A quoi ressemblera le monde après le coronavirus ?

Nous aimerions toutes et tous être capables de nous projeter dans six mois ou un an et savoir à quoi ressemblera le monde de demain. Est-ce que la solidarité dont fait preuve la population suisse vis-à-vis du personnel de santé, de nettoyage, et des employées des supermarchés se maintiendra ? Est-ce qu’elle leur vaudra une revalorisation de leur salaire et de leur statut ? Serons-nous toujours prêts à soutenir leurs revendications, après les avoir applaudis chaque soir sur nos balcons ?

Et dans les pays où la majorité de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, entassée dans des bidonvilles, et où les hôpitaux sont sous-équipés, parviendra-t-on à stopper la propagation du virus et à limiter l’impact sur les personnes les plus vulnérables ? Des millions de personnes auront perdu leurs moyens de subsistance et leur maison. L’espoir de connaître un jour une vie meilleure disparaîtra-t-il avec de nouvelles mesures d’austérité, qui frapperont encore davantage les gens qui vivent dans la précarité ?

Tant de questions et si peu de réponses. Juste des scénarios, du meilleur au pire. Maintien de cette solidarité retrouvée avec nos voisins et nos aînés ou société sous surveillance pour traquer les contacts avec des porteurs potentiels du virus ? Aurons-nous seulement le choix ?

L’équilibre délicat entre sphère privée et santé publique

De nombreux gouvernements investissent actuellement dans les technologies de surveillance pour limiter la propagation du COVID-19. La Suisse n’est pas en reste : l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a demandé à Swisscom de publier des données sur les concentrations et les flux de personnes. Les données sont agrégées et anonymisées avant la transmission. Cela ne paraît pas très intrusif dans la vie privée, à première vue. Et comme l’objectif vise à protéger la santé publique, nous sommes tous d’accord de céder un bout de la protection de notre vie privée.

Mais ce qui n’est pas tout à fait anodin, c’est que l’OFSP a d’abord refusé de rendre publique l’ordonnance sur laquelle se base cette surveillance. Et ce n’est finalement que sous la pression du Préposé fédéral à la protection des données que l’OFSP a fourni des informations complémentaires.

C’est pourquoi Amnesty International a lancé le 6 avril un appel, avec la Fédération romande des consommateurs et la Société numérique, pour réclamer que toute mesure de surveillance numérique soit toujours proportionnée, même dans une situation d’état d’urgence. Ces outils peuvent être très utiles pour lutter contre la pandémie, mais les mesures doivent être limitées dans le temps et communiquées de façon transparente. Car, on le voit dans d’autres pays, une fois la surveillance généralisée mise en place, il n’est pas si facile pour les gouvernements de se passer de ces technologies et de la puissance qu’elles procurent.

La haine homophobe n’est pas une opinion

Appeler à la haine contre les personnes homosexuelles n’est pas une question de liberté d’expression. Notre droit à exprimer nos opinions, même critiques, s’arrête là où commence le droit des autres êtres humains à ne pas subir de discrimination. Au même titre que la haine raciste n’est pas une opinion et que le fait de tenir des propos racistes de façon publique est puni par le code pénal, les appels à la haine homophobe devraient eux aussi être punis.

Les agressions physiques contre les personnes homosexuelles sont déjà punissables, comme n’importe quelle atteinte à l’intégrité physique. Mais pas les propos homophobes. Pour combler ce manque, le Parlement a adopté une proposition d’extension de la norme pénale anti-raciste. Elle prévoit que l’incitation publique à la haine contre les gays, lesbiennes et personnes bisexuelles soit considérée comme une infraction pénale. Mais un référendum a été lancé contre cette révision du code pénal, et la population suisse est donc appelée à voter le 9 février prochain.

La discrimination commence souvent par des agressions verbales. En ne punissant pas des propos incitant à la haine contre des personnes uniquement sur la base de leur orientation sexuelle, la Suisse laisse croire que ces propos sont anodins et inoffensifs. Tolérer des discours de haine, notamment sur internet, rend la prévention auprès des jeunes très difficile : comment leur faire passer le message que des insultes homophobes violent le droit dont dispose toute personne de ne pas subir de discriminations, si des politiciens et politiciennes peuvent appeler à la haine en toute impunité ?

