Notre Science qui est aux Cieux, que Ton Nom…

J'avais lu, il y a quelques années, un collectif dirigé par Jean Delumeau, Le Savant et la foi – et cette lecture m'avait passionné, alors que je cherchais des réponses à une révolte personnelle que je pourrais résumer ainsi : la Science moderne se gausse parfois d'avoir mis fin à l'Obscurantisme chrétien, mais semble se comporter comme ce dernier quand elle dénonce, en général de manière condescendante ou violente, ses propres "hérétiques" (croyants, adeptes de perspectives non rationnelles, humains en quête d'un sens autre que celui préconisé par la démarche hypothético-déductive). J'étais étudiant à l'UNIL et à l'EPFL, j'avais 20 ans, j'adorais la Science pour sa capacité à ouvrir une fenêtre inédite sur le Réel – par définition voilé -, mais j'adorais aussi la Littérature, la Philosophie, la Psychologie, voire – ô horreur – les théories ésotériques, car toutes ces fenêtres donnaient, à leur tour, un point de vue singulier sur le Réel, un point de vue riche de leçons sur ce qui forme la beauté de la vie humaine. Je ne cherchais pas LA vérité, mais j'aimais l'idée que la vérité était en fait un pluriel, et que la complexité de ce pluriel résonnait étroitement avec celle de l'être humain.

Et voilà que, dernièrement, cette lecture est revenue à mon esprit par le biais d'un échange autant inattendu que passionnant et, avec elle, la révolte (symbolique) qui l'avait motivée. Je ne m'en vais pas partir en guerre contre les systèmes de pouvoir – car on sait, depuis Foucault, que c'est ainsi que la pratique scientifique doit être caractérisée -, mais plutôt revenir à cette histoire de fenêtre par une analogie qui laissera à chacun d'entre vous la possibilité de se forger son propre avis. Quand j'ai conçu la dernière exposition de la Maison d'Ailleurs, "Alphabrick", les idées scénographiques qui m'ont été proposées précisaient que les tables LEGO® ré-interprétant les univers de l'exposition devaient d'abord être vues par des petites fenêtres percées dans un mur. J'aimais cette idée car, par méconnaissance, on pense toujours maîtriser les univers de Star Wars ou du Seigneur des Anneaux ("univers de geek", "univers stéréotypés", etc.), alors qu'en fait on n'en voit que de toutes petites parties : nos jugements ont donc peu de légitimité puisqu'ils s'appuient sur des vues fragmentaires. Ce constat était fondamental pour moi, puisque si nous jugeons en général négativement – l'art aussi est une stratégie de pouvoir – les oeuvres inspirées par ces univers, c'est que nous ne connaissons pas ces derniers (peut-on juger les oeuvres de Michel-Ange si on ne connaît rien à la tradition biblique ?). Depuis, je vois les gens défiler dans le musée et, parfois, me dire à quel point le systèmes des "fenêtres" est ingénieux et proche du concept général de l'exposition (inspecter la raison d'être des univers étendus et de leur capacité à se décliner en produits dérivés).

Plus de quinze ans après ma révolte, plus de quinze ans après la lecture de ce collectif, je me sens heureux : heureux de constater que jamais un système de pensée totalitaire – c'est-à-dire excluant les autres systèmes de pensée – ne pourra s'imposer à tous les individus. Il y aura toujours des gens qui voudront accéder au Réel – ou aux modèles LEGO® ! – par d'autres fenêtres, d'autres points de vue, d'autres perspectives : et ces gens ne sont pas des hérétiques, mais des "en-quête-urs" ! Il y aura toujours des gens qui préféreront être bousculés que rassurés. Et cela me réjouit, car c'est, pour moi, la mission de la Culture : bousculer nos certitudes, nos représentations (bon ce n'est peut-être pas la même mission que celle des institutions présentant des expositions "blockbusters" sur Picasso, Dali et autres Monet) ! L'humain est malléable, ce qui peut en décevoir certains ; or, grâce à cette nature mouvante, il peut déjouer les systèmes cherchant à l'enfermer dans une vision unique. Donc oui, continuons à croire en la Science – au Rationnel -, mais n'oublions pas, en même temps, de croire en Dieu, à la Littérature, à l'Amour magique, aux Emotions folles, aux Forces mystiques, à l'Irrationnel : car toutes ces "briques" sont nécessaires à la création de la Beauté, c'est-à-dire à la création de NOTRE vérité…

Marc Atallah

Marc Atallah est le Directeur de la Maison d'Ailleurs, musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, et Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il vient ici nous parler des frontières de plus en plus floues entre science et fiction.

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