Le « féminisme washing » des syndicats sur leur non à AVS 21

Lorsque les syndicats investissent toutes leurs forces féminines pour défendre une mesure spécifique sur laquelle il n’y a pas d’enjeu égalitaire homme – femme, lorsqu’ils nous font croire que le capitalisme sauvera l’AVS dans les années de crise à venir, on marche sur la tête, comme dirait l’autre.

Le titre un brin provocateur de mon papier fait écho à une première incompréhension de ma part, puis au malaise grandissant que j’ai dans le cadre de cette fin de campagne sur la prochaine votation liée au référendum contre le projet de AVS21 (informations sur la votation ici).

Après une première contribution ici en 2021, j’avais cédé aux injonctions de laisser le débat aux personnes concernées, appels qui sont devenus encore plus forts dernièrement, allant jusqu’à demander aux hommes de s’abstenir dans une votation qui ne les concernerait pas.

Je sais que ces lignes pourront engendrer de la colère, du mépris ou de la désillusion auprès de certaines pour qui j’ai du respect et de l’admiration, envers quelqu’un que l’on considérait peut-être parfois comme un allié de la cause féministe, et qui se permet de venir mansplainer à la dernière minute.

Mais c’est précisément par respect envers ce combat que je m’exprime ici, plutôt que de laisser se transformer ce malaise en une rancœur que je sens déjà trop souvent tant auprès d’hommes que de femmes ; et parce que je pense sincèrement que :

  • Le projet AVS21 est un sujet qui va bien au-delà du sujet du féminisme auquel on essaie de le limiter.
  • L’AVS est une institution sociale cruciale pour les prochaines années, qui seront marquées par des crises que nous pressentons mais que personne n’anticipe encore. Elle doit absolument être consolidée immédiatement. Cela nous concerne toutes et tous.
  • Les enjeux féministes sont immenses au niveau du 2ème et du 3ème pilier, nous devons cesser la trop confortable guerre des tranchées dans l’AVS pour attaquer les vraies batailles immédiatement.
  • Le combat des syndicats contre AVS21 n’a de féministe que la couleur des banderoles.

L’AVS, la plus sociale et égalitaire de nos institutions

L’AVS est l’institution qui est la plus sociale en suisse aujourd’hui. Chacune et chacun y contribue en fonction de son salaire et a droit à une rente dont le minimum et maximum sont indépendants des montants contribués ou de tout autre critère discriminatoire.

Le consensus politique est total sur l’importance de cette institution, et une baisse des rentes (ni une hausse d’ailleurs) n’est politiquement pas envisageable. En revanche, le débat fait rage sur l’âge de la retraite et sur son financement, et les consensus en la matière sont extrêmement difficiles à trouver (La rente AVS annuelle distribuée aux retraité·es est financée à plus de 70% par les salarié·es et employeurs actuels, à 20% par les caisses de la confédération, et à moins de 10 % par d’autres sources comme la TVA, les jeux d’argents ou autres).

Les seules inégalités intrinsèques de l’AVS sont aujourd’hui liées à la différence de l’âge de la retraite entre femmes et hommes (et aux rentes de veufs), et constituent le sujet polarisant dans la proposition sur laquelle nous votons cet automne.

L’AVS doit être renforcée sans la rendre encore plus dépendante du succès du modèle capitaliste de hier

Nous ne pouvons plus parler financement de l’AVS en nous basant sur des projections issues des vingt dernières années. Nous l’avons constaté cette année, personne ne peut prévoir les crises à venir. Nous avons soudainement pris conscience de la crise climatique (un peu), de la crise énergétique (beaucoup plus, mais trop tard), et les prochaines crises économiques (inflation, coûts de l’énergie et des matières premières, bulles économiques diverses et variées, dettes étatiques, politique financière européenne) sont probables et imprévisibles.

Dans un tel contexte, il est socialement irresponsable de prétendre que l’AVS est solide financièrement pour les prochaines années, alors que l’équilibre annuel se fait à l’échelle du pourcentage, et que nous savons que le financement de la génération baby-boomers n’est pas assuré.

Dire que des financements additionnels pourront être trouvés sur les marchés des actions ou auprès de la Banque nationale suisse est un réflexe capitaliste de l’ancien monde. Dans un monde où la croissance va ralentir, les rendements des actions vont également baisser. Une fois une crise économique et sociale arrivée, il sera impossible de négocier politiquement des hausses de contributions liées aux salaires. Il s’agit donc de poser des bases plus saines pour les prochaines années dès cet automne, et ne pas promettre des solutions alternatives d’ici quatre ans alors que notre monde est imprévisible. Je veux bien faire des paris sur l’inflation, la croissance du PIB suisse et sur les marchés boursiers pour le troisième pilier, mais jamais pour le premier.

On pourrait aussi ergoter sur la question du financement additionnel par la TVA ; en l’occurrence il s’agit de la seule proposition sur la table aujourd’hui, et qu’un peu de diversification du financement n’est pas une mauvaise chose en soi.

Les syndicats prétendent qu’en acceptant AVS 21, l’augmentation de la retraite à 67 ans est programmée… C’est probablement exactement le contraire. Sans autre solution qui permette de stabiliser le financement de l’AVS, avec une situation économique qui a bien des chances d’être plus mauvaise lors des votations à venir, les arguments simplistes pour un âge AVS à 67 ans feront d’autant plus mouche.

Le modèle de l’AVS renforcé par AVS 21 est un modèle qui soutient les femmes

L’AVS profite aux femmes (et c’est très bien ainsi)

Dans son fonctionnement de base, le modèle redistributif et égalitaire à la base de l’AVS est déterminant pour les femmes, ainsi que pour tous les autres groupes de population qui n’ont pas de revenus élevés.

Si les femmes contribuent à hauteur de 34% des contributions prises sur les revenus, elles bénéficient de 55% des rentes versées. Tous états civils confondus, elles bénéficient d’une rente annuelle égale voire très légèrement supérieure aux hommes, notamment grâce aux suppléments de veuvage, au splitting, aux bonifications pour tâches éducatives et d’assistance et à la formule des rentes (chiffres OFAS).

Étant donné leur espérance de vie plus longue et la retraite à 64 ans, le capital effectivement reçu en moyenne par une femme est de 4 années de plus qu’un homme.

Entrer dans des calculs prétendant montrer que les femmes sont perdantes en accédant à l’AVS une année plus tard se heurte avec la réalité des faits (en réalité elles ont « une année de plus en moins », et restent gagnantes), et sape l’idée si centrale et si sociale de l’AVS que la redistribution se fasse de manière totalement égalitaire. On touche là à des fondements que je ne souhaiterais jamais être remis en question.

L’injustice en matière de rentes ne se situe pas dans l’AVS

Le vrai problème à résoudre en matière de rentes, et qui lui est totalement inégalitaire, se situe au niveau du second et du troisième pilier. Une étude de 2016 sur l’écart entre les rentes des femmes et des hommes (gender pension gap) arrive aux conclusions suivantes : si l’écart est presque inexistant dans l’AVS, il atteint 63 % pour la prévoyance professionnelle (2ème pilier) ; c’est-à-dire qu’en moyenne, la rente prévoyance professionnelle d’une femme dépasse à peine le tiers de celle d’un homme. L’écart est très élevé également pour le 3e pilier, où il représente 54 %.

Cette injustice flagrante ne se résout pas par des compensations fantoches dans l’AVS qui ne sont pas à la hauteur du problème du tout, ni avec des modes de calculs de rentes différents, mais bien en permettant aux femmes de travailler davantage, à des postes plus élevés et pour des salaires équivalents à ceux des hommes, et aux hommes d’accéder de manière réelle aux temps partiels, afin que les charges familiales et les responsabilités professionnelles et sociétales soient réparties de manière plus équitable.

La flexibilisation du travail et les modèles de temps partiels doivent être promus

On sait aujourd’hui que l’égalité homme – femme se joue dans la répartition des tâches ménagères, de l’éducation, dans le congé parental et dans une plus grande flexibilité des taux d’emploi tant pour les femmes que les hommes, ainsi que dans l’égalité salariale.

