Ici, à l’école, on nous ment, m’man !

 

Illustration: Nelly Damas pour Foliosophy

 

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Où nos enfants prennent-ils conscience de l’importance de ce qu’ils sont en train d’accomplir et de ce qu’ils ont à effectuer pour y parvenir ?

Au cours de sa 2e année du collège, voici pas mal d’années, ma fille m’annonce qu’elle quittera le cours de mathématiques avancé l’année suivante parce que cet enseignement s’alourdit sensiblement en nombre d’heures hebdomadaires : « tu vois, maman, je fais beaucoup de choses, il me faut du temps libre pour ça, parce qu’il y a autre chose que l’école dans la vie. »

« Tu vois, maman, je fais beaucoup de choses, il me faut du temps libre pour ça, parce qu’il y a autre chose que l’école dans la vie. »

Je ne peux qu’abonder dans sa phrase de conclusion qui est aussi la prémisse de son raisonnement. Mais quand même. Alarme maternelle maximale : quand on a la chance d’avoir de la facilité, on ne se dérobe pas de la sorte. Je n’ai pas le réflexe de lui parler de Kant et de son passage sur les talents dans les Fondements de la métaphysique des Mœurs. Je suis plus kantienne que je ne le crois. Je pense comme lui que, quand on a la chance d’avoir des talents, on a le devoir de les faire fructifier : “(…) car, en tant qu’être raisonnable, (celui qui a en lui un talent) veut nécessairement que toutes les facultés soient développées en lui parce qu’elles lui sont utiles et qu’elles lui sont données pour toutes sortes de fins possibles.” (FMM, 2e section).

Il est aussi question dans cette affaire de rapport mère-fille dans un passage d’adolescence. Une argumentation trop vigoureuse serait donc stérile. Je me résous vite à renoncer à une attaque frontale, après une première tentative pas franchement prometteuse. Mais quel gâchis. Si on s’ouvre toute les portes avec un parcours gymnasial standard, c’est-à-dire avec maths normal, c’est avec maths avancé qu’on se donne la quasi garantie de tenir le coup ensuite dans n’importe quel type d’études.

Je suis bien placée pour le savoir. Je suis doyenne d’un établissement lorsque ma fille me fait ce numéro.

Or, le hasard des activités extra-scolaires et de leur organisation un peu ad libitum des maîtres a fait attribuer ma fille à un cours dans lequel un échange linguistique avec la Hongrie a été programmé. Je me dis que les voyages forment la jeunesse parce que, n’est-ce pas, je ne vois pas bien ce que ces gamins vont parler hormis l’allemand ou l’anglais avec leurs nouveaux copains hongrois. A moins qu’ils ne parlent carrément français, ce qui ne me surprendrait pas du tout. Mais bon.

En une phrase, à son retour, ma fille me fait comprendre que la discussion est close, qu’il n’y a pas d’argument à donner, à échanger, à polir, à nourrir, à enrichir, à répéter inlassablement sur la question de l’orientation et de la manière de se préparer à ses projets futurs, et, plus platement, au niveau de maths qu’elle choisira :

« Tu sais, m’man, en fait on était dans le meilleur lycée de Budapest. Les élèves, c’était des bêtes. Ils sont doués et ils bossent en plus comme des fous parce qu’ils savent que la compétition sera rude. Chez nous, on nous dit pas ça. On nous fait croire qu’on peut choisir n’importe quelle filière et que ça nous ouvre toutes les portes. On nous ment, m’man. On nous dit pas la vérité. En tout cas, moi, je reste en maths avancé, ça c’est sûr ».

On ne dira jamais trop les bienfaits des voyages linguistiques.

 

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L’école publique n’est pas un club privé

Comme la science, l’éducation n’est pas un club privé. Pourtant, ce qu’on observe aujourd’hui à Genève dans l’enseignement public est de l’ordre du cercle très étroit, où une poignée de personnes prennent des décisions pour des milliers et des dizaines de milliers d’autres, où même les acteurs majeurs du système, les directeurs en tête de liste, ne semblent pas avoir droit au chapitre.

