Il est des jours où mon féminisme va au delà de mon fer à repasser. Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas touché ma pile de repassage.
Aujourd’hui j’ai pleuré; pas à chaudes larmes; juste au coin des yeux, avec la mâchoire qui tremble un peu; discrètement, un peu comme on le fait au cinéma.
Pleuré? Mais pourquoi?
Bêtement, pour un discours tenu par un second couteau lors d’un meeting électoral des élections américaines. Mon attention avait été attirée par cet article du Temps (lien vers l’article et le discours entier, ou alors ici à la RTS pour une version raccourcie et sous-titrée (4′)):
Après un premier moment d’admiration pour cette femme sur la forme et la maîtrise du discours, une réflexion sur les conséquences sur l’issue du scrutin, restait soudain la question : pourquoi cela me touche moi, si fort? Et pourquoi toutes ces autres réactions émues en suisse aussi. Alors que Michelle Obama ne nous apprend rien de neuf sur rien ni personne, que nous ne sommes pas concernés par cette campagne (du moins pas directement), et que ce discours fait probablement partie d’une brillante stratégie politique orchestrée par l’équipe de Hillary Clinton.
Et les réponses arrivent. Simples. Evidentes. Terribles:
- C’est une femme qui nous parle; une fille, une mère; pas une politicienne, pas une journaliste, pas une psychologue.
- Elle nous parle d’un homme en particulier; mais en ne le nommant pas, elle en évoque mille autres que nous connaissons nous; ici, là-bas; hier, et même aujourd’hui…
- Cette femme nous dit que nous avons le droit d’être blessés par cette attitude et ces comportements; que nous avons même le devoir d’être choqués par une telle situation.
- Cette citoyenne nous dit que si un tel homme arrive et reste au pouvoir si longtemps, c’est que des milliers de barrières n’ont jamais été mises, et que nous sommes tous complices de cette violence verbale (sans entrer en matière sur d’éventuelles violences physiques) que nous nourrissons par nos silences.
- Cette mère nous fait comprendre qu’en baissant le regard face à de telles situations, qu’en ricanant servilement, nous renforçons la puissance de ces attitudes perverses.
- Elle nous fait voir que ce n’est pas parce qu’ils sont nos collègues, nos chefs, nos pères, nos maris, nos frères ou nos dirigeants que nous devons les laisser rabaisser une femme, alors qu’ils n’arrivent pas à s’élever d’eux-mêmes…
- Elle nous donne à entendre qu’en tolérant ces agissements, nous ne respectons pas nos autres collègues, chefs, pères, maris, frères, dirigeants ou fils…
Et là je me dis avec elle: “Enough is enough!”
Partout, constamment…
C’était ce vendredi 14 octobre, en fin d’après-midi… Et puis, coup sur coup dans la demi-heure qui suit, je tombe sur trois infos, brûlantes, qui viennent se loger dans les plaies fraîchement ouvertes. Je n’ai pas trié ni cherché, et laissé les DSK et autres cas emblématiques plus proche de nous là où ils étaient. Je me rends alors compte qu’une fois l’oeil rendu attentif, il trouve cette chienlit partout… Et oui, “it hurts”.
Voilà les trois infos, sous trois formes classiques de la violence faite aux femmes:
1. La forme humoristique
Libération (ici) m’apprend qu’à la télévision française, on tolère allègrement agression sexuelle et dénigrement public … sous couvert d’humour trop médiocre…
2. La forme népotique complice
On apprend aussi que le népotisme n’a aucune peine et fait bon ménage avec la prédation sexuelle (lorsque Bolloré (à la tête de Vivendi et Canal +) impose et soutient indirectement Morandini, accusé de harcèlement sexuel et de corruption de mineur), avec quelques détails ici.
3. La forme où le bourreau est transformé en victime
Lorsque un compte rendu dans un journal de référence de la récente “procédure simplifiée” accordée à Warluzel, donne l’impression que l’accusé masculin au comportement notoirement inadéquat est la vraie victime, et que la victime passe pour une profiteuse… Les mâles alpha ont bien fait leur show et leur boulot.
La pointe de l’iceberg…
Ces aspects ne me toucheraient cependant pas autant s’ils n’étaient que l’apanage de vieux mâles alpha mal éduqués… Et contrairement à ce que dit la First Lady of the United States, il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg, car la plus grande masse de ces attitudes, gestes, pensées et mots rabaissants sont faits, souvent de manière invisible, par nos collègues, nos chefs, nos pères, nos maris, nos frères ou nos dirigeants. Par moi aussi…
De manière involontaire souvent, avec bienveillance parfois même, nous avons ces réflexes ancrés en nous. Dans un groupe d’hommes inconnus, on imaginera qu’une femme seule sera soit la femme de l’un, soit la secrétaire. On utilisera du mademoiselle pour ajouter à la différence de sexe une différence d’âge. Et il suffit de penser aux situations de conflit, de concurrence, pour voir un collègue bienveillant dégainer les armes du macho pervers. Le pouvoir se bâtit souvent avec la force, et les hommes de l’accabit de Trump utilisent l’arme du rabaissement féminin pour s’affranchir de la moitié de la concurrence. Le machisme et le paternalisme sont le niveau le plus simple et accessible des moyens de puissance.