Il n’est plus question que les hommes travaillent à 100% jusqu’à 65 ans et ensuite plus du tout ; il n’est plus question que les femmes s’occupent du ménage, des enfants et de leur mari en ne travaillant pas ou à temps partiel, et soient dédommagées pour cela par quelques années de retraite anticipée (NB : afin que les hommes entrant en retraite avant leur partenaire n’aient aucun risque de prendre une part de la charge du ménage durant leurs premières années de retraite…).

Bref, les nouveautés qu’amène AVS21 en matière de flexibilisation de la retraite, sont en phase avec le fait d’imaginer des parcours de vie beaucoup plus flexibles et égalitaires, de diminuer son temps de travail avant 65 ans, ou de garder une petite part salariée quelques années plus tard encore, en améliorant sa rente. Cette modernisation de l’AVS est une avancée importante, dont chacune et chacun pourra bénéficier selon ses possibilités, besoins et envies. Le changement sociétal se fait dans les têtes, et ceci est une mesure qui y contribuera.

Pour beaucoup de femmes, il sera bien plus intéressant de baisser le taux d’emploi de quelques pourcents sur quelques années, plutôt que de travailler à 100% une année de moins. C’est d’ailleurs la réalité pour beaucoup d’entre elles déjà, avec les désavantages actuellement liés à leur rente.

1 femmes sur 6 vit dans la pauvreté au moment de la retraite

Une femme sur six vit dans la pauvreté au moment de la retraite. Cette situation est effectivement intolérable, et est liée aux parcours de vie traditionnels qui les ont écartés du marché salarié, ainsi qu’aux différences salariales encore bien réelles.

Mais cela ne se règle ni en envoyant ces femmes une année plus tôt à la retraite, et donc plus tôt dans la précarité, ni en affaiblissant l’AVS. Ceci se règle dans une meilleure conciliation vie de famille et travail, dans une plus grande implication des hommes dans les charges ménagères, sociales et familiales, et dans le chantier des 2ème et 3èmes piliers !

Le « féminisme washing » des syndicats

Le faux combat

J’en viens maintenant au malaise qui a inspiré mon titre. Comment est-ce simplement possible que les syndicats mettent en danger le financement d’une institution sociale si essentielle ? Comment peuvent-ils promouvoir des solutions de financement alternatives qui dépendent des marchés boursiers et d’un accroissement du PIB similaire aux dernières vingt années, dans un esprit capitaliste du siècle passé ? Pourquoi mettent-ils toutes leurs forces depuis près de deux ans (pardon, une fois de plus, on a surtout vu des femmes mettre leur temps et leur énergie là-dedans, quelques hommes parfois à la télévision) dans la lutte contre des mesures sans vrai enjeu féministe ?

Si je comprends que beaucoup de militantes soient désabusées et tellement en colère qu’elles ne sont plus prêtes à avaler une couleuvre de plus, je ne le comprends pas d’un syndicat, dont j’attends une vision stratégique et au bénéfice de la cause.

C’est un peu comme si les syndicats nous disaient en gagnant le référendum AVS 21: “Génial, nous n’engageons pas les réformes du deuxième et du troisième pilier dans les prochaines 5 années, et grâce à cela on vous offre une année de retraite de plus en attendant l’aboutissement de la prochaine révision AVS ” (NB: qui ne sera peut-être plus menée par un ministre de gauche).

Le Branding des manifestations féministes

Suite à la formidable émulation de la grève des femmes de 2019, où femmes et alliés de tous bords ont montré l’importance du sujet de l’égalité des sexes en suisse, on a vu les syndicats d’une part s’impliquer fortement dans le mouvement (ce que l’on ne peut pas leur reprocher), mais surtout pratiquer un branding extrêmement fort et en première ligne dans toutes les événements et manifestations. Les banderoles diverses et variées des militantes étaient concurrencées par le marketing professionnel des syndicats.

Le non à AVS21 peut être très facilement mis en scène grâce à une ultra simplification et une émotionnalisation du problème, les militantes ne coûtent pas cher et sont déjà mobilisées, et l’on s’assure en même temps une exclusivité politique, étant donné que seule une partie de la gauche proche des syndicats s’engagera vraiment dans un tel combat.

Ceci serait moins un problème si le sujet de l’AVS n’était pas un élément parmi les moins pertinents pour les femmes parmi tous les chantiers que nous devrions empoigner. Bref, les syndicats passent totalement à côté du sujet, tout en en valorisant les fruits marketing.

On pourrait également se demander comment ils ont expliqué à leurs camarades syndiqués masculins qu’il fallait mettre en danger le financement de l’AVS afin d’envoyer les camarades féminines une année plus tôt à la retraite ? Probablement en leur faisant croire que l’AVS était assurée… Alors qu’il n’est pas certain que parmi les personnes syndiquées, les hommes soient en meilleure santé que les femmes au moment de la retraite, cela risque d’alimenter des rancœurs envers la cause féminine. Peut-être que les syndicats gagneront-ils quelques nouvelles membres en échange ?

La fin de la sororité et de la cause commune ?

Un point particulièrement choquant ces dernières semaines, est le discours de plus en plus audible, que seule une femme de gauche est une vraie féministe. Les élans si importants autour de la sororité ne valent-ils plus rien dès qu’il s’agit du combat gauche droite ? Toute femme qui voterait oui à AVS21 ne serait-elle plus qu’un suppôt du capitalisme sans plus de statut politique de femme ?

La violence de ces attaques fait que beaucoup de femmes que je respecte notamment par leur engagement et leur action concrète pour l’égalité des sexes, ne s’expriment plus sur le sujet et qu’il faut leur demander explicitement leur avis pour entendre leur malaise avec la situation et qu’elles voteront, au moins pour moitié, oui à AVS21.

Et maintenant ?

Les syndicats nous ont fait perdre trop de temps et d’allié·es avec ce référendum ; ils auront peut-être gagné en visibilité, mais quels que ce soient les résultats de la votation, ils n’auront en rien fait avancer la cause des femmes en Suisse. Cela me met en colère et me rend triste.

Pourtant, j’espère bien qu’une fois la votation passée nous saurons empoigner ensemble les vrais dossiers que sont les deuxième et troisième piliers, et poursuivre le travail de déconstruction au quotidien afin de poursuivre sur la voie d’une meilleure égalité entre femmes et hommes. Ensemble, toutes et tous.

Pour l’amour de la langue françaisE

Ecriture inclusive et amour de la langue française; l’élégance avant tout!

 

Je suis un amoureux des langues, et de la langue française en particulier ; d’une part parce que c’est ma langue culturelle et identitaire, et d’autre part parce qu’elle est d’une richesse folle, métissée qu’elle est de plusieurs siècles d’échanges avec toute l’Europe et au-delà. Je n’oublierai notamment jamais cette magnifique exposition temporaire organisée au début du millénaire par le Musée Romain de Lausanne-Vidy : Archéologie du français.

Or la vitalité et la précision de notre langue est régulièrement attaquée, notamment dans les médias et les parlements. Quelques hystériques militants du genre et bien organisés tiennent absolument à la réglementer et nous imposer des interdictions, telle une chape de plomb idéologique. Ceci, alors que notre langue peut être si belle et subtile dans ses nuances.

Au XVIIème siècle, Louis XIII lui-même, avait donné pour mission à l’Académie française de «rendre le langage français non seulement élégant mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences». Gardons-le donc élégant, subtil et apte à traiter avec précision les vrais enjeux de notre époque.

A l’heure où le genre ne se limite plus à une question binaire ou l’une ou l’un l’emporte systématiquement sur l’autre en fonction du contexte, il est normal que nous soyons beaucoup à trouver vieillies, inélégantes et inadaptées deux règles étonnantes qui ont pris le pouvoir dans nos livres d’école et dans beaucoup d’esprits : « le masculin l’emporte sur le féminin pour l’accord des adjectifs » et «le neutre prend les formes du masculin ». Deux règles qui impliquent une neutralisation du féminin par le truchement du masculin, en faisant de ce dernier un genre par défaut. Quelle pauvreté et quel manque d’imagination !

