La tyrannie des sorties

Aujourd'hui, je ne vais pas vraiment vous parler de science-fiction. "Chouette", allez-vous me dire. Oui, chouette. Enfin… pas autant que ça: écrire sur ce que nous apporte la science-fiction nous pousse à réfléchir et à voir les choses différemment, alors que d'évoquer le monde réel est parfois plus dramatique, plus critique. Mais bon, je vais me plier à l'exercice et on verra bien.

Alors voilà, j'étais aujourd'hui dans le quartier de la Cité et je laissais mon regard se poser sur les foules qui déambulaient autour de moi. Je ne réfléchissais à rien ou presque, mais quelques observations, alimentées par une discussion passionnante, me turlupinaient. Je voyais tous ces gens, tous ces regards, toutes ces errances et je m'interrogeais: que viennent chercher les gens dans les festivals? S'amusent-ils? Se sentent-ils libres, épanouis, heureux? Évidemment, aucune réponse ne pouvait m'être donnée. Par contre, je me suis mis à penser à ce qui m'a toujours quelque peu dérangé dans les "fêtes", c'est-à-dire ces soirées que nous faisons tous, entourés de nos amis, bercés par une musique en général assourdissante. J'essaie de résumer: il est samedi soir, je m'apprête (à quoi?), je sors, je ris, je danse, je bois, je fume, je ris encore, j'essaie de parler, on me suggère – poliment – que le moment n'est pas à la discussion sérieuse, à la prise de tête, alors je ris, je danse, je bois et… je rentre, ivre de tant de rires.

Bon, je généralise, évidemment. Mais je crois que nous avons tous fait l'expérience, un jour ou l'autre, de nous entendre dire "Nous sommes là pour nous amuser et non pas pour nous prendre la tête". Oui, les fêtes, c'est fait pour s'amuser. Et s'amuser, ce n'est pas réfléchir, c'est être libre (ouf: nos journées sont si oppressantes). Or, ce qui est un peu déroutant, c'est que, en prenant un peu de recul, j'observe une uniformité terrifiante: comme un samedi après-midi au centre de n'importe quelle ville, les "passants" des "fêtes" sont, paraît-il, tous libres, ce qui ne les empêche pas de rire de la même façon, de s'amuser de la même façon et d'être à peu près tous habillés de la même façon (Hommes: jean, chemise ou T-shirt, baskets ou chaussures de ville ; Femmes: tenues légères aussi élaborées – et sexy – les unes que les autres). Oui: la liberté absolue semble se confondre avec le mimétisme le plus primaire. Nous stigmatisons nos journées en raison de leur dimension tyrannique (on fait ce qu'on nous demande de faire), mais nous ne stigmatisons pas nos soirées alors qu'inconsciemment nous cherchons, apparemment par tous les moyens, à faire ce que l'on attend de nous – comprenez: rire, s'amuser, s'habiller pareillement.

Bon, et la liberté dans tout ça? Je me rappelle une citation, fort connue, de Jean-Paul Sartre: "Nous n'avons jamais été aussi libres que sous l'occupation". Ok, le contexte n'est pas le même… Et si, quelque part, il l'était? Si l'occupation du tyran politique ressemblait, analogiquement, à l'occupation de l'image du "fêtard standard", c'est-à-dire à celui qui doit rire comme les autres, qui doit délirer comme les autres, qui doit s'habiller comme les autres? L'uniformité de nos comportements – gestuels, discursifs, vestimentaires – me pousse à me dire que, c'est un fait, les "fêtes" sont gouvernées autocratiquement par un principe unique: il faut toujours s'amuser et, pour ce faire, "ne pas se prendre la tête". Autrement dit, ne pas être soi – à part si l'humain doit se séparer de son cerveau pour exprimer sa véritable nature d'Homo sapiens -, mais être une image, celle-là même qui est esquissée par le principe tyrannique au coeur du dispositif festif: le mec (ou la miss) "cool".

Je me rappelle encore une boutade que j'avais exprimée, il y a quelques années, à des étudiants adolescents: "La liberté, dans un magasin de chaussures, consiste-t-elle à repartir avec une, deux ou zéro paires?". En général, la réponse était univoque (et elle rimait): "avec deux, M'sieur!, puisqu'être libre, c'est faire ce que l'on veut!". (Mais alors, dans une soirée festive, si la liberté c'est de faire ce que l'on veut, pourquoi fait-on tous la même chose? Paradoxe?) Or, et si je reviens à mes ados, je tentais, plus ou moins vainement, de leur expliquer mon point de vue, soit : "Non, celui qui est libre, c'est celui qui arrive repartir du magasin avec zéro paire de chaussures, puisque le dispositif dans lequel il se tient (le magasin, donc) le pousse à en acheter au moins une paire. Et être libre, c'est, selon Sartre, choisir ce que l'on veut, résister aux contraintes – et non pas subir celles que l'on nous impose".

