#STOPBonnant – ou lorsque l’éloquence ne suffit plus.

J’aurais pu débuter ce court pamphlet par le célèbre „Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? Quamdiu etiam furor iste tuus nos eludet? quem ad finem sese effrenata iactabit audacia?”, mais je ne le ferai pas, pour deux raisons; la première est que Monsieur Bonnant tient plus de Verres que de Catilina, et la seconde, plus essentielle, est que ce n’est pas sur le plan de la rhétorique que je me positionnerai aujourd’hui, mais sur le fond. Je dis donc simplement:

#StopBonnant.

Cela fait longtemps que son verbe emphatique mais stérile se déverse dans les médias et les scènes les plus diverses, bête de cirque terriblement performante pour l’audimat. Tel Miss Univers, son show excite les pulsions des jeunes coqs inexpérimentés tout en ravivant la flamme molle de ceux de sa génération. Sous prétexte de surmoi, il ne touche que le ça, et ça fonctionne parfaitement. Une reine de beauté plaît, et on ne lui en demande en général pas plus.

Le problème avec l’avocat du bout du lac est que par la beauté de son verbe choisi et de sa rhétorique fulminante, lorsqu’il ne défend pas quelque riche crapule, il fait mine de nous transmettre de brillantes idées, qui pour la plupart du temps sont au mieux vieillies, souvent sinistres et au pire discriminatoires envers les femmes, les non judéo-chrétiens ou les plus faibles.

Si Miss Univers ravit par la beauté de son physique, il n’y a en général pas de corrélation avec la beauté de sa pensée, pour laquelle nous n’avons que peu d’attente. A défaut de plumage, le Mister francophonie de l’éloquence ravit par son ramage ; mais là non plus, il n’y a pas corrélation avec la beauté de sa pensée; et pourtant trop se laissent gruger.

Si beaucoup prennent plaisir à ses performances dans quelques joutes oratoires sans conséquences au sein de coteries estudiantines, on a assisté mardi 21 mai dernier à une farce d’un tout autre calibre. C’est ainsi que « Maître Bonnant » s’est donné en spectacle en tant qu’avocat de la défense lors d’une audience publique au tribunal de Sion. Vous en lirez le récit instructif dans l’article de Xavier Lambiel >ici. Le show réalisé par Monsieur Bonnant a tellement flatté son auditoire de groupies d’extrême droite que le juge a dû rappeler: «On n’est pas au cirque». Ce jour là, les mots choisis et la rhétorique du septuagénaire servaient l’ineptie suivante sous les vivats de l’assemblée « L’islamophobie est non seulement légitime, mais c’est le devoir de toute intelligence structurée dans notre civilisation judéo-chrétienne ».

Nous n’avons pas le droit de nous laisser tromper par le parfum musqué de son verbiage autour de sa pensée malodorante et dangereuse. Il est dès maintenant de notre devoir de dire:

#StopBonnant.

Le Dorian Gray de l’éloquence française a fait son temps. La justice s’occupera un jour, peut-être, de ses activités côté jardin, mais son activité côté cour doit prendre fin aujourd’hui. Il ne s’agit pas ici de lui interdire de parler, comme personne n’interdit à une Miss Univers vieillissante de se montrer. Mais ne lui offrons plus les tréteaux pour se produire en public, où malgré son âge, il se plaît à diffuser ses idées fétides, sous couvert de libre pensée, dans des esprits momentanément éblouis. Ne le laissons plus répandre son compost, joliment ciselé mais malodorant, sur le terreau de l’extrême-droite. Et offrons ces planches libres à la génération en devenir, qui, sur des idées belles et neuves, saura polir son éloquence et nous refaire rêver !

Et si le jazz pouvait nous aider à relever les défis d’aujourd’hui…

Le printemps en Suisse romande remet chaque année le jazz à l’honneur (et les culs sur les i). C’est en me plongeant dans les délices des boeufs, jam session et autres improvisations jazzistiques du moment que je me suis demandé si l’approche jazz n’était pas une piste sérieuse pour aborder les défis de notre temps.

Quel miracle permet-il à trois ou quatre musiciens (souvent davantage), qui ne se connaissent parfois pas encore, de faire émerger en quelques minutes la magie de cette musique, sans partitions ni chef d’orchestre ?

Le jazz, mode d’emploi

Ils jouent – dans tous les sens du terme – ensemble ; chacun amène sa note à l’édifice ; ils découvrent, expérimentent, cherchent et font émerger pour quelques instants un rythme entraînant, un mouvement qui nous questionne, une mélodie qui nous emporte, et qui ne se reproduira plus jamais à l’identique.

La liste des ingrédients est simple pour que cela fonctionne (et je ne parle pas du talent). Chaque musicien apporte avec lui les éléments suivants :

  • la maîtrise de base d’un instrument (ou de sa voix)
  • la maîtrise d’un alphabet commun : les gammes, leurs modes et les harmoniques
  • la connaissance d’une culture commune sur laquelle construire et jouer ensemble, que sont entre autres les thèmes du jazz (pensons à summertime* par exemple)
  • une sensibilité, une culture et une identité propre (stylistique, rythmique)

A partir de là c’est tout l’art du jazz qui prend vie. En se basant sur les quelques éléments connus (gammes, thèmes, motifs rythmiques), les artistes se lancent ensemble dans l’improvisation et l’exploration, avec deux conditions essentielles : l’écoute réciproque et la réactivité. Un fil invisible relie les protagonistes, dont chacun des mouvements est ressenti par les autres, qui s’adaptent, puis entraînent à nouveau le suivant. Cette danse subtile demande attention, écoute, respect et réactivité, en acceptant de ne pas savoir quels seront les prochains pas, avec un élan commun pour guide.

Résoudre nos défis comme on jouerait du jazz

A notre époque ces compétences sont déterminantes : le monde est trop complexe pour pouvoir le maîtriser comme une marche militaire, il n’est pas prévisible pour pouvoir suivre la partition comme un orchestre symphonique, et simplement jouer plus fort que les autres comme dans une fanfare carnavalesque ne fonctionne pas plus longtemps qu’une élection de Trump.

Aujourd’hui plus que jamais chacun de nous doit maîtriser son instrument, son métier de base; il doit apprivoiser avec l’expérience les thèmes connus pour improviser avec et surtout, il doit savoir composer avec des instruments de registres très différents pour faire émerger la musique du moment. En s’y prenant bien, cela peut swinguer, groover, et l’action de chacun se mêlera dans une mélodie unique au sein du trio, du quatuor ou du septuor, voir même du big band (dans ce dernier cas, on aura besoin d’un directeur).

Observez bien les gouvernements de votre commune ou de votre canton, votre parlement, ou la direction de votre entreprise. Savent ils jouer du jazz ?

 

*Summertime : en tapant « Summertime » dans le moteur de recherche de spotify ou Youtube, on est surpris de la variété des interprétation, et de la très grande différence de qualité ; le jazz, ça reste difficile (mais ne ratez pas Billie Holiday, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Sidney Bechet, Mungo Jerry, et surtout pas Chet Baker, Nina Simone, Janis Joplin ou encore le George Benson Quartet).

La suisse romande pourrait devenir le laboratoire du paysage médiatique de demain

En matière de paysage médiatique romand, il y a un seul consensus: cela ne peut pas continuer ainsi.

Le paysage médiatique romand est dans la tempête, et rien n’indique que les vents vont baisser. Après des années où les tendances qui le malmènent ne cessent de se renforcer, il est aujourd’hui proche de l’implosion. Dans le débat que l’on observe aujourd’hui, on peut répertorier, en vrac et sans jugement, les constats suivants:

  • La numérisation de l’information entraîne des coûts supplémentaires, sans forcément réduire la part des coûts papier.
  • La numérisation amène un foisonnement de canaux, de contenus, notamment d’archives (combien d’articles qui ne sont plus du jour lisez-vous quotidiennement?) accessibles facilement, autrement dit une concurrence interne exacerbée.
  • Les consommateurs veulent choisir leurs infos, et souhaitent payer uniquement pour cela (on ne s’abonne plus à un journal, mais on achète un certain nombres d’articles intéressants pour un prix X).
  • L’information est paradoxalement à la fois considérée comme un bien de consommation et un droit pour lequel on ne devrait pas devoir payer.
  • L’avènement des médias sociaux n’a pas seulement ouvert une nouvelle ère de la liberté d’expression, mais il a fait émerger en marge du débat public une jungle d’individus et de groupes qui ne se comprennent plus, et hurlent en choeur pour éloigner les avis différents.
  • Les frontières entre les disciplines journalistiques traditionnelles s’estompent de plus en plus (écrit – audio – visuel) (information/actualités – reportage/documentaire – divertissement, …).
  • Les plateformes informatiques et les réseaux sociaux permettent de suivre les médias de tous les cantons, sans plus nécessairement avoir besoin d’un média supracantonal romand.
  • Les sources traditionnelles de revenus (annonces notamment) ne financent plus la production journalistique.
  • Les propriétaires et éditeurs des grands journaux ont perdu le lien avec la suisse romande, et leur raisonnement est essentiellement économique.
  • Les médias n’ont plus le monopole de la transmission de l’info, tout un chacun peut utiliser Facebook, Twitter, Periscope, ou son blog pour s’adresser sans filtre et directement à son public.
  • Le média bashing est un sport populaire de plus en plus en vogue à tous les étages de nos démocraties.
  • Nombre de canaux diffusent de l’information sans appliquer les règles de déontologie du journalisme (par exemple la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste (PDF) du Conseil suisse de la presse), ce qui décrédibilise l’ensemble de la branche.
  • L’incertitude reste quand au financement et aux missions de la SSR (Nouvelle concession SSR, initiative populaire fédérale ‘Oui à la suppression des redevances radio et télévision (suppression des redevances Billag).