Je me demande comment ceux qui encadrent nos enfants peuvent réellement leur indiquer les chemins de l’autonomie, de la responsabilité et de la liberté s’ils sont empêchés, et s’ils s’empêchent eux-mêmes par conséquence naturelle bien compréhensible, de remplir sereinement leur noble mission et d’exercer pleinement leurs talents.

Marie-Claude Sawerschel

Après une carrière consacrée à l’éducation et à l’enseignement, Marie-Claude Sawerschel veut conjuguer la réflexion sur l’humain et les trésors de la philosophie. Parce que la philosophie est soluble dans les sciences, la politique, les arts, l’entreprise, le sport, dans la vie sous toutes ses formes et qu’elle n’est pas réservée aux seuls spécialistes.

9 réponses à “Ici, à l’école, on nous ment, m’man !

  1. Si le mensonge pédagogique devient monnaie courante, sa source et bien plus lointaine.
    En tant que jeune adulte (les années 70-80), je m’interrogeais sur la raison qui faisait que, aux alentours de 12 ans, les élèves (dont moi à l’époque) se posaient presque tous la questions des finalités des matières qu’ils apprenaient et auxquels les réponses des professeurs ou des parents étaient bien aléatoires (en gros: c’est pour ton bien, passe ton bac et tu seras libre de choisir après; à l’époque, “les trentes glorieuses”, avoir son bac représentait une garantie d’emploi et de progression socio-économique alors que les triples diplômés actuels ne sont même pas sûr de trouver de l’embauche).
    C’est à la même époque que j’ai constaté que le consensus social sur les objectifs de l’école (savoir écrire, lire, et compter… et peut être comprendre) qui rassemblaient les enseignants et les parents depuis la création de l’école obligatoire, s’effritait lentement. Aujourd’hui, la crise est ouverte, entre autre sur l’enseignement de l’informatique, et force est de constater qu’il n’y a pas de forum social qui permette de traiter ces priorités et ces questions.
    Il y a quelques années, au détour d’une discussion de comptoir, David Hiller m’a mis la puce à l’oreille en me confiant : il est normal que les professeurs soient méfiants vis à vis des changements pédagogiques, car ils sont programmés pour la transmission des connaissances patiemment capitalisées par des générations d’enseignants. Du coté des parents, la logique est souvent inverse, on doit former nos enfants aux dernières nouveautés pour qu’ils soient adaptés au marché du travail à venir. A ceux-ci je répondrait par la remarque ironique d’un professeur politicien (Gérard Deshusse) qui faisait remarquer qu’il fallait choisir les options qui leur faisait plaisirs pour deux raisons : une option qui motive l’enthousiasme permet le plus souvent de pousser ses notes vers le haut, et le marché du travail est actuellement si volatil que faire un choix “utilitaire” n’offre aucune garantie d’être adapté au marché du travail que l’étudiant va découvrir 10 ans après.
    Je terminerais par un défi : quelles sont les connaissances essentielles qui nous permettent de se sentir adapté dans un monde changeant ? Je ne peux pas les nommer mais suis à peu près certains qu’on ne les apprend pas à l’école…

    1. Vous avez raison : les différents acteurs de l’école ont sur les finalités de l’école des objectifs divers et pas toujours concordants. Rien d’anormal à cela, et ce d’autant que les tensions “fertiles” entre les acteurs d’un système sont régulièrement ce qui est le plus utile à son amélioration. Mais cette observation (un peu hégélienne sur les bords) ne fait sens que si on peut concevoir une “alliance” entre les acteurs, ce que vous désignez par la notion de “forum social”. Il manque! Il manque clairement aujourd’hui.