Me voici au bout de ma réflexion, je peux en rassembler les fragments: la "fête" est un dispositif qui, aujourd'hui du moins, nous pousse à rire, à nous habiller de la même manière, à nous amuser, à ne pas nous prendre la tête. Si je cède à cette incitation, je ne peux me prétendre être libre: je ne fais que suivre ce que l'on me dicte. Alors voilà mon rêve: voir chacun d'entre nous devenir libre, c'est-à-dire résister à la "tyrannie de la fête" et, par conséquent, oser briser les codes… Oui, oui, vous avez bien lu: j'aimerais passer des soirées où les gens refusent d'être réduits à des sourires vides ou à des corps sans cerveaux, où les hommes n'essaient pas – comme la plupart de leurs congénères – à être regardés par les femmes et où les femmes n'essaient pas – comme la plupart de leurs congénères – à être regardées par les hommes. En d'autres mots, j'aimerais passer des soirées où chacune et chacun d'entre nous a conscience de vivre en tyrannie car, à ce moment-là, nous aurons tous conscience qu'être libres, c'est refuser par tous les moyens d'être les esclaves de cette oppression.

Osons ouvrir les sas de nos tendances au conformisme: nous y découvrirons notre liberté.

Profession : Agriculteur de l’Art

J'hésitais entre deux billets de blog. Un billet sur la consommation de la culture: article percutant, provocateur, aisément "consommable". J'avais quelques figures de style en tête, quelques procédés ludiques intéressants, beaucoup de messages à partager. Or, hier, une phrase anodine m'a été lancée lors d'une réunion et, depuis, j'ai changé d'avis. Une phrase "en passant", "en rigolant", comme si cela allait de soi, comme s'il n'y avait pas là matière à débat.

Je vous la dis? "La thématique de la science-fiction est trop spéciale; elle rend donc évidemment difficiles les collaborations entre la Maison d'Ailleurs et d'autres institutions". Malgré l'absurdité d'une telle affirmation relativement au programme du musée yverdonnois (quatorze expositions ont été montées à l'extérieur des murs de l'ancienne prison d'Yverdon-les-Bains en 2012; et en 2013, on est déjà à 9 extra muros) et en laissant de côté la terrifiante suffisance qui s'y dissimulait, une chose m'étonne (surtout en sachant que cette phrase émanait d'un éminent représentant du milieu culturel): la Culture possède une tendance à devenir stérile.

Je m'explique. J'ai la chance de vivre à la campagne, dans un bel appartement situé au milieu des champs, et lorsque je regarde mon propriétaire – agriculteur de métier – cultiver ses sols, je remarque certes la délimitation des parcelles de terrain, mais aussi, et surtout, la diversité incroyable des denrées cultivées: blé, orge, betterave, maïs, colza, pomme de terre… Mais ce n'est pas tout. Je le vois aussi travailler dur toutes ses parcelles avec savoir-faire et application. En un mot comme en cent: je le vois prendre soin d'elles. Car, ce que mon propriétaire a compris, c'est que la richesse de son domaine provient directement de toutes les cultures dont il s'occupe. Pas d'une ou de deux, mais de toutes. Jardinier infatigable des temps modernes, l'agriculteur transforme notre territoire brut, chaotique, en un paysage chaleureux, esthétique.

Vous me voyez sûrement venir, mais je vais quand même décrypter la métaphore: le domaine, c'est celui de la Culture, les parcelles de terrain, ce sont les mouvements artistiques, et les denrées cultivées, ce sont les artistes qui – saison après saison – viennent embellir nos sols.

Ce qui me chagrine le plus, c'est de constater que nous avons sous nos yeux la solution à nos conflits, à nos bêtises. "La science-fiction n'est pas de l'art", "La science-fiction est populaire", "La science-fiction ne peut pas participer à des projets inter-institutionnels" ou, pour le dire autrement: "La science-fiction, ce n'est pas de la Culture sérieuse"… Que faire? Dois-je m'insurger contre les avis stéréotypés qui me pleuvent régulièrement dessus? Eh bien, non: la pluie est nécessaire aux sols. Alors je vais continuer à prendre soin de mon terrain, à y cultiver de magnifiques denrées et à proposer, radieux, des pousses à ceux qui ont compris que la beauté provient de la diversité. 

On parle, on discute, on palabre, on débat, on argumente, on glose, on critique, on ironise, on… Ces mots stériles m'épuisent, surtout quand je les compare à l'épanouissement de mes récoltes. Alors je rentre chez moi, je laisse de côté ces disputes scolastiques et, heureux, souriant, je retrouve mon propriétaire en train de travailler. Il m'apprend beaucoup plus que de nombreux "professionnels" de la Culture, car il m'enseigne, sans le vouloir, ce que "prendre soin" signifie vraiment: la Culture ne peut être qu'un domaine stérile – et donc vide de sens -, si ses "jardiniers" oublient que sans les autres sols, ils ne sont rien.

Forum des 100, culture et chimpanzé

Ce matin, j'ai eu la chance, tout comme 700 autres invités, de participer au Forum des 100, édition 2013. Le café était parfait, les viennoiseries aussi, quant au repas… délicieux !

Ok ok, je m'emporte et ce n'est pas ce dont je voulais m'entretenir avec vous. Non, je voulais vous témoigner ma surprise d'avoir assisté à quatre heures de conférences, de discussions, de tables rondes (etc.) et de n'entendre que les mots "sciences", "cerveau", "technologies", "économie", "PIB", "innovation", "on est les meilleurs" et j'en passe. Par contre, en quatre heures de discussion, les mots "culture" et "sciences humaines" ont dû être timidement évoqués qu'une ou deux fois. Ai-je oublié quelques occurrences ?

