Forum des 100, culture et chimpanzé

Ce matin, j'ai eu la chance, tout comme 700 autres invités, de participer au Forum des 100, édition 2013. Le café était parfait, les viennoiseries aussi, quant au repas… délicieux !

Ok ok, je m'emporte et ce n'est pas ce dont je voulais m'entretenir avec vous. Non, je voulais vous témoigner ma surprise d'avoir assisté à quatre heures de conférences, de discussions, de tables rondes (etc.) et de n'entendre que les mots "sciences", "cerveau", "technologies", "économie", "PIB", "innovation", "on est les meilleurs" et j'en passe. Par contre, en quatre heures de discussion, les mots "culture" et "sciences humaines" ont dû être timidement évoqués qu'une ou deux fois. Ai-je oublié quelques occurrences ?

Arrêtons l'ironie, développons mon étonnement. Le Canton de Vaud est, si je ne m'abuse, la région au monde où il y a le plus de musées au mètre carré : l'Art s'y fait jour sous toutes ses facettes, les institutions proposent des programmes alléchants, diversifiés, riches, incroyables. Alors… ne sommes-nous pas des composantes importantes pour l'économie romande ? Pourquoi ne voit-on pas les retombées touristiques, symboliques, politiques et économiques des musées ? Sommes-nous si en retard sur les autres pays ? Je ne peux y croire. Mais le mot "culture" n'a pas été prononcé ce matin.

Les sciences humaines, maintenant. On en a peu parlé, et c'est bien dommage. De quoi est faite la vie humaine ? D'atomes et de connexions synaptiques ? De modélisations génétiques ou de configuraitons neuronales ? Oui mais… est-ce tout ? Quand j'entends des chercheurs affirmer "Notre génome est proche de celui du chimpanzé à 98%", je ne peux pas y croire : notre génome fait-il notre humanité ? Et ces 2% qui distinguent chimpanzés et humains, rendent-ils vraiment compte de la différence GIGANTESQUE qu'il y a entre les sociétés animales et humaines ? Je ne comprends pas pourquoi le matérialisme scientifique – nouvelle axiologie religieuse ? – ne nous perturbe-t-il pas plus que cela : sommes-nous si fiers d'être réduits – car c'est bien de cela qu'il s'agit – à nos composantes physico-chimiques ? Quand j'entends les gens parler autour de moi, dans le bus, dans la rue, autour d'une table, j'entends des récits, des émotions, des désirs, des peurs – et non pas des atomes, des gènes et autres neurotransmetteurs. Quand j'entends les gens exprimer leurs joies et leurs tristesses, je ne les entends pas les ramener à une configuration mentale ou à une prédisposition génétique. Non, quand j'entends les gens parler, je les entends chercher à comprendre – à donner du sens à leur vie, donc. Et les sciences humaines traitent, justement, du sens : ne sont-elles pas assez nobles ou assez rentables pour être évoquées (excepté par Monsieur Arlettaz) ? Que serait notre vie si elle était dépourvue de sens ? Ne doit-on pas aux chercheurs en sciences humaines d'essayer – c'est aussi complexe que le Human Brain Project mais moins médiatisé – de mieux cerner comment l'individu cherche à fabriquer du sens ?

Je me laisse à penser que je ne suis pas le seul. Pas le seul à souffrir de voir que la question du sens disparaît des discussions publiques. Pas le seul à m'affliger de cette désertion. Si j'étais à la tête d'un programme européen, je dirais : "Les sciences humaines et l'Art permettront d'aider chaque individu à découvrir les rivages du sens, à avancer, inlassablement, dans la quête de ce qui rend la vie humaine si fragile et si précieuse". Mais je ne suis pas à la tête d'un tel projet. Alors je continue à monter mes modestes événements, à m'entretenir avec mes étudiants, à proposer aux visiteurs de la Maison d'Ailleurs de se pencher sur les conséquences symboliques des avancées technoscientifiques, à essayer de créer ce que j'appellerai le "Débat du sens".

Et je sais que mes collègues en font de même. Et je vous en remercie. Infiniment. Ce soir, j'aimerais porter un toast à ce qui nous différencie vraiment des chimpanzés : notre quête jamais terminée du sens de nos existences.

Marc Atallah

Marc Atallah est le Directeur de la Maison d'Ailleurs, musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, et Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il vient ici nous parler des frontières de plus en plus floues entre science et fiction.

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