Nous sommes tous d’accord sur le fond

La question n’est pas aujourd’hui  de savoir s’il fallait sauver l’hebdo (qui a fait son temps) ou comment sauver Le Temps (nombre de personnes compétentes s’activent sur le sujet), mais bien : comment mettre en place les conditions cadres favorables à un paysage médiatique romand de qualité?

Sur l’utilité et la mission des médias, on peut probablement se mettre d’accord, par exemple en reprenant l’alinea 2 de l’article 93 « Radio et télévision » de la Constitution fédérale, et en remplaçant radio et télévision par acteurs médiatiques.

Art. 93 Radio et télévision

2 La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions.

Oui, mais qui peut résoudre ce défi?


Les médias eux-mêmes ? Malheureusement pas.

Aucun acteur n’est capable aujourd’hui de résoudre ce défi seul, et surtout pas les médias eux-mêmes. Il leur manque le rôle qu’eux jouent pour les autres branches. Quelqu’un qui éclaire, qui met en perspective, qui aiguillonne, qui questionne et qui donne la parole. De la même manière qu’un médecin ne peut se soigner lui-même, la presse et les médias dans leur ensemble sont démunis.

Sans compter un autre aspect moins reluisant, qui est aujourd’hui occulté par la solidarité autour de la disparition de l’Hebdo et la situation au Temps. Dans ce microcosme, la concurrence est rude, les critiques fortes, les langues fourchues, mais rarement sur le devant de la scène. Si un journaliste se permettait de critiquer la politique d’un autre titre, ou l’article d’un collègue, ce ne serait pas considéré comme une critique constructive mais comme l’attaque déloyale d’un concurrent; pour certains, ce serait leur carrière qui pourrait en pâtir, le nombre d’employeurs dans la branche étant restreint. Bref, l’omerta règne et comme on l’a connu dans la médecine, la culture de l’erreur est peu développée, ce qui fragilise l’esprit d’innovation.

Autre raison qui n’aide pas : pour beaucoup, le métier de journaliste n’est pas comparable à un autre, et la haute mission qu’ils ont rend la remise en question plus difficile. On connaît ces phénomènes au sein d’autres corporations comme la santé, la police ou l’éducation.

Les médias sont au cœur de la solution. Mais ils ne la trouveront pas seuls, ni ne pourront la mettre en œuvre seuls.


La politique ? Non.

On touche là à un aspect central de la séparation des rôles entre pouvoirs dans une démocratie. Même les politiciens à l’éthique la plus forte, verront toujours les médias comme un canal privilégié vers leurs électeurs.

De même, un journal qui a le soutien d’un politique perd une partie de sa liberté.

La politique à un rôle essentiel à jouer pour mettre en place les conditions cadres nécessaires, elle doit participer au débat mais elle ne peut pas le mener seule.


Un mécène, une fondation ou un club autoproclamé ? Non plus

On a beaucoup parlé du soutien privé, organisé par exemple sous forme d’une fondation. Ce genre d’organisation peut être possible pour un seul titre, mais pas pour le paysage médiatique dans son ensemble. De plus, cette formule ne peut pas assurer le soutien démocratique nécessaire, et la faible taille du paysage médiatique romand ne permettrait pas à une diversité d’organisations porteuses de voir le jour. Techniquement plus facile, mais encore plus délicat en terme de démocratie, est la prise en main par un entrepreneur-mécène, comme l’ont été où le sont des Blocher, Trump, Berlusconi ou Bolloré. Un tel mécène ne peut avoir que deux intérêts directs : faire du bénéfice, ou influencer le contenu médiatique ; le second m’est particulièrement peu sympathique en terme de déontologie.

Mettre en place un dialogue des parties prenantes

Si personne ne peut trouver la solution seul, c’est qu’il faut le faire ensemble. Ou autrement dit, mener une démarche de réflexion stratégique, impliquant l’ensemble des parties intéressées. La nécessité d’une approche multi-stakeholder est d’ailleurs la conclusion à laquelle aboutit Michel Danthe dans l’éclairant interview donné dans l’émission « Médialogues » de samedi 18 février.

Qu’on appelle cela Etats-généraux, processus stratégique multisectoriel, dialogue des parties prenantes n’est pas important. Il est néanmoins essentiel, vital même, pour le paysage médiatique romand autant que pour notre démocratie, de mener au plus vite cette démarche, de manière structurée. Et le temps presse, car il faudrait en avoir posé les jalons avant que le Parlement fédéral ait bétonné la moitié des possibilités avec sa nouvelle concession SSR, ou que l’initiative No Billag coupe encore dans les moyens financiers accordés au paysage médiatique romand.

Chaque acteur doit être intégré au bon moment, avec la bonne forme, afin d’aboutir en quelques mois à une stratégie que chacun pourra mettre en œuvre à sa manière et dans son domaine d’action. Le rôle des politiques pourrait être celui-ci : inviter, structurer et co-financer un tel processus.

Avec quel contenu ?

Loin de moi l’idée de vouloir donner ici des solutions. Mais parmi les questions que l’on pourra traiter dans un tel dialogue, pourraient figurer, sans tabou :

  • Qu’est-ce que la diversité de la presse ?
  • De quoi la démocratie, l’économie, la société suisse-romande ont-elles besoin en matière de médias ?
  • Certains titres ou certaines agences pourraient-ils obtenir des mandats de prestations cantonaux (couverture des conférences de presse, des débats au Parlement, des votations…) ?
  • Quel cadre, quelles conditions prévoir pour les diffuseurs d’information comme les réseaux sociaux ou autres supports ?
  • Qu’est ce qui fait partie du service public, et qu’est-ce qui n’en fait pas partie ?
  • Quel est le rôle des journalistes, des médias individuels, des éditeurs, de la SSR, de MEDIAS SUISSE (association de défense des intérêts des éditeurs romands, qui est problématiquement discret sur ces sujets)
  • Y aurait-t-il de nouvelles formes de revenus annexes pour la profession, maintenant que les petites annonces et la publicité disparaissent ? Quels mandats rémunérés un journaliste pourrait-il remplir à l’externe pour améliorer la rentabilité de son entreprise ? Quelles prestations les rédactions ou les responsables d’infrastructures pourraient-ils offrir à des tiers (financements internes croisés) ?
  • Comment assurer la formation professionnelle et continue des journalistes romands, sans être dépendant des bénéfices des éditeurs ? Un brevet fédéral reconnu par la Confédération pourrait-il être soutenu ?
  • Faut-il développer une plateforme multi-titres pour permettre aux consommateurs de profiter d’une plus grande diversité et d’articles à la carte ?
  • Comment donner un cadre aux médias qui voudront être considéré de référence et répondre aux critères de qualité et de déontologie de la profession ?
  • ad libitum

On trouvera mille raisons à ne pas ouvrir un tel chantier. Des acteurs qui n’ont pas l’habitude de réfléchir ensemble et de manière stratégique devront le faire. C’est un sujet passionnant. Ce sera une contribution majeure à l’évolution de notre société en ce début de XXIème siècle. La taille et le petit nombre d’acteurs qui composent le paysage médiatique romand, ainsi que les très hautes compétences journalistiques sur place devraient permettre de faire émerger une approche innovante. Les énergies sont là, sachons les mettre en valeur à bon escient !

Aucune super nanny ne nous sauvera de la stratégie brillante de Trump.

Aucune super nanny ne nous sauvera de la stratégie brillante de Trump.

Tout mettre en œuvre, une stratégie brillante !

En mettant en œuvre à la lettre son programme absurde et dangereux, le dernier président américain (pardon, je n’arrive pas à mettre la majuscule) est gagnant sur toute la ligne, en trois coups:

  1. Il prouve que contrairement à tous les autres, lui, met en œuvre ses promesses électorales, sans sourciller, sans attendre.
  2. Lorsque les institutions, d’autres politiciens (ou pire, les médias) bloqueront la mise en œuvre effective de ses lubies, il sera encore plus crédible en victime du système contre lequel il prétend lutter (rien de mieux pour lui que la décision ultra rapide d’une juge pour remettre en cause sa décision sur l’immigration issues de certains pays musulmans)
  3. Une fois bloqué, il pourra quitter la scène en héros, sans avoir dû prouver que son programme ne tient pas la route dans la réalité.

Cette mise en œuvre jusqu’à l’absurde d’une règle donnée est une stratégie brillante, une tactique bien rôdée que chacun a essayé au moins une fois en tant qu’enfant (certains avec plus de succès que d’autres). Souvent, elle se termine dans une grande crise, en claquant la porte et en allant bouder après avoir cassé un maximum de choses. Ensuite, on murit et découvre d’autres façons de faire.

