Les interactions au travail

L’entretien d’embauche analysé par l’intelligence artificielle : Faut-il laisser un algorithme recruter les nouveaux collaborateurs ?

Remplacer le recruteur par un algorithme pour sélectionner ou au moins présélectionner les nouveaux collaborateurs, c’est la nouvelle tendance. Mais cela améliore-t-il réellement le processus de recrutement ?  Dans l’émission TTC de la RTS j’ai discuté de cette thématique du recrutement par l’intelligence artificielle https://www.rts.ch/play/tv/emission/t-t-c–toutes-taxes-comprises?id=14235&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

Dans mes travaux de recherche, j’étudie le comportement des personnes lors des interactions sociales au travail à l’aide de nouvelles technologies telles que la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle. Dans ce premier blog, j’aborde l’analyse automatique de l’entretien d’embauche par des algorithmes.

 

De plus en plus d’entreprises utilisent des entretiens digitaux dans lesquels le candidat se connecte via un logiciel et répond à des questions d’embauche devant son ordinateur. Il est ainsi enregistré par la caméra et le microphone de l’ordinateur et la vidéo de l’entretien est transmise directement à l’entreprise. La vidéo sera ensuite « regardée », ou plutôt analysée, non plus par un recruteur mais par des algorithmes.

En « regardant » ces vidéos, les algorithmes sont tout d’abord capables d’analyser automatiquement le comportement d’une personne.  Ainsi, un algorithme peut par exemple détecter le nombre de fois qu’un candidat sourit, à quel point il est expressif ou s’il utilise des mots clés au cours de l’entretien. En se basant sur les informations récoltées au cours de l’analyse automatique, les algorithmes peuvent ensuite faire des recommandations aux recruteurs. Un algorithme pourrait ainsi être programmé pour qu’une personne souriant moins de trois fois durant l’entretien soit automatiquement éliminée du processus de recrutement, ou encore, qu’une personne avec un visage très expressif durant l’entretien soit évaluée comme ayant des compétences sociales élevées.

Aujourd’hui, le défi de l’analyse automatique n’est plus d’ordre technique ; les informaticiens sont désormais capables de développer des algorithmes qui peuvent extraire les comportements verbaux et non verbaux d’une personne filmée lors d’un entretien digital. Le plus grand défi se situe à un autre niveau – celui de la plus-value que les algorithmes peuvent apporter dans le processus de recrutement. Autrement dit, comment rendre un algorithme meilleur qu’un recruteur ?

Pour répondre à cette question il faut examiner comment un algorithme apprend. Imaginons que nous avons à disposition des centaines de vidéos de candidats ainsi que les décisions d’un recruteur concernant ces candidats (embauchés ou non). Nous pouvons donner ces informations à un algorithme et celui-ci pourra apprendre quels comportements exprimés par les candidats dans les vidéos sont en lien avec les décisions positives du recruteur. Mais, si ces décisions sont biaisées comme par exemple une préférence implicite pour un homme pour un poste à responsabilité au lieu d’une femme, l’algorithme va simplement imiter le recruteur et ainsi reproduire les mêmes biais que le recruteur possède. On a donc simplement automatisé un processus déjà relativement déficient. Pour une entreprise simplement soucieuse de diminuer ses coûts, un tel algorithme peut être suffisant. Mais on peut faire mieux !

Le point crucial est la qualité des décisions d’embauche que l’algorithme a à disposition pour apprendre. Il faut que ces dernières soient le moins biaisées possible. Un moyen pour y parvenir est tout simplement d’augmenter le nombre de recruteurs qui prennent des décisions par rapport à un candidat et sur lesquelles l’algorithme va ensuite se baser. Dans ce cas, l’algorithme peut être meilleur qu’un seul recruteur; on atteint une qualité de prédiction comme si le candidat était interviewé par un panel de recruteurs. Cependant, il devient vite clair que le développement d’un tel algorithme nécessite des ressources importantes.

Peut-on faire encore mieux? La réponse est oui. Pour cela, il faut fournir au logiciel des informations sur la performance au travail des candidats une fois qu’ils ont été embauchés. De cette manière, l’algorithme peut mettre en lien les comportements exprimés par les candidats lors de l’entretien digital avec leur performance réelle sur le lieu de travail. Une fois l’algorithme correctement entraîné, il peut ensuite être utilisé sur les nouvelles personnes qui se présentent à l’embauche. Inconvénient : on sélectionne les nouveaux collaborateurs en se basant sur le profil des anciens et les employés deviennent de plus en plus homogènes. Si les exigences du poste changent, l’algorithme ne sélectionnera plus les bonnes personnes et celui-ci devra être rééduqué. Développer ce genre d’algorithme vaut donc seulement la peine pour des postes dont le profil des compétences reste stable sur une longue durée. De plus, le développement de tels algorithmes est cher, l’investissement se rentabilise seulement pour des recrutements massifs.

Un algorithme peut donc être meilleur qu’un recruteur, mais il faut être vigilant ! Une grande majorité des algorithmes présents sur le marché promettent des résultats. Cependant, la qualité de ces derniers est douteuse car on ne sait rien sur les données qui ont été utilisées pour entrainer l’algorithme. Implémenter un algorithme dans un processus de recrutement sans connaître sur quoi et comment il a été entraîné, c’est comme jouer à la roulette au casino : La plupart du temps on perd et si on gagne, on ne sait pas pourquoi.

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