Arrêtons l'ironie, développons mon étonnement. Le Canton de Vaud est, si je ne m'abuse, la région au monde où il y a le plus de musées au mètre carré : l'Art s'y fait jour sous toutes ses facettes, les institutions proposent des programmes alléchants, diversifiés, riches, incroyables. Alors… ne sommes-nous pas des composantes importantes pour l'économie romande ? Pourquoi ne voit-on pas les retombées touristiques, symboliques, politiques et économiques des musées ? Sommes-nous si en retard sur les autres pays ? Je ne peux y croire. Mais le mot "culture" n'a pas été prononcé ce matin.

Les sciences humaines, maintenant. On en a peu parlé, et c'est bien dommage. De quoi est faite la vie humaine ? D'atomes et de connexions synaptiques ? De modélisations génétiques ou de configuraitons neuronales ? Oui mais… est-ce tout ? Quand j'entends des chercheurs affirmer "Notre génome est proche de celui du chimpanzé à 98%", je ne peux pas y croire : notre génome fait-il notre humanité ? Et ces 2% qui distinguent chimpanzés et humains, rendent-ils vraiment compte de la différence GIGANTESQUE qu'il y a entre les sociétés animales et humaines ? Je ne comprends pas pourquoi le matérialisme scientifique – nouvelle axiologie religieuse ? – ne nous perturbe-t-il pas plus que cela : sommes-nous si fiers d'être réduits – car c'est bien de cela qu'il s'agit – à nos composantes physico-chimiques ? Quand j'entends les gens parler autour de moi, dans le bus, dans la rue, autour d'une table, j'entends des récits, des émotions, des désirs, des peurs – et non pas des atomes, des gènes et autres neurotransmetteurs. Quand j'entends les gens exprimer leurs joies et leurs tristesses, je ne les entends pas les ramener à une configuration mentale ou à une prédisposition génétique. Non, quand j'entends les gens parler, je les entends chercher à comprendre – à donner du sens à leur vie, donc. Et les sciences humaines traitent, justement, du sens : ne sont-elles pas assez nobles ou assez rentables pour être évoquées (excepté par Monsieur Arlettaz) ? Que serait notre vie si elle était dépourvue de sens ? Ne doit-on pas aux chercheurs en sciences humaines d'essayer – c'est aussi complexe que le Human Brain Project mais moins médiatisé – de mieux cerner comment l'individu cherche à fabriquer du sens ?

Je me laisse à penser que je ne suis pas le seul. Pas le seul à souffrir de voir que la question du sens disparaît des discussions publiques. Pas le seul à m'affliger de cette désertion. Si j'étais à la tête d'un programme européen, je dirais : "Les sciences humaines et l'Art permettront d'aider chaque individu à découvrir les rivages du sens, à avancer, inlassablement, dans la quête de ce qui rend la vie humaine si fragile et si précieuse". Mais je ne suis pas à la tête d'un tel projet. Alors je continue à monter mes modestes événements, à m'entretenir avec mes étudiants, à proposer aux visiteurs de la Maison d'Ailleurs de se pencher sur les conséquences symboliques des avancées technoscientifiques, à essayer de créer ce que j'appellerai le "Débat du sens".

Et je sais que mes collègues en font de même. Et je vous en remercie. Infiniment. Ce soir, j'aimerais porter un toast à ce qui nous différencie vraiment des chimpanzés : notre quête jamais terminée du sens de nos existences.

La Russie, la Suisse et les musées

Il y a quelques jours de cela, j'étais en Russie: la Maison d'Ailleurs présentait son exposition de l'année passée, Playtime – Videogame mythologies, à Krasnoyarsk et, puisque sa prochaine étape sera le Multimedia Art Museum de Moscou, je devais me rendre dans ce dernier musée pour y explorer les lieux. Quelle découverte! Quelle magie! Le musée numéro un de Moscou en ce qui concerne l'Art contemporain m'a subjugué.

Bon je n'ai pas pour intention de vous raconter les splendeurs rencontrées durant mon séjour, mais plutôt de lancer une question à laquelle, je vous l'avoue, je n'ai aucune réponse. On le sait, on le voit, en Suisse romande, le public qui fréquente les musées correspond aux familles et aux personnes qui n'ont plus à se soucier de l'éducation de leurs enfants. Or, à Moscou, le public cible, ce sont les adolescents et les jeunes adultes : 15-35 ans, à vue d'oeil. Étonnant, n'est-ce pas?

Comment expliquer cet état de fait? Pourquoi les jeunes suisses désinvestissent-ils généralement les lieux d'expositions? L'Art est-il définitivement "has been"? Ne nous énervons pas : mes interrogations n'ont pas pour intention d'englober tous les jeunes, mais bon, reconnaissons-le, ce n'est pas notre public le plus massif. J'ai tourné cette question dans ma tête, forgé les hypothèses les plus diversifiées et… rien n'est venu. L'aporie ne semblait pouvoir être résolue : nous allons dans les concerts, nous allons au cinéma, nous allons aux événements sportifs, nous allons… Nous n'allons pas souvent dans les musées.

Alors, vu que je n'ai pas la réponse à cette question, j'ai essayé de penser au cadre dans lequel nous évoluons et là, une piste m'a été donnée – une piste, pas la vérité, of course. Cette piste, je la lance ici: les sociétés "dystopiques" conduisent l'Art à retrouver sa fonction libératrice, les mondes "utopiques" – où tous nos besoins sont satisfaits à profusion – semblent nous pousser à oublier cette fonction libératrice… On entend toujours la même rengaine : "Vous n'avez pas d'expositions interactives ? Désolé, si on ne peut rien toucher, ce n'est pas intéressant". Apparemment, le sens doit être directement donné pour être tout aussi directement consommé, digéré. Retombés en enfance, les Suisses?