      Personnellement, je souscris pleinement à l’idée que les enfants doivent apprendre les fondements des savoirs reconnus. Mais doivent-ils les apprendre tous de la même manière, au même moment, selon des méthodes qui ne permettent pas de rendre compte des LIENS entre les savoirs, qui permettent si rarement de les mettre en oeuvre dans un projet qui réjouisse vraiment les élèves en tant que personnes ?

      J’ai tout comme vous le souvenir des enseignants empruntés qui répondaient évasivement à nos questions sur l’utilité de ces savoirs. J’ai probablement fait partie de ces enseignants aussi. Lorsque les élèves invoquaient le peu qu’il leur resterait de leurs heures de maths, par exemple, on répondait (ils nous répondaient) que cet apprentissage favorisait au moins des connections neuronales “qui étaient utiles à autre chose.” Je crois que tant que les disciplines seront à ce point dissociées, il n’y aura pas de réponses convaincantes à apporter… Signe que ça pourrait devenir un point de départ.

  2. 1) Non ! L’excellence scolaire n’est pas une clé de la réussite professionnelle. Je ne compte pas les premiers de classe qui péclotent dans leur boulot et les touristes scolaires qui ont fait de brillantes carrières. Ce sentiment empirique est corroboré par une étude assez ancienne de l’EPFL qui concluait qu’il n’y avait aucune corrélation entre les résultats scolaires et la réussite professionnelle.
    2) Je peux comprendre le besoin d’autonomie, sous réserve que les directions se souviennent qu’elles sont au service du succès des élèves et non pas des roitelets d’établissement.
    A ce titre, la contrepartie de cette liberté devrait être une mesure de performance entre les écoles. Reste à fixer les points de mesure qui peuvent inclure les chemins de l’autonomie, de la responsabilité et de la liberté.

    1. L’excellence scolaire n’est pas la clé de la réussite professionnelle, ni du bonheur, d’ailleurs, heureusement. 40 ans de carrière dans l’enseignement m’ont permis de constater que certains premiers de classe péclotent (comme vous dites joliment) dans leur vie ensuite (et pas seulement professionnelle) et que d’autres, relégués dans des filières d'”élèves vulnérables” se révèlent ensuite, une fois le carcan de l’uniformisation desserré.

      Ce que je voulais évoquer dans ce billet n’était à vrai dire pas de cet ordre. S’il était question d’excellence, elle était moins dans le dressage scolaire standard (Faites le collège, ça vous ouvrira toutes les portes ! un adage très mensonger parce que n’importe quel choix ferme des portes, c’est le principe du choix) que dans le fait pour les élèves de ne pas être incités à donner le meilleur d’eux-mêmes. Notre système éducatif n’invite pas toujours à donner le meilleur de soi (à savoir ce qui nous correspond intimement pour que nous soyons en mesure de donner le meilleur de nous-mêmes), parce qu’il ne met souvent pas en scène les conditions appropriées pour le faire. Les élèves “touristes” ne le sont pas toujours “malgré” l’école. Ils le sont souvent, je pense, “à cause” d’elle. Le meilleur de soi n’est pas relatif à la prétendue “excellence” de la filière.

      Ce qui me paraît crucial, c’est le discours “tenu” par les autorités scolaires. Personnellement, je trouve aussi inapproprié l’entretien du préjugé, élevé au rang du mythe, qui veut qu’un élève sortant du CO qui “peut” aller au collège “doit” aller au collège (et que par conséquent celui qui n’y est pas ne “pouvait” pas y aller) que de laisser entendre que tout se vaut, au fond, que tous les chemins mènent à tout. Car dans les deux cas, il manque un élément essentiel dans l’équation : qui est la personne qui se cache derrière tel élève, comment contribuer à développer qui il est. Pour sortir une fois de la catégorisation des élèves qui s’étonne de rendre vulnérables les élèves qu’elle a classés comme tels (prophétie auto-réalisatrice), ou de rendre peu attractifs des cursus qui demanderaient plus de travail ou d’efforts sous le prétexte fallacieux que n’importe quel parcours ouvre “techniquement” à n’importe quel débouché.

