Illustration : Nelly Damas pour Foliosophy
On s’en fout, on n’est pas d’ici, on s’en va demain »
Marguerite Yourcenar citée par Henri Joly
Une amie revient d’un très joli voyage à travers la Suisse, le COVID offrant aux Helvètes que nous sommes l’occasion de redécouvrir le pays comme les voyageurs anglais du XVIIe. Elle embouche son récit aussi sec – elle qui est une dure à cuire, tout juste le contraire d’une mollassonne qui ferait des chichis pour rien – par ce constat sans appel :
« Si l’hôtellerie suisse a des problèmes, faudra pas qu’elle vienne se plaindre. Elle fait vraiment tout pour qu’on la fuie ».
Je m’en voudrais de cautionner une telle généralisation, ne serait-ce que pour éviter de me créer des ennemis groupés, d’autant plus efficaces qu’ils auraient une cible commune. Je connais, comme tout le monde, quantité de restaurants et d’hôtels dans lesquels on est bien accueillis, très bien accueillis, même. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, l’accueil parfait d’un petit restaurant carougeois sans aucune prétention m’a fait vivre l’exact inverse de ce que dénonce cette amie déçue. Que les patrons et les patronnes, les directeurs et directrices d’hôtel, dont le souci premier est le bien-être du client, que les cuisiniers qui soignent aux petits oignons des plats dont on se pourlèche, que les serveurs et les serveurs qui courent sans relâche couvant d’un œil circulaire tous les clients qui leur sont confiés me pardonnent et ne prennent pas pour eux les lignes qui vont suivre. Mais, comme pour tout, c’est l’écart entre l’excellence et la nullité qui est le plus éclairant, le plus instructif en matière, en l’occurrence, de ce qu’est un accueil de qualité et pourquoi il importe.
“C’est l’écart entre l’excellence et la nullité qui est le plus éclairant, le plus instructif en matière de ce qu’est un accueil de qualité et pourquoi il importe. “
Les utilisateurs des sites internet d’appréciation, à l’instar de Tripadvisor, savent rendre compte avec une grande précision des indicateurs qui permettent d’expliquer qu’ils ont, ou non, été satisfaits. Le moment de l’accueil, de l’arrivée au restaurant, est crucial : quelqu’un vous attend-il ? De quelle manière ? Est-ce que ça paraît naturel ou est-ce qu’on commence par vous demander d’attendre là, derrière un panneau d’avertissement qui vous interdit d’aller plus loin sans qu’on vienne vous chercher, convive non pas désiré mais toléré et placé dans une antichambre, comme un quémandeur qui doit comprendre qu’on lui fait une faveur ?
L’accueil importe parce qu’il est ce qui favorise la rencontre. L’entrée au restaurant n’est pas une simple variante de l’achat d’un plat à l’emporter. On entre dans un restaurant pour se nourrir, certes, dans un hôtel pour y dormir, naturellement, mais pour vivre un moment particulier aussi, pour être quelqu’un d’autre dans un lieu et une ambiance donnés, pour goûter des plats qui font que je suis ce que je suis dans un contexte et un temps spécifiques. C’est dire l’importance de l’accueil qui plante le cadre de ce vécu. Fait-on preuve d’hospitalité alors, en vous présentant la carte, en vous proposant une boisson, en vous apportant illico une carafe d’eau, comme au voyageur auquel on ouvre les bras ou vous abandonne-t-on à votre sort pendant vingt minutes, comme si vous étiez entré par hasard ou par désœuvrement ? Pourquoi doit-on si souvent héler le serveur pour que commence le processus du repas (consultation de la carte, commande, etc.) ?
Le tempo du service a également son importance : on ne veut attendre ni trop, ni trop peu. Il y a un rythme selon lequel les plats doivent être présentés, le temps de jouir du commencement de satiété du plat précédent, mais pas d’avoir commencé à le digérer, le temps d’échanger avec son convive, mais pas de voir la conversation languir parce que la conscience du plat attendu commence à calculer le temps d’attente, excessif. Il y a un temps aussi pour rester devant son assiette vide qu’on ne doit pas vous retirer dès la dernière bouchée avalée (l’assiette n’est pas une gamelle), mais qu’on ne peut non plus vous laisser sous le nez le temps que vous en voyiez les reliefs sécher et se racornir (l’assiette n’est pas une poubelle). Le serveur qui vient vous libérer de votre plat vide depuis plus de trois quarts d’heure en vous demandant si « tout s’est bien passé » cherche des claques, hypothèque le pourboire espéré. Accueillir, c’est aussi « cueillir ». Il faut savoir le faire au bon moment.