Les lesbiennes et les gays sont souvent victimes d’agressions, en Suisse aussi

Dans le monde entier, et en Suisse également, les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles ou transgenres sont régulièrement confrontées à des humiliations, des insultes, des attaques verbales ou physiques. Elles sont souvent traitées comme des malades ou des déviantes. Dans certains pays, elles courent le risque d’être emprisonnées et torturées, voire même exécutées. Bien sûr, on peut rétorquer qu’en Suisse, la loi ne discrimine pas les personnes sur la base de leur orientation sexuelle. Mais les humiliations et les agressions restent fréquentes, bien plus nombreuses pour cette partie de la population que pour les personnes hétérosexuelles.

Il est temps d’adapter notre code pénal pour indiquer clairement que les incitations à la haine homophobe ne sont pas tolérables chez nous. C’est pourquoi je voterai oui le 9 février à l’extension de la norme anti-raciste. La Suisse doit éliminer toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle, et cette modification de notre législation est un signal important, qui permettra à la fois de punir la violence homophobe, mais aussi de mieux la prévenir.

Pas encore la parité… mais presque!

Les élections fédérales ont porté un nombre record de femmes au Conseil national. La grève des femmes de juin et les efforts de certains partis politiques pour proposer à des listes paritaires ont permis d’atteindre le pourcentage de 42% de femmes au Conseil national, du jamais vu ! Ce chiffre pourrait évoluer légèrement en fonction des élections au Conseil des États.

Pourquoi une meilleure représentation des femmes en politique est-elle un signal bienvenu ? Parce qu’elles constituent la moitié de la population suisse et que les problèmes spécifiques aux femmes récoltent encore trop peu d’attention de la part de notre Parlement très masculin. La nouvelle composition du Parlement devrait permettre de faire avancer des dossiers qui n’étaient jusqu’alors pas considérés comme des priorités.

Des femmes plus sensibles aux violences qui affectent leur genre

Notamment le problème des violences sexuelles, qui touche les femmes de façon disproportionnée. Prenons l’exemple du viol : une sous-commission des affaires juridiques du Conseil des États, composée de trois hommes, estime qu’il n’est pas nécessaire de modifier le Code pénal et de punir toute relation sexuelle non consentie comme un viol. Or, selon un sondage mandaté par Amnesty International au début de l’année, une femme sur cinq en Suisse a subi durant sa vie des actes sexuels non consentis, et seule une infime minorité des victimes (moins de 10%) est allée dénoncer ces actes à la police. Parce qu’elles savent que de telles agressions ne sont pas poursuivies et qu’elles craignent de ne pas être prises au sérieux.

Ces chiffres sont effarants. Il est urgent de prendre des mesures, notamment en changeant la loi qui est obsolète, en formant la police et en récoltant des données systématiques sur toutes les formes de violence sexuelle en Suisse. Des femmes parlementaires de tous les partis, sauf l’UDC, ont déposé des interpellations en demandant au Conseil fédéral de mieux protéger les femmes contre les violences sexuelles. De nombreux hommes parlementaires adhèrent aussi à cette demande, fort heureusement.

Une majorité des Suissesses veut une modification de la définition du viol

Du côté de la population, c’est clair : 85% des femmes interrogées dans notre enquête estiment qu’une relation sexuelle sans consentement devrait être considérée comme un viol. Des milliers de signatures en faveur d’une révision du Code pénal ont déjà été récoltées et seront remises aux autorités suisses en novembre. Espérons qu’un Parlement plus féminin accorde enfin aux droits des femmes l’attention que ceux-ci méritent.

Davantage d’informations sur la campagne que mène Amnesty International sur la question du consentement: stop-violences-sexuelles.amnesty.ch

Sauver des vies : une preuve d’humanité

Les personnes qui viennent en aide aux migrants sont victimes de campagnes de répression et de dénigrement. Un peu partout sur la planète, des gouvernements adoptent des décrets pour empêcher de prêter secours à des êtres humains. Ils transforment l’humanité et la compassion en délit.

Carola Rackete, la capitaine du bateau humanitaire Sea-Watch 3, qui a forcé le passage du port de Lampedusa avec 40 migrants à bord de son bateau, est la première victime du nouveau décret sur la sécurité en Italie, surnommé le « décret Salvini ». Ce décret comprend des mesures qui tentent de mettre fin aux opérations de sauvetage menées par les ONG. Ces mesures risquent d’entraîner encore davantage de morts en mer et un nombre encore plus grand de personnes ramenées en Libye, où les conditions de vie sont épouvantables.

Fort heureusement, un juge d’instruction a décidé le 2 juillet de libérer Carola Rackete. Cette décision est un immense soulagement. Pourtant, Carola fait toujours l’objet d’une enquête pour « facilitation présumée d’immigration irrégulière ». Il est absolument choquant qu’elle soit sur le banc des accusés. Ses actions doivent être saluées et encouragées plutôt que criminalisées.

En secourant des femmes, des hommes et des enfants en Méditerranée et en les emmenant dans un port sûr, après des semaines d’errance en mer, Carola Rackete n’a fait que son devoir et respecté le droit international et italien. En lui refusant l’accès à un port, les autorités italiennes et maltaises ont, en revanche, violé ces mêmes lois.

Poursuivi pour avoir donné de l’eau

Les États-Unis de Donald Trump emboîtent le pas à l’Europe. Dans un nouveau rapport, Amnesty documente la campagne répressive et discriminatoire que mène le gouvernement américain en harcelant et en poursuivant pénalement celles et ceux qui sauvent des vies à la frontière avec le Mexique.

Depuis le début de l’année, les autorités américaines ont déjà poursuivi au pénal neuf bénévoles humanitaires de l’organisation No More Deaths/No Más Muertes parce qu’elles ont fourni une aide humanitaire à des migrants et des demandeurs d’asile à la frontière de l’Arizona avec le Mexique, où des milliers de personnes ont péri au cours des deux dernières décennies. Parmi ces bénévoles, Scott Warren subit les chefs d’accusation les plus graves. Il est  poursuivi uniquement parce qu’il a fourni de la nourriture, de l’eau et une assistance médicale à deux migrants à Ajo, une ville située dans une région désertique de l’Arizona. Son procès a été déclaré nul le 11 juin, mais le parquet fédéral n’a pas encore abandonné les charges contre lui.

Des milliers de francs d’amende pour avoir hébergé des sans-papiers

La Suisse n’est pas en reste : en juin, un prêtre catholique de Zurich a été condamné à plus de 5000 francs d’amende pour avoir hébergé une femme sans-papiers qui souffrait d’un cancer et qui nécessitait un traitement à l’hôpital. Le pasteur Norbert Valley attend toujours la décision du tribunal de Neuchâtel : il est poursuivi pour avoir permis à un Togolais débouté de l’asile de dormir dans son église.

De nombreuses autres personnes ont été condamnées à des amendes pour avoir hébergé des personnes sans statut légal en Suisse, car notre législation interdit l’aide au séjour illégal. Et ceci même si ce soutien est désintéressé, simplement motivé par la compassion. Amnesty soutient une pétition demandant une révision de l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI), de façon à ce que la justice ne puisse plus criminaliser des individus prêtant assistance, dès lors que l’acte est désintéressé et qu’ils n’en retirent aucun profit.

A l’heure où il n’y a jamais eu autant de réfugiés dans le monde – plus de 70 millions, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés – s’en prendre aux personnes qui apportent une aide aux plus vulnérables est non seulement une aberration, mais cela porte atteinte à notre humanité à tous.

Un Parlement sensible aux droits des femmes?

L’enquête mandatée par Amnesty International sur les violences sexuelles en Suisse a provoqué une véritable onde de choc. Pour la première fois, un sondage tente de montrer la partie immergée de l’iceberg : combien de femmes sont victimes de viols et n’osent pas le dénoncer à la police ? Les chiffres sont effarants : plus d’une femme sur dix dans notre pays dit avoir subi un rapport sexuel contre sa volonté. En d’autres termes, une femme sur dix a été victime d’un viol au cours de sa vie (depuis l’âge de 16 ans).

Une définition du viol complètement datée

Dans d’autres pays, les législations considèrent les rapports sexuels non consentis comme des viols. Mais en Suisse, notre code pénal ne sanctionne comme un viol que les cas où il y a eu une contrainte. Une femme qui dépose plainte pour viol doit donc prouver qu’elle s’est débattue. Dire non et pleurer n’est pas suffisant aux yeux de la justice suisse : le Tribunal fédéral avait donné tort à une femme parce qu’elle ne s’était pas débattue avec force. Or les recherches sur les agressions montrent que les victimes ne se débattent que très rarement. Beaucoup se retrouvent « paralysées », en « état de choc », une réaction physiologique courante qui les empêche de réagir physiquement.