Comme le dit Michelle Obama, et c’est là un des points qui m’a le plus secoué, le premier moyen de défense est de dire que cela ne nous affecte pas vraiment, de garder la tête au dessus de l’eau, de simuler le détachement, d’accepter que cela fasse partie de la norme. Et avec cela, nous laissons libre cours à ces comportements. Chez les autres, chez soi, chez moi…
Enough is Enough
Bref. Enough is Enough. Michelle a bien parlé. Barack l’a eu fait aussi de manière brillante, glamour même (ici par exemple), mais n’a pas su nous toucher autant. J’espère intimement que son discours aura un choc salutaire non seulement dans la campagne américaine, mais aussi hic et nunc.
Ce ne sont pas les associations féministes qui ont la responsabilité de ce sursaut de dignité; mais bien nous, pères, mères, collègues, dirigeantes, citoyens et tous les autres; parce que ce n’est pas de la politique ni de la psychologie. Parce que c’est dans notre quotidien que cela se passe, et que c’est quotidiennement que nous devons dire “Enough is Enough”, lorsque des êtres humains sont rabaissés, ignorés, moqués, attouchés juste parce qu’ils sont des femmes. Nous sommes en 2016, et ces méthodes perfides pour se sentir fort alors qu’on est faible sont intolérables. Cela n’a plus rien à voir avec la campagne électorale américaine. C’est simplement une affaire d’humanité et de respect. Trop, c’est trop!
Préambule : je signale que je n’ai pas écouté le discours.
Moi (aussi ?), j’ai découvert récemment ce problème et aussi le fait que je peux l’aggraver sans le vouloir par des actions ou par du statu quo. Je pense que “la bascule” est en train de se faire : de plus en plus de gens qui se font entendre en parlent et l’idée se répand. Cela atteint aussi les hommes blancs favorisés et ceux d’entre eux qui ont à cœur la dignité humaine rejoignent le mouvement et s’en font l’écho. Bien sûr cela engendre une contre-réaction proportionnelle.
Mais comme contre l’esclavage, comme pour les droits civiques, comme pour les droits des femmes (vote, accès à l’avortement), comme pour les droits des homo, bi, trans, j’espère qu’une (douce) lame de fond se met en place. Et que “les gens” étant souvent de bonne volonté (même si je désespère de plus en plus quand j’entends pas mal de politiques), ils se disent que “non, ce n’est pas normal” et font pression pour que ça change.
Je crois (j’espère) que les décennies à venir vont voir s’achever ce combat (au moins en occident. Et aux USA aussi le “black lives matter” qui me préoccupe beaucoup), malgré les barrières. Et que oui, we shall overcome.
Les Obama n’ont aucune leçons à donner (guerres, soutien aux dictatures, à Israël etc)
Et pourtant, ce message émeut, car il touche des enjeux qui dépassent complètement la politique américaine.
Oui c’est un grand discours ! Comme vous dites cependant, malheureusement dans une stratégie de campagne électorale . Et pour soutenir une candidate dont le mari n’a pas,me semble t il , soulevé,pour des “attitudes” guère recommandables, les mêmes réactions de M.O ……
Ce message émeut, laissez-moi rire ! Pieux bavardage. Encore heureux qu’il “dépasse tous les enjeux de la politique américaine”, comme vous dites sentencieusement, cette dernière rivalisant péniblement avec le bac à sable du square d’à côté. Mon pauvre Münster, il faut vous faire moine ou fromager dans le Ballon, elles sont assez faciles, je vous l’accorde.
Bonjour Monsieur, heureux de voir que vous savez ce qui émeut les autres, c’est une faculté particulièrment utile. Pourriez-vous encore me dire quels éléments vous entendez par “cette dernière” et “elles sont” ? Sans cela, j’ai de la peine à vous comprendre.
Bonjour,
Merci pour avoir mis en mots ce que je pensais.
C’est exactement le même écho que j’ai eu lorsque j’ai entendu le discours de Michelle Obama… Poignant, vrai, révélateur, humain. J’en ai eu la chair de poule. Des émotions vives car qui n’a pas vécu de près ou de loin ce genre de réflexions, de remarques, de dénigrements, de comportements, de régression, dans le cadre familial, amical et professionnel… Seulement, « on » nous apprend à être plus fortes, à nous taire et à passer au-dessus… Par ce discours, Michelle Obama expose et exprime les choses. « Just politics as usual (…) This is not normal. This is not politics as usual. This is disgraceful. It is untolerable. » Nous ne sommes plus seules/seuls à le vivre, le ressentir ou le penser, et il est temps de le refuser, de le dénoncer, de le rejeter et de faire prendre conscience.
Ce message touche tout le monde. Il est intergénérationnel. Il ne s’adresse pas uniquement aux femmes, aux américaines… Et le fait d’avoir utilisé la campagne électorale a donné plus d’ampleur à son message et à dépasser le simple cadre de la campagne électorale. La campagne est juste un tremplin de comm. Venant de Michelle Obama, « Enough is enough » is d’autant plus puissant. Elle porte son message au-delà des USA.
Alors que je ne regarde pas la télé, j’ai été atterrée par cette scène de « forme humoristique »… Cela banalise des attitudes minables et déplorables… Quel modèle donnons-nous aux générations en devenir… Quelle attitude nous renvoyons-nous… Dans quelle société voulons-nous vivre… Alors qu’une campagne #NiUnaMenos se fait entendre dans les rues des pays d’Amérique Latine, pour dénoncer les sociétés machistes et violentes.
Cette prise de conscience est vitale et fondamentale, car c’est une question d’humanité et de respect… C’est une question pour notre société où la peur devient maîtresse de nos actions et réactions.
Merci encore d’avoir partagé.