“Le serveur qui vient vous libérer de votre plat vide depuis plus de trois quarts d’heure en vous demandant si « tout s’est bien passé » cherche des claques, hypothèque le pourboire espéré.“
Je passe sur le cadre qui tient pour beaucoup dans le choix du lieu, ainsi que sur celui de la cuisine puisqu’il y a de l’excellence aussi bien dans le raffiné que dans le rustique. Crucial clairement, à cet égard, comme tant d’internautes le rappellent : le rapport qualité-prix, puisque l’accueil dans un restaurant ou dans un hôtel est une hospitalité monnayée. L’accueil n’est pas strictement de l’hospitalité, au sens où cette dernière désigne aussi bien (1) l’action de recevoir et d’héberger quelqu’un chez soi, par charité, par générosité, par amitié, que (2) la bienveillance, la cordialité dans la manière d’accueillir et de traiter ses hôtes ou encore (3) l’asile accordé par un pays à quelqu’un, à un groupe. Mais on aurait tort de les dissocier totalement sous prétexte que l’hospitalité, à ses origines, repose sur le don et la gratuité. Ce qui est commun dans les deux situations, dans l’accueil et dans l’hospitalité, c’est le fait que, comme hôte ou comme client, j’arrive dans un restaurant ou un hôtel comme un étranger (xenos) et que j’apprécierais d’y être traité comme un natif, comme celui qu’on attendait. C’est tout le sens de l’hospitalité antique, qui remonte à bien avant Homère, encore largement pratiquée par les pays du Moyen-Orient :
« Il serait impie, étranger, de mépriser un hôte, fût-il moindre que toi : car les mendiants, les étrangers, viennent de Zeus ».
Homère, Odyssée, XIV, 56-58, vers 208
Tout un programme qui inaugure avec grandeur le concept marketing d’”expérience client”, qu’à tort on imagine récente.
Bienveillance et cordialité sont les qualités recherchées auprès de la serveuse, du serveur, du maître d’hôtel (de la maîtresse d’hôtel ??), vertus qui manifestent que, dès l’entrée dans l’établissement et tout au long du repas ou du séjour, on vous « veut du bien, du fond du cœur ». Un sourire, de l’affabilité, un regard, yeux dans les yeux (le contact visuel à rechercher ne vaut pas que dans le cadre de la sécurité routière), souvent même, la reconnaissance par le nom : je donne le mien et je connais celui de qui m’accueille, agrafé sur sa poitrine ou parce qu’il l’énonce, « Hi, I’m Nancy, annonce aimablement celle qui nous donne réellement l’hospitalité, est notre hôtesse et nous accompagne tout au long d’une soirée passée dans un mémorable restaurant de Boston qui semble ignorer qu’existent des troquets dans lesquels la fonction du serveur se résume à apporter les plats et à débarrasser la table. L’affabilité n’est-elle pas alors un peu artificielle comme lorsque l’employé du Starbucks vous demande votre prénom avec une amabilité toute autoritaire à la commande de votre latte venti ? Pas vraiment, non. Sans doute pas complètement authentique non plus puisque l’accueil est fruit d’un protocole, avatar contemporain du rituel sacré par lequel le voyageur accueilli était invité à un repas : il semble que, dans l’Antiquité, l’invité qui avait atteint le foyer de la maison, qui avait été admis à s’en approcher, ne pouvait plus être considéré tout à fait comme un étranger. Mais, protocole bien incarné ou authenticité véritable, qu’importe : mieux vaut l’affabilité que la froideur, l’amabilité que la morgue, le souci du client que l’indifférence oublieuse à son égard. Il n’y a pas d’hospitalité là où se tapit l’hostilité.
“Il n’y a pas d’hospitalité là où se tapit l’hostilité.”