 

Ni le laisser-faire, ni la diplomatie, ni la justice ne suffiront

L’analogie avec la crise enfantine n’offre que trois stratégies pour sortir de cette situation:

La confrontation avec la réalité :
Le laisser cyniquement s’embourber dans la réalité de son programme, attendre que les problèmes soient insolvables, les ennemis intraitables. Les dangers d’une telle stratégie sont innombrables, et la crise finale s’annonce particulièrement dure.

Appeler super nanny
Engager une autorité pour recadrer le pauvre gosse mal éduqué et dysfonctionnel; mais quelle personne, institution ou pays pourrait jouer un tel rôle? Trump n’a rien à perdre, peut assurer ses besoins de base sans l’aide de personne, ne dépend de rien financièrement, et a fait de la remise en cause de l’autorité sa marque de fabrique.
Les institutions onusiennes, qui auraient pu en théorie jouer ce rôle, sont totalement démunies.
Le seul à même de jouer ce rôle aujourd’hui est Vladimir Poutine. Mais il est peu probable qu’une telle relation d’autorité se mette en place pour le plus grand bien de l’humanité.

Laisser faire le groupe
Dans une telle situation, et les éducateurs sociaux le savent, le groupe peut jouer un rôle fort. Ce sont les camarades qui peuvent mettre le holà aux dérives d’un des leurs qui dysfonctionne. Ils doivent avoir le courage d’ouvertement donner leur avis, de dire que cette situation est problématique. Il faut sortir de la dynamique « un groupe contre l’autre », pour entrer dans celle entre les membres à l’intérieur du groupe. C’est là mon seul espoir.

Super Nanny ne viendra pas – nous n’avons pas le droit de nous taire

Trump se fiche des femmes lesbiennes noires musulmanes et pauvres qui critiquent son attitude. Au contraire, il s’en gargarise, et ça le rend plus fort dans son rôle où la compassion n’a pas de place.

Ce sont bien ses pairs qui doivent élever la voix : les bedonnants, les présidentes, les républicains, les entrepreneurs; à tous les membres de ces groupes de dire à haute voix que cette attitude est indigne, inadéquate et nocive, et qu’ils ne sont pas d’accord de jouer ce jeu.

Cette attitude demande du courage, et tout le monde n’est pas Justin Trudeau. C’est là où le soutien et des messages clairs de tous peuvent encourager les bedonnants, les présidentes, les républicains, les entrepreneurs à oser affirmer leurs valeurs haut et fort.

Notre pays n’a plus le droit de se taire, ni de se draper dans son éthique diplomatique. Monsieur Burkhalter, Madame Leuthard, ne tergiversez plus, donnez des signaux clairs, sans gesticuler. Dites que la Suisse n’est pas d’accord de jouer ce jeu du mépris des droits humains.

Aucune super nanny ne viendra nous aider. A nous, citoyens, aux partis politiques, aux associations et institutions diverses, de tous donner de la voix pour ne pas accepter cette façon de faire qui nous mène tout droit aux dérives du siècle passé.

 

Ne laissons pas nos Trumps indigènes propager leur culte indigne.

Et avant tout, ne laissons pas le champ libre à ceux qui veulent lancer un nouveau culte des hommes « forts » dans NOS médias et NOTRE système politique; ils veulent nous faire croire qu’oser remettre en question les règles de notre humanité – les droits humains – est un signe de grandeur. Nous les entendons presque chaque jour, ils deviennent de plus en plus forts, ils font peur. Roger, Oskar, Claudio et tous les autres : le culte de Trump n’est pas acceptable en Suisse. Soyons fiers d’être faibles, cela nous rend plus forts.

 

 

PS: Ce blog à peine publié, voilà que Didier Burkhalter donne les premiers signes qui vont dans la bonne direction. Son communiqué de presse du 29 janvier est ici, plus de détails dans l’article de Lise Bailat intitulé “Didier Burkhalter: la décision américaine «va clairement dans la mauvaise direction»” est , et pour l’écouter sur Forum de RTS le soir du 29 janvier, c’est plutôt par .

A voir si la Présidente de la Confédération et – encore mieux – si le ministre responsable des relations commerciales, sauront aussi avoir le verbe clair.

 

 

Ferai-je cent kilos, quand j’aurai quarante ans ?

Il est en cette période, coutume de faire bilans,
et samedi dernier, je montais comme chaque an,
sur la vieille balance, encore chez mes parents.

C’est ainsi que je vis que mon corps s’était mis,
de tous ses trente-neuf ans, sur la marque nonante-six.
Jusqu’alors insouciant, je fus en un instant,
de six nouveaux kilos, couronné „bedonnant“.

Vous l’aurez deviné, c’est un sujet futile,
qui n’aurait jamais pu, au coeur d’un quotidien,
de référence qu’il est, être à hauteur de style;
me voici donc faquin, usant d’alexandrins.

Expérience inconnue, il m’en vint trois questions :
Quel est le juste poids, serais-je donc obèse ?
Quel est le juste âge, pour être encore à l’aise ?
Quelle est la juste vie, dans quelle abnégation ?

 

Du juste poids

Quelle est donc la limite, de ce fameux surpoids ?
Si j’en crois l’internet, son body mass index,
point ne devrais-je faire, plus de nonante kilos,
même si point encore, mon ventre ne fait cache-sexe.

Je vis encore très bien, à pied j’ai plein d’entrain,
je me dévêts partout, sans honte avant le bain ;
mais oui, je le sens bien, fier, est mon arrière-train.

Faut-il me mettre au sport, réduire le chocolat ?
Quitter mon insouciance, ne me servir qu’une fois ?
Ou vise-je quatre quintaux, avant mes huitante ans ?
Comment donc définir, l’ampleur de mon séant ?

Sera-ce donc la science, ou le regard des autres,
qui me fera changer ? Faut-il envisager,
changer de garde-robe et me laisser aller,
ou réduire mon tour de taille, de quelques centimètres ?

 

Du juste âge

Laissons donc de côté l’esthétique d’aujourd’hui,
la vraie question ici dont on parle partout,
c’est que pour la santé, ce n’est pas bon du tout,
et que de l’embonpoint, au grand âge ça nuit.

Combien de centimètres, faudrait-il qu’ils s’en aillent,
pour obtenir un jour, combien d’années en sus ?
Et comment être sûr, de ne pas au final,
le cerveau hors-circuit, végéter un peu plus ?

Car il est aujourd’hui de plus en plus courant,
que le cerveau faillisse avant les autres organes,
et que vivre plus longtemps, éloigné de toute canne,
ne permette à la fin, qu’être plus longtemps dément.

Une espérance de vie de plus de 80 ans,
ça devrait bien suffire à réussir sa vie ;
la quantité n’offre plus, de quoi être ravi,
mais c’est la qualité, qui donne sens au temps.

 

De la juste vie

Je lâche donc aussitôt cet argument « santé »,
pour n’en garder plus que, la notion de bien-être,
abandonne à leur sort, ces fieffés centimètres,
j’empoigne ma cervoise, et vous dis donc « santé » !

Peut-être que demain, point je ne mangerai,
un croissant aux amandes, en guise de déjeuner;
mais non au grand jamais, je n’abandonnerai,
mon Larousse des desserts, de ce bon Pierre Hermé.

Je poserais encore, une ultime question :
à quoi bon investir, dans ces programmes santé,
quand il s’agit d’une prime, à la sénilité,
ne vivrait-on point mieux, si l’on vivait moins vieux ?

29 décembre 2016

“So no, I have no hope right now, and no idea what to do. And soon, I’ll have no health insurance either.”

Toute à l’heure, sur le point de me coucher, je tombe sur le post de ma belle-soeur Anne. Après avoir grandi en Suisse, elle a fait ses études en Louisiane, est mariée à un noir américain et vit dans le New Jersey depuis plus près de vingt ans.  Ses mots résonnent profondément en moi, pleins d’émotion. A ma demande, elle a accepté que je publie son texte tel quel. Je vous laisse le lire, contrepoint à la vague d’objectivisation, de minimisation, qui fait déjà oublier que chaque bulletin pour Trump a blessé profondément des milliers de personnes, aux Etats-Unis et dans le monde. Ici aussi, chaque voix qui célèbre la victoire de l’intolérance est comme un coup de poing dans le ventre de tous ceux qui sont visés, lâchement.

 

amb

 

(11. November 2016)

“I’m still not sure how to process. I cried all day yesterday and felt a despair and fear I have never felt before. I read a few post-mortems that did little to comfort me, especially when the NYT is already calling Trump authentic and fresh, and some think pieces that did a better job than I could to express what my emotions are. I gave myself yesterday to mourn and was ready to put on my big girl boots today and find a way to be hopeful and continue the work done by Hillary and her campaign. But I haven’t found hope yet. I still need to scream.

I have no interest in “healing the divide” with people who CONSCIOUSLY chose a person who proudly claims as his values ignorance, intolerance, hatred, racism, misogyny, exclusion, lack of hard work, lack of preparation, lack of knowledge. Who is endorsed by white supremacists. Who is a climate change denier. Who will set back this country decades in terms of diversity progress, of women’s rights, of minority rights. Who will most likely put us in deep economic depression and start a few wars. Who will do NOTHING to make my husband safer as a black man in America—to the contrary.