Mais alors là, je suis embêté: si les sociétés "utopiques" ne nous incitent pas à nous libérer de nos habitudes par l'Art – à découvrir la Beauté -, sont-ce encore des mondes où nous sommes libres ? Ou, justement, les utopies ont tous les avantages du monde, sauf d'offrir aux humains… la liberté.

La science-fiction peut-elle être source d’Art ? (2/2)

Il y a quelques semaines, je vous livrais une première réflexion sur le SF Art, c'est-à-dire sur les productions de la science-fiction qui sont à considérer comme des oeuvres d'Art. Il est temps pour moi de continuer et de terminer ce qui avait été amorcé. Pour ce faire, il me paraît important de saisir une évidence: une représentation fictionnelle ou artistique s'inspire du monde (aspect référentiel) mais aussi, et surtout, des représentations antérieures (aspect autoréférentiel). C'est d'ailleurs souvent lorsqu'une oeuvre dialogue à la fois avec son quotidien et avec la tradition dans laquelle elle s'inscrit, que nous pouvons entrevoir les rivages de l'Art – ce qui suppose évidemment que nous connaissions cette tradition (comment être sensible aux phénomènes de reprises, de clins d'oeil, de mises en abyme, de jeux ironiques et autres si l'on ne connaît pas les oeuvres vis-à-vis desquelles se situe celle que nous découvrons?).

Le SF Art n'échappe pas à la règle qui vient d'être énoncée : une oeuvre peut être qualifiée de chef-d'oeuvre du SF Art quand elle dit quelque chose d'original sur le monde (cf. billet de blog: "La science-fiction peut-elle être source d'Art? (1/2)") tout autant que sur la tradition dans laquelle elle s'inscrit. Aspect référentiel et autoréférentiel se conjuguent alors, multiplient les niveaux de lecture et permettent en conséquence d'accepter l'oeuvre comme "belle", c'est-à-dire complexe, dense, profonde. Un exemple me permettra de préciser ma pensée et je le prendrai dans ce champ de la science-fiction que l'on appelle le comic books.

Une amie m'a envoyé un article sur Watchmen d'Alan Moore (vous trouverez le texte ici) et, à sa lecture, je me faisais la réflexion suivante: pour Aurélie Champagne, l'auteure de l'article, la force de la bande dessinée scénarisée par Moore est avant tout à trouver dans des critères ressortissant à l'aspect référentiel. Watchmen (1986-1987) parle en effet des super-héros, les critique, les remet en cause et, en définitive, parle de notre rapport à ce même type de personnages: les super-héros incarnent des idées (politiques, philosophiques) et sont, à l'instar du gouvernement reaganien, désabusés. Aurélie Champagne a raison de montrer que les super-héros d'Alan Moore sont, en fait, des cristallisations symboliques, c'est-à-dire qu'ils parlent du monde américain des années 1940 aux années 1980: le rêve américain ne cesse de s'appuyer sur des hommes providentiels – métaphoriquement représentés par des super-héros (Ozymandias, Dr. Manhattan, etc.) -, alors que ces derniers conduisent généralement au danger de "l'extermination de l'espèce". Autrement dit, Watchmen traite des super-héros pour faire l'apologie de l'homme – un homme simple, banal, sans rêve de grandeur et, donc, sans hybris destructrice, sans démesure.

Pourtant, et malgré la pertinence de ce qui précède, un des aspects les plus fascinants de ce comic book provient de sa capacité à nous parler de l'histoire des super-héros ou, plutôt, au fait que cette histoire n'est pas autre chose que le reflet déformé des déviances américaines: Moore ne s'amuse pas uniquement à faire des clins d'oeil aux super-héros antérieurs (Rorschach est bien un avatar de La Question), il met surtout en scène la tradition dans laquelle il oeuvre. En effet, et je ne souhaite pas ici multiplier les exemples mais suis à votre disposition pour creuser le sujet, Watchmen est, pour moi, la représentation de l'histoire du comic book depuis la fin des années 1930. Appelé "mise en abyme" (on représente dans un comic book l'histoire du comic book), un tel phénomène a pour propriétés d'amener son lecteur à prendre de la distance avec ce qu'il lit et à interroger ses propres représentations. Concrètement, si Watchmen évoque la tradition dans laquelle il s'inscrit, c'est pour réfléchir, d'une part, à l'histoire de cette tradition et, d'autre part, aux stéréotypes que l'on pourrait avoir à son égard ("le comic book est fait pour les adolescents", "il est manichéen", etc.).

