Dans un contexte professionnel, un collègue ou un supérieur vous parle sans vouloir s’arrêter – il jacasse et la cascade de mots vous tombe dessus en vous noyant gentiment – et vous n’avez qu’une envie : vous éclipser. Mais comment faire pour ne pas vexer votre interlocuteur ? Dans cet article, je vais discuter pourquoi certaines personnes tombent dans une logorrhée sans fin et s’il est possible de les interrompre pour vous éclipser du monologue.
Une cause du monologue : sensibilité interpersonnelle faible
La raison principale pour laquelle certaines personnes vous envahissent avec leurs bavardages unilatéraux est qu’elles ont une sensibilité interpersonnelle basse et ne se rendent pas compte que vous voulez abréger la discussion. La sensibilité interpersonnelle est la capacité de correctement « lire » autrui : percevoir leur comportement non verbal ainsi que leurs émotions et interpréter correctement leurs motivations ou intentions. Il existe de grandes différences entre les personnes par rapport à cette capacité. Certaines personnes – notamment les femmes – ont une facilité à lire les autres et faire des inférences correctes à partir de cette lecture. D’autres personnes n’ont aucun accès à ces indices subtils non verbaux et ne réagissent que par rapport à ce qui est dit explicitement.
Comment s’éclipser ?
Si une personne avec une sensibilité interpersonnelle faible continue de palabrer bien que vous signaliez avec votre comportement votre envie de partir, c’est parce qu’elle n’arrive pas à lire vos signes subtils qui tentent de mettre fin à cette conversation. Puisque la personne est « aveugle » par rapport au comportement non verbal, il faut changer de canal de communication, passer au verbal et l’interrompre en disant clairement que vous devez partir. Bien que cela puisse paraître impoli, vous ne risquez pas grand-chose étant donné la sensibilité interpersonnelle réduite de la personne. Elle ne va pas se vexer mais va plutôt vous regarder avec surprise et vous laisser aller sans problème. Osez l’interruption !
Une autre cause : la démonstration du pouvoir
La situation se complexifie légèrement si la personne logorrhéique est votre supérieur car la raison pour laquelle votre superviseur n’arrête pas de parler peut être autre que le manque de sensibilité interpersonnelle. Les personnes au pouvoir utilisent le monologue pour contrôler et dominer afin de montrer qui est le chef dans la situation. Le pire, c’est que ce comportement est peut-être devenu une habitude dont votre supérieur ne se rend plus compte par manque de feedback – car personne n’ose le contredire ou l’interrompre. Ici, c’est votre sensibilité interpersonnelle qui est interpelée. Il faut donc détecter s’il s’agit d’un manque de sensibilité interpersonnelle de votre interlocuteur ou d’une simple démonstration de pouvoir. Dans le premier cas, l’interrompre sera sans conséquences négatives. Dans le second cas, il vaut mieux montrer des signes d’acceptation de son autorité et donc ne pas l’interrompre. Méfiez-vous de l’interruption !
Quoi faire donc ?
Interrompre ou ne pas interrompre, telle est la question. Il faut d’abord tester la sensibilité interpersonnelle de votre interlocuteur tout en utilisant la vôtre. Procédez étape par étape : commencez par arrêter les acquiescements de tête, puis vous détournez votre regard, faites un pas « en dehors » de la sphère que vous occupez les deux, vous orientez votre corps à 90 degrés à l’écart de votre interlocuteur, ou encore vous portez votre regard sur votre montre. Si aucun de ces signes ne l’incite à finir son monologue, il y a de fortes chances que la personne ait une faible sensibilité interpersonnelle : vous pouvez sans autre oser l’interruption. Par contre, si vous détectez de l’irritation ou du mépris, il s’agit d’un jeu de pouvoir. Si vous voulez conserver une bonne relation avec la personne, il vaut mieux ne pas interrompre et rester à l’écoute (on peut toujours s’éclipser dans son esprit !).