Don’t give me bullshit about these people wanting change. You don’t vote for change when you re-elect the same congressmen and senators. White people rarely clamor for change when the economy is strong, unemployment low, and gas cheap. It’s not just poor and uneducated whites who voted for Trump, but whites of all income levels, including a majority of white women. This was a vote against a woman and against a black man. This was a vote against an America that is constantly evolving and changing, a 21st century America, but that you can’t see if you never leave your lily white world. The change they wanted was going back to a world where whiteness and maleness are safely at the top of the hierarchy.

For 8 years, many in this same segment of the population loudly stated that Obama was not their president. Trump has refused to admit that President Obama was born in the US (his recent PR stunt on the subject doesn’t count as admission) and basically launched his political aspirations through his birtherism, long before he came down an elevator and called Mexicans rapists. Well, now, it’s my turn to say that Trump is not my president. I know—democratic process, bla bla bla. No. Fuck no. Living in a democracy should mean that I am safe, that my family is safe, that my husband is not considered 3/5 of a man, that I and all my women friends can make decisions for our own bodies in a safe way and can be heard and understood, whether it is about sexual assaults or sexism in the workforce, that my friends of color are safe in all aspects of their lives, that my gay friends can celebrate their marriages and their babies without fear of losing rights, that my immigrant friends can feel like this is their home. Instead, I am reading countless accounts of muslims, blacks, latinos, gays being harassed and assaulted, already.

And I have no faith in checks and balances, since Trump will function with a VP who is one of the scariest politicians in recent memory, a cabinet made of some of the most extreme, corrupt, racist, and hate-spewing people (not to mention a great number of totally incompetent people, to support a man who doesn’t even seem to clearly understand the three branches of government), and with a GOP* Congress that has been blocking a record number of appointments from being made in the last year and will now be free to work with one of the most reactionary platforms in decades. There is no question that finding a way to repeal Roe v. Wade is a major priority.

This is not about 4 years. The consequences of a Trump administration (man, I just got nauseous all over again typing these words together, it just makes no sense) with a GOP Congress and Supreme Court appointments will last for a very long time.

And beyond politics and policy, this election result is a direct attack on a future where everyone has equal rights. It’s not that we are perfect right now, or that the last 8 years have been all peachy, but we were heading in the right direction and a Hillary presidency would have further worked so that all, no matter color, origin, creed, sexual orientation, or income level, would be treated equally. That is gone.

So no, I have no hope right now, and no idea what to do. And soon, I’ll have no health insurance either.”

 

*Note: GOP = Grand Old Party = Republican Party)

Trump: chant du cygne des mâles quinquagénaires sexistes et racistes – espérons-le.

Le problème des vieux mâles quinquagénaires

On peut expliquer politiquement pourquoi les rednecks de la ceinture de rouille du Nord Est des Etats-Unis n’aiment pas Hillary Clinton. On ne peut pas expliquer politiquement pourquoi les électeurs américains ont toléré qu’un candidat à la Maison-Blanche soit un vieillard vulgaire, sexiste, homophobe, xénophobe, raciste et climato-sceptique.

Laissons de côté toutes les questions politiques et les subtilités du système électoral américains, et venons-en au point qui nous concerne tous, en Europe, et en Suisse aussi : en 2016, la vulgarité (le parler franc), le sexisme (avoir des couilles), l’homophobie (porter ses couilles), la xénophobie (la barque est pleine), le racisme (nous avons tout de même des différences) et le climato-scepticisme (on ne se laisse pas manipuler) font recette ; tout particulièrement auprès des quinquagénaires, mâles, hétéros, blancs, ayant de faibles connaissances scientifiques.

Mais pas uniquement; parce que lorsqu’un quinquagénaire mâle, hétéro, blanc avec une certaine gouaille littéraire parle, on l’écoute. Et on lui donne la plateforme médiatique qu’il revendique; à la table familiale, au travail ou à la radio-télévision.

De profondes et anciennes blessures

Si tous l’écoutent, chez certains la parole fait particulièrement mouche, comme un baume chaud sur de vieilles blessures.

Au siècle passé, Freud évoquait trois blessures narcissiques : celle infligée par Copernic, qui nous fit comprendre que le monde ne tournait pas autour de nous, celle de Darwin, qui démontra que l’homme n’était qu’un chaînon isolé et tardif dans l’évolution, et finalement celle infligée par Freud lui-même (comble du narcissisme) qui nous expliqua que nous n’étions pas des êtres guidés par la raison, ni même maîtres de nos pulsions (et pourtant il ne connaissait pas encore Donald Trump).

Le XXème siècle ajoutait ensuite à ces blessures de nouveaux coups: les faits qu’il ne suffisait plus d’avoir un pénis blanc pour être meilleur que la majeure partie de l’humanité, que les femmes auraient une âme et autant de compétences qu’eux (même en politique), de même que les non-caucasiens (et on ne parlera pas des homosexuels, qui insultent ouvertement l’honneur qui leur a été donné de naître hommes – quant aux lesbiennes, elles posent moins de problèmes). Pour finir, on nous annonce que toute notre technologie met en branle des processus naturels que nous serions incapables de maîtriser…

Il y a de quoi perdre ses moyens, non ? En particulier pour le grand nombre de personnes fortement malmenées socio-économiquement: que leur reste-t-il pour leur estime?

Le défi de la complexité de notre monde

Il fut un temps où l’on pouvait se revendiquer de droite ou de gauche, en ayant l’illusion de connaître le juste et le faux. C’est de plus en plus difficile, les problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés demandant davantage de nuances qu’une solution de type liberté individuelle ou protection étatique. Pire encore, nous avons à faire quotidiennement des choix truffés de conflits d’objectifs, que l’on nous agite de plus en plus sous le nez. La désorientation est importante et il faut apprendre à agir dans l’incertitude, à chercher le mieux plutôt que le bien, le mieux plutôt que le plus.

Au milieu de cette complexité, la tentation est grande de se raccrocher à un modèle simple, qui nous donne une lecture manichéenne du monde (qu’il soit religieux, politique ou comportemental). Se faire végan peut rassurer, en donnant une lecture unique du monde, de la même manière que certains se sont convertis à l’islam, ou votent une liste de parti plutôt que des personnes aux élections.

Au final, comme un enfant désécurisé, on se lance dans un caprice, en prenant une décision extrême, folle, juste pour provoquer une réaction, par désarroi. Non pas parce que l’on a des couilles, mais parce que l’on a peur. Et parce que foncer la tête la première dans un mur bien identifié fait parfois moins peur que d’errer dans le brouillard de l’avenir.

Les bobos: le complexe des “décomplexés”

Un phénomène semblable se passe avec ceux qui sont tentés par le slogan facile de la nouvelle « droite décomplexée » que brandit en France Copé. Cette droite n’est pas du tout décomplexée, au contraire ; elle fait juste semblant qu’elle ne l’est plus, en rugissant comme un animal effrayé, d’autant plus en voyant que cela fait peur aux autres. Mais son complexe, elle le garde tout au fond d’elle. Par son intolérance et son égoïsme, elle trouve une légitimation facile à son rôle social: le fait de faire partie de la bonne catégorie, celle des mâles français, aux racines “gauloises”. Mais un vote ou une appartenance politique n’a jamais décomplexé personne ; ça se saurait.

De là vient aussi l’ aversion profonde envers les « bobos bien-pensant ». Notamment parce que les bourgeois-bohème vivent ces conflits d’objectifs ouvertement; ils sont socialement bien placés, et se soucient des plus faibles. Ils remettent en question le statut automatique du mâle, ou du blanc. Ils doutent ; et ils agissent aussi. Ils pensent à eux, aux autres aussi, parfois. En ne respectant ni les mantras de la gauche, ni de la droite, en rejetant les extrêmes, ils sont accusés d’être politiquement corrects ; alors qu’ils ne sont précisément pas corrects selon les idéologies « pures » classiques. Ils ont consciences de ne pas être parfait. Ils ont conscience de faire de leur mieux, et surtout de ne pas être meilleurs de par leurs attributs génétiques.

Ne laissons pas faire nos petits Trumps

Plus près de chez nous, lorsque l’on écoute parler les Freysinger, les Bonnant, les Köppel à l’occasion d’une de leurs rodomontades publiques, on comprend la force de leur stratégie. En opposant le « peuple » à une élite, ils désignent un ennemi tout en renforçant le complexe (la gauche aussi se met à jouer dans ce registre, attribuant insidieusement des certificats de pureté « populaire »). En osant un humour sexiste et graveleux, ils tentent de sauver les derniers schémas rassurants de paternalisme. En attribuant les problèmes aux migrants, ils qualifient indirectement les indigènes comme intrinsèquement meilleurs. En se décorant de pensée libre, ils ne font qu’ânonner des mantras révolus. Cela rassure les complexés et les mal positionnés. Lorsque Köppel vient jubiler à Forum (RTS, la Première) autour des 16 pages de son journal consacrées à la bonne nouvelle pour la démocratie que serait la victoire de Trump, il se pose en héros franc-tireur; alors qu’il n’est que manipulateur, alors qu’il est la caricature de l’intellectuel, apparatchik issu du système UDC, mis en place par le patriarche de  Herrliberg. Tullius Detritus de la démocratie, ces hommes sont des pervers narcissiques, abusant avec art une trop grande partie du peuple suisse.

Le chant du cygne?

