Mince espoir en Turquie

Ouf, quel soulagement! Mi-août, après plus de quatorze mois de détention arbitraire, le président de la Section turque d’Amnesty International, Taner Kiliç a été libéré (on le voit ci-dessus en photo à sa sortie de prison, accueilli par sa femme et ses trois filles).

Cet avocat avait été arrêté en juin 2017, juste un mois avant dix autres défenseurs et défenseuses des droits humains – et parmi eux figurait notamment ma collègue directrice de la Section turque, Idil Eser. Ce groupe avait finalement été relâché au bout de trois mois, après une intense campagne en faveur de leur libération, mais les charges contre eux n’ont pas été abandonnées pour autant. Tous risquent toujours plusieurs années de prison s’ils sont condamnés, sur la base d’accusations absurdes et d’un procès qui ressemble davantage à une farce qu’à un semblant de justice.

Une parodie de procès

J’étais présente en juin à l’une des audiences de leur procès. Notre ami Taner y assistait par vidéoconférence depuis sa prison. Nous étions bien trop nombreux dans cette petite salle du tribunal d’Istanbul et nous partagions les quelques chaises disponibles avec les représentants des ambassades européennes, venus témoigner de leur préoccupation face à cette attaque sans précédent contre notre organisation.

Les cinq heures d’audience m’ont paru un spectacle grotesque : les deux témoins qui avaient oublié leur déposition d’origine, la cour qui contestait les conclusions d’un rapport de la police turque qui établissait que Taner n’avait pas téléchargé une application suspecte sur son téléphone, bref : il semblait impossible qu’il ne soit pas relâché. Tout cela aurait prêté à sourire si ce n’était pas la liberté de nos collègues qui était en jeu.

Quatorze dans une cellule pour trois

A la lecture du verdict, nous étions effondrés : Taner était maintenu en détention, sans aucune raison valable, et le procès devait se poursuivre en novembre seulement. Les gardiens ont ramené Taner dans sa cellule surpeuplée, prévue pour trois personnes mais partagée avec treize autres détenus. Nous avons ravalé notre rage et continué de faire pression : c’était reparti pour une série de lettres aux autorités turques, aux ambassades, ainsi qu’à Taner et à sa famille pour leur dire de ne pas perdre espoir.

Et mi-août, notre espoir est devenu réalité. La cour a décidé de le libérer, de façon conditionnelle, certes, mais c’est une première victoire. La route sera encore longue et semée d’embûches jusqu’à ce que tous les journalistes et les défenseurs des droits humains détenus arbitrairement en Turquie soient libérés. Des milliers de personnes sont accusées de terrorisme alors qu’elles n’ont fait que critiquer le gouvernement. Une façon bien pratique de les réduire au silence. Mais nos collègues turcs ne se laisseront pas museler. Ils ont besoin de notre solidarité pour pouvoir poursuivre leur combat nécessaire en faveur de la justice en Turquie.

Manon Schick

Manon Schick est depuis 2011 la directrice d’Amnesty International Suisse et s'engage en faveur de la défense et la promotion des droits humains.