Qu'il me soit permis de donner un seul exemple: Watchmen met en scène deux "groupes" de super-héros (un "ancien" des années 1940 – les "Minutemen" – et un "nouveau" des années 1980) et nous montre, à un certain moment, comment le premier groupe a été démantelé. Or, ce qui est représenté ici, mais de manière métaphorique, c'est-à-dire sous forme détournée, ce sont deux moments de l'histoire des super-héros ou, plutôt, les conséquences d'un épisode particulièrement sombre de cette histoire (et méconnu du novice) : l'avènement du "Comics Code" (CC) en 1954 et ses répercussions sur les publications populaires. En deux mots : suite au texte Seduction of the Innocent (1954) du psychiatre Fredric Wertham accusant les comic books de conduire la jeunesse à la criminalité, les éditeurs de comics ont édicté des règles de composition strictes. Un comic book ne devait pas représenter de sexualité ou d'homosexualité, le bien devait toujours l'emporter sur le mal, les figures de l'autorité ne pouvaient être critiquées… Un code de censure, donc. Or, comment interpréter, dans Watchmen, la réaction de Laurie lorsqu'elle voit sa mère – l'ancienne "Spectre Soyeux" – feuilleter un comics pornographique des années pré-CC? Et comment comprendre ce qu'il est arrivé aux super-héros des années 1940 sans cet épisode du CC ? "Fantôme" s'est repenti et converti au catholicisme, "La Silhouette" a été tuée en raison de son homosexualité et "L'Homme-Insecte" a été interné en raison de son alcoolisme et de sa maladie mentale : Alan Moore met en scène, au sein même de son intrigue, l'histoire du comic book avant 1954 et montre comment ces bandes dessinées représentaient en fait les travers américains – ceux-là mêmes qui les ont condamnées. En ce sens, Moore montre que ce ne sont pas les comics qui conduisaient à la criminalité, mais la décadence américaine qui conduisait aux comics

Une fois cette grille de lecture adoptée, Watchmen gagne en densité : l'articulation de ces niveaux de lecture rend ce comics fascinant. Il en gagne même le titre de "chef-d'oeuvre" du SF Art. La science-fiction – et toutes les esthétiques qui en dérivent – ne peut être considérée comme de l'Art si on refuse d'en connaître les formes, les motifs, les oeuvres, l'histoire. Mais dès que ces derniers font partie du bagage intellectuel du curieux, alors s'ouvre un champ artistique exceptionnel – et j'espère sincèrement, avec mes quelques exemples, vous avoir donné envie de vous plonger dans un mouvement artistique peu connu et dont la dénomination (SF Art) ne fait même pas consensus. Tout comme les Watchmen réfléchissent la société américaine qui les a vus naître et les êtres humains qui y vivaient, devrait-on chercher dans les productions de la science-fiction non l'apologie d'un futur fantasmé, mais l'image déformée qu'elles ne cessent d'offrir à notre regard de notre monde et… de nous-mêmes.

La science-fiction peut-elle être source d’Art ? (1/2)

La question en titre peut paraître surprenante a priori. Elle est évidente et ce, quel que soit le côté par lequel on l'aborde : soit on est convaincu que la science-fiction, culture populaire s'il en est, ne peut pas rivaliser avec les pratiques artistiques contemporaines, soit on pense, pour les initiés, que la science-fiction a donné lieu à de nombreuses oeuvres d'art. Ces deux points de vue semblent irréconciliables – et, souvent, ils le sont car aucun lieu de discussion ne se donne pour mission de débattre sur ce sujet.

Vous imaginez sûrement mieux la difficulité qu'il y a à diriger le "musée de la science-fiction" ! Est-ce que je présente du divertissement ou de l'Art ? Les artistes qui sont exposés à la Maison d'Ailleurs sont-ils de "vrais" artistes ou non ? Que disons-nous aux visiteurs sur eux-mêmes et sur le monde qui les entoure ?

Je ne veux pas ma lancer ici dans un laïus sur l'impossibilité de définir la Beauté en-soi : une oeuvre est toujours belle à travers un regard et un regard est toujours dépendant d'un certain contexte historique. Tout le monde le sait, mais on continue à entendre les mêmes inepties sur le fait que certains artistes – en général les dépressifs – sont de vrais artistes, alors que d'autres, en raison de leur bonhommie, ne le sont pas. J'exagère à peine, je vous promets !

Passons. Je veux me laisser guider par une analogie et, comme je suis un littéraire de formation, je vais prendre cette analogie dans cette activité créatrice. Un bon écrivain n'est pas seulement celui qui fait de jolies phrases – tout le monde en est capable – ni celui qui raconte de belles histoires – sinon les parents seraient les meilleurs écrivains du monde ! Non, un bon écrivain est celui qui utilise des mots déjà existants pour créer une langue originale (et, donc, une histoire originale, puisqu'une histoire est toujours produite par une langue). Un bon écrivain n'invente donc pas tout, mais invente une nouvelle manière de dire ce qui est (une manière que les lecteurs peuvent faire leur) : la littérature "parle" à l'homme, car l'homme se raconte avec des mots et la littérature est faite de mots.

Ceci étant accepté, comment peut-on comprendre l'Art de la science-fiction ("SF Art") ? Eh bien, un peu comme ça: le monde dans lequel nous vivons est constitué de mots et d'images qui, pour une partie d'entre eux, proviennent des sciences ("l'homme est pris dans un processus évolutif" par exemple) et des technologies ("nous avons tous un ordinateur", etc.). En ce sens, un artiste "SF" est un "écrivain" qui puise dans les mots déjà existants pour créer une langue singulière qui, tout comme son collègue littéraire, dit ce qui est, mais différemment que ses prédécesseurs : il nous permet de parler de notre vie, de notre condition humaine, de notre rapport aux sciences et aux technologies alors même que ces dernières façonnent nos vies. En ce sens, le "SF Art" nous offre une langue pour raconter notre vie de tous les jours et nos relations aux artefacts qui nous entourent : le mouvement "cyberpunk" représente notre dépendance aux technologies et le mouvement "steampunk", la tendance postmoderne à réinvestir nos imaginaires passés et à construire notre réalité sur ces mêmes imaginaires.