Reste à savoir si le séisme Trump est le chant du cygne ou le renouveau de ces fléaux du XXème siècle que sont le sexisme et le racisme. Je suis fondamentalement optimiste, considérant ceci comme une dernière poussée désespérée. A condition que l’on mette des mots sans concession sur les Trumps de nos contrées, et que nous donnions à tous une raison d’être fier, au delà de la taille et de la couleur de leur sexe. En ce sens, notre monde demande une pensée moins caricaturale que oui ou non au capitalisme. Il a besoin de femmes et d’hommes libres, de femmes et d’hommes qui veulent le mieux, ensemble, et non l’un contre l’autre. Notre monde a besoin de femmes et d’hommes qui élèvent la voix lorsque une attitude est déplacée, tout en cherchant des moyens pour tous de trouver une vraie estime de soi.

Pourquoi j’ai pleuré en entendant Michelle Obama #EnoughIsEnough

Il est des jours où mon féminisme va au delà de mon fer à repasser. Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas touché ma pile de repassage.

Aujourd’hui j’ai pleuré; pas à chaudes larmes; juste au coin des yeux, avec la mâchoire qui tremble un peu; discrètement, un peu comme on le fait au cinéma.

Pleuré? Mais pourquoi?

Bêtement, pour un discours tenu par un second couteau lors d’un meeting électoral des élections américaines. Mon attention avait été attirée par cet article du Temps (lien vers l’article et le discours entier, ou alors ici à la RTS pour une version raccourcie et sous-titrée (4′)):

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L’article du Temps qui a attiré mon attention.

Après un premier moment d’admiration pour cette femme sur la forme et la maîtrise du discours, une réflexion sur les conséquences sur l’issue du scrutin, restait soudain la question : pourquoi cela me touche moi, si fort? Et pourquoi toutes ces autres réactions émues en suisse aussi.  Alors que Michelle Obama ne nous apprend rien de neuf sur rien ni personne, que  nous ne sommes pas concernés par cette campagne (du moins pas directement), et que ce discours fait probablement partie d’une brillante stratégie politique orchestrée par l’équipe de Hillary Clinton.

Et les réponses arrivent. Simples. Evidentes. Terribles:

  • C’est une femme qui nous parle; une fille, une mère; pas une politicienne, pas une journaliste, pas une psychologue.
  • Elle nous parle d’un homme en particulier; mais en ne le nommant pas, elle en évoque mille autres que nous connaissons nous; ici, là-bas; hier, et même aujourd’hui…
  • Cette femme nous dit que nous avons le droit d’être blessés par cette attitude et ces comportements; que nous avons même le devoir  d’être choqués par une telle situation.
  • Cette citoyenne nous dit que si un tel homme arrive et reste au pouvoir si longtemps, c’est que des milliers de barrières n’ont jamais été mises, et que nous sommes tous complices de cette violence verbale (sans entrer en matière sur d’éventuelles violences physiques) que nous nourrissons par nos silences.
  • Cette mère nous fait comprendre qu’en baissant le regard face à de telles situations, qu’en ricanant servilement, nous renforçons la puissance de ces attitudes perverses.
  • Elle nous fait voir que ce n’est pas parce qu’ils sont nos collègues, nos chefs, nos pères, nos maris, nos frères ou nos dirigeants que nous devons les laisser rabaisser une femme, alors qu’ils n’arrivent pas à s’élever d’eux-mêmes…
  • Elle nous donne à entendre qu’en tolérant ces agissements, nous ne respectons pas nos autres collègues, chefs, pères, maris, frères, dirigeants ou fils…

Et là je me dis avec elle: “Enough is enough!”

Partout, constamment…

C’était ce vendredi 14 octobre, en fin d’après-midi… Et puis, coup sur coup dans la demi-heure qui suit, je tombe sur trois infos, brûlantes, qui viennent se loger dans les plaies fraîchement ouvertes. Je n’ai pas trié ni cherché, et laissé les DSK et autres cas emblématiques plus proche de nous là où ils étaient. Je me rends alors compte qu’une fois l’oeil rendu attentif, il trouve cette chienlit partout… Et oui, “it hurts”.

Voilà les trois infos, sous trois formes classiques de la violence faite aux femmes:

1. La forme humoristique

Libération (ici) m’apprend qu’à la télévision française, on tolère allègrement agression sexuelle et dénigrement public … sous couvert d’humour trop médiocre…

hanouna

2. La forme népotique complice

On apprend aussi que le népotisme n’a aucune peine et fait bon ménage avec la prédation sexuelle (lorsque Bolloré (à la tête de Vivendi et Canal +) impose et soutient indirectement Morandini, accusé de harcèlement sexuel et de corruption de mineur), avec quelques détails ici.

morandini

 

3. La forme où le bourreau est transformé en victime

Lorsque un compte rendu dans un journal de référence de la récente “procédure simplifiée” accordée à Warluzel, donne l’impression que l’accusé masculin au comportement notoirement inadéquat est la vraie victime, et que la victime passe pour une profiteuse… Les mâles alpha ont bien fait leur show et leur boulot.

warluzel

 

La pointe de l’iceberg…

Ces aspects ne me toucheraient cependant pas autant s’ils n’étaient que l’apanage de vieux mâles alpha mal éduqués… Et contrairement à ce que dit la First Lady of the United States, il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg, car la plus grande masse de ces attitudes, gestes, pensées et mots rabaissants sont faits, souvent de manière invisible, par nos collègues, nos chefs, nos pères, nos maris, nos frères ou nos dirigeants. Par moi aussi…

De manière involontaire souvent, avec bienveillance parfois même, nous avons ces réflexes ancrés en nous. Dans un groupe d’hommes inconnus, on imaginera qu’une femme seule sera soit la femme de l’un, soit la secrétaire. On utilisera du mademoiselle pour ajouter à la différence de sexe une différence d’âge. Et il suffit de penser aux situations de conflit, de concurrence, pour voir un collègue bienveillant dégainer les armes du macho pervers. Le pouvoir se bâtit souvent avec la force, et les hommes de l’accabit de Trump utilisent l’arme du rabaissement féminin pour s’affranchir de la moitié de la concurrence. Le machisme et le paternalisme sont le niveau le plus simple et accessible des moyens de puissance.

Comme le dit Michelle Obama, et c’est là un des points qui m’a le plus secoué, le premier moyen de défense est de dire que cela ne nous affecte pas vraiment, de garder la tête au dessus de l’eau, de simuler le détachement, d’accepter que cela fasse partie de la norme. Et avec cela, nous laissons libre cours à ces comportements. Chez les autres, chez soi, chez moi…

Enough is Enough

Bref. Enough is Enough. Michelle a bien parlé. Barack l’a eu fait aussi de manière brillante, glamour même (ici par exemple), mais n’a pas su nous toucher autant. J’espère intimement que son discours aura un choc salutaire non seulement dans la campagne américaine, mais aussi hic et nunc.
Ce ne sont pas les associations féministes qui ont la responsabilité de ce sursaut de dignité; mais bien nous, pères, mères, collègues, dirigeantes, citoyens et tous les autres; parce que ce n’est pas de la politique ni de la psychologie. Parce que c’est dans notre quotidien que cela se passe, et que c’est quotidiennement que nous devons dire “Enough is Enough”, lorsque des êtres humains sont rabaissés, ignorés, moqués, attouchés juste parce qu’ils sont des femmes. Nous sommes en 2016, et ces méthodes perfides pour se sentir fort alors qu’on est faible sont intolérables. Cela n’a plus rien à voir avec la campagne électorale américaine. C’est simplement une affaire d’humanité et de respect. Trop, c’est trop!

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A force de débattre, sommes-nous encore aptes à la démocratie directe?

Mercredi soir il y a un débat à la télévision suisse romande, et je prévois exceptionnellement une séance de repassage pour le regarder. Je me réjouis en effet de mettre à l’épreuve les 5 thèses suivantes (n’hésitez pas à me donner votre avis en commentaire).

  1. Les débats politico-médiatiques actuels nuisent à la démocratie
  2. Les partis politiques se mettent au prêt-à-penser
  3. Le débat sur #EconomieVerte n’a pas (eu) lieu
  4. Les lobbies, fournisseurs non représentatifs de prêt-à-penser à bas prix
  5. Tout n’est pas perdu

1. Les débats politico-médiatiques actuels nuisent à la démocratie

Où que l’on regarde, la politique suisse n’est plus que débat. Les médias en raffolent: cela anime la chose publique. Il est aisé de trouver un opposant et un initiant auxquels l’on plante quelques banderilles pour animer le spectacle par une ou deux questions que l’on agite sous couleur de liberté de la presse; de plus, les arguments sont connus dès le départ et le journaliste peut tricoter son fil rouge sans risquer d’influencer l’opinion publique. Les opposants fêtent leur champion en accusant les initiants de mentir, les initiants font de même. Bref, c’est en général un fond sonore idéal pour le repassage, et tous en ressortent satisfaits.
Excepté ceux qui souhaitaient se faire une opinion circonstanciée, pour qui c’est en général terriblement frustrant, bien que divertissant; dans le meilleur des cas, cela aboutit au choix d’un camp selon la sympathie accordée à l’un ou l’autre des champions.