Dans l’idéal, le maître d’hôtel, le serveur, le préposé de la réception sont les figures du proxène, cette espèce d’agent consulaire qui, dans les cités grecques de l’Antiquité, était l’hôte, le mandataire de tous les voyageurs citoyens d’une république étrangère qui lui avait confié cet office. Criton, après la condamnation à mort de Socrate, proposa à ce dernier de fuir Athènes pour échapper à son sort en l’assurant qu’il connaissait à l’étranger des proxènes, ces hôtes qui lui auraient garanti accueil et surtout sécurité dans son exil, ce que le philosophe refusa d’envisager comme on le sait, se résolvant à boire la ciguë par « respect des Lois » puisque la stabilité d’une cité résidait entièrement, selon lui, dans le respect que les citoyens vouaient à ses lois. Ces agents qui accueillaient l’étranger, ceux dont la fonction consistait à être là « pour les étrangers », ceux qui s’entremettaient entre l’étranger et le pays ou le territoire qui l’hébergeaient étaient fondamentaux pour éviter que le voyageur hors de sa patrie ne puisse être considéré comme quelqu’un qu’on pouvait réduire en esclavage. Le terme proxénète, on le devine, a la même étymologie qui, suivant un humour discutable, provient d’un verbe qui signifie « aider », « secourir ».
L’hôtellerie suisse fait-elle tout ce qu’il faut pour qu’on la fuie ? Pas toujours, bien sûr. Pas partout. Mais certains restaurants et certains hôtels semblent avoir inversé le sens de l’hospitalité et on vous y reçoit en vous « mettant au pas », en vous faisant comprendre que, là, ce sont les règles de la maison qui prévalent et que vous devrez vous y conformer pour être admis. Le personnel affairé ou feignant de l’être commence par vous laisser planté à l’entrée, occupé qu’il est à des activités indéfinissables ou à des conciliabules internes. Le maître d’hôtel ou celui qui en tient lieu viendra vous chercher quand il le jugera bon, quand son organisation le permettra, vous accompagnera à votre table sans daigner vous regarder ni proférer une parole. L’étranger que vous êtes est sommé de faire des efforts pour s’intégrer, sommé de se débrouiller pour comprendre les codes non explicités de ce coin de terre d’accueil, une terre qu’on s’ingénie à lui faire comprendre qu’elle n’est pas la sienne.
“L’étranger que vous êtes est sommé de faire des efforts pour s’intégrer, sommé de se débrouiller pour comprendre les codes non explicités de ce coin de terre d’accueil, une terre qu’on s’ingénie à lui faire comprendre qu’elle n’est pas la sienne.”
La pandémie a aggravé la situation, on le sait, et les chiffres montrent qu’aujourd’hui le secteur de l’hôtellerie et de la restauration ont enregistré un recul de 32% à 67% en fonction des régions. On comprend dès lors que le réengagement de personnel une fois le confinement levé n’ait pas pu suivre, par endroits, les besoins d’une clientèle de retour. Mais on ne doit pas s’étonner non plus si le client, parqué dans un coin à attendre un service sans explications et sans sourires, invité ensuite à honorer une facture qui lui confirme que son identité se résumait à son apport au tiroir-caisse, décide de passer son tour pour une prochaine fois.
“On ne doit pas s’étonner si le client, parqué dans un coin à attendre un service sans explications et sans sourires, invité ensuite à honorer une facture qui lui confirme que son identité se résumait à son apport au tiroir-caisse, décide de passer son tour pour une prochaine fois.”
C’est dommage, évidemment, comme une rencontre qui n’a pas eu lieu, alors que l’hôtellerie est une industrie qui, par étymologie, œuvre à la susciter, à l’aménager, à réunir les conditions de sa possibilité, pour faire momentanément d’un lieu un peu de celui qui y entre, un lieu dont le voyageur rêvait mais qui dépasse et anticipe ses espérances, pour qu’il n’oublie pas, ait envie de revenir, en parle ensuite comme d’un « quelque part » qui a été un moment le sien, que jamais il n’a eu envie de fuir en disant, comme le père de Marguerite Yourcenar, qui rappelait ce souvenir : « On s’en fout, on n’est pas d’ici, on s’en va demain ».
Article titré en rapport avec l’hôtellerie, mais on parle pratiquement exclusivement de la restauration?
Vous avez raison.
J’ai d’ailleurs hésité à utiliser ce titre, quand bien même c’est la phrase exacte prononcée par l’amie de retour de voyage.