Heureusement, une nouvelle génération d’amoureuses de la langue ne se satisfait plus de cette situation et ose redonner à notre langue française ses lettres de noblesses : en redonnant du sens aux mots, en nous permettant de savourer la racine latine du percutant terme d’autrice, en nous faisant jouer avec les rythmes et allitérations qui se cachent dans un toutes et tous, dans un françaises, français, en osant parfois la concision d’un genre alternant avec l’autre ou en nous suggérant d’opter parfois pour le parfum et la beauté subtiles d’un accord de proximité. Quel plaisir d’explorer de nouveaux terrains de jeu, et d’accompagner notre langue si belle vers une intégration tant littérale que littéraire de l’égalité entre femmes et hommes !

Nous devons encore apprendre à maîtriser les différentes dimensions d’une écriture plus inclusive, à comprendre comment elle s’exprime en fonction des différents registres de langage ou dans les différents contextes, à trouver les tournures qui nous plaisent et celles que nous évitons. Avec de la bonne volonté, c’est aisément à notre portée.

Et si quelques enseignantes et journalistes retraités ont de la peine à se faire à cette façon d’utiliser notre belle langue à bon escient, c’est compréhensible, et pas très grave. Car comme le disait le regretté linguiste et lexicographe Alain Rey, en fin de compte, c’est l’usage qui a raison.

Pour aller plus loin:

HISTOIRE D’AUTRICE, DE L’EPOQUE LATINE À NOS JOURS, par Aurore Evain LIEN

Un passionnant article du Monde qui nous parle de l’accord des genres et de l’Académie française :

Et un excellent Podcast de Laelia Veron sur Binge Audio, qui explore avec curiosité le pourquoi et le comment de l’écriture inclusive

L’arnaque de la retraite des femmes à 64 ans

En matière d’égalité de fait, et non de droit, entre femmes et hommes, nous sommes encore loin du compte en Suisse. Dans ce chantier qui reste colossal, il y a aujourd’hui du mouvement, notamment grâce à toute l’énergie mobilisée lors de la grève des femmes de 2019.

Il s’agit maintenant de mettre l’énergie aux bons endroits pour obtenir un impact maximal et sans tarder.

Pourtant, avec la cristallisation de la lutte sur le maintien de l’âge de la retraite des femmes à 64 ans, nous faisons fausse route; gagner une nouvelle fois sur ce point serait un marché de dupes, et cela pour de multiples raisons.

La retraite à 64 ans : une perte financière sèche de plus pour les femmes

Premièrement, et c’est là où se cache la véritable arnaque, c’est qu’en prenant leur retraite une année avant les hommes, les femmes n’y gagnent absolument rien, elles y perdent même financièrement la plupart du temps.

Pour la majorité d’entre nous, nous gagnons plus l’année avant notre retraite que celle d’après. Et cela y compris pour les petits salaires, qui obtiennent peut-être une rente AVS autour des 1’300 CHF et arrivent avec peine à 2’500 francs au final si l’on inclut les prestations complémentaires.

Bref, en garantissant aux femmes une retraite à 64 ans, nous leur faisons perdre une année de salaire professionnel par rapport aux hommes, en général plus élevé que leur rente. Beaucoup de femmes entrent ainsi une année plus tôt dans la catégorie précaire des retraitées.

Quand certains syndicats annoncent (voir ici )que les femmes perdront environ 1’200 francs en moyenne par année sur leur rente AVS, (en considérant environ 2’000 francs mensuels d’AVS et de prestations complémentaires, multipliés par douze mois = 24’000 francs annuels, répartis sur les 20 ans d’espérance de vie moyennes (jusqu’à 84 ans) = 1’200 francs de perte annuelle), ils oublient que la plupart des femmes perdent aujourd’hui en réalité davantage en tant que retraitées que si elles touchaient encore un salaire l’année de leur 64 ans. Bref, avec une retraite anticipée institutionnalisée des femmes, tant les femmes que les caisses AVS y perdent financièrement!

La retraite à 64 ans : le collier de nouilles de la fête des mères

« Tant que l’égalité des droits ne sera pas vécue dans les faits, nous ne lâcherons pas la retraite à 64 ans » : ce qui à première vue semble être un élément légitime et fort d’une négociation, s’avère se dégonfler à la lumière de la réalité. Car en réalité, il n’y a plus rien à négocier : formellement, légalement, l’égalité est là. Par contre, les inégalités doivent encore se résoudre dans nos têtes, dans nos comportements, ainsi que dans les façons dont l’un et l’autre, hommes et femmes, gérons nos carrières et nos familles (temps partiels, congé parental, crèches,…). De tels changements ne se négocient pas, ne s’imposent pas, mais ils se font, ils se vivent dans la vie privée et publique de tous les jours, et nous pouvons les accélérer en offrant des possibilités (temps partiel) et des infrastructures (crèches), en expliquant et en informant (transparence salariale) et surtout en donnant envie de changement.

Les hommes dont les idées sont encore fortement ancrées dans le patriarcat, se fichent probablement que les femmes soient retraitées à 64 ans. Au contraire, de manière inconsciente pour certains, cela légitime leur vision du monde :

  • les femmes sont plus chétives et ont donc droit à une retraite anticipée (argument du Conseil fédéral en 1964, lorsqu’il avait abaissé l’âge à 62 ans)
  • les sacrifices des femmes pour la famille sont finalement compensés (déjà qu’elles ne sont pas astreintes au service militaire…), et il n’y a donc rien à changer dans notre société.
  • d’autres seront heureux de profiter du départ anticipé à la retraite de leur épouse plus jeune, ce qui leur permettra de continuer de se tenir avec bonne conscience à bonne distance des tâches ménagères

Ce qui est vendu comme une compensation pour inégalités de fait bien réelles, tient aujourd’hui davantage de la prime cumulus offerte aux femmes pour sacrifices accumulés au cours de toute une vie, ou du collier de nouille offert à la fête des mères pour les remercier de leur dévouement constant. Indirectement, cette compensation fantoche légitime ces inégalités, vu que c’est le jeu qui permet d’obtenir la prime, ou l’amour reconnaissant du patriarcat.

N’oublions pas que pour trop de femmes encore, prendre la retraite c’est devenir femme au foyer à plein temps. Et voulons nous vraiment, en insistant sur cette notion d’âge différencié selon le genre, renforcer les stéréotypes scandaleux du genre “un homme avec les cheveux gris est expérimenté, une femme avec les cheveux gris est usée” ?

Non, la retraite à 64 ans n’est pas non plus un complot misogyne

A l’époque où les chances de faire bouger le système patriarcal étaient encore minimes, cela avait du sens de négocier des « compensations » ; mais aujourd’hui, nous pouvons et nous devons changer réellement le système, même si ce changement de paradigme n’est pas si facile.

Les syndicats et beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui victimes d’un biais cognitif bien connu, celui du coût irrécupérable. Tant a déjà été investi dans la lutte pour conserver cet âge de la retraite plus bas pour les femmes, que se dire que ce n’est plus là le bon combat semblerait un gâchis de forces et d’énergie inacceptables. Or, tout ce temps et cette énergie de campagne et de combat ont déjà été dépensés, et ne doivent plus être considérés ; la seule chose que nous devons nous demander aujourd’hui est : où est-ce que notre énergie et notre engagement aura le plus d’impact positif pour les femmes.

Dans ce long combat pour une égalité des genres, il faut aujourd’hui lâcher cet os qui a perdu de sa saveur, que l’on tient depuis si longtemps entre les mâchoires. Certains syndicats ont de la peine à se défaire de cela, et le prêt-à-penser dont ils nourrissent les messages du mouvement de la grève des femmes devient aujourd’hui problématique, pour ne pas dire, et c’est un comble, paternaliste.