      Concernant votre deuxième remarque, je me réjouirais que l’école se donne vraiment les moyens de développer des qualités (je rechigne ici à employer le terme de “compétences”) comme l’autonomie, la responsabilité et la liberté. Bien sûr que chaque établissement devrait pouvoir dire ce qu’il fait pour ça et comment il s’y prend (je renâcle ici devant l’expression “mesure de performance”) pour les favoriser. Mais la situation semble telle aujourd’hui qu’il n’est nul besoin d’en arriver là : imaginons déjà apporter de l’air en ouvrant la porte à des projets pilotes (monitorés à partir d’indicateurs de réussite déclarés en amont des projets), en incitant les enseignants à des partages de pratiques véritables, entre autres. Les manuels de management nous gavent de recommandations sur le fait que, pour éprouver du plaisir au travail, les collaborateurs doivent surtout être informés des objectifs et disposer du maximum d’autonomie pour les atteindre. Cette autonomie (qui rend responsable et libre) est la condition sine qua non de la motivation.

  3. Le gâchis pour celui qui brille véritablement consiste à suivre la farce de sa raison (ou pire celle de l‘autre) au lieu de ses tripes.

    1. Associer “tripes et raison” peut-être… Donner aux élèves l’occasion de suivre le signal de leurs tripes comme indicateur de ce qui leur correspond vraiment ?

      Je me souviens d’un remarquable sociologue de l’éducation qui demandait, à des enseignants spécialisés dans le décrochage scolaire qui se perdaient un peu dans le jargon technique autour du cas d’un élève : “Qu’est-ce qui lui fait briller les yeux, à cet élève ?”. Le meilleur indicateur de motivation, non ?

  4. Chère Madame Sawerschel,

    Merci pour votre nouveau billet. Votre fille l’a dit: “A l’école, on nous ment” et comme on dit, la vérité sort de la bouche des enfants.

    Ce que la presse a annoncé la semaine dernière à propos de l’école genevoise est consternant, affligeant et bien attristant. Il ne m’appartient ni de juger, ni de critiquer les crises successives qu’a traversées l’école et les polémiques qu’elle a soulevées depuis que j’ai cessé d’y enseigner à la fin des années 1980 (entre autres, au moins à deux reprises, dans un collège que vous connaissez mieux que personne, celui de de Saussure). Je me bornerai à faire quelques constats sur la base de ma très modeste expérience:

    Premier constat: l’école publique ne soutient plus les maîtres, et ceci aux dires de mes anciens maîtres de didactique aux-mêmes, lorsque j’étais stagiaire dans un collège d’un canton voisin (pas difficile de deviner lequel, il n’y en a pas trente-six passée la Versoix), déjà à cette époque.

    Second constat: toujours depuis cette même époque, il a de plus en plus été question de la dévalorisation du métier d’enseignant. Mais qui dévalorise les maîtres? La presse? Les parents? Journaliste de formation, retourné aux études sur le tard puis enseignant, jamais je n’ai entendu autant de débilités proférées contre le rôle des enseignants que venant de l’école elle-même. Qui a réduit les maîtres – qui gardent pourtant ce titre selon la loi sur l’enseignement public – au rôle d’animateurs, quand ce n’est pas d’assistantes sociales ou de confidents, sinon l’école elle-même?

    Inscrit aux anciennes Etudes Pédagogiques du Département genevois de l’Instruction Publique (DIP), avec les autres candidats stagiaires, j’ai pu entendre son directeur nous dire en guise de bienvenue:

    – L’élève c’est (sait?) tout, le maître c’est (sait?) rien.

    Encore le disait-il sans trop se prendre au sérieux, ce qui n’était pas le cas outre-Versoix où, là, on ne plaisantait pas avec le doctrine de l’Elève-Roi, comme j’ai pu en faire à mes dépens la triste et amère expérience.