J’ai été collaborateur d’une association à but social, dont le président était le mari de la directrice. Nous avions régulièrement des colloques où nous étions quatre à six personnes avec notre directrice ouverte à la communication, sensible à l’écoute, qui avait pour qualité première de créer un climat où chacun se sentait inclus. Je me trouvais dans une équipe où je me surprenais à penser que nous étions des amis, et je ne me trompais pas. « Nous sommes une famille » disait cette directrice. Nous avions quand même parfois des brouilles, mais plus souvent des rires. En un mot, nous aimions travailler ensemble… Il arrivait que le président vienne au colloque : un homme imbu, frustré, rancunier, mais qui savait serrer la main avec un bon sourire qui voulait signifier : « Croyez en ma forte estime (vous qui n’êtes rien du tout à côté de moi) ». La directrice ouvrait le colloque, abordait le premier sujet, puis était interrompue net par son mari qui parlait carrément à sa place. Deuxième, troisième, quatrième sujet… Elle disposait chaque fois de trois minutes avant de céder la place. La « famille » écoutait, se taisait, comme des enfants sages ! Ah ce que j’avais été faible de n’avoir pas formulé ma pensée à voix haute : « Monsieur, je souhaiterais pouvoir aussi écouter votre épouse qui est notre directrice, c’est la cinquième fois que vous l’interrompez, et vous ne prévoyez pas qu’elle reprenne la parole après vous… » J’aurais pu me permettre cette intervention qui aurait mis mal à l’aise tout le monde, je prenais ma retraite six mois plus tard ! Je m’en suis voulu pour ce manque de courage, mais en même temps me posais la question en rapport de « la famille ». Personne ne se réjouissait de voir arriver le « patriarche » devant qui se taisaient les collaborateurs, y compris sa femme directrice… Quelle aurait été sa réaction à elle si je m’étais permis ce qu’elle n’osait pas elle-même ? Est-ce que cela aurait été un coup porté à la « famille » ?..
Cette question reste pour moi sans réponse… Dans une situation psychologiquement proche, cette fois-ci où la famille en était une réelle, je n’avais pas non plus « osé » porter un coup au « patriarche » mais avais eu une réponse quand même, pas une réaction de défense, pas une approbation non plus. La famille élargie puis rétrécie était un père, une mère, leur fille morte (mon amie), son enfant, et moi. Nous nous retrouvions chaque soir pendant six mois pour manger ensemble et parler, beaucoup parler. Nous en avions tous besoin. Un soir, durant le repas, après quelques verres de vin, « le mari, père, beau-père » avait déclaré : « Maintenant que ma fille n’est plus là, je me sens beaucoup mieux, toute cette violence, qu’elle avait en elle… » La violence, c’était le Rock and Roll du pick-up qu’il devait supporter quand elle était adolescente. Je m’étais tu devant cet ancien chef de police alcoolique et sa femme, mais un jour où j’étais seul avec elle j’avais voulu lui dire ce que je pensais de sa fille : « La vraie violence ce n’était pas le Rock and Roll de son pick-up… » Et elle : « Ma fille vous avait dit comment était mon mari ? » Moi : « Oui, il vous donnait des coups de poing, vous saigniez du nez, vous alliez vous réfugier dans la chambre de votre fille, vous pleuriez les deux… » Elle m’avait alors demandé : « Pourquoi n’aviez-vous rien dit à mon mari, quand il parlait de la violence de sa fille ?.. » Moi : « Parce que je n’étais pas sûr comment vous auriez réagi. Vous deviez vous protéger de votre mari, votre fille le craignait aussi, mais si quelqu’un osait égratigner sa personne vous étiez de nouveau unis les trois pour défendre votre famille… » Elle ne m’avait rien répondu, elle pleurait…
Je me suis éloigné du sujet premier de votre article, beaucoup trop ? Souvent je suis fatigué de voir quantité de sujets abordés sous l’angle du féminisme. Mais là, pour une fois c’est moi qui y ai songé, parce que dans les rapports d’autorité et de pouvoir que vous évoquez, et les personnalités que vous décrivez, je pense aux dégâts répercutés, à la révolte de certaines de ces manifestantes féministes qui ont peut-être elles aussi pleuré en même temps que leur mère. Cette violence, elles l’ont subie indirectement, alors qu’on ne parle pas de « l’insupportable agressivité » des démonstrations dans la rue, cela fait mal aux oreilles mais n’est pas plus dangereux que le Rock and Roll.
Bonjour Dominic,
Votre récit est poignant et me touche. Il met en évidence le malaise des témoins. C’est une violence qui leur est aussi faite. Manque de courage, vous dites ? Certainement. Mais vous évoquez aussi les risques d’une répercussion négative d’une remise en place.
Personnellement, je suis confrontée aux palabres d’un petit chef au travail qui veut démontrer sa domination et son autorité par ce biais. Je ne le supporte pas et je le coupe ou je regarde ailleurs (du style je m’ennuie); je ne peux pas l’écouter simplement, sans montrer mon ennui. Je ne suis pas d’accord avec les recommandations de la journaliste car, faire l’autruche, c’est épuisant à la longue et ça ruine l’estime de soi. Bon, du coup il ne m’aime pas et tant pis; je ne l’apprécie pas et je l’évite.
Ne rien dire, c’est le pire. Mais ne nous a-t-on pas appris la crainte de l’autorité et l’obéissance ? Désapprendre, ça prend du temps et il faut souvent arriver à un âge avancé pour le comprendre.
J’espère avoir appris à ma fille jeune adulte la pensée critique et de s’autoriser à prendre des risques; mais malgré cela, notre société, l’école, les réactions des autres, montrent que ce n’est pas gagné.
Merci encore de votre témoignage.
Je vous souhaite de très belles fêtes
Agnès