Il faut de toute urgence réviser le code pénal. Une révision est déjà en cours devant le Parlement et prévoit d’étendre la définition du viol. Cela permettrait notamment de reconnaître également les hommes comme victimes, ce qui n’est pas possible avec la définition actuelle.

La Convention d’Istanbul, convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, prévoit que tout rapport sexuel non consenti doit être considéré comme une infraction pénale. Ce n’est pas à la victime de prouver qu’elle s’est débattue.

Cette convention est entrée en vigueur pour la Suisse en avril 2018. Sur la base d’une analyse juridique, Amnesty International conclut que le droit pénal suisse sur les atteintes à l’intégrité sexuelle n’est pas conforme à la Convention d’Istanbul, et doit être adapté. Cette demande va dans le sens d’une nette majorité des femmes, qui ont répondu dans le cadre de notre enquête que les rapports sexuels sans consentement devraient être qualifiés de viol. 84% d’entre elles sont entièrement ou plutôt d’accord avec cette demande.

Un Parlement très majoritairement masculin: un problème?

Plusieurs femmes parlementaires de différents partis se sont d’ores et déjà exprimées en faveur des revendications de notre pétition à Karin Keller-Sutter, notamment en faveur de l’introduction de la notion du consentement dans la législation suisse. Reste à voir si elles convaincront leurs collègues, car certains hommes parlementaires de différents bords politiques ont déjà émis des doutes face à cette demande. Il est navrant de constater que quand un sujet concerne les droits des femmes, notre Parlement hélas encore très majoritairement masculin a souvent de la peine à le considérer comme une priorité et à prendre les mesures qui s’imposent. Espérons que sur la question des violences sexuelles, nos parlementaires sachent saisir la gravité du problème et agissent !

Les nouvelles technologies au service d’une enquête sur Raqqa

C’est une enquête sans précédent, menée conjointement par Amnesty International et par Airwars, une organisation non gouvernementale qui analyse les attaques militaires aériennes : nous avons analysé l’offensive sur Raqqa, ville syrienne aux mains du groupe armé État islamique et qui a été massivement bombardée par la coalition militaire dirigée par les États-Unis.

Le site Web interactif, Rhetoric versus Reality: How the ‘most precise air campaign in history’ left Raqqa the most destroyed city in modern times, présente l’enquête la plus complète sur les victimes civiles dans un conflit contemporain. Fruit de près de deux années d’investigations, il braque les projecteurs sur un bilan très lourd: plus de 1600 civils ont perdu la vie du fait des milliers de frappes aériennes américaines, britanniques et françaises et des dizaines de milliers de tirs d’artillerie des forces américaines lors de l’offensive militaire menée par la coalition contre Raqqa, de juin à octobre 2017.

Analyse de données sur le terrain et à distance

Amnesty International et Airwars ont collecté et recoupé de nombreux flux de données aux fins de cette enquête. Au fil de quatre visites à Raqqa alors que la bataille faisait encore rage, les chercheurs d’Amnesty International ont passé au total environ deux mois sur le terrain. Ils ont enquêté sur les lieux de plus de 200 frappes et interrogé plus de 400 personnes, témoins et survivants.

En outre, le projet innovant d’Amnesty International Strike Trackers a permis de définir quand chacun des 11 000 bâtiments détruits à Raqqa a été touché. Plus de 3 000 militants numériques dans 124 pays y ont participé, analysant au total plus de 2 millions d’images satellite. Le Service de vérification numérique d’Amnesty International, basé dans six universités autour du globe, a analysé et authentifié les images vidéo filmées durant la bataille.

Les chercheurs d’Airwars et d’Amnesty International ont analysé des éléments disponibles en libre accès, à la fois en temps réel et après l’offensive, dont des milliers de publications sur les réseaux sociaux et d’autres matériaux. Ils ont ainsi pu constituer une base de données recensant plus de 1 600 civils qui auraient été tués lors des frappes de la coalition. Ils ont recueilli les noms de plus de 1 000 victimes: Amnesty International a pu en vérifier 641 directement sur le terrain à Raqqa, tandis que pour les autres des informations émanent de multiples sources crédibles.

