La Russie, la Suisse et les musées

Il y a quelques jours de cela, j'étais en Russie: la Maison d'Ailleurs présentait son exposition de l'année passée, Playtime – Videogame mythologies, à Krasnoyarsk et, puisque sa prochaine étape sera le Multimedia Art Museum de Moscou, je devais me rendre dans ce dernier musée pour y explorer les lieux. Quelle découverte! Quelle magie! Le musée numéro un de Moscou en ce qui concerne l'Art contemporain m'a subjugué.

Bon je n'ai pas pour intention de vous raconter les splendeurs rencontrées durant mon séjour, mais plutôt de lancer une question à laquelle, je vous l'avoue, je n'ai aucune réponse. On le sait, on le voit, en Suisse romande, le public qui fréquente les musées correspond aux familles et aux personnes qui n'ont plus à se soucier de l'éducation de leurs enfants. Or, à Moscou, le public cible, ce sont les adolescents et les jeunes adultes : 15-35 ans, à vue d'oeil. Étonnant, n'est-ce pas?

Comment expliquer cet état de fait? Pourquoi les jeunes suisses désinvestissent-ils généralement les lieux d'expositions? L'Art est-il définitivement "has been"? Ne nous énervons pas : mes interrogations n'ont pas pour intention d'englober tous les jeunes, mais bon, reconnaissons-le, ce n'est pas notre public le plus massif. J'ai tourné cette question dans ma tête, forgé les hypothèses les plus diversifiées et… rien n'est venu. L'aporie ne semblait pouvoir être résolue : nous allons dans les concerts, nous allons au cinéma, nous allons aux événements sportifs, nous allons… Nous n'allons pas souvent dans les musées.

Alors, vu que je n'ai pas la réponse à cette question, j'ai essayé de penser au cadre dans lequel nous évoluons et là, une piste m'a été donnée – une piste, pas la vérité, of course. Cette piste, je la lance ici: les sociétés "dystopiques" conduisent l'Art à retrouver sa fonction libératrice, les mondes "utopiques" – où tous nos besoins sont satisfaits à profusion – semblent nous pousser à oublier cette fonction libératrice… On entend toujours la même rengaine : "Vous n'avez pas d'expositions interactives ? Désolé, si on ne peut rien toucher, ce n'est pas intéressant". Apparemment, le sens doit être directement donné pour être tout aussi directement consommé, digéré. Retombés en enfance, les Suisses?

Mais alors là, je suis embêté: si les sociétés "utopiques" ne nous incitent pas à nous libérer de nos habitudes par l'Art – à découvrir la Beauté -, sont-ce encore des mondes où nous sommes libres ? Ou, justement, les utopies ont tous les avantages du monde, sauf d'offrir aux humains… la liberté.

Marc Atallah

Marc Atallah est le Directeur de la Maison d'Ailleurs, musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, et Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il vient ici nous parler des frontières de plus en plus floues entre science et fiction.

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