    Et les parents? En quatre années d’enseignement, tant dans le public que le privé, à Genève et au-delà de la Versoix, avec des élèves suisses et étrangers, jamais je n’ai reçu une seule plainte de la part de parents d’élèves. En revanche, j’ai constaté que ceux-ci étaient systématiquement tenus à l’écart des décisions prises par le Département, et que les réunions parents-maîtres avaient surtout pour but de les mettre devant le fait accompli des réformes en cours. Ce qui m’amène à mon troisième et dernier constat:

    Les méthodes et le contenu de l’enseignement sont décidés, conçus et planifiés par la seule hiérarchie scolaire, sans que les maîtres puissent y prendre part. Dans les années 1980, l’introduction de la méthodologie basée sur “Maîtrise du français” pour un français dit renouvelé dans les classes secondaires en offre un exemple précis. Conçue et planifiée par la seule hiérarchie scolaire, qui l’a imposée d’office à l’ensemble des écoles, d’un coût jamais révélé au public, elle est passée aux oubliettes depuis longtemps au point que même son éditeur, quand je l’ai contacté à ce sujet, ne se souvenait même plus de l’avoir publiée…

    Déjà, à cette époque, le maître n’avait ainsi plus le contrôlée du contenu et des méthodes de son enseignement – d’où sa rétrogradation du statut de maître à celui de simple exécutant des directives décrétées en haut. Quand un stagiaire ou même un maître plus expérimenté rencontrent des problèmes en classe, la responsabilité leur en incombe presque toujours. L’institution a donc beau jeu de leur reprocher de ne pas donner satisfaction quant au contenu et aux méthodes de leur enseignement, puisque c’est elle seule qui en fixe les modalités. Ne se juge-t-elle alors pas elle-même?

    Alors, quelles solutions proposer? Ivan Illich, que vous m’avez donné l’occasion d’évoquer à propos de votre dernier article, n’en avait-il pas proposé déjà dans les années 1970 dans sa thèse sur la déscolarisation de la société? Aurait-on oublié l’auteur d'”Une société sans école” (Seuil 1972) et de “Nemesis médicale”? Il semble que la pandémie actuelle le fasse au contraire redécouvrir si l’on en croit un article paru en mai 2020 sur le site de “Topophile savoir-faire” sous le titre de “Ivan Illich et la déscolarisation de la société”, dont voici un extrait:

    “L’auteur de Némésis Médicale (Seuil, 1975) ne semble pas totalement oublié par les professionnels de la médecine. Ce n’est pas le cas, semble-t-il, du côté des professionnels de l’enseignement. L’auteur de Une société sans école (Seuil, 1971) aurait-il été effacé des mémoires ? Pour des raisons qui relèvent de la santé publique, de très nombreux pays ont fermé leurs écoles. Pourtant, en cette période où l’état d’exception est la règle, l’école se fait toujours, mais à la maison. À distance, mais par les mêmes, ou par des suppléants, chargés de poursuivre le programme officiel. Toujours à distance : la correction des devoirs, les notes, les examens, le contrôle continu, les partiels, etc. De quoi rassurer : les principaux rituels restent en place. En Asie, en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, etc., les élèves, les enseignants, les administrateurs, les personnels de service, ont déserté les établissements d’enseignement, de l’école maternelle à l’Université, il y a toujours école mais à la maison. L’école à la maison, un des avatars de la déscolarisation prévu et dénoncé par Ivan Illich dans Une société sans école.” (topophile – savoir faire, “Ivan Illich et la déscolarisation de la société”, 23-24 mai 2020 – https://topophile.net/savoir/ivan-illich-et-la-descolarisation-de-la-societe-1-2/).

