots aux enfants (en fonction de leur âge bien sûr), ils sont intéressés, et ils mémorisent mieux.
        Et enlever le “^” de “surement” ne simplifie rien puisqu’il n’y a plus de logique.

  6. Chère Marie-Claude,

    Figurez-vous que ces fameuses tolérances orthographies éditées au siècle dernier par l’Académie française faisait à Genève l’objet d’un règlement tout ce qu’il y a de plus officiel, “relatif à la simplification de l’enseignement de la syntaxe française” et daté du 10 décembre 1901. Le Conseil d’Etat avait alors été bien prompt à répondre au “vœu émis par la conférence intercantonale des chefs des départements de l’instruction publique de la Suisse romande”, cette fameuse CIIP qui entreprend une nouvelle fois de vouloir dicter ses règles, même si un Livre d’Or est sans doute plus attrayant qu’un texte sévèrement normatif.

    Ce fameux règlement n’a été abrogé qu’en… 2016 (si, si) et les arguments retenus pour prôner l’application de telle ou telle règle, intégralement recopiés de l’arrêté ministériel français, ne manquaient pas de sel : “La plus grande obscurité régnant dans les règles et les exceptions enseignées dans les grammaires, on peut tolérer dans tous les cas que les noms propres, précédés de l’article pluriel, prennent la marque du pluriel. ” Et pensons aussi aux complications inutilement imposées à nos élèves : “Les mêmes noms composés se rencontrent aujourd’hui tantôt avec le trait d’union, tantôt sans trait d’union. Il est inutile de fatiguer les enfants à apprendre des contradictions que rien ne justifie.”

    L’observation finale, en gras, offre une latitude encore plus grande aux évaluateurs : “Il convient, dans les examens, de ne pas compter comme fautes graves celles qui ne prouvent rien contre l’intelligence et le véritable savoir des candidats, mais qui prouvent seulement l’ignorance de quelque finesse ou de quelque subtilité grammaticale.”

    Coupables avons-nous donc été, vous, moi et tous les autres, dans nos parcours professionnels respectifs, d’avoir ignoré de telles prescriptions et d’avoir osé sanctionner des accords défaillants et des graphies fantaisistes en répondant systématiquement par l’affirmative à la question “Dites, Madame, l’orthographe, ça compte ?” alors qu’il ne s’agissait pas stricto sensu d’une dictée. Heureusement, ces prescriptions cantonales ont échappé à l’œil sagace de nos juristes (et sans doute aussi de quelques cabinets d’avocats…), ce qui nous a évité tout un train de directives et procédures d’applications… et de sanctions dont nous aurions pu, vous et moi, faire l’objet !

    Au final, il appartiendra aux historiens de la langue et à ceux de la pédagogie de nous dire, dans un siècle ou dans deux, ce qui, de l’évolution naturelle ou de la simplification contrainte dans des buts parfois louables, aura été le plus efficace… Ce sera encore plus intéressant lorsque la décroissance nous aura obligé à lâcher nos smartphones et à renoncer aux SMS, chats et autres messages phonétiques (sauf bien sûr pour les dinosaures de mon genre qui persistent à y faire des phrases…)

    1. Quel magnifique complément d’information, chère Paprika. je vous en remercie chaleureusement. Comme quoi édicter un règlement tout ce qu’il y a de plus officiel ne suffit pas à faire évoluer l’usage si les locuteurs, qui écrivent chaque jour, ne sont pas informés des modifications en cours. Comme quoi, une fois encore, tout doit commencer sérieusement par la formation des enseignants.

      Peut-être un Petit livre d’or est-il plus attrayant qu’un règlement en théorie. A titre personnel, je trouve celui qui est publié d’une indigence étonnante, sachant qu’il s’adresse aussi (ou d’abord) aux enseignants. Edicter des comportements linguistiques attendus sans évoquer les processus de transformation m’apparaît comme assez appauvrissant.

      “Ce carnet n’est pas un manuel scolaire. Il est juste
      un petit guide, un vadémécum qui invite les acteurs et
      les actrices de l’école à investir leur rôle de premier plan
      dans l’enseignement de l’orthographe et dans l’initiation
      des élèves à une écriture qui respecte les genres.”

      Juste un petit guide pour un rôle de premier plan“. Je ne veux pas chipoter, mais les enseignants sont d’un tout autre calibre.

