La science-fiction, c’est… (3/7)

Après quelques jours passés à découvrir de nouveaux romans et de nouveaux films, je reviens sur la petite "définition" de la science-fiction que j'avais amorcée il y a peu. Aujourd'hui, je partirai de ce qui a été dit par Richard, ce qui me permettra d'approfondir une notion centrale pour comprendre la (science-)fiction : interroger le réel, lui donner un sens.

Cela peut paraître surprenant. La fiction n'est-elle pas habituellement considérée comme un simple "divertissement", un discours faux, peu sérieux et qui nous permet avant tout de nous évader, de fuir notre réalité ? J'ai souvent entendu cela… mais ce qui me surprend encore plus, c'est que cette manière de se rapporter à la fiction remonte… à l'Antiquité (oui, oui, rappelez-vous La République de Platon : la fiction n'est que la copie d'une copie, elle est donc très éloignée de la vérité, etc.) ! Avons-nous réellement si peu progressé depuis les Grecs que nous reprenons quasiment mot pour mot ce qu'ils affirmaient ? Allons allons…!

Un récit de science-fiction – roman, bande dessinée ou film – est une configuration (plus ou moins) originale d'événements au cours du temps : l'auteur fabrique un monde dans lequel se trouve un personnage qui vit des "aventures" afin d'atteindre un but (aussi minime soit-il). Il s'avère que dans un roman de science-fiction, ce monde et ces aventures doivent impliquer, d'une manière ou d'une autre, des sciences ou des technologies (pas forcément les nôtres d'ailleurs) : il y a des clones tout autour de nous, on atteint une nouvelle planète, on peut observer nos parents se rencontrer depuis une machine à remonter le temps… Or, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, notre réalité quotidienne est déjà saturée de sciences et de technologies que nous "oublions", sûrement par habitude, de penser et de réfléchir – et, ce faisant, elles ne font pas sens pour nous, elles ne révèlent pas leurs conséquences sur la condition et la société humaines.

Vous voyez sûrement où je veux en venir… Puisque l'univers de science-fiction ressemble à notre réalité ("effet de réel") et que dans cet univers est racontée l'histoire d'un être humain, les lecteurs peuvent expérimenter une vie alternative qui évoque, sur un mode décalé (le monde de la fiction n'est pas tout à fait le nôtre), notre vie de tous les jours : les clones nous font penser aux discours sur le clonage reproductif, les dystopies aux tendances totalitaires de certaines idéologies poussées à leur extrême, etc. Autrement dit, et merci Richard, la science-fiction permet bel et bien, comme toute fiction, d'interroger notre réel – puisque l'univers de science-fiction est construit à partir de notre quotidien – et, de ce fait, de lui donner du sens, vu que le sens suppose, minimalement, la capacité à créer des liens entre divers éléments. C'est grâce aux multiples sens proposés par les ouvrages de (science-)fiction que nous pouvons, après notre détour vers l'Ailleurs, revenir à notre monde réel, enrichis par ce que nous y avons découvert, par les liens qui y ont été tissés et que nous pouvons projeter sur notre monde (peut-on se rapporter à ce qui nous entoure sans projeter des liens appris ailleurs ? Peut-on tomber amoureux sans posséder, en nous, la moindre histoire d'amour ?).

La crainte millénaire face à la fiction me semble ne plus avoir droit de cité, si ce n'est pour des raisons historiques: elle nous empêche de saisir que la fiction est un outil – peut-être le plus puissant inventé par l'esprit humain – d'interroger le réel, de lui poser des questions nouvelles (celles découvertes dans le monde fictionnel), de lui conférer une multiplicité de sens. Les siècles l'ont montré : les sociétés les plus aliénantes sont celles où nos relations au réel sont évaluées à l'aune d'un seul sens. La (science-)fiction est donc bien plus qu'une évasion triviale, elle est ce qui permet au sens de se diversifier et, ce faisant, de nous rappeler que de vouloir n'avoir qu'un seul sens est un danger terrifiant puisqu'il éradique toute liberté.

Marc Atallah

Marc Atallah est le Directeur de la Maison d'Ailleurs, musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires à Yverdon-les-Bains, et Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne. Il vient ici nous parler des frontières de plus en plus floues entre science et fiction.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *