Toujours pas d’accès légal à l’avortement en Argentine

Je viens de lire le témoignage d’Ana Correa (ici en espagnol et ici en anglais) et j’en ai les larmes aux yeux. Son histoire est pourtant terriblement banale : mère d’un petit garçon, elle découvre lors de sa deuxième grossesse que le fœtus souffre d’une maladie grave et n’est pas viable et, pire encore, que sa propre santé est en danger si elle mène sa grossesse à terme.

Elle doit avorter. Mais elle vit en Argentine, un pays qui interdit l’accès légal à une interruption de grossesse sauf en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Malgré les risques encourus par Ana, plusieurs médecins lui refusent leur aide. Elle raconte comment elle a dû chercher une solution pour avorter de façon clandestine, et qu’elle a failli mourir.

Le cintre ou l’aiguille à tricoter

Ce genre de témoignages était légion en Suisse aussi, quand l’interruption de grossesse était illégale. Ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la solution des délais, en 2002, que les Suissesses peuvent avoir recours à un avortement dans tous les cantons. Mais avant cette date, les avortements avaient lieu quand même, dans la clandestinité, à l’aide d’aiguilles à tricoter ou de cintres.

Le Sénat argentin disposait d’une occasion historique de mettre fin à l’utilisation de ces méthodes moyenâgeuses et de permettre enfin aux femmes argentines de disposer de leur corps. Hélas, il a rejeté un projet de loi visant à autoriser l’accès à l’interruption volontaire de grossesse au cours des 14 premières semaines.

Cette loi avait pourtant été acceptée par le Congrès en juin, mais elle nécessitait l’aval du Sénat. Après un débat fleuve, et malgré la pression de la rue, les sénateurs et sénatrices ont hélas choisi de faire fi de la demande de centaines de milliers de femmes argentines qui se battent pour leurs droits sexuels et reproductifs.

Avortements dangereux

La loi argentine en vigueur – qui criminalise l’avortement sauf en cas de danger pour la vie ou la santé de la mère, ou en cas de viol – a coûté la vie à plus de 3’000 femmes argentines au cours des 30 dernières années. Près de 50’000 autres mettent leur santé et leur vie en danger chaque année, en pratiquant des avortements clandestins. Ces pratiques dangereuses sont la principale cause de mortalité maternelle dans ce pays, ce qui est particulièrement choquant au vu du niveau de développement élevé du système de santé argentin.

Les femmes argentines, et moi avec, sont extrêmement déçues de cette occasion manquée. Mais elles reprendront le combat, pour que le prochain vote soit le bon, et qu’enfin elles puissent librement disposer de leur corps.

Manon Schick

Manon Schick est depuis 2011 la directrice d’Amnesty International Suisse et s'engage en faveur de la défense et la promotion des droits humains.

Une réponse à “Toujours pas d’accès légal à l’avortement en Argentine

  1. Je me permets de répondre, même si j’ai que quelques minutes pour écrire et même si je peux avoir plusieurs fautes en français, car ma langue maternelle est l’espagnol. Je suis argentine.
    C’est surtout pour clarifier certaines informations. L’avortement est permis pour un cas sa santé comme celui que vous présentez dans l’article. La définition de santé pourrait même considérer des aspects phycologiques ou sociaux. J’ai une copine que travaille dans un hôpital de la Patagonie qui l’a confirmé. Pas besoin de larmes, donc.
    Deuxièmement, le projet en évaluation autorisait aussi l’avortement a n’importe que moment au-delà de 14 semaines sous des conditions assez larges. Je suis sûr qu’il y aurait plus de soutien pour ce projet s’il était un peu mois permissif. Ce que beaucoup ont regretté est que l’avortement était présenté comme une possibilité ou solution anodine pour une grossesse surprise, alors que l’avortement est la suppression d’une vie et pas une méthode contraceptive.
    Aussi, le soutien ou la pression de la rue, comme vous dites, était bien partagé. Le rassemblement le samedi passé pour soutenir le rejet de ce projet avait au moins un demi-million de personnes, seulement à la ville de Buenos Aires, sans compter le rassemblement dans d’autres villes de notre large pays.
    Le débat ouvert et honnête est nécessaire et la très bonne nouvelle est qu’il y a sur la table des informations des projets déjà en marche depuis longtemps et d’autres pour commencer qui offrent un soutien, accompagnent, ou autre pour les femmes qui ont une grossesse imprévue et qui les permettraient de laisser vivre cet infant qui est en formation dans son ventre. La clandestinité n’est désirée par personne.

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