L’injustice sur les rentes est ailleurs, et elle est massive

L’injustice dans les rentes est réelle, et ne peut en aucune mesure être compensée par une retraite à 64 ans.  Une étude de 2016 sur l’écart entre les rentes des femmes et des hommes (gender pension gap) arrive aux conclusions suivantes : si l’écart est presque inexistant dans l’AVS (seulement 2,7 %), il atteint 63 % pour la prévoyance professionnelle (2ème pilier), c’est-à-dire qu’en moyenne, la rente prévoyance professionnelle d’une femme dépasse à peine le tiers de celle d’un homme. L’écart est très élevé également pour le 3e pilier, où il représente 54 %.

Cette injustice flagrante ne se résout pas avec des modes de calculs de rentes différents, mais bien en permettant aux femmes de travailler davantage, à des postes plus élevés et pour des salaires équivalents à ceux des hommes, et aux hommes d’accéder de manière réelle aux temps partiels, afin que les charges familiales et les responsabilités professionnelles et sociétales soient réparties de manière plus équitable.

Briser les réflexes de l’ancien monde pour permettre une vraie société égalitaire

En s’accrochant au privilège de l’ancien monde qu’est la retraite à 64 ans pour les femmes, c’est ce dernier que nous faisons perdurer dans nos têtes. Se battre pour une compensation dans un système injuste, ne fait que renforcer le système injuste.

Afin de dépasser cette situation de perdantes perdants, femmes et hommes devons agir de concert, libérés des négociations stériles de « si tu ne me donnes pas cela, je ne te donnerai pas cela » et pour cela abolir toute inégalité de droits, dans un sens comme dans l’autre.

Nous devons faire vivre une nouvelle vision, partagée entre femmes et hommes, de société égalitaire. Nous devons imaginer ensemble cette vie, ces rôles, ces fonctionnements, y rêver, les expérimenter. Nous devons apprendre à nous faire confiance et construire ensemble. C’est en nous donnant à toutes et tous l’envie d’une vie meilleure, que les changements en profondeur se feront.

Afin de mettre notre énergie à réfléchir et concrétiser ces idées, il existe quelques pistes qui agissent de manière fondamentale sur nos rôles dans la famille et la société, et donc de manière forte sur nos rentes, notamment sur le 2ème pilier encore si inégalitaire.

Le travail réalisé par Alliance f est en ce sens très inspirant, et a déjà porté ses fruits de manière forte notamment en ce qui concerne la place des femmes en politique (pour la place des femmes dans l’économie, on y travaille encore…).

Une autre idée me paraît avoir un potentiel de transformation particulièrement fort, c’est celle du service citoyen. Celui-ci remplacerait l’obligation de servir actuelle purement masculine et militaire par un engagement de milice pour chaque citoyenne et chaque citoyen, dont les options seraient élargies à toutes les tâches d’intérêt public reconnues par la loi (armée, protection civile, conservation des biens culturels, revitalisation des cours d’eaux…). J’ai repris cette idée dans l’article Heidi News en lien (et qui a notamment été un déclencheur pour ce blog).

Une généralisation d’un tel service citoyen aiderait les familles à moins baser la tenue du ménage sur les femmes ; tout comme le congé parental, cela renforcerait le signal que oui, il n’y a pas de raison qu’un homme ne puisse pas assumer seul famille et emploi pendant que sa conjointe serait en « service citoyen ». Finalement, cela renforcerait les « réseaux informels » externes aussi pour les femmes. Cela donne clairement envie d’y réfléchir.

Un autre élément clé est celui du congé parental, qui poserait des bases solides pour une répartition ouverte des rôles parentaux dès la naissance.

Ces idées et beaucoup d’autres changeraient notre société de manière fondamentale, mais le chemin est encore long et il faut y mettre toutes nos énergies si nous voulons les réaliser.

Nous avons encore besoin d’une AVS forte

Pour revenir au sujet de la retraite, nous devrons encore trouver les moyens de considérer une retraite à des âges variables, en fonction de la « dureté » du métier. Mais cela n’a plus à voir avec le genre, car ces métiers sont pratiqués tant par des hommes que des femmes.

Nous devons pour cela faire table rase des modèles du passé, réaliser la transition vers une retraite commune à 65 ans, tout en mettant en place les compensations adéquates pour ces femmes qui devront changer leurs plans pour une retraite une année plus tard. Car si les femmes d’aujourd’hui ne gagnent rien à maintenir une retraite à 64 ans, les retraitées (et les retraités) de demain gagnent à une AVS saine et solide pour l’avenir, car l’AVS restera le pilier de rentes le plus égalitaire quelques années encore.

En prenant un peu de distance, et pour dire tout cela autrement: je me vois très mal raconter un jour à mes filles, et peut-être mes petites filles, que malheureusement leur monde reste inégalitaire, mais qu’au moins je suis fier de m’être engagé fortement et durant des années pour sauver l’âge de la retraite des femmes à 64 ans quelques années de plus (quitte à empêcher d’autres avancées sociales par la même occasion). Leurs priorités seront très probablement bien ailleurs.

Pour nous, hommes, le temps est venu de prendre le pouvoir

Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, j’avais l’occasion de participer à une table ronde. J’étais l’homme quota parmi quatre autres femmes toutes plus compétentes les unes que les autres, avec des parcours professionnels admirables. Pour la première fois, je découvrais le syndrome de l’imposteur, et je passais une bonne partie de la journée à réfléchir à ce que je pourrais bien y dire, devant un parterre probablement très féminin. Sans cette journée internationale et sans cette invitation, il n’y aurait pas eu ce papier.

 

Une affaire de pouvoirs

En matière de promotion d’égalité des sexes comme dans d’autres domaines, on entend souvent que le pouvoir ne se donne pas, mais se prend. Autrement dit, même si les hommes encore majoritaires doivent permettre cette place, l’aménager même, l’égalité ne se fait que si certaines pionnières prennent ce pouvoir. Si au final il en va de responsabilités partagées, il s’agit souvent dans un premier temps de renégocier les pouvoirs. Mais là n’est pas mon sujet.

 

A propos de première ministre

Il est un domaine où les hommes manquent cruellement de pouvoir : la sphère familiale, et en particulier dans les ménages avec enfant. Si on a aujourd’hui presque tous conscience de l’importance du partage des tâches (à des degrés de concrétisation divers il est vrai) on est encore très loin du partage du pouvoir.

Mais attention, je ne parle pas là de pouvoir global, mais de pouvoir pour tout ce qui tient de la planification, de l’organisation et de la gestion du ménage au sens très large.

Sous une forme très pernicieuse pour les deux sexes, la femme tient souvent un rôle du premier ministre dans la monarchie anglaise. Elle est en charge du gouvernement exécutif, et gère la bonne marche du pays, souvent de facto parce que depuis la naissance des enfants, elle a endossé ce rôle en étant plus souvent à la maison.

Selon les cas, l’homme remplit un certain nombre de tâches domestiques, qui va de descendre les poubelles, réparer un objet, s’occuper du jardin, voire même du foot du garçon le samedi matin (ou rien du tout, voire pour cela le dessin de Chappatte du 20 mars 2020 dans Le Temps https://www.chappatte.com/) Bref, je caricature, mais vous me suivez. Le partage des tâches n’est pas un partage du pouvoir ni de responsabilités, mais une forme de délégation. L’attribut le plus lié à cette forme de gouvernance est la charge mentale, une découverte récente, probablement il y a trois ans pour moi.

 

La reine mère

Là où le système devient clairement injuste, et je reviens à mon analogie avec la monarchie anglaise, c’est si l’homme a laissé avec complaisance sa femme au poste de premier ministre à la naissance des enfants, la coutume veut qu’il endosse la fonction de Reine mère. Il ne fait rien, mais il a le pouvoir sur le premier ministre. En cas de crise, sa parole a plus de poids, et en situation protocolaire, c’est à lui que l’on s’adresse. Mais les problèmes, ce n’est pas lui qui les gère… La reine mère, c’est ce que l’on appelle le patriarcat.

 

Le modèle suisse

Si l’on veut changer cela, il ne suffit pas que les hommes abandonnent la fonction de reine mère. Mais il leur faut prendre leur place dans un gouvernement au pouvoir partagé, à la Suisse, ou chaque membre a des dicastères et des pouvoirs bien définis.