2. Les partis politiques se mettent au prêt-à-penser

Si les médias ont trop forcé sur la polarisation des débats et donc amoindri leur impact, les partis sont tout aussi responsables, ravis de jouer le jeu. Le débat leur permet d’éviter de donner un avis circonstancié en présentant le pour et le contre d’un projet (et qu’on me trouve un projet qui n’a pas à la fois des avantages et des inconvénients) ; il permet de lancer des “arguments” préparés en avance et en cas de difficulté, d’attaquer le vis-à-vis ad personam ou de dégager en corner en accusant le journaliste de partialité. Bref, on harangue avant tout ses propres troupes. Le rôle de composition demande avant tout des compétences en communication et en rhétorique plutôt que sur le fond. On se retrouve ainsi avec une prédominance d’avocats et de spécialistes en relations publiques à l’antenne. Bref, l’acteur est plus important que le fond du texte ou la compétence métier, et les formules rhétoriques prennent le dessus sur le sens. Chaque parti a ainsi son écurie de “champions” dont les numéros de portable sont à la disposition des journalistes qui n’ont plus qu’à choisir leurs chevaux, de préférence des valeurs sûres et éprouvées, prêtes à donner leur avis sur n’importe quel sujet, pourvu qu’il soit incisif.

Que les partis prennent soin de la façon dont ils communiquent est juste. Le bât blesse néanmoins lorsque le sujet est technique, qu’ils n’ont pas les compétences en interne pour prendre une décision fondée ; ils sont alors à la merci des lobbies, qui maîtrisent totalement les processus de prise de décision, et ont déjà joué leurs pions bien avant qu’un parti se mette à réfléchir sur le bien fondé d’un projet ou d’une initiative. Les lobbies lancent alors de toute leur force une offensive d’arguments bien ajustés sur les partis auxquels ils sont traditionnellement liés, étouffent toute velléité de réflexion avant qu’elle émerge, parfois de manière tellement absurde qu’un membre traditionnel de parti n’ose même plus avouer comme quoi il est encore en train de réfléchir. Le comité du parti organise un dernier simulacre de débat lors d’une assemble générale en invitant un opposant (en le choisissant clairement de l’autre camp pour que tous les membres comprennent que de toute manière il ne faut pas le croire), et le parti prend une décision à une majorité écrasante. A partir de là, il redonne la main aux lobbies pour planifier la campagne, sélectionne ses champions, et l’acte démocratique n’aura plus lieu qu’aux urnes. Mais de discussion, de réflexion, il n’y a pas eu de trace, et le prêt-à-penser devient monnaie courante dans les partis de tous bords.

Oui, je sais, mon avis est caricatural. Autour des débats il y a nombre d’éclairages, que ce soit dans la presse écrite ou les émissions audiovisuelles. Mais les débats de Forum, Infrarouge ou Arena sont trop souvent considérés comme disciplines reines, alors que c’est avant tout du divertissement.

Et oui, tous les partis n’agissent pas ainsi, encore moins sur tous les sujets. Mais si je donne un avis trop circonstancié, personne ne me lira jusque là, et encore moins jusqu’au bout. Poursuivons donc.

3. Le débat sur #EconomieVerte n’a pas (eu) lieu

Si c’est aujourd’hui que je rédige ce texte, ce n’est pas par hasard. Le phénomène décrit ci-dessus m’est apparu plus nettement qu’auparavant à la suite de mon dernier blog, plaidoyer pour une économie et une écologie réunifiées à travers l’initiative économie verte. Je voyais dans le premier succès dans les sondages de l’initiative arriver une nouvelle ère permettant de passer au-delà des fronts idéologiques classiques. Quelle n’a pas été ma surprise en voyant les réactions à mon texte sur les réseaux sociaux:

  • louanges et diffusion à grande échelle du côté des verts, verts libéraux et autres promoteurs de l’initiative;
  • réaction très positive dans mon cercle personnel peu politisé;
  • aucune réaction de la droite, qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche lorsque je commente d’autres sujets sur les réseaux sociaux. Désintérêt général au parti socialiste.

Après une petite enquête, je me rends compte que mon texte n’avait probablement été lu par aucun membre de partis tenants du non (excepté quelques-uns que j’avais directement interpellés). Le titre indiquant un soutien à l’initiative avait suffit à ne plus les intéresser… (Note de la rédaction: c’est un hasard si je critique ici la droite. Un texte plus de droite aurait probablement recueilli le même désintérêt à gauche). Bref, les membres de partis qui ne s’intéressent pas spécialement à un sujet ne lisent que la doctrine interne, pas les avis qui diffèrent.

Et c’est là où la chose devient intéressante (même si décevante). En discutant, plusieurs personnes d’abord clairement opposées à l’initiative comprenaient mon point de vue, admettaient que de fixer un objectif sans définir un plan de mesures précis n’était pas si anti-libéral que cela, et critiquaient elles-mêmes la virulence et les arguments de peu de poids de la campagne des opposants. Mais au final venait souvent l’argument massue: je ne fais pas confiance aux verts… sous-entendu: je fais confiance aux organes de mon parti. Et surtout, la peur de se faire remarquer comme n’ayant pas encore un avis clair et définitif.

Gardons l’exemple du PLR. Le parti ne dispose malheureusement plus de spécialistes métiers du domaine environnemental (qui sont pour la plupart partis chez les verts libéraux, ou à la retraite). Pour préparer sa décision, le PLR était donc une cible parfaite pour #EconomieSuisse, qui avait consciencieusement préparé le terrain lors du rejet du contre-projet à l’initiative du Conseil fédéral. Le seul actif sur l’initiative est le genevois Benoît Genecand, qui parmi ses nombreuses fonctions est administrateur d’une entreprise de recyclage importante à Genève (et dont nota bene, et c’est un comble, l’entreprise tire profit de la Loi sur la protection de l’environnement de 1983).

4. Les lobbies, fournisseurs non représentatifs de prêt-à-penser à bas prix

D’aucuns me diront que pour le “parti de l’économie”, c’est normal qu’il écoute le lobby officiel EconomieSuisse. Le problème est qu’au sein du lobby lui-même la démocratie ne fonctionne pas. Il est intéressant d’observer quelles branches économiques seraient gagnantes, et quelles branches économiques perdantes si l’objectif de l’initiative était atteint d’ici 2050. Pour cela la figure ci-dessous, issue d’une étude européenne passionnante sur les effets d’une politique européenne ambitieuse en matière d’économie verte (Pollfree -Policy Options for a Resource-Efficient Economy 2015*) donne une lecture éclairante.

Impact d'une politique efficiente en ressource sur différentes branches économiques
Impact d’une politique efficiente en ressource sur différentes branches économiques

 

Grâce à l’innovation, et en présupposant que la Suisse redevienne précurseur et non pas suiveuse en Europe et dans le monde, la plupart des branches auraient d’ici 2050 une plus-value plus grande que dans un scénario “standard” de laisser-aller. Excepté 3 branches: l’industrie alimentaire, le pétrole et le nucléaire, et l’exploitation minière. Il n’y a pas d’autre branches perdantes à long terme dans cette aventure. Mais ces trois déterminent la virulence de la campagne des opposants, et entraînent dans leur sillage tous ceux qui ont par réflexe une peur du vert. Cela a fonctionné avec les organes dirigeants du PLR, de même que cela, à titre d’autre exemple, détermine toute la politique environnementale du centre patronal vaudois dont le délégué transports et énergie est le secrétaire sur mandat de SwissOilRomandie ; à voir si cela fonctionnera avec les électeurs.

Une dernière catégorie est encore opposée à l’initiative. Tous ceux dont le modèle économique est basé sur le modèle de consommation de ressource intense actuel, et qui devraient faire évoluer à court terme leur business model. On y trouve, paradoxalement, les grands recycleurs représentés par Monsieur Genecand. On y trouve aussi la seule personne qui ait attaqué frontalement et de manière virulente mes arguments (sur Twitter), Jean-Marc Hensch, ancien candidat à la direction d’EconomieSuisse, spécialiste RP redouté et administrateur de Swico Recycling (système national de reprise des déchets électroniques). Ces derniers ne cessent d’asséner l’argument que le recyclage est parfait en suisse, pour faire oublier que l’initiative demandera des améliorations du recyclage sur de nouvelles filières, mais surtout une production moindre de déchets grâce à une meilleure conception et utilisation des produits, qu’ils soient recyclés ou non au final. A noter que d’autres représentants de la branche ont une attitude plus visionnaire et ont moins peur du changement. Mais je m’égare.

5. Tout n’est pas perdu

La question reste: comment permettre aux électeurs d’un parti de se faire une opinion indépendamment de ce que les lobbyistes de leur parti auront décidé pour eux. Avec quelles formes  d’informations, quelles formes d’interaction, une formation libre et démocratique de l’opinion est-elle possible?

Au niveau des médias, les pistes existent et on trouve de nombreux bons exemples. Par exemple l’Invité du journal du matin sur RTS info La Première qui de par le temps à disposition, la diversité des invités et des sujets donne des éclairages souvent inhabituels et circonstanciés, ou encore la grande interview du dimanche sur Forum RTS. Particulièrement intéressante est l’émission phare de SRF Echo der Zeit, championne des éclairages approfondis, souvent décalés, toujours mis en perspectives (attention néanmoins au choc culturel pour des oreilles romandes peu habituées ).