    L’une des trois thèses d’Illich était la création de réseaux d’apprentissage (learning webs) qui permettraient aux élèves d’apprendre des autres tout les faisant participer à leurs propres expériences d’apprentissage. Cette idée a été reprise ici par Denis de Rougemont, principal porte-parole d’Ivan Illich en Suisse, qui proposait de créer des réseaux de “call-boys” scientifiques disponibles sur demande (D. de Rougemont, “Les Méfaits de l’instruction publique” (1929) aggravés d’une “Suite des Méfaits” (1972)). Le confinement a montré que cette idée de réseaux d’apprentissage à distance n’est plus une utopie mais a même été imposée de fait par la nécessité aux élèves, parents et enseignants, avec toutes les crises et difficultés d’adaptation qu’elle impliquait dans un contexte d’imprévisibilité complète et d’urgence.

    Que restera-t-il de cette expérience? Sera-t-elle oubliée quand la vie sera revenue à la normale? Reviendra-t-on au statu quo et alors, à quoi tant d’efforts d’adaptation à des conditions extraordinaires auront-ils servi? L’institution scolaire saura-t-elle en tirer parti?

    Qu’en pensez-vous?

    Cordialement,

    aln

    1. Un grand merci pour ce beau commentaire et les références salutaires que vous y proposez !
      Depuis le temps que l’idée a été officiellement proposée, il serait grand temps que les “réseaux d’apprentissage” se mettent en place, en effet ! Ils peuvent l’être à tellement de niveaux différents, dans des contextes tellement plastiques ! Nous disposons aujourd’hui de tous les outils pour rendre possible ce qui est si naturel : apprendre les uns des autres, et surtout entre élèves de générations différentes. C’est fou qu’on n’ait recours à cette possibilité que dans les situations de classes à degrés multiples.

      Et “Pratique de la langue”. Grands Dieux ! Probablement le plus invraisemblable fiasco pédagogique de la République. Les auteurs ont oublié aussitôt cette contre-performance, sont allés vaquer à autre chose (disons à d’autres recherches savantes en pédagogie), alors que les élèves genevois en paient les pots depuis.

      1. Merci à vous pour votre réponse. En effet, comme vous l’écrivez nous disposons aujourd’hui de tous les outils pour rendre possible ce qui est si naturel: apprendre les uns des autres, et surtout entre élèves de générations différentes.

        En 2007, alors que j’étais chargé d’enseigner le français à des adultes non-francophones, j’ai soumis à la Faculté d’Informatique et de Communication de l’EPFL un projet personnel de mise en oeuvre informatisée de l’approche de Caleb Gattegno, philosophe et mathématicien égyptien, pour l’apprentissage des langues – approche que j’avais trouvée particulièrement bien adaptée à ce type d’enseignement. Il s’agit d’un prototype expérimental en Prolog, que j’ai toujours voulu continuer à développer. Malheureusement, je n’en ai pas eu la possibilité, car il aurait fallu en étendre la grammaire de base et améliorer son algorithme de recherche. j’avais en tête une grammaire de dépendances et des formalismes susceptibles d’être utilisés avec une telle grammaire. Mais comme ces questions techniques n’intéresseront sans doute pas tous vos lecteurs, celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur mon projet peuvent en trouver le rapport final sur le site de GitHub.com à l’adresse suivante:

        https://github.com/Rogaton/Projet-Gattegno

        Sous “Code”, il suffit de télécharger le fichier PDF (rapport final.pdf) de mon rapport en format de fichier ZIP et de le décompresser.

        Bien que mon projet demande une complète mise à jour, ses bases n’ont pas changé. Je le mets à disposition de quiconque pourrait s’intéresser à contribuer à son développement. Tout commentaire, qu’il est possible d’ajouter sur le dépôt de GitHub, serait le bienvenu.

        Cordialement,

        aln

        P.S. – Je dois à M. Eric Wehrli, dont je crois qu’il n’est pas nécessaire qu’on vous le présente, d’avoir été initié à Prolog et aux grammaire formelles quand j’étais étudiant à son séminaire de linguistique-informatique, à l’UNIGE, de 1989 à 1991. S’il me reconnaît d’après mes initiales (que vous voudrez bien me pardonner de garder ici), je vous prie de lui adresser les meilleurs souvenirs de l’un de ses premiers disciples.

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