Comme vaccin, prendrons-nous une copie ou un original ?

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La proposition de dérogation temporaire aux droits de propriété intellectuelle des vaccins anti-COVID-19 a reçu le soutien de l’administration américaine le 5 mai. L’impact de cette proposition doit être évaluée sur toutes les étapes depuis les ingrédients jusqu’à la vaccination des populations et aussi sur le court, moyen et long terme.

Aller au-delà des évidences avec la levée des brevets sur les vaccins anti-covid
La proposition d’une levée des brevets a été lancée par l’Afrique du Sud et l’Inde en 2020 et a pour but d’accélérer la production des vaccins et à les rendre plus accessibles aux pays pauvres. Cette proposition continue d’être examinée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Bien que soutenue par de nombreux pays et des ONG, la pertinence de cette proposition est contestée, n’est pas soutenue par plusieurs pays européens dont l’Allemagne et la Suisse.
Aux yeux de nombreuses ONG et de politiciens, cela parait une évidence : bien qu’important pour l’innovation, les brevets entravent la production et la distribution de divers médicaments et en augmentent leur prix. Face à la pandémie COVID-19 et l’urgence sanitaire, il faudrait donc lever les brevets et y être opposé revient simplement à défendre les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Toutefois, le sujet reste débattu et des économistes dont un professeur de l’Université de St. Gallen et des dirigeants de l’industrie pharmaceutique considèrent qu’il ne faut pas entraver l’augmentation de la production mondiale de vaccins.
L’examen de la situation actuelle de l’Inde et les diverses conséquences de la levée des brevets sur les vaccins doit permettre d’y voir plus clair.

Le soi-disant frein par les brevets n’est pas la cause de l’incapacité indienne à produire assez de vaccins
Entre 2020 et début 2021, le COVID-19 a touché plus particulièrement l’Europe et les Etats-Unis qui reprennent le contrôle de leur situation épidémique nationale grâce aux mesures sanitaires et à l’accaparement de l’essentiel des doses des vaccins grâce à leurs ressources industrielles et financières. En ce 2e trimestre 2021, la pandémie flambe encore dans quelques pays européens (Suède, pays baltes et Hollande) et surtout fait des ravages en Amérique du Sud (Brésil mais aussi l’Uruguay et l’Argentine) et en Inde.
La seconde vague épidémique en Inde a conduit à un revirement spectaculaire de l’Inde qui est passé de puissance vaccinale au côté de la Russie et de la Chine à celui de pays assisté avec un système de santé submergé.
Les plans indiens étaient ambitieux avec un plan vaccinale avec 60% de la population indienne couverte d’ici fin 2021 et 50% d’exportation de la production du Serum Institute of India (Institut) soit 1.1 milliards de doses en 2021. En 2020, l’Institut a signé un accord pour produire sous licence le vaccin Oford-AstraZeneca sous la marque Covishield. L’Institut a reçu une aide de 300 millions de dollards de la fondation Gates afin de fournir 200 millions de doses de Covishield pour l’Alliance Gavi qui dirige le programme COVAX de distribution de vaccins. Seules 120 millions de doses ont été exportées (dont 60 millions pour le COVAX). Face à l’urgence sanitaire, l’Inde a depuis réservé la production du Covishield pour sa propre population.
L’Institute est à la peine pour augmenter sa production malgré une situation de licence de brevet, de transfert de technologie et le statut de plus grand producteur mondial de vaccin. Après un incendie dans un site de production et des restrictions d’accès à des ingrédients américains, l’Institut n’arrive qu’à produire 72 millions de doses par mois et espère atteindre 100 millions cet été. Le directeur général de l’Institut a subi de sévères menaces sur sa vie et est parti à Londres.
Au vue de son statut d’usine du monde des médicaments génériques, l’Inde présente la surprise d’avoir une faible capacité de production de vaccin. Il y a des causes domestiques avec
seulement deux vaccins approuvés, huit en développement dont quatre d’origine indienne. En plus du vaccin Covishield par l’Institut, Bharat Biotech a développé son propre vaccin, le Covaxin qui bénéficie d’une autorisation d’urgence. Il y a une absence surprenante d’accord pour produire localement le vaccin russe Sputnik V.
Comme relaté dans le Temps le 14 mai 2021, l’Inde n’a administré que 210 millions de