  7. “J’ai décidé, après mes études universitaires, de me consacrer à l’enseignement et j’effectue ce qu’on appelle encore les « études pédagogiques. Il y a à boire et à manger, des trucs débiles comme une sociologue qui nous enseigne Freud grâce au Profil d’une œuvre…”

    Nous sommes en 1986. Ma licence en poche, après avoir postulé en vain pendant trois ans comme candidat aux Etudes pédagogiques genevoises, je pousse la porte de leurs pendantes dans un Canton voisin – on devinera sans peine lequel, il n’y en a pas trente-six au-delà de la Versoix -, où j’ai été admis comme stagiaire de français et d’histoire. La formation des maîtres y est confiée à un service de l’instruction publique, le SPES, mot latin qui veut dire espoir. Sous cet SPQR (Si Peu Que Rien) simulé se cache l’énigmatique label de “Séminaire Pédagogique de l’Enseignement Secondaire”, qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec “Séminaire Pratique d’Endoctrinement Socialiste”. CQFD.

    Plein d’espoir, j’avance en conquérant sur ce que je crois être la voie royale de ce qu’une brochure bien en vue sur une table à l’entrée appelle “le plus merveilleux métier du monde”. Il me reste encore à en connaître la condition humaine pour que le cycle guerrier soit complet.

    Car l’école, comme je ne vais pas tarder à m’en rendre compte (revenu aux études sur le tard – j’ai toujours été en retard à l’école -, je l’avais quelque peu oublié), c’est la guerre. Et pas seulement la guerre des boutons. Par quoi commence en effet la tradition littéraire occidentale? Par un récit guerrier, “L’Iliade”, ré-édité et adapté à la sauce Carbonara sous le titre d'”Enéide”, avec dérivé en scenario hollywoodien appelé “Guerre des Gaules”. “Excellente lecture pour habituer la jeunes au jeu de massacre”, me souffle d’outre-tombe Edmond Gilliard, fin connaisseur du genre.

    De fait, en histoire, le programme prévoit que j’égaie mes élèves – l’école ne doit-elle pas être ludique (Eo ludum)? – avec les guerres de religion et les grandes découvertes, prélude au saccage en règle de la planète, comme hors-d’oeuvre, les révolutions américaine et française comme plat de résistance et les guerres napoléoniennes pour dessert. Quant à la méthodologie à appliquer en classe, elle se résume à trois lettres, m ‘explique-t-on au SPES, où l’on apprend des choses très utiles pour économiser son énergie: ITC, pour “Information, Travail, Contrôle”. Information: j’explique en cinq minutes le sujet de la leçon et donne mes consignes aux élèves; T (Travail), ils turbinent en silence les trente-cinq minutes suivantes, tandis que je fais semblant de ne pas somnoler sur mon pupitre et C, pour Contrôle: je vérifie que je les ai bien endormis, eux.

    Je sors ébahi par l’efficacité d’une méthode aussi révolutionnaire. Je demande au directeur de la formation comment il l’a trouvée. “J’ai adapté cette méthode à partir de mon expérience militaire”, m’explique cet ancien commandant d’artillerie. “I”: on se renseigne sur la cible,” T”, on balance les pruneaux et “C”, on vérifie les dégâts.

    C’est simple, la pédagogie active, par objectifs, et les activités d’éveil, non?

    (Extrait de mes “Mémoires de guerre”, à paraître).

  8. “Le bon élève est celui qui a de bons points. Or les bons points vont aux parfaits imitateurs. Oyez moi tous ces petits phonographes… ographes… graphes… graphes… Enfoncés, les perroquets. Dans une composition sur “La Neige”, Victoria, 10 ans, écrit: “C’est l’hiver. Déjà la terre a revêtu son blanc manteau”. Elle aura 10 sur 10. Mais on donnera 3 sur 10 à Sylvie pour avoir trouvé: “Quand il neige, c’est comme des petits morceaux de vouate”. Il est évident que Sylvie est supérieure à Victoria dans la mesure où l’invention est supérieure à l’imitation. Mais Victoria montre une âme docile, un rassurant défaut d’esprit critique, tandis que Sylvie appartient manifestement à la race dangereuse de ceux qui voient avec leurs yeux.”

    – Denis de Rougemont, “Les Méfaits de l’Instruction publique (1929), aggravés d’une Suite des Méfaits (1972), p. 32, Eureka, Lausanne

    Qu’en dirait l’Académie française?

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