Raqqa à 360° : comme si vous y étiez

Développé avec l’équipe de création d’Holoscribe, le site interactif https://raqqa.amnesty.org/ associe photographies, vidéos, expériences immersives à 360°, images satellite, cartes et visualisations de données, pour mettre en avant les cas et les parcours de civils pris au piège sous les bombardements de la coalition. L’utilisateur peut également explorer des données sur les civils qui ont été tués, la plupart après avoir fui de quartier en quartier à travers la ville. 

Un constat dramatique : l’avalanche de tirs a tué 1600 civils

L’enquête a permis à Amnesty International et à Airwars d’établir un bilan très lourd : 1600 civils ont perdu la vie dans l’offensive pour reprendre Raqqa. La ville s’est transformée en un piège meurtrier.

La coalition militaire dirigée par les États-Unis a admis être responsable de la mort de 159 civils. Elle a rejeté les autres allégations en les qualifiant de «non crédibles». Pourtant, elle n’a toujours pas enquêté dûment sur les informations faisant état de victimes civiles et n’a pas interrogé de témoins ni de survivants, reconnaissant qu’elle n’effectue pas d’investigations sur place.

À Raqqa, le lourd bilan des victimes civiles n’est guère surprenant, étant donné l’avalanche de tirs de la coalition qui ont manqué de précision au point de devenir des tirs sans discernement, lorsqu’ils étaient effectués près de civils. Un haut responsable de l’armée des États-Unis s’est targué d’avoir procédé à 30 000 tirs d’artillerie au cours de l’offensive – soit une frappe toutes les six minutes, pendant quatre mois consécutifs – un chiffre record qui n’avait pas été enregistré dans un conflit à travers le monde depuis la guerre du Viêt-Nam. Avec une marge d’erreur de plus de 100 mètres, les munitions d’artillerie non guidées manquent clairement de précision, et leur utilisation dans des zones occupées par des civils constitue une attaque menée sans discrimination.

Des familles anéanties en un instant

Les forces américaines, britanniques et françaises ont également conduit des milliers de frappes aériennes dans des quartiers civils qui ont fait de très nombreuses victimes. Exemple tragique, une frappe aérienne de la coalition a détruit tout un bâtiment d’habitation de quatre étages près de l’école de Maari, dans le quartier central d’Harat al Badu, le 25 septembre 2017 en fin d’après-midi. Quatre familles avaient trouvé refuge au sous-sol à ce moment-là. Presque toutes les personnes présentes sont mortes – au moins 32 civils, dont 20 enfants. Une semaine plus tard, 27 civils, dont de nombreux proches des victimes de la frappe précédente, ont également trouvé la mort, une frappe aérienne ayant détruit un bâtiment situé à proximité.

«Les avions bombardaient et les roquettes tombaient 24 heures sur 24. Il y avait des snipers de l’EI partout. Il était impossible de respirer, a déclaré Ayat Mohammed Jasem, survivante de l’attaque du 25 septembre, à une équipe de télévision lorsqu’elle est retournée voir sa maison détruite plus d’un an plus tard. «J’ai vu mon fils mourir, brûlé dans les décombres devant moi. J’ai perdu tous les êtres qui m’étaient chers. Mes quatre enfants, mon époux, ma mère, ma sœur, toute ma famille. L’objectif n’était-il pas de libérer les civils? Ils étaient censés nous sauver, sauver nos enfants.»

Il est temps de rendre des comptes

La plupart des cas recensés par Amnesty International s’apparentent à des violations du droit international humanitaire et nécessitent de plus amples investigations.

Malgré tous leurs efforts, des ONG comme Amnesty International et Airwars n’auront jamais les ressources nécessaires pour enquêter sur toutes les victimes civiles, morts et blessés, à Raqqa. C’est pourquoi elles demandent aux membres de la coalition dirigée par les États-Unis de mettre en place un mécanisme indépendant et impartial chargé de mener dans les meilleurs délais une enquête efficace sur les informations faisant état de préjudices causés aux civils, y compris sur les violations du droit international humanitaire, et d’en rendre les conclusions publiques.