Au niveau des partis et des lobbies, il faut noter l’évolution réjouissante d’EconomieSuisse qui a annoncé récemment qu’elle ne soutiendrait pas un éventuel référendum contre la stratégie Energétique 2050 du Conseil fédéral. Les verts ont su récemment ouvrir la voie à une réflexion plus ouverte qui a permis a la nouvelle génération d’aborder l’écologie sous son angle économique. Ils restent néanmoins encore très chatouilleux à la critique, et les débats internes pourraient être encore davantage assumés. Aux partis de trouver comment ils arriveront à rediversifier les origines métiers des membres qui prennent des responsabilités. L’enjeu est énorme, et on peut se poser la question si les équipes en places sont les bonnes pour avoir ce regard critique. Aux électeurs de donner les signaux clairs, et surtout aux membres de la base des partis, lorsqu’ils choisissent leurs délégués.
Je me permets même de rêver qu’un jour (ou peut-être une nuit),  une Assemble générale osera débattre le pour et le contre d’un objet stratégique de manière structurée, et que le comité de campagne osera en faire autant.

Bref, la politique suisse reste passionnante, et bien entendu meilleure que tous les autres systèmes (comme pour le recyclage) ; ce qui n’empêche pas d’être critique et de penser à l’innovation. Sur le fond, comme sur le système.

Mente ferroque

 

*Pollfree -Policy Options for a Resource-Efficient Economy 2015: D3.7a Report about integrated scenario interpretation (Bernd Meyer, Martin Distelkamp, Tim Beringer); p. 57.

Avec l’initiative #EconomieVerte, écologie et économie se tournent enfin vers l’avenir.

Voilà, nous y sommes presque! Il semble que économie et écologie aillent désormais de pair et se tournent vers l’avenir; du moins c’est ce que semble considérer une majorité de personnes ayant participé au sondage gfs de ce vendredi 19 août. Mieux encore: tant ceux qui s’affilient aux “verts” que ceux qui se sentent proches des partis traditionellement liés à l’économie comme le PDC ou le PLR sont concernés.

EcoVerteLT

L’objectif du texte de l’initiative est simple, et c’est toute sa force:

L’«empreinte écologique» de la Suisse est réduite d’ici à 2050 de manière à ce que, extrapolée à la population mondiale, elle ne dépasse pas un équivalent planète.”

Après une première phase de campagne des opposants ratée, car abusive, trop simpliste et mensongère (cet objectif nous empêcherait de manger des cervelas et de se doucher à l’eau chaude (sic)), il faut s’attendre à un regain d’énergie de cette dernière.

Le soutien à ces derniers est en grande partie lié à une méconnaissance du domaine de l’environnement et de son évolution, à un manque de compétence en management et en changement organisationnel, et à des positions tranchées de certains qui n’arrivent pas à franchir les barrières idéologiques; j’ai donc consacré ma soirée de repassage d’hier à noter quelques observations et réflexions que j’ai pu faire dans les dernières années, notamment en discutant avec les différents acteurs économiques déjà bien actifs dans le domaine environnemental.

L’arrivée d’une nouvelle génération.

Le soutien large à cette initiative est un succès tant pour l’économie que pour l’écologie, et il est à mettre en lien avec l’avènement d’une nouvelle génération au sein des verts (les conseillères nationales Adèle Thorens, Bastien Girod, Jonas Fricker, etc…), qui au-delà de ses convictions, dispose de véritables compétences professionnelles en matière d’environnement, et a su se distancier des vieux dogmes anti-économiques et autres guerres de tranchées.

Les politiques environnementales évoluent rapidement.

Cette maturité longtemps attendue est le fruit d’une longue évolution des politiques de protection de la nature. Il est intéressant d’en relever les étapes principales:

  • Dans les années soixante, la première Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (1966) avait un angle essentiellement naturaliste et était très liée aux activités des ONGs; il s’agissait de protéger des espèces et des biotopes d’importance nationale.
  • 20 ans plus tard, en 1985, la Loi fédérale sur la protection de l’environnement fixait comment protéger les ressources naturelles, avec des outils que l’on connaît aujourd’hui encore comme l’étude d’impact sur l’environnement. On était là dans une approche essentiellement technique, définissant entre autres des valeurs limites à respecter (la campagne ratée anti-initiative qui prétend que les douches chaudes et les cervelas seront interdits, en est restée là).
  • Avec les années 90, on entre dans l’ère des labels et des mesures volontaires et incitatives, dans laquelle l’économie avait pour la première fois un rôle actif à jouer. C’est à ce moment-là qu’ont été mises en oeuvre les premières politiques de recyclage (à l’époque exemplaires mais qui aujourd’hui ne peuvent plus être citées en exemple, et arrivent à leurs limites).
  • Logo_ISO_14001Peu après, les premières approches pour intégrer l’environnement dans les politiques sectorielles exploitant les ressources environnementales sont mises en oeuvre (agriculture, sylviculture, construction, tourisme,…). On assiste à l’émergence des systèmes de management environnementaux (par exemple ISO 14’001) dans un premier temps dans les entreprises particulièrement polluantes ou consommatrices de ressources, et aujourd’hui de plus en plus aussi dans les entreprises de service).
  • Après le passage à l’an 2’000, c’est la notion de développement durable qui apparaît dans la pratique; et avec elle la notion que l’environnement ne peut plus être considéré de manière isolée, mais toujours de pair avec les dimensions sociales et économiques. On commence à intégrer le management environnemental dans des approches plus globales. Après avoir été développées par les entreprises elles-mêmes, ces approches sont mises en oeuvre dans les politiques publiques. Les 17 objectifs du développement durable adoptés sous les auspices des nations unies en septembre 2015 en sont la dernière pièce du puzzle, et permettent d’avoir une vision globale du développement durable au niveau mondial. C’est dans cette optique que s’inscrit l’initiative sur l’économie verte, avec un objectif à long terme clair, et une liberté la plus large possible pour combiner selon les besoins les approches et actions de tous les acteurs concernés.

L’économie verte est initiatrice d’un secteur économique nouveau et à grand potentiel

Voilà pour l’histoire; le plus important est néanmoins le futur; et là, l’initiative laisse la porte ouverte à la prochaine étape de l’évolution des politiques environnementales: non plus celle des interdits, des limitations, des taxes ou du management intégré, mais celle de la créativité et de l’entreprenariat, des nouvelles formes de partenariat entre économie et consommateurs. Le plus grand potentiel pour diminuer notre empreinte écologique se trouve en effet dans le redesign de modèles d’affaires et la création de nouveaux services, et pas uniquement dans l’optimisation du recyclage. Je pense là à tout le domaine de l’économie de la fonctionnalité, de l’économie des cercles fermés, des cleantechs, autant dans les domaines de l’alimentation, des services ou encore par exemple de la mobilité (car sharing, livraisons à domicile, domotique, écologie industrielle ne sont que quelques un des exemples qui se développent déjà très rapidement aujourd’hui sur le marché). Ou autrement dit, comment offrir au client un service identique, voire meilleur, tout en repensant la façon de l’offrir. Par exemple, la plateforme PopnFix permet  d’échanger des services de réparation ou des objets, plutôt que d’en acheter à chaque fois de nouveaux. Il s’agit donc d’un travail réalisé en suisse, plutôt que de nouveaux appareils importés à peu de frais de l’étranger mais au prix d’une consommation importante de ressources.

Cette nouvelle économie est particulièrement intéressante économiquement et socialement, au sens qu’elle diminue l’intensité des flux de matières à grande échelle, tout en redonnant de l’importance au travail et au service sur place, autrement dit en rapatriant les emplois autour du lieu de consommation/utilisation. Dans le domaine de la restauration, cette tendance est déjà forte (produits locaux et saisonniers préparés sur place plutôt que produits industriels importés à bas prix); l’impact sur l’empreinte écologique de ce genre d’évolution est très importante, et montre que l’objectif est atteignable.

Dans l’environnement comme dans l’économie, ça bouge (parfois)

Dans un système en changement, les acteurs eux aussi doivent évoluer, parfois très rapidement. Prenons la mobilité pour exemple.

Le TCS avait été fondé en 1896 à Genève, par des cyclistes pour développer ce mode de locomotion à deux roues… 😉 Durant le 20ème siècle et avec l’avènement de la voiture, il a évolué en lobby centré sur l’automobile, opposé à toute politique (y compris environnementale) limitant la pratique motorisée individuelle. Ceci a libéré une place dans le paysage de la mobilité pour l’Association transport et environnement ATE, qui aujourd’hui encore se positionne comme ONG pour une mobilité durable, tout en offrant des services directs à ses membres pour une meilleure mobilité. carvelo stoererEt finalement, en 2016, c’est le TCS et la MIGROS qui sont en train de monter un nouveau business dans le domaine de la mobilité écologique: les carvelo2go, une plateforme suisse pour le partage des vélos-cargos électriques, hébergée par les commerçants dans les villes: bref, l’économie verte par excellence!
Mais soyez rassurés, il reste des sections TCS qui n’ont pas encore réalisé que le monde avait changé, et si vous souhaitez vraiment rire un coup de ceux qui sont restés crochés dans les années 60, vous pouvez jeter un coup à l’ACS (automobile club de suisse) (aussi en terme de management).
Il y aurait encore des milliers de choses à dire, notamment sur le rôle des associations qui ont lancé les services de bike-sharing, qui aujourd’hui sont pour la plupart en mains d’entreprises tout ce qu’il y a de plus économiques, mais je me perds… (et le temps est la seule et unique ressource dont on dispose tous mais que l’on ne peut jamais ni recycler, ni économiser, uniquement partager).