Je m’y suis résolue néanmoins parce que le mot “hôtellerie” peut être entendu dans son acception large. Je cite :
” L’hôtellerie, appelée aussi industrie hôtelière, est une activité appartenant au secteur tertiaire qui regroupe l’ensemble des établissements qui proposent un service d’accueil – de gîte et/ou de couvert – à des clients, de passage ou locaux, pendant une durée déterminée, en échange d’une contribution“.(Wikipédia)
En fait, il y aurait beaucoup à dire sur l’hôtellerie au sens strict, entendue comme hébergement. Le Temps nous apprend aujourd’hui que les hôtels ont réalisé une superbe saison cet été tandis qu’A Bon entendeur, en collaboration avec Kassensturtz, a mis en évidence que, pas si rarement, la propreté de nos établissements laisse à désirer. De quoi tenter un petit post contrasté…
Mais ce qui me paraît le plus intéressant aujourd’hui, en terme d’hébergement, c’est la tendance actuelle qui consiste à considérer que, précisément, les clients d’un hôtel n’y viennent pas seulement pour dormir, mais aussi pour vivre des moments particuliers dans un lieu qui offre des services et des possibilités inventives à partir de son identité propre (lieu, quartier, région, histoire…).
Creative Supply en parle joliment dans son “concepthandbook” réalisé en collaboration avec l’école hôtelière de Lausanne (EHL).
https://creativesupply.com/en/resources/hotel-concept-handbook/
Parmi mes jobs d’étudiant, j’ai pratiqué à deux reprises celui de portier de nuit dans des hôtels genevois – certes, pas n’importe lesquels, puisqu’ils appartenaient à la chaîne des prestigieux établissements cinq étoiles Armleder. Celui de “La Résidence” comptait autrefois parmi ses clients l’ancien ministre français Raymond Barre. Remarquant un jour son nom sur sa liste de clients, Armleder, le maître des lieux, lui avait dit à son départ:
-Merci d’avoir choisi notre hôtel, monsieur le Ministre.
Réponse de l’ancien professeur d’économie:
-Mais il y a déjà cinq ans que j’y viens, cher monsieur. Seulement autrefois je n’étais que professeur. Maintenant que je suis ministre, vous le remarquez enfin.
La fonction de portier de nuit comporte plus d’un avantage dont, outre celui de ficher les clients à leur arrivée et à leur départ, celui de pouvoir écouter leurs conversations téléphoniques à leur insu. En chaque portier un flic ne sommeille-t-il pas?
Petit détail: de même que bistrot, cette institution nationale, est un mot d’origine russe, dans cette même langue portier se dit “schwitzar”, qui veut dire “le Suisse”. On a le profil de l’emploi ou on ne l’a pas.
Génial témoignage ! Savoureuse anecdote, facétieux Barre !
Vous me donnez envie d’embrayer illico sur un article qui mettrait ce témoignage en évidence, comme un petit bijou serti.
Vous m’apprenez tout de ce “schwitzar”, qui vient enrichir la galerie dans laquelle le “garde suisse” est déjà accroché.
Trop forts, ces Suisses.
Merci!
Est-ce que le tourisme de masse, ce sur-tourisme bon marché qui a surtout explosé à partir du milieu des années 90, ne vient-il pas changer les règles de l’hospitalité dans tous les pays? Tant de xenos maintenant voyagent pour les “mauvaises raisons” (1), et les proxènes sont souvent eux-même d’anciens xenos fraîchements arrivés, qui tentent de se refaire une vie dans une industrie qui paie mal, faite de précarité mais qui soit la seule qui daigne les engager.
(1) voyager pour les “mauvaises raisons” : j’entends par là voyager dans un pays sans s’intéresser véritablement à sa culture, à son histoire ou à ses habitants; chercher ailleurs ce qu’on a déjà à la maison (côté cuisine notamment…), faire la fête à s’en rendre malade et à en empoisonner la vie des habitants de son pays hôte. Créer chez ces derniers l’envie de dire “Tourist Go Home!”…
D’accord avec vous sur toute la ligne, cher Marc.
Le problème va dans les deux sens, si j’ose dire.
Je me souviens d’un voyage dans un adorable village de pêcheurs, sur la côte turque, où j’avais été invitée, avec mon compagnon de voyage, par le propriétaire du premier hôtel construit qui rentrait au bercail par le même bus local que nous. Il ne nous avait pas fait payer, parce que l’hôtel ouvrait à peine, parce qu’il avait le sens de l’hospitalité, parce qu’il avait pris l’initiative lui-même, parce qu’il nous jugeait trop jeunes pour exiger cette dépense de nous, je l’ignore. Mais c’était il y a plus de trente ans.