Les membres de la coalition ayant procédé à ces frappes, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, doivent faire preuve de transparence quant à leurs tactiques, à leurs moyens et méthodes spécifiques d’attaque, au choix des cibles et aux précautions prises lors de la planification et de la mise en œuvre de leurs opérations. Ils doivent aussi créer un fonds qui permette aux victimes et à leurs familles de recevoir des réparations pleines et entières et d’être dûment indemnisées.

Le lobby des multinationales gagne au Parlement

Les multinationales peuvent continuer à violer les droits humains ou à polluer l’environnement, notre Parlement s’en moque. Le Conseil des États a décidé le 12 mars dernier de saborder le contre-projet élaboré pourtant durant de nombreux mois et accepté – sur le principe – par le Conseil national l’an dernier. La population suisse aura le dernier mot : l’initiative « pour des multinationales responsables », soutenue par plus de 110 organisations, sera soumise au vote sans doute en 2020.

Combien faudra-t-il encore de scandales pour qu’enfin notre pays se dote de normes contraignantes pour réguler les activités des entreprises suisses et de leurs filiales ? Pollution causée par l’exploitation minière, exportation d’un produit hautement toxique non autorisé à la vente chez nous, travail des enfants dans des plantations, conditions de travail inhumaines dans les industries textiles…

Une étude de Pain pour le prochain recense qu’au cours des six dernières années, 32 entreprises suisses ont été impliquées à l’étranger dans 64 violations de droits humains et de dégradations de l’environnement.

On pouvait penser que la multiplication de ces exemples frappants convaincrait notre Parlement de fixer enfin des règles pour obliger les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement. Il n’en est rien. Le Conseil des États, après 15 séances et une année et demie de discussion, a finalement décidé le 12 mars dernier de saborder le contre-projet qu’il était en train d’élaborer. Il a également recommandé de rejeter notre initiative. Bref : il refuse de fixer des règles et tolère que des entreprises suisses comme Glencore, Syngenta et Novartis continuent à faire des affaires de manière irresponsable sans que cela ne porte à conséquence. C’est navrant.

Cette décision est clairement le résultat d’un lobbying intense mené par les faîtières économiques, EconomieSuisse et SwissHoldings, qui s’opposent depuis toujours à des normes contraignantes. Selon elles, les mesures volontaires, appliquées au bon vouloir des entreprises, sont largement suffisantes. Or, comme le fait remarquer l’ancien conseiller aux Etats PLR Dick Marty, co-président du comité d’initiative pour des multinationales responsables : « Personne ne voudrait que la circulation routière repose sur des principes volontaires et soit dictée par la loi du plus fort. De la même manière, les activités des sociétés à l’étranger doivent être encadrées par des règles claires.»

Gageons que ces mêmes faîtières économiques ne vont pas tarder à regretter d’avoir fait capoter ce compromis. En moins de 3 jours, après le vote négatif du Conseil des États, 17’000 personnes avaient ainsi signé notre annonce et payé pour sa publication dans Le Temps, samedi dernier, ainsi que dans des journaux alémaniques. La campagne en faveur de l’initiative est lancée !

Petit rappel sur l’Arabie Saoudite à l’attention de notre gouvernement

N’en déplaise à Ueli Maurer, le cas du journaliste saoudien Jamal Kashoggi, tué et découpé en morceaux dans l’ambassade d’Arabie Saoudite à Istanbul, n’est pas « réglé », comme l’a laissé entendre le président de la Confédération dans une interview au World Economic Forum, avant de se raviser ce week-end face au tollé suscité par sa déclaration. Ce cas n’est pas réglé pour la simple et bonne raison qu’il n’y a pas encore eu d’enquête indépendante et que les coupables réels, ceux qui ont commandité ce crime atroce, n’ont pas eu à comparaître devant un tribunal.

S’il se rend en Arabie Saoudite, Ueli Maurer ferait bien de lire le dernier rapport d’Amnesty International sur ce pays. Il y apprendrait que le cas de Kashoggi n’est hélas que la pointe de l’iceberg et que des dizaines d’opposants au régime et de défenseurs des droits humains sont en prison et sont régulièrement victimes de torture ou de violences sexuelles.