Si l’on parle d’économie verte, il faut donc sortir des schémas d’acteurs traditionnels et manichéens; cela a été difficile pour certains écologistes, et cela le reste pour une partie de la vieille garde qui se prétend encore économique. Mais le changement est déjà en cours, et signe de la bonne santé de notre société.

L’économie verte n’est pas un choix et le statu quo n’est pas une option.

Les initiants seraient des rêveurs ou des idéalistes. Or les rêveurs sont aujourd’hui ceux qui n’ont pas encore compris la situation actuelle.

Pour rappel l’objectif du texte de l’initiative :

L’«empreinte écologique» de la Suisse est réduite d’ici à 2050 de manière à ce que, extrapolée à la population mondiale, elle ne dépasse pas un équivalent planète.”

La carte animée ci-dessous en montre la pertinence. En simplifiant un peu, les pays en rouge consomment davantage que la surface productive qu’ils possèdent. Les pays en vert consomment moins que la surface à leur disposition. Or, la terre étant ronde (jusqu’à nouvel avis), pour chaque pays étant dans le rouge, il faut un pays dans le vert, dans lequel les ressources consommées sont produites et exportées. Une planète rouge n’étant physiquement pas imaginable, un “développement” mondial avec l’idéal occidental pour tous les pays est impossible.

Il est intéressant de noter qu’en l’espace de quelques années, la Chine passe d’un pays en équilibre avec ses ressources à un pays en voie de surconsommation. L’ampleur de la croissance de ce pays et cette situation expliquent d’une part l’énergie qu’il met dans le développement de solutions cleantechs (avec près de 20% de la population mondiale, il est responsable de 36% des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables), ainsi que sa politique massive d’acquisitions de terres et de ressources naturelles en Afrique. Chaque pays augmentant aujourd’hui sa consommation de ressources doit le faire en les gagnant sur un autre. Ici, le développement durable n’a plus rien de doux rêves idéalistes, mais est l’origine de conflits stratégiques, géopolitiques et économiques déjà bien actuels, qui touchent la suisse de plus en plus directement.

EmpreinteEcoLe rapport de l’OFS présentant la méthodologie et la dernière carte de 2012 en détail est téléchargeable ici.

Autrement dit, notre monde est aujourd’hui déjà confronté aux limites de son système, et il est urgent pour la Suisse de s’approcher au maximum d’une empreinte écologique neutre équivalente à une planète. Chaque part importée deviendra de plus en plus conflictuelle et de plus en plus chère, déjà à très court terme. 2050 n’est donc pas un objectif trop ambitieux, si l’on considère que ne pas s’améliorer est porteur de lourdes difficultés sociales et économiques.

2050 n’est non seulement pas un objectif trop ambitieux, mais est un horizon (une génération) jusqu’auquel tant de choses sont faisables, dont nous n’imaginons encore même pas les possibilités. Il y a 34 ans, c’était le début du minitel et du PC… depuis il y a eu bien davantage que les 65% d’améliorations attendues par l’initiative… Et il ne s’agit pas d’être juste un peu plus efficace (auquel cas les 65% seraient effectivement inatteignables), mais de repenser toute une série de services.
Ceux qui souhaiteraient analyser où ils se situent personnellement dans le référentiel de l’empreinte écologique, peuvent le faire simplement sur la page www.footprint.ch du WWF Suisse.

Un objectif pour motiver, donner une direction et laisser agir librement

Avec un peu d’expérience, on sait que pour faire avancer une organisation, il faut fixer des objectifs. Et que ces objectifs doivent être spécifiques, mesurables, ambitieux, réalistes et définis dans le temps. “Une planète, en 2050” l’est parfaitement (ambitieuse ET réaliste). Ne pas fixer un tel objectif, c’est comme si un patron d’entreprise ne fixait pas d’objectifs ambitieux pour son entreprise, uniquement parce que les plus récalcitrants de ses employés ne seraient pas motivés pour. Un objectif peu ambitieux ne soulève jamais la même énergie, et est en général difficilement atteint. Si tous admettent que cet objectif est atteignable, il n’est en général pas assez ambitieux.
Cette approche par objectif est cohérente avec les démarches internationales en cours, comme l’accord de Paris sur le climat (COP21) ou les 17 objectifs du développement durable (SDGs).
On entend aujourd’hui plusieurs voix s’élever sur le fait que les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif ne sont pas encore clairement définies. Les options sont connues. Mais précisément, c’est la force de ce texte de laisser d’abord l’initiative aux forces entrepreneuriales. Si on avait demandé en 1982 de définir le plan de mesures, les moyens nécessaires et les conséquences de celui-ci, pour garantir un accès internet à tous en Suisse, on n’y serait jamais arrivé. Du vrai management by objectives comme toute entreprise qui se respecte. Ce n’est que si cela ne suffit pas qu’il faudra sortir la carotte, voire le bâton. Lister les mesures à prendre serait le meilleur moyen de corseter l’économie, et d’empêcher les pionniers de trouver les voies les plus prometteuses. Les moutons noirs seront secoués en temps voulu, si nécessaire uniquement.

Les bonnes volontés sont là

Non seulement l’initiative va dans le bon sens, mais de nombreux acteurs de l’économie attendent une telle décision. Un acteur engagé très fortement dans la campagne est l’association swisscleantech (dont voici l’argumentaire); le pendant d’économiesuisse, mais orienté vers le futur.

D’autres associations travaillent depuis des années avec leurs entreprises membres (et pas des moindres) pour une économie plus verte, comme l’oebu ou encore le réseau construction durable suisse NNBS. On observe aussi que les hautes écoles sont très actives dans ce domaine, notamment les campus de l’UNIL et de l’EPFL.

Bref, si la direction stratégique est claire et ne change pas toutes les années, l’économie est en mesure de s’y adapter, d’investir en fonction et d’en saisir les opportunités du marché.

Pourquoi est-ce si difficile, à droite?

Après ce tour d’horizon, on peut se demander à quoi sont liées les réticences, voire même les oppositions farouches de certains.

La première raison est probablement que ces dernières années, les associations représentant classiquement les entreprises se sont durcies idéologiquement, fonctionnarisées et déconnectées des besoins des PMEs sur le terrain. Elles ont davantage une attitude de syndicaliste franchouillard que de promoteur de la vivacité économique suisse. C’est une difficulté pour l’initiative, et surtout un problème pour la suisse.

La seconde est le manque d’intérêt du ministre de l’économie sur le dossier. Outre quelques platitudes (voir ci-dessous), il ne s’est pas penché sur le dossier et ne propose aucune vision pour l’économie suisse dans les années à venir.

JSA

 

Autre raison: à la tête des partis qui prétendent “représenter” l’économie, on trouve aujourd’hui (par exemple au PLR), pour l’essentiel des juristes, et aucun entrepreneur (ce manque de diversité professionnelle est au moins aussi problématique que le manque de personnalités féminines). Il n’est dès lors pas étonnant qu’il leur soit difficile de comprendre en quoi une initiative posant un objectif ambitieux est plus intéressante pour l’économie que des mesures détaillées et peu ambitieuses. La plupart raisonnent aussi en termes de politique environnementale du siècle passé et ne sont pas au fait des dernières tendances (lorsque je lis que la suisse est exemplaire en matière d’empreinte écologique parce qu’elle recycle très bien l’alu, je constate qu’on est resté bloqué mentalement dans les années 80…).

Heureusement, dans la base de ces partis l’esprit entrepreneurial est encore bien présent, et c’est ce qui explique que les membres PLR et PDC indiquent soutenir en majorité l’initiative dans ce dernier sondage. Il manque encore a quelques autres le courage de s’adresser à leur organes administratifs supérieurs et de se faire entendre. A l’instar de l’excellent texte (auf Deutsch) de Peter Metzinger, membre du PLR zurichois.

Et à gauche?

De l’autre côté, la gauche (PS) soutient l’initiative, mais est quasi invisible dans la campagne, davantage absorbée par les autres sujets. Et pourtant, les enjeux sociaux sont centraux: Qu’en est-il de l’équité et de la répartition des ressources (pillage de certains pays)? Quel est l’accès aux ressources offert aux plus faibles? Y a-t-il un droit d’accès aux ressources? Auxquelles? Les nouveaux modèles de business ne pourraient-ils pas être plus intensifs en main d’oeuvre, voir nécessiter plus de main d’oeuvre non qualifiée? Ces nouvelles entreprises seraient-elles les nouveaux ascenseurs sociaux qui manquent de plus en plus aujourd’hui?

Enfin de la politique motivante et qui regarde vers l’avant

Bref, les questions sont nombreuses; mais une chose est certaine, avec un tel objectif, les prochaines années s’annoncent passionnantes, motivantes et palpitantes. Pour le bien de notre économie, de notre environnement, du nôtre, et surtout: de celui de nos enfants… A nous de prendre le taureau par les cornes, en tant que consommateurs, acteurs économiques, et citoyens.

Mente ferroque