Au niveau de la gestion de la famille et du ménage, les hommes doivent donc reprendre du pouvoir exécutif, et prendre leur place au gouvernement familial. Ils ne seront plus ni reine mère, ni commis. Ce changement est inconfortable, il peut être source de conflit, et demande de l’engagement, des preuves par l’acte ; aucun premier ministre ne laissera son poste sans être sûr que son nouveau collègue s’engagera pleinement. Cela implique de se laisser chacun plus de place, cela implique de faire confiance à l’autre, et cela implique de (re)définir les domaines de responsabilité. Par jour de la semaine ou par moment de la journée, par domaine (alimentation, finances, ménage, enfants, loisirs, relations sociales, projets de vie), par phase de vie, que sais-je. Mais surtout, ne pas confondre partage des tâches, partage des responsabilités et partage du pouvoir. Faire les courses lorsqu’on nous demande de les faire est une tâche ; faire en sorte que le frigo soit plein et que ce qu’il y a dedans permette de cuisiner 3 repas en fonction des activités de chacun est une responsabilité, en même temps qu’un pouvoir.

 

Pas d’égalité dans la sphère professionnelle sans égalité dans la sphère privée

Bref, si l’on veut que les femmes puissent aussi prendre des responsabilités dans la sphère professionnelle sans devoir être exceptionnelles, il faut que les hommes, exceptionnels ou non, prennent plus de pouvoir et de responsabilités dans la sphère privée. Ils en lâcheront alors automatiquement au niveau professionnel. Pour le bénéfice de l’une comme de l’autre, et pour une égalité de fait, et non seulement de droit.

 

Pas de blog sans Corona :

Aujourd’hui, nous avons une chance unique de changer cela, au moment où le Covid-19 nous confine pendant quelques semaines dans la sphère familiale, permettant à l’autre comme à l’une de changer ses habitudes… D’autant plus que statistiquement, les femmes sont aujourd’hui surreprésentées dans les activités indispensables pour résister à la crise (soins, alimentation). C’est le moment ou jamais… Alors, on le prend ce pouvoir ? Ensemble?

#SolidarityNail dans le contexte de la grève des femmes du #14Juin2019

Le 14 juin 2019, en Suisse, aura lieu une manifestation nationale majeure, en faveur de l’égalité des genres : la grève des femmes.

https://frauenstreik2019.ch

Or si (presque) plus personne ne défend l’inégalité entre les sexes, la réalité est encore loin de nos aspirations. Cette différence entre la théorie – en l’occurrence, l’article 8 de la Constitution suisse – et les faits s’explique en partie par la mauvaise volonté de quelques-uns, mais surtout par les habitudes et une robustesse du système en place, encore largement patriarcal.

Nombreux sont les hommes qui se défendent d’être sexistes ou machistes, mais qui se retrouvent à perpétrer des schémas ancestraux. En ce qui me concerne, c’est n’est qu’à la naissance de mes filles que j’ai réalisé à quel point, sans une lutte conjointe des deux membres du couple, une inégalité de fait se mettait en place, même entre deux individus partageant de fortes valeurs progressistes et d’équité. Je pense notamment au phénomène depuis lors bien connu de la charge mentale (pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, lisez la BD éclairante de l’ingénieure informaticienne et dessinatrice Emma sur le sujet), au congé parental inexistant ou encore à la gestion des temps de travail partiel et la vision sociale sur le sujet.

Bref, il y a pour nous, les hommes, encore un énorme travail à faire sur nos attitudes, rôles, dires, pensées, et sur ce que nous faisons et ne faisons pas. Pour cela, la volonté seule ne suffisant pas, il est essentiel de régulièrement thématiser le sujet, échanger, argumenter, essayer, et cela également entre hommes…

Dans ce contexte où la mobilisation du #14juin2019 s’annonce pour beaucoup avant tout comme le fait des femmes, il paraît utile d’utiliser dès maintenant un signe distinctif, engageant et solidaire pour les hommes: par exemple, se vernir l’ongle du pouce, pour en faire un #SolidarityNail :

  • En signe de solidarité
  • Pour mettre le sujet et notre engagement sur la table durant une semaine, 24 heures sur 24, jusqu’au 14 juin, jour de la grève des femmes.
  • Il faudra donc forcément en parler avec nos filles et fils, femmes et partenaires, nos familles, nos amiEs, nos collègues, nos voisinEs, des inconnUes dans la rue, des clientEs, nos supérieurEs, des partenaires professionnelLEs…
  • Cet acte pourtant infime nous forcera à réfléchir à de multiples reprises, sur le sexisme dans les contextes les plus divers ;
  • Nous recueillerons des commentaires qui ne nous plairont pas ; d’autres qui nous flatteront ; des idées brillantes ; et d’autres que nous ne comprendrons peut-être même pas, ou qui nous heurteront.

Quoiqu’il en soit, je documenterai ce #SolidarityNail et certaines réactions sur les réseaux sociaux.

Et si, d’ici vendredi, nous étions plusieurs hommes à nous engager dans cette petite expérience solidaire, ce serait une belle façon de contribuer à une remise en question, au-delà des soutiens moraux et logistiques, au delà des cercles convaincus, en nous mettant – un tout petit peu – en danger…

(et oui, mon vernis est mal posé ; mais en théorie, je savais comment faire… 😉 )

 

#14juin2019: Invitation à nos fils, amis, collègues, employés, patrons…

La grève des femmes du 14 juin est un magnifique projet de mobilisation pour les droits des femmes et pour l’égalité. Depuis quelques jours, la place des hommes dans ce projet fait débat. Et ce débat n’a pas bien démarré. Il y a un vrai risque que l’énergie très positive du 14 juin se perde dans une question que toutes et tous jugent contre-productive: les hommes sont-ils bienvenus ou non dans une grève féministe?
Nous souhaitons inviter tous les hommes à adopter l’approche la plus pragmatique possible : comment permettre aux hommes soucieux d’égalité de contribuer positivement à cette journée du 14 juin, et plus globalement au mouvement qui l’accompagne? Une partie non-négligeable de l’impact du 14 juin sur la société suisse dans toute sa diversité pourrait se jouer avec cette question.

Nous pensons que la grève du 14 juin sera utilisée à son maximum si les villes et régions du pays sont parcourues par les femmes et les hommes. La « grève » idéale serait une journée où l’entier de la population descend dans la rue pour démontrer son attachement à l’idéal d’égalité. Les deux conditions évoquées par les collectifs de femmes sont tout à fait légitimes. Premièrement, il est évident que les femmes occuperont les têtes de cortèges, les discours, les prises de parole. Il n’est pas question que les hommes prennent la place médiatique ou cherchent à s’accaparer le mouvement. Si certains ne se sentent pas à l’aise avec le fait de se fondre dans la masse, ce sera un bon entraînement. Deuxièmement, si le soutien d’un homme est nécessaire pour qu’une femme participe à l’événement, celle-ci doit avoir la priorité. Mais le scénario idéal reste qu’ils y participent tous les deux. Nous ne pouvons nous permettre de faire les choses “à moitié”, en espérant qu’une manifestation de même ampleur puisse mobiliser autant les hommes une prochaine fois. La mobilisation doit être massive. Le signal sera d’autant plus fort pour nos proches et, plus généralement, pour les responsables politiques ! La manifestation de septembre 2018 pour l’égalité salariale reste en ce sens une belle source d’inspiration.

Les hommes soucieux d’égalité ne doivent pas tenter de passer pour des héros du quotidien. Cela tombe bien, c’est exactement ce que nous défendons: reconnaître la normalité de l’engagement des hommes pour l’égalité dans la sphère privée, familiale, professionnelle, politique. Il existe de multiples façons d’être homme et/ou père, en dehors des sentiers battus de la masculinité toute puissante qui performe au quotidien, écrase les résistances et ramène l’argent au foyer. Il existe aussi de multiples façons d’influencer les conditions cadres pour obtenir plus d’égalité, et les hommes doivent en assumer leur part activement.