Actes de tortures

La semaine dernière encore, Amnesty dénonçait les violences subies par dix défenseurs et défenseuses des droits humains, détenus depuis la vague d’arrestation de mai 2018. Certains ont signalé avoir subi des décharges électriques. Amnesty avait déjà dénoncé ce type de torture il y a quelques mois, relayant les témoignages de détenus (y compris des femmes) électrocutés et fouettés à de multiples reprises, à tel point que certains étaient incapables de marcher ou de se tenir debout.

En décembre 2018, Amnesty International a écrit aux autorités saoudiennes en leur demandant que des organismes de surveillance indépendants, notamment des organisations internationales comme elle ou des organes des Nations unies, soient autorisés à rencontrer ces défenseurs des droits humains. Ce courrier est resté sans réponse jusqu’à présent.

La Suisse doit insister sur les droits humains

Espérons que notre président, lors d’une prochaine rencontre avec un représentant des autorités saoudiennes, osera insister en faveur d’un accès aux personnes détenues pour les organisations internationales. Espérons également qu’il demandera des nouvelles de Raif Badawi, le jeune blogueur condamné en 2014 à dix ans de détention et à 1000 coups de bâton, et qui croupit en prison. Espérons également qu’il réclamera la libération immédiate des femmes détenues uniquement pour avoir défendu les droits des femmes à conduire et à vivre une vie en toute autonomie.

Espérons que la défense des droits fondamentaux des Saoudiennes et des Saoudiens tienne autant à cœur à notre président que le maintien de relations économiques avec son partenaire, quel que soit son poids dans la balance commerciale.

Une vieille dame qui nous sert toujours de référence

C’était il y a 70 ans. Le 10 décembre 1948, quelques années à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale, au milieu d’une Europe en ruines, les États réunis au sein des Nations unies adoptaient la Déclaration universelle des droits de l’homme. Leur objectif était clair : plus jamais ça ! Plus jamais la persécution basée sur la religion ou sur la race, plus jamais d’hommes forts qui s’emparent du pouvoir pour mener une politique de haine et de destruction en désignant un groupe comme bouc émissaire.

70 ans plus tard, il faut bien le reconnaître : le monde a certes changé mais la persécution basée sur la religion et les hommes forts qui se font élire en tenant des propos racistes et sexistes n’ont hélas pas disparu. Et quand les chefs d’État se réunissent aujourd’hui, ils sont bien incapables d’adopter des textes aussi essentiels pour répondre aux défis actuels de notre planète.

Amnesty directement attaquée

Les attaques contre les organisations et les personnes qui défendent les droits fondamentaux se multiplient à travers le monde. Derniers événements en date : la Section d’Amnesty International en Inde a été perquisitionnée et a vu ses comptes bancaires gelés, alors qu’elle respecte la règlementation indienne. Et trente membres de notre Section au Népal qui protestaient contre cet arbitraire ont été détenus durant plusieurs heures alors qu’ils manifestaient pacifiquement devant l’ambassade indienne. Quant à mes collègues hongrois, ils risquent un an de prison en raison de la nouvelle loi qui punit toute organisation qui vient en aide aux réfugiés.

Faut-il pour autant jeter la Déclaration universelle des droits de l’homme à la poubelle et considérer qu’il est aujourd’hui dépassé de la défendre ? Non, certainement pas. Malgré ses septante ans, ce texte n’a pas pris une ride. Il sert toujours de référence aux personnes qui militent partout dans le monde en faveur de la défense et de la promotion des droits humains.

Que serions-nous sans elle?

Cette déclaration, non contraignante, a donné naissance à de nombreuses conventions, contraignantes celles-ci, qui ont été ratifiées par une majorité d’États. Grâce à ces outils, les organisations peuvent faire pression sur les gouvernements en leur demandant de respecter leurs engagements. Que serait notre monde sans cette déclaration ? Une place où il ne ferait pas bon vivre : une place où règnerait la loi de la jungle, où proliférerait la torture, où la peine de mort serait toujours monnaie courante.

Sachons reconnaître l’esprit novateur dont ont fait preuve les rédactrices et rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Célébrons cette « vieille dame » toujours alerte malgré ses septante ans. Et protégeons nos droits contre toute tentative de les remettre en question : ils me protègent, je les protège !