Le "SF Art" existe-t-il, donc ? Evidemment ! Mais pour le percevoir, il faut être sensible aux mots employés par les artistes-écrivains de science-fiction. Et c'est peut-être le plus grand paradoxe de notre temps : nous vivons dans un monde saturé de sciences et de technologies, mais nous semblons oublier que ces dernières, en définitive, ne sont que des "mots" pour définir qui nous sommes. Et il existe mille définitions de l'être humain… Le SF Art travaille sans cesse pour nous montrer la malléabilité de notre condition : sommes-nous des singes évolués ? des tissus d'informations ? Tout cela et rien de tout cela. Nous sommes ce que nous disons que nous sommes – et le SF Art a pour mission, comme tant d'autres courants esthétiques, de nous montrer comment nous pouvons renouveler notre façon de nous dire, c'est-à-dire comment nous pouvons nous inventer.

La deuxième partie de cette petite réflexion, que je vous livrerai dans quelques jours, évoquera le niveau "méta" de ce qui précède. En l'occurrence, un artiste peut certes s'emparer des "mots" offerts par les sciences et les technologies, mais il peut aussi, et surtout, s'emparer des "mots" évoqués par ses prédécesseurs : l'artiste retravaille les thématiques travaillées par ses pairs. Et, pour que cela soit aisé à comprendre, j'utiliserai une autre analogie : celle de la métaphore.

A bientôt, donc !

 

La science-fiction, c’est… (3/7)

Après quelques jours passés à découvrir de nouveaux romans et de nouveaux films, je reviens sur la petite "définition" de la science-fiction que j'avais amorcée il y a peu. Aujourd'hui, je partirai de ce qui a été dit par Richard, ce qui me permettra d'approfondir une notion centrale pour comprendre la (science-)fiction : interroger le réel, lui donner un sens.

Cela peut paraître surprenant. La fiction n'est-elle pas habituellement considérée comme un simple "divertissement", un discours faux, peu sérieux et qui nous permet avant tout de nous évader, de fuir notre réalité ? J'ai souvent entendu cela… mais ce qui me surprend encore plus, c'est que cette manière de se rapporter à la fiction remonte… à l'Antiquité (oui, oui, rappelez-vous La République de Platon : la fiction n'est que la copie d'une copie, elle est donc très éloignée de la vérité, etc.) ! Avons-nous réellement si peu progressé depuis les Grecs que nous reprenons quasiment mot pour mot ce qu'ils affirmaient ? Allons allons…!

Un récit de science-fiction – roman, bande dessinée ou film – est une configuration (plus ou moins) originale d'événements au cours du temps : l'auteur fabrique un monde dans lequel se trouve un personnage qui vit des "aventures" afin d'atteindre un but (aussi minime soit-il). Il s'avère que dans un roman de science-fiction, ce monde et ces aventures doivent impliquer, d'une manière ou d'une autre, des sciences ou des technologies (pas forcément les nôtres d'ailleurs) : il y a des clones tout autour de nous, on atteint une nouvelle planète, on peut observer nos parents se rencontrer depuis une machine à remonter le temps… Or, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, notre réalité quotidienne est déjà saturée de sciences et de technologies que nous "oublions", sûrement par habitude, de penser et de réfléchir – et, ce faisant, elles ne font pas sens pour nous, elles ne révèlent pas leurs conséquences sur la condition et la société humaines.

Vous voyez sûrement où je veux en venir… Puisque l'univers de science-fiction ressemble à notre réalité ("effet de réel") et que dans cet univers est racontée l'histoire d'un être humain, les lecteurs peuvent expérimenter une vie alternative qui évoque, sur un mode décalé (le monde de la fiction n'est pas tout à fait le nôtre), notre vie de tous les jours : les clones nous font penser aux discours sur le clonage reproductif, les dystopies aux tendances totalitaires de certaines idéologies poussées à leur extrême, etc. Autrement dit, et merci Richard, la science-fiction permet bel et bien, comme toute fiction, d'interroger notre réel – puisque l'univers de science-fiction est construit à partir de notre quotidien – et, de ce fait, de lui donner du sens, vu que le sens suppose, minimalement, la capacité à créer des liens entre divers éléments. C'est grâce aux multiples sens proposés par les ouvrages de (science-)fiction que nous pouvons, après notre détour vers l'Ailleurs, revenir à notre monde réel, enrichis par ce que nous y avons découvert, par les liens qui y ont été tissés et que nous pouvons projeter sur notre monde (peut-on se rapporter à ce qui nous entoure sans projeter des liens appris ailleurs ? Peut-on tomber amoureux sans posséder, en nous, la moindre histoire d'amour ?).

La crainte millénaire face à la fiction me semble ne plus avoir droit de cité, si ce n'est pour des raisons historiques: elle nous empêche de saisir que la fiction est un outil – peut-être le plus puissant inventé par l'esprit humain – d'interroger le réel, de lui poser des questions nouvelles (celles découvertes dans le monde fictionnel), de lui conférer une multiplicité de sens. Les siècles l'ont montré : les sociétés les plus aliénantes sont celles où nos relations au réel sont évaluées à l'aune d'un seul sens. La (science-)fiction est donc bien plus qu'une évasion triviale, elle est ce qui permet au sens de se diversifier et, ce faisant, de nous rappeler que de vouloir n'avoir qu'un seul sens est un danger terrifiant puisqu'il éradique toute liberté.

