Lettre à ma petite-fille

Ma chérie,
Tu es née il y a déjà 6 ans et depuis je t’accompagne, un peu à distance il est vrai, sur ton chemin de vie. Ta maman est née le 14 juin 1981, journée du vote populaire sur l’égalité entre femmes et hommes. En 1991, ta maman avait manqué l’école pour m’accompagner à la grève des femmes qui a permis l’élaboration de la loi sur l’égalité, finalement adoptée en 1995. Une aînée me disait alors : «vous avez une meilleure vie que nous, mais vous avez raison de continuer à vous battre car les acquis sont fragiles et il reste encore beaucoup à faire!»
21 ans plus tard, tu es née ; j’espérais que l’égalité serait réalisée au moment d’avoir une petite-fille. Hélas, ce n’est de loin pas encore le cas. Et même si ton papa et ta maman vivent réellement cette égalité en partageant tant les tâches ménagères et éducatives que l’activité rémunérée, ta famille est encore plutôt l’exception que la règle. Tu auras peut-être plus de libertés et de chances que moi, mais il y a encore du pain sur la planche: la loi sur l’égalité existe certes, mais elle n’est pas efficace. Et le parlement fédéral qui devrait s’appliquer à améliorer les conditions des femmes sur le marché du travail est extrêmement timide dans ce domaine. Il semblerait que l’égalité effectivement mise en œuvre par des mesures légèrement contraignantes seraient déjà mauvaises pour l’économie. Balivernes! L’expérience des pays scandinaves, qui ont mis en œuvre l’égalité par des mesures contraignantes (femmes dans les directions d’entreprises, congés parentaux dignes de ce nom, structures de garde gratuites pour les enfants dès leurs plus jeune âge), montre que de telles mesures n’entravent pas l’économie, bien au contraire.
En juin, ton grand-papa et moi avons gardé ton cousin né fin 2017. Sa maman a dû reprendre le travail quand il avait 5 mois sans avoir trouvé une structure de garde. Les listes d’attente sont longues…. Heureusement qu’il y a les grands-parents pour faire la transition. Mais que font les parents qui n’ont pas de famille ici ?
Qu’on arrête de dire que les vieux coûtent cher…. Sans leur travail bénévole en faveur des familles et des associations, notre économie ne pourrait tout simplement pas tourner. Par ailleirs, le parlement ergote sur un congé pour les papas en estimant que 20 jours c’est déjà trop. Or ces premiers jours sont importants pour la relation avec son enfant, et également pour soulager la maman. Je ne connais peu d’enfants ayant fait leurs nuits avant un mois de vie. Il faut être deux pour le supporter.
Mais il y a également des éléments positifs me permettant d’espérer que tu pourras faire un choix de vie sans embûches liées au fait que tu es une fille : ainsi il y a des entreprises qui donnent des heures à des mamans qui allaitent, il y a des patrons qui comprennent que les équipes mixtes sont plus créatives. Il y a des conseillers aux Etats de droite qui s’engagent pour l’égalité (merci Monsieur Comte, avant c’était le domaine exclusif de la gauche et de quelques femmes de droite). La société change et pas toujours dans le bon sens ; les populismes et conservatismes en particulier me font souci, qui font reculer plutôt qu’avancer l’égalité. Mais ne perdons pas l’espoir. Tu vas y arriver. Bon été et bon début à la « grande école », celle où l’on apprend à lire et à écrire, celle qui devrait réellement te préparer à la vie !

Maria Bernasconi

En tant que députée au Grand-Conseil genevois puis conseillère nationale PS, Maria Bernasconi a défendu l'égalité entre femmes et hommes, la justice sociale et le service public. Née en 1955. Elle est mariée, deux enfants et 3 petits-enfants, elle est infirmière et juriste de formation. Elle a fini son parcours professionnel en tant que secrétaire générale d'un syndicat et est à la retraite depuis 2018.