 

Une attaque sans précédent contre nos droits fondamentaux

Le 25 novembre prochain, la population suisse est appelée à voter sur l’initiative de l’UDC dite « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) ». Cette initiative représente un véritable danger pour notre pays, mais aussi pour les autres pays européens, car elle essaie de nous tromper sur sa portée dévastatrice. Le point ci-dessous sur quelques affirmations mensongères des initiants.

Une initiative anti-droits humains

Qu’on ne s’y trompe pas : l’initiative ne mentionne pas les droits de l’homme, mais elle vise clairement à obtenir le retrait de la Suisse de la Convention européenne des droits de l’homme. Le journal tous-ménages distribué par l’UDC en mars 2015, lors du lancement de l’initiative, évoquait d’ailleurs les « arrêts choquants de la cour européenne des droits de l’homme ».

On peut ne pas être d’accord avec toutes les décisions prises par un tribunal, par exemple par le Tribunal fédéral. Faut-il pour autant proposer de supprimer ce tribunal si ses décisions ne nous plaisent pas ?

Pour rappel, la Convention européenne des droits de l’homme protège les droits fondamentaux de toutes les habitantes et de tous les habitants du continent européen, du Portugal à la Russie. Les droits énoncés dans cette convention sont garantis par l’existence d’une cour, la Cour européenne des droits de l’homme, basée à Strasbourg. Chaque État membre du Conseil de l’Europe envoie un juge à cette cour.

La Cour européenne est une cour unique au monde, devant laquelle chaque habitant d’un pays membre du Conseil de l’Europe peut recourir s’il s’estime victime d’une décision arbitraire. Les arrêts rendus par la cour de Strasbourg ont fait progresser le respect des droits humains en Europe, et même dans notre pays où ces droits ont largement inspiré la rédaction de notre nouvelle Constitution.

Des juges « étrangers » ou « internationaux » ?

Contrairement à ce qu’affirme l’UDC, les juges de la cour ne sont pas des « juges étrangers ». Le terme correct aurait été de les appeler « juges internationaux », c’est-à-dire des juges qui viennent de tous les pays membres du Conseil de l’Europe. Mais le terme « international » ne sonnait pas de façon assez négative aux oreilles des initiants, qui ont préféré les désigner comme des « juges étrangers ».

Or il ne s’agit pas d’étrangers : il y a deux Suisses parmi les 47 juges qui siègent à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg (l’une, la Zurichoise Helen Keller, qui représente la Suisse, l’autre, le Saint-Gallois Carlo Ranzoni, qui représente le Liechtenstein). Aucun autre pays n’est représenté par deux juges, donc la Suisse est, d’une certaine façon, privilégiée dans cette cour.

Il ne viendrait à personne l’idée de remettre en question un arrêt du Tribunal fédéral au sujet d’une loi argovienne sous prétexte que le juge qui a pris la décision est un Vaudois. Pourquoi en irait-il différemment avec la Cour européenne des droits de l’homme ?

Ajoutons que la Suisse n’a été que très rarement condamnée par cette cour, si on compare avec des pays comme la Turquie ou la Russie. Pourtant, cela constitue une protection essentielle pour notre liberté et notre sécurité. Car aucun pays, pas même le nôtre, n’est à l’abri de violations des droits des individus ou des minorités.

La Suisse est libre de signer des traités

Contrairement également aux affirmations de l’UDC, la Suisse n’a pas renoncé à son autodétermination. Notre pays ne subit pas les décisions prises par d’autres États. La Suisse choisit librement de conclure des traités avec les autres États et c’est en général le Parlement qui se prononce. Cela a été le cas en 1974, lorsque l’Assemblée fédérale (élue par le peuple suisse) a approuvé la Convention européenne des droits de l’homme.

C’était le cas aussi l’an dernier lorsque l’Assemblée fédérale a par exemple décidé de ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Est-ce que ces ratifications portent atteinte à notre autodétermination ? Ces signatures engagent bien sûr la Suisse à respecter les traités, mais personne n’a mis un pistolet sur la tempe des parlementaires pour les forcer à accepter ces ratifications.

NON le 25 novembre

Ceux qui veulent nous ôter la possibilité de recourir devant la cour de Strasbourg veulent nous priver de nos droits fondamentaux. Espérons que la population suisse ne se laissera pas duper et votera NON à cette initiative dangereuse et mensongère.