La science-fiction, c’est… (2/7)

Je suis content. Content d'avoir posté mon premier opus sur la science-fiction. Je ne pensais pas que les réactions seraient si rapides, mais, à peine posté, quelques commentaires m'ont été transmis, dont un qui me tient particulièrement à coeur. Donc, après avoir traité de l'état d'esprit, voici la suite de cette aventure dans la définition de la science-fiction.

Manuèle Ducret, dans sa réponse, dit ceci : "La science-fiction provoque et déconstruit l'imaginaire, les pseudo-certitudes, tout en explorant nos craintes avouables ou non. C'est aussi un formidable espace d'expérience(s) et de liberté(s)."

Quelle belle définition! La science-fiction "provoque et déconstruit nos pseudo-certitudes", elle est "un formidable espace d'expérience(s) et de liberté(s)". Oui, et pourquoi cela? En fait, l'état d'esprit de la science-fiction (cf. "La science-fiction, c'est… (1/7) joue sur une frontière floue : l'hypothèse rationnelle inventée par un auteur fait comme si elle était possible, elle fait semblant d'être attendue, espérée, crainte, réalisable. Ce "comme si" particulier de la science-fiction est en fait un "effet de réel", c'est-à-dire que le texte (ou le film) s'appuie sur un motif qui pourrait être imaginable dans notre monde (voyage dans l'espace, greffe de puce dans le cerveau, clonage, etc.) : c'est pour ça que l'on pense souvent – mais à tort – que la science-fiction brosse le portrait de l'avenir. L'effet de réel a un rôle important dans la lecture de la fiction, car il encourage le lecteur à se rapporter de manière réaliste à ce qu'il lit. En revanche, le texte de SF n'est jamais, en raison de ce que j'ai dit dans mon premier opus, une manière de parler du futur, mais la mise à distance de notre présent afin de mieux le penser et de s'y rapporter autrement (déconstruire l'imaginaire que nous avons, déconstruire nos pseudo-certitudes construites par les discours médiatiques qui nous entourent). Et mettre à distance peut se faire de plusieurs manières : la science-fiction, elle, choisit de décaler ses mondes dans l'espace et dans le temps. Et c'est pour cela que, la plupart du temps, les univers science-fictionnels sont situés dans un "autre monde".

C'est justement cette mise à distance, cette déformation, qui crée un espace de liberté. Je m'explique : en créant un monde "autre", par exemple un monde où des puces seraient greffées dans le cerveau humain, je crée une distance avec mon monde – mais une distance minime puisque dans mon quotidien, on évoque déjà les connexions cerveaux-machines. Ce faisant, je sais, en lisant le roman, que le monde décrit est une fiction basée sur le monde que je connais. Puis, une intrigue apparaît: les vicissitudes du personnage sont explorées, son aliénation ou ses réussites sont racontées, des images plus ou moins frappantes sont mises en scène. Une fois mon livre finit, et en raison de l'effet de réel que j'ai éprouvé, je peux revenir à ma réalité : le détour par l'ailleurs me permet de revenir au présent, mais enrichi par ce même détour. Alors la force de la science-fiction se fait jour : je ne vais plus considérer la greffe d'une puce comme un projet uniquement positif – tel qu'il pourrait être "vendu" par certains discours sociaux -, puisque j'aurais vu des personnages dans des situations problématiques (ils passent leur journée à téléphoner et finissent par devenir fous). Plus même : j'aurais compris que l'image de la puce greffée dans le cerveau est en fait une manière d'évoquer une dimension symbolique : nous passons de plus en plus de temps au téléphone et, de ce fait, nous avons de moins en moins de temps pour faire autre chose. La dissémination du téléphone portable a ainsi pour conséquence de nous inciter à l'utiliser de plus en plus fréquemment. La technologie alimente la technologie.

En ce sens, la science-fiction est bien une manière de complexifier les projets scientifiques et technologiques en les faisant interagir avec des humains (c'est ce que fait toujours la fiction, par ailleurs) : ces projets deviennent problématiques et révèlent leur densité, les dimensions auxquelles il nous faut être attentifs, les transformations (matérielles ou symboliques) qu'ils font subir à la condition humaine. C'est maintenant clair : la science-fiction expérimente les projets technologiques pour permettre au lecteur de les penser – et non seulement d'adhérer à ce qui est dit sur les bienfaits amenés par ces mêmes projets ("nos pseudo-certitudes"). Par conséquent, la science-fiction est une manière de nous aider à être libres (c'est-à-dire à choisir notre manière de nous rapporter à quelque chose) : libres de penser au progrès technologique, libres de le voir dans ses implications symboliques, libres de se rappeler que la technologie est toujours, par essence, problématique puisqu'elle engage, nécessairement, les humains dans tout leur être.

La science-fiction, c’est… (1/7)

Après vous avoir mis à contribution et vous avoir demandé ce qu'était, pour vous, la science-fiction, il est temps de commenter, à mon tour, vos avis.