Quelques années plus tard, alors que les touristes s’étaient mis à affluer, tous les habitants avaient consacré au moins une pièce de leur maisonnette pour tenir auberge. Alors que nous logions chez l’un d’entre eux (l’hôtel de notre premier hôte étant plein), nous avions eu la stupéfaction d’entendre la propriétaire pester à voix haute à notre intention, en regardant un bateau décharger les nouveaux touristes : “Ah !! Je n’aurais pas dû vous accepter quand vous êtes arrivés, maintenant je pourrais louer la chambre plus cher !!!”.
Et c’est souvent, je vous rejoins, parce que les touristes arrivent en grand nombre, en terrain conquis, pour se voir offrir un service en premier lieu et pas par envie de découvrir une région; par désir confortable de rester exactement le même que chez soi et d’accéder à des privilèges impossibles à obtenir dans son pays et pas par besoin d’être “un autre” soi-même au contact d’une autre région et de ses habitants, que les règles de l’hospitalité, qui reposent sur le principe du don et du contre-don, se déglinguent inéluctablement. Parce que nombreux sont les touristes qui se déplacent à la vitesse de l’éclair et à coût de kérosène artificiellement tenu bien au-dessous du prix du marché, parce qu’ils dénaturent, par leur présence même, le fragile équilibre entre la qualité de vie dans une région et l’appât du gain (les habitants de Porto virés du centre ville par les lucratifs RBNB, pour ne citer qu’un microscopique exemple), l’accueil ne peut plus être le même, bien sûr. La question du tourisme comme bien de consommation à grande échelle pose un épineux problème à notre planète et à nos rapports sociaux.
Notez que je ne sais pas si l’accueil problématique réservé par endroits dans nos établissements suisses ressort de la même analyse…
“On s’en fout, on n’est pas d’ici, on s’en va demain.”
La citation en exergue de cet intéressant texte m’a interpellée. Elle servait de phrase-talisman au père de Marguerite Yourcenar, dans les moments difficiles.
Comme je n’en connaissais pas encore le contexte, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une phrase dite par des clients mécontents laissant leur ch’nit derrière eux, avec un certain plaisir vengeur, et tant pis pour les pauvres nettoyeurs qui devaient s’occuper des intimités de ces hôtes j’m’en-foutistes, et tant pis aussi pour les réparateurs qui allaient devoir s’occuper des rideaux tombés, des lavabos bouchés et autre petits dégâts occasionnés par une seule nuit d’hôtel. Je me suis aussi dit, ayant eu de nombreux échos à propos des vols commis dans les hôtels et restaurants, pas seulement de petites cuillères, de verres ou de soucoupes, mais carrément de linges-éponge, de papier de toilette ou même de tableaux, que cette phrase rassurait les auteurs de ces larcins, leur permettant de s’approprier des biens sans s’en soucier plus que ça.
C’est pourtant bien à l’art de s’en aller que se référait le père de Marguerite Yourcenar, lorsqu’il apprenait à sa fille à ne pas s’étaler sur les problèmes et les obstacles rencontrés. Il ne s’agissait pas de fuir des pays, des hôtes ou des hôtels, mais bien d’acquérir la sagesse de se détacher de ce qui pourrait encombrer l’esprit : l’aigreur, le dépit, voire la colère d’avoir été mal reçu.
“L’art de s’en aller“, joli programme, et comme c’est bien dit !
L’illustratrice de ce blog Foliosophy, Nelly Damas, est toujours aussi géniale : sa cloche-couvre-plat est drôlement bien trouvée : ouverte pour nous souhaiter la bienvenue – et pour garder ce mot délectable au chaud -, elle a aussi l’air d’une mâchoire avide, avalant carrément le mot au lieu de l’offrir, tout en nous le présentant sur un plat alléchant…
“Une image vaut mille mots”, semble avoir dit Confucius, et la patte de Nelly Damas le confirme : on peut faire défiler toutes les illustrations précédentes, imageant à merveille tous ces textes destinés à “conjuguer la réflexion sur l’humain et les trésors de la philosophie”, elles sont toutes réussies.