Ainsi, nous devons sortir d’une attitude d’assistant: « je sais que tu gères, n’hésite pas à me dire si je dois t’aider ». En matière de féminisme, il ne s’agit plus pour les hommes d’être en « soutien » des femmes, mais de prendre activement leur part de la charge de travail au foyer, tout en baissant eux-mêmes leur temps de travail, en jouant une part active en tant que modèle dans l’éducation et en favorisant l’augmentation de la présence politique des femmes.

Le 14 juin, les hommes qui ont parfois tendance à rester dans leur zone de confort et à profiter de leur position seront davantage remis en question s’ils voient leurs amis, collègues, employés et patrons se mobiliser de manière visible. De nombreux hommes ne demandent qu’à être inspirés vers plus d’égalité. Ensemble, nous pouvons transformer en profondeur la société suisse, chacune et chacun, l’un avec l’autre. L’égalité est l’affaire de toutes et tous. Invitation à tous les hommes de le montrer le 14 juin, aussi.

Ce texte est à disposition de tous; n’hésitez pas à le reprendre, le transmettre, le republier.

 

(et allez faire un petit tour sur le blog de Johan Rochel 🙂 )

Le #14juin2019, je ne ferai ni la grève, ni la femme; mais j’en serai.

Après 100 ans de luttes féministes, la société suisse n’est pas encore égalitaire entre les hommes et les femmes. Violences sexistes, représentation des femmes dans les instances dirigeantes, #MeToo, égalité salariale, partage de la charge mentale, harcèlement de rue, ou encore congé paternité, sont quelques exemples parmi les enjeux essentiels de notre société actuelle. Sur le fond, tout le monde est d’accord. En réalité, les inégalités sont encore criantes.

Cela fait trop longtemps que cela dure, et il est important d’accélérer le rythme des changements. Les outils sont là, les instruments sont connus, mais dans nos têtes et nos organisations le changement doit encore se faire.

En ce sens, un électrochoc sous la forme d’une mobilisation massive, visible, qui montre la force des idées féministes au-delà des barrières partisanes et des sexes pourra être décisive. Chacune et chacun doit voir qu’il est normal et légitime de faire sa part des choses à son échelle, que ce soit dans son couple, sa famille, son parti ou son travail. Cette visibilité doit nous donner à toutes et tous le courage de ne plus tolérer le sexisme, en aucun lieu, en aucun moment. Cela permettra à certaines d’oser davantage prendre la place qui leur est due et à s’y sentir légitimes. Une manifestation nationale secouera nos consciences, et montrera l’ampleur du mouvement.

Appel et manifeste pour le 14 juin 2019

Un appel a été lancé en 2018 à une grève féministe le 14 juin 2019, une mobilisation générale en faveur d’une égalité réelle entre les sexes.

Après de nombreuses discussions et rencontres, un collectif a lancé une page internet au début de cette année, avec un manifeste pour expliquer les raisons et enjeux de cette manifestation. Je m’en suis réjoui, y trouvant une liste de toutes les bonnes raisons qui font que personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle.

Après lecture, je suis néanmoins resté sur un malaise, qui s’est cristallisé sur deux points.

  • l’appel ne s’adresse pas aux hommes, il les exclut même explicitement à travers une petite astérisque associée à toutes les occurrences du mot femme dans le texte : «*toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance) ».
  • l’appel associe la lutte féministe à une lutte anticapitaliste

Si j’entends bien les arguments qui peuvent avoir poussé vers ces deux aspects, je les trouve extrêmement dommageables et maladroits. Le mouvement féministe, s’il veut avoir un impact fort et réel aujourd’hui, doit être inclusif, et ne peut se permettre d’être discriminant. Nous devons réussir à convaincre largement. Avec ce discours, au contraire, les initiantes resserrent les rangs de leurs troupes, mais on ne mobilisera pas l’ensemble des forces progressistes du pays : on ne mobilisera ni à droite, ni les timides, ni les femmes qui ont des responsabilités au sein de l’économie et qui jouent pourtant un rôle si important dans le changement ; et on ne mobilisera pas non plus les hommes (ce dont certains se satisferont certainement). Bref, non seulement ce texte ne prêche que les convaincues, mais en plus il ne prêche qu’une petite partie des convaincues.

La lutte féministe nous concerne nous aussi, les hommes, plus que jamais.

Il est essentiel que nous (hommes qui nous reconnaissons dans le genre qui nous a été assigné à la naissance…), agissions avec les femmes, à leurs côtés, là où nous avons une influence et une responsabilité. A l’heure de la lutte contre la charge mentale, du congé paternité, il serait totalement incohérent de laisser la charge de la lutte féministe aux femmes seules. Il est trop facile de dire « c’est un truc de femmes, mais je les soutiens », à la façon dont certains disent : « j’aimerais bien travailler à temps partiel, mais mon entreprise ne le permet pas ». La charge mentale ne se partage qu’en prenant sa part de responsabilité.

Comment pourrais-je être crédible face à mes filles en leur disant que j’irai travailler normalement le jour de la grève féministe, que c’est un truc de nanas et qu’elles peuvent y aller avec leur maman ? Non, nous, les hommes, devons avoir un rôle actif, et prendre nos responsabilités.

(NB : après relecture, je me vois désolé de ce flagrant délit de mansplaining de situation, uniquement dû au fait que ce manifeste a été rédigé par un collectif de femme. Plutôt que du « man-splaining », j’aimerais que mon billet soit compris comme un « man-ifeste »).

A quoi bon vouloir à tout prix mettre cette journée de mobilisation sous le couvert de la lutte anticapitaliste ?

Au-delà du terme même de « grève », très marqué politiquement, le texte contient des éléments qui positionnent le manifeste clairement à gauche, et associe explicitement le féminisme avec la lutte anticapitaliste.

Loin de moi l’idée de prétendre qu’il n’y a pas de sexisme dans le capitalisme ou le libéralisme. Mais le sexisme est partout. Il existait avant le capitalisme, de même qu’il existe aujourd’hui dans des organisations explicitement anticapitalistes. Prétendre que le sexisme est la faute du capitalisme me paraît trop réducteur par rapport à l’ampleur du phénomène, et surtout il sous-entends que rien ne sert de défendre le féminisme si on n’est pas anticapitaliste. Cela ne sert en rien la manifestation du 14 juin, tout au plus les élections fédérales de cet automne pour certains.

Une journaliste du Temps, Aïna Skjellaug, a évoqué cette forte couleur de gauche dans un édito, ce à quoi une « réponse » a été rapidement produite par un collectif de femmes coordonnant le mouvement actuel ; on pouvait y lire la confirmation que oui, pour « les femmes », le sexisme est lié au capitalisme. Punkt. Schluss.

Ayant alors demandé des précisions sur différentes plateformes de réseaux sociaux du mouvement, j’ai reçu plusieurs fois la même réponse, décevante: le vrai féminisme ne peut être que de gauche, mais tout le monde est invité à participer (écouter pour cela aussi le débat dans Forum du 30 janvier). C’est un peu la même attitude que lorsque des hommes sexagénaires d’un conseil d’administration unisexe déclarent que bien sûr, leur conseil d’administration est ouvert aux femmes (compétentes), qu’ils en ont même cherché, mais qu’aucune n’est prête à s’investir.

En terme d’ouverture, il faut bien se rendre compte que la formule des « collectifs » auto-organisés qui sont à la base de la rédaction du manifeste ne sont pas à la portée ni dans la culture de toutes les femmes. Une militante de gauche maîtrise et se sent à l’aise dans un telle formule, alors qu’une jeune cadre d’un parti de droite bien moins, même si elle a de fortes convictions féministes. Il faudrait un sacré courage pour s’inviter et s’imposer dans un groupe qui nous considère soit comme une nunuche victime, soit comme une traîtresse qui pactise avec l’ennemi.

Pour avoir réellement un impact, à court terme, nous avons besoin de toute la diversité des profils, sensibilités, compétences et fonctions des femmes. Toute femme est légitime pour défendre la lutte contre le sexisme.