D'après Jean-Pascal Cottier : "La science-fiction, une manière de penser élargie où toutes les thématiques peuvent être rebrassées"

Intéressant. "Manière de penser", "rebrassées" : ces deux points m'interpellent. La science-fiction est en effet bien une manière de penser ou, plutôt, un état d'esprit, comme l'affirmait Pierre Versins (le fondateur de la Maison d'Ailleurs en 1976). Je me dois de préciser. Prenons un exemple trivial : les téléphones portables ont un rapport capacité / taille qui tend vers l'infini – ils sont de plus en plus puissants pour une taille de moins en moins grande (extension de la loi de Moore). Donc, je peux sans autre conjecturer, c'est-à-dire faire l'hypothèse rationnelle, qu'un jour, le téléphone portable sera réduit à sa puce et que l'interface qui l'entoure sera, par exemple, mon cerveau, puisque ce dernier abrite des phénomènes ondulatoires, tout comme le téléphone portable. Or, si je fais cette hypothèse rationnelle, soit je fais de l'anticipation (et je pense sincèrement qu'un jour nous aurons nos téléphones dans nos têtes), soit je fais de la sciencefiction.

Dans ce dernier cas, je dispose d'un motif passionnant pour raconter une histoire, une fiction : je peux alors imaginer que nous, pauvres individus du XXIIe siècle (ne soyons pas trop optimistes), devenions fous ! En effet, si à chaque fois que je pense à quelqu'un, je l'appelle – ce qui est rendu possible par l'implémentation de la carte SIM dans mon néocortex -, alors je risque fort de passer ma journée au téléphone, voire d'appeler n'importe qui sans aucun espoir de pouvoir m'arrêter !

Suis-je en train d'inventer le futur ? Non. Mon histoire a pour prétention de raconter ce qui nous arrive déjà ! Je m'explique. Rappelez-vous les années 1980 (ou 1990) : pas (ou peu) de téléphones portables, donc le temps passé à téléphoner était réduit et la distance moyenne entre mon bras et le téléphone était grande. Aujourd'hui, des téléphones portables partout ; conséquence : on passe un temps fou… à téléphoner et la distance qui me sépare de cet appareil diminue comme peau de chagrin ! L'hypothèse évoquée plus haut n'a donc pas pour finalité d'esquisser les contours de l'avenir, mais d'exagérer, de déformer le présent, pour mettre en lumière un de ses aspects humains. L'équation : plus la capacité du téléphone est grande, plus la taille de ce dernier se réduit, possède un corollaire, en l'occurrence, le fait que le temps passé "en communication" augmente et que l'espace me séparant du combiné tend vers zéro (d'où la pertinence d'imaginer une puce dans mon cerveau : distance minimale, temps d'appel maximal). Ma conjecture a donc avant tout pour vertu de créer une image : réduire l'espace entre l'homme et les technologies de communication, c'est augmenter le temps dévolu à utiliser ces technologies (on peut penser à Facebook, Twitter, Internet, etc.).

En conséquence : la science-fiction est l'état d'esprit – celui de la conjecture – qui établit de nouveaux rapports, par le biais de l'image, entre l'être humain et la technologie. Autrement dit, la science-fiction est un miroir déformé de notre quotidien, un miroir qui nous renvoie le reflet de l'homme dans ce quotidien : un miroir qui nous permet de (nous) penser, en somme.

Une manière de rebrasser les thématiques qui nous sont familières, puisque ce sont… les nôtres.

J’ai besoin de votre avis !

Journée un peu déroutante.

Parfois, il m'arrive de poser autour de moi des questions du type : "Qu'est-ce que la Maison d'Ailleurs pour vous?" ou "La science-fiction, ça vous parle?", ou encore "Ça vous fait quoi de savoir que le seul musée de la science-fiction en Europe se trouve en Suisse, à Yverdon-les-Bains?". Le genre de questions qui sert à évaluer le taux de pénétration d'une image, d'un discours, d'une activité.

Les réponses, la plupart du temps, me sidèrent un peu : "La Maison d'Ailleurs? Un musée de geeks! La science-fiction? Star Wars!", "Qu'est-ce qu'on y voit? Des extraterrestres, des fusées spatiales, des soucoupes volantes, des aliens aux yeux globuleux?" ou "Ah oui, c'est ce musée à Yverdon… Je n'y suis jamais allé: que peut-on y découvrir?"… On doit quand même être un des seuls pays sur Terre où vingt minutes de train (eh oui…) correspondent en fait à un autre univers, voire un monde parallèle: nous sommes à la fois si proches et, en même temps, à des années-lumière les uns des autres!

Je me rappelle d'un séjour à Montréal où les gens n'avaient aucun problème à se rendre dans un musée ou à un festival situé à 1h30 de chez eux (imaginez l'aller-retour : ça devient de la science-fiction, non?). Bref.

Dans un monde saturé de technologies, où les sciences sont systématiquement convoquées pour expliquer la nature et la destinée humaines, et où les utopies politiques et économiques ne cessent de fleurir (meilleur ou pire des mondes?), je trouve incroyablement comique – au sens de komisch – de constater que la science-fiction est considérée comme "populaire", "hollywoodienne" ou "stéréotypée" (le stéréotype, aujourd'hui, n'est-ce pas de dire que la SF est stéréotypée?).

Alors… Et vous?… Pouvez-vous me dire ce qu'est la science-fiction? ou ce qu'est la mission d'un musée de la science-fiction?

Je me réjouis déjà de vous lire !