S’il est important de défendre ses idées “politiques”, la cause des femmes a assez attendu pour ne pas attendre l’aboutissement de la révolution anticapitaliste. Sortons des guerres de clans et agissons sans plus tarder, avec toutes les forces progressistes en la matière.

Le mouvement va encore évoluer et s’étoffer

La journée du 14 juin est néanmoins encore loin, et beaucoup de choses vont encore se passer. Il y a assez de temps pour mobiliser large, rassembler les forces et les diversités. Il existe aussi de multiples formes de mobilisation autres que la “grève” au sens strict.

Des organisations clés en matière de féminisme comme Alliance F ou politiciennes.ch, n’ont à ma connaissance pas encore communiqué sur le sujet du 14 juin. Elles ont déjà montré par le passé qu’elles sont capables de rassembler au-delà des clivages politiques, et j’ai grand espoir qu’elles prendront leurs responsabilités.

Pour ce qui est des hommes, je suis plus dubitatif, et ne vois pas d’organisation à même de se mobiliser ; corollaire du sexisme actuel, il n’y a par exemple pas de groupes « hommes » dans les partis politiques, qui pourraient s’activer sur ce sujet. Cela ne doit pas nous empêcher de nous activer chacun, de manière individuelle.

Des réunions régulières sont agendées pour coordonner le(s) mouvement(s) et sont annoncées sur le site mère du mouvement. Il y a encore beaucoup de possibles. En ce sens, il serait aisé de faire évoluer deux ou trois phrases du manifeste pour le rendre plus inclusif et moins typé politiquement, sans rien y changer au niveau des revendications concrètes. On pourrait aussi imaginer que chaque « groupe » publie son propre texte, permettant ainsi une certaine diversité.

Et moi*, dans tout cela ?

(*homme cisgenre, père de deux filles, marié et chef d’entreprise)

La communication officielle actuelle me dit que je suis le bienvenu à Berne le 14 juin pour « soutenir » le mouvement: par exemple en faisant la cuisine ou en gardant les enfants ce jour-là. Or, je ne veux pas « soutenir » le mouvement, je veux « être » de ce mouvement. Et je n’ai pas besoin d’une manifestation nationale pour faire la cuisine ou garder les enfants en en faisant un « geste de soutien » exceptionnel.

De plus, la notion de grève a pour moi peu de sens. D’une part parce qu’elle polarise plutôt qu’elle rassemble, que je ne sais pas à quel client je facturerais mes heures de grève, qu’en tant que directeur, me mettre en grève serait paradoxal, et que plus fondamentalement je n’ai jamais défendu l’outil de la grève.
Par contre je conçois qu’en terme de marketing, le terme soit puissant, et je peux m’en accomoder.

Si je ne me reconnais pas dans la communication actuelle, je me reconnais totalement dans le contenu des revendications de la manifestation, et j’assumerai donc ma part tout autant que mes parties.

A défaut de faire grève, je prendrai donc congé le 14 juin, et je serai présent pour donner un signal fort que cette cause me concerne et m’engage (en cravate violette).

Le 14 juin 2019, je ne ferai ni la grève, ni la femme; mais j’en serai.

Aujourd’hui, je suis persuadé qu’il est possible d’atteindre une société égalitaire avec des changements qui sont à notre portée. Pour cela, nous devons toutes et tous nous y mettre. Femmes, hommes, de gauche comme de droite ou d’ailleurs, en privé, en public et au travail. Chacune et chacun à notre façon, faisons avancer le féminisme; changeons nos systèmes, nos attitudes, avançons, toutes et tous à notre manière. Ensemble.

Dites, les hommes, on s’y retrouve, le 14 juin ?

L’affaire Buttet – chance inattendue pour la cause des femmes.

 Héros malgré lui |

Peut-être que dans quelques années nous nous souviendrons en fin de compte de Yannick Buttet comme d’un Conseiller national qui a  fait avancer la cause des femmes – malgré lui.

Penchons-nous un instant sur les circonstances uniques qui pourraient en faire un héros malgré lui de l’égalité des sexes et du respect des femmes.

Une conjonction d’affaires particulière |

L’impact de cette affaire est due à la combinaison unique entre un contexte momentané favorable (Weinstein, #MeToo & Co), et un amalgame inadapté entre deux situations : une plainte pour harcèlement qui relève à priori du domaine privé, et un comportement public à Berne totalement inadapté.

Ou plutôt, un comportement public à Berne SOUDAINEMENT considéré comme inadapté. Car soyons honnêtes, personne, dans le petit cercle des parlementaires fédéraux, lobbyistes et journalistes n’ignorait les attitudes du Conseiller Buttet (et semblerait-il, de plusieurs autres).

Après un article du Temps, en une nuit, un comportement toléré, minimisé, est subitement devenu inadmissible. La fuite vaudevillesque sur la plainte pénale valaisanne a mis le Conseiller Buttet dans une lumière suffisamment scandaleuse pour rendre attaquables ses actes bernois. Sans son affaire privée, ce comportement public inacceptable serait resté celui d’un gros lourd gênant, comme nous en connaissons bien trop, tout juste qualifié d’un haussement d’épaule, de sourcil, ou pire, d’un sourire amusé.

La nocivité sociale des « gros lourds » |

Ce que nous entendons aujourd’hui dans les témoignages de politiciennes courageuses déclenchés par les révélations du Temps, c’est que ce comportement de « gros lourd » fait des victimes. Le machisme et le harcèlement sexiste ont un prix social. D’un côté celles qui refusent un tel traitement se tiennent à l’écart de la politique ; de l’autre celles qui s’y frottent doivent régulièrement s’en défendre, elles sont usées, rabaissées (et cela sans pouvoir en parler, pour ne pas passer pour ce qu’elles ne sont pas: des faibles femmes) utilisant à chaque fois de l’énergie qu’elles ne peuvent investir dans le jeu politique.

Dépasser l’affaire et le cas isolé – du #MeToo au #WeToo |

Laissons de côté l’élément déclencheur qu’est «l’affaire Buttet», la justice en traitera le pan valaisan ; pour le côté politique, un lynchage ne servira aucune cause, si ce n’est celle de ses adversaires politiques, probablement tout aussi concernés par certains collègues.

Nous devons ensemble faire notre Glasnost phallocrate et lutter contre les signes de machisme que nous rencontrons. Gardons les projecteurs sur ces comportements déviants. Réagissons systématiquement en présence d’un dérapage, et si la chose se répète, cherchons une solution.

Les langues doivent se délier, les personnes qui dysfonctionnent doivent s’en rendre compte et le cas échéant, être recadrées, accompagnées, voire soignées.

Les victimes doivent pouvoir en parler, être prises au sérieux, et ne plus devoir accepter cette situation parce que c’est le jeu. Les pulsions sexuelles n’ont rien d’attirant, lorsqu’elles servent d’arme de pouvoir envers des tiers non consentants.

J’attends le moment où quelqu’un osera passer des #MeToo des victimes au #WeToo de celui qui demande d’être excusé – et ceci spontanément, avant-même d’être dénoncé…

Ou alors faut-il être beaucoup plus réaliste, et commencer par élire davantage de femmes au Parlement pour en changer la culture?

By Vassil (Own work) [Public domain], via Wikimedia Commons

La contraception, une bagatelle? Pour les hommes, peut-être…

Une histoire d’effets secondaires

La contraception a depuis toujours été une histoire d’effets secondaires plus ou moins mal maîtrisés. Elle est une alternative aux familles nombreuses, à l’interruption de grossesse, au coitus interruptus, au préservatif ou à l’abstinence (oui je sais, la sexualité ne se limite pas à la pénétration, mais là n’est pas le sujet de ce papier).

Elle est la plupart du temps aux mains des femmes, et en grande partie aux mains des gynécologues et des vendeurs d’hormones. Je ne ferai pas la liste ici des effets secondaires liés aux diverses pilules et stérilets, dont le web regorge, mais que l’on minimise bien trop souvent ; par pudeur, ou parce que personne n’a vraiment envie d’en connaître les détails. Et surtout pas nous, les hommes.

La solution miracle

Il existe pourtant une solution miracle pour les hommes, au prix d’un vélo de course d’occasion, pour des désagréments moindres que ceux du traitement d’une carie, et cela en l’espace d’une demi-journée.

J’ai nommé la « vasectomie ». Ce mot qui évoque encore trop souvent les pires supplices dans de lugubres cliniques, une émasculinisation aux effets psychologiques insoutenables, des blagues machistes, ou alors simplement rien du tout, car la question ne s’est jamais posée.

Et cela alors que cette méthode a tout pour convaincre : pour moins de 1’000 CHF, avec une douleur maximale qui est celle de la narcose locale (et qui ne dépasse pas celle de la piqûre chez un dentiste), et tout cela en une opération ambulatoire de moins d’une heure, pour être sur pied une heure après et sans douleurs (pour être tout à fait honnête, après l’opération, je n’ai pas apprécié du tout les poils mal rasés entre les cuisses – mais j’ai bien entendu supporté cela avec grande vaillance).

Pourquoi si peu ?

Après un tableau si rose, la question qui se pose est bien: “Pourquoi la vasectomie est-elle si peu connue, et surtout si peu pratiquée ?” Autorisée depuis 2001 seulement en France, on n’y compte que quelques milliers de cas par année.  En Suisse, malgré l’absence de statistiques, les hommes ne sont pas bien plus motivés, avec quelques centaines d’opérations annuelles.

Quelles sont donc les raisons qui expliqueraient que la plupart des hommes de plus de 40 ans, non abstinents, préfèrent la coûteuse contraception féminine et son cortège d’effets secondaires.

  1. Les couilles, c’est sacré : il semble que oui. Il est encore bien des hommes qui associent leur statut à la qualité de leur scrotum. Mais qu’ils soient rassurés : la vasectomie est indétectable dans un vestiaire de fitness. Et leur voix ne se transformera pas en celle d’un magnifique castrat.
  2. Les hommes sont des chochottes : oui. Pourtant, ils vont bien chez le dentiste (et certains feraient même du sport, avec toutes les douleurs qui y sont associées).
  3. Parce que la contraception a toujours été une histoire de femmes : Oui. La méconnaissance (pour ne pas dire le désintérêt) de la chose est probablement la raison principale de ce partage de responsabilité plutôt inéquitable en terme de contraception. J’en veux pour preuve que même beaucoup de féministes engagés ont une vision terrible de la vasectomie. Je pense au « bon mot » que certains d’entre eux colportent régulièrement sur les réseaux sociaux « les hommes qui parlent d’une interruption volontaire de grossesse (IVG) « de confort » ferait bien d’essayer la vasectomie « de détente » » (rappel : la vasectomie n’est en rien comparable avec les douleurs physiques et mentales de l’IVG ; au contraire, c’est plutôt détendant et confortable comme méthode).
  4. Parce que ça ne rapporte rien : oui. En matière de contraception, les femmes (pour rappel, responsables en général de ce domaine là), consultent leur propre spécialiste : le gynécologue. Et ce dernier a toutes les raisons économiques de ne pas déléguer cette poule aux œufs d’or aux urologues des partenaires de leurs patientes, qui auraient tôt fait de régler le problème définitivement. Existe-t-il parmi les lectrices de ce blog une seule femme qui pourrait témoigner que son gynécologue lui a déjà conseillé la vasectomie ?
  5. C’est irréversible : Oui. En effet, si on ne peut exclure de souhaiter encore un jour des enfants (« Familienplanung abgeschlossen » est la case que j’ai du cocher sur le formulaire), ce n’est pas la bonne méthode (même si médicalement, l’opération est réversible dans la plupart des cas).

La bagatelle

Bref, il est temps que les hommes prennent en main leur contraception. Les menstruations, les accouchements et bien d’autres joies de la féminité, nous ne les assumerons jamais. Dans un couple, assumer la contraception pour la seconde partie de sa vie (oui, je suis quadragénaire) à peu de frais, sans douleurs et sans effets secondaires me paraît faisable, même pour un homme (à noter que la vasectomie ne protège pas des maladies sexuellement transmissibles et n’est pas indiquée pour une carrière tardive de Casanova). Pour promouvoir cela, après avoir raté le lancement des ironing clubs, je songe à lancer un vasectoclub. Ceux qui sont intéressés peuvent me contacter.

Au lieu de croire que la contraception est une bagatelle dont leur partenaire se charge, les hommes pourraient un jour faire de la contraception une vraie bagatelle: pour eux-mêmes.

#STOPBonnant – ou lorsque l’éloquence ne suffit plus.

J’aurais pu débuter ce court pamphlet par le célèbre „Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? Quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia?”, mais je ne le ferai pas, pour deux raisons; la première est que Monsieur Bonnant tient plus de Verres que de Catilina, et la seconde, plus essentielle, est que ce n’est pas sur le plan de la rhétorique que je me positionnerai aujourd’hui, mais sur le fond. Je dis donc simplement:

#StopBonnant.

Cela fait longtemps que son verbe emphatique mais stérile se déverse dans les médias et les scènes les plus diverses, bête de cirque terriblement performante pour l’audimat. Tel Miss Univers, son show excite les pulsions des jeunes coqs inexpérimentés tout en ravivant la flamme molle de ceux de sa génération. Sous prétexte de surmoi, il ne touche que le ça, et ça fonctionne parfaitement. Une reine de beauté plaît, et on ne lui en demande en général pas plus.

Le problème avec l’avocat du bout du lac est que par la beauté de son verbe choisi et de sa rhétorique fulminante, lorsqu’il ne défend pas quelque riche crapule, il fait mine de nous transmettre de brillantes idées, qui pour la plupart du temps sont au mieux vieillies, souvent sinistres et au pire discriminatoires envers les femmes, les non judéo-chrétiens ou les plus faibles.

Si Miss Univers ravit par la beauté de son physique, il n’y a en général pas de corrélation avec la beauté de sa pensée, pour laquelle nous n’avons que peu d’attente. A défaut de plumage, le Mister francophonie de l’éloquence ravit par son ramage ; mais là non plus, il n’y a pas corrélation avec la beauté de sa pensée; et pourtant trop se laissent gruger.

Si beaucoup prennent plaisir à ses performances dans quelques joutes oratoires sans conséquences au sein de coteries estudiantines, on a assisté mardi 21 mai dernier à une farce d’un tout autre calibre. C’est ainsi que « Maître Bonnant » s’est donné en spectacle en tant qu’avocat de la défense lors d’une audience publique au tribunal de Sion. Vous en lirez le récit instructif dans l’article de Xavier Lambiel >ici. Le show réalisé par Monsieur Bonnant a tellement flatté son auditoire de groupies d’extrême droite que le juge a dû rappeler: «On n’est pas au cirque». Ce jour là, les mots choisis et la rhétorique du septuagénaire servaient l’ineptie suivante sous les vivats de l’assemblée « L’islamophobie est non seulement légitime, mais c’est le devoir de toute intelligence structurée dans notre civilisation judéo-chrétienne ».

Nous n’avons pas le droit de nous laisser tromper par le parfum musqué de son verbiage autour de sa pensée malodorante et dangereuse. Il est dès maintenant de notre devoir de dire:

#StopBonnant.

Le Dorian Gray de l’éloquence française a fait son temps. La justice s’occupera un jour, peut-être, de ses activités côté jardin, mais son activité côté cour doit prendre fin aujourd’hui. Il ne s’agit pas ici de lui interdire de parler, comme personne n’interdit à une Miss Univers vieillissante de se montrer. Mais ne lui offrons plus les tréteaux pour se produire en public, où malgré son âge, il se plaît à diffuser ses idées fétides, sous couvert de libre pensée, dans des esprits momentanément éblouis. Ne le laissons plus répandre son compost, joliment ciselé mais malodorant, sur le terreau de l’extrême-droite. Et offrons ces planches libres à la génération en devenir, qui, sur des idées belles et neuves, saura polir son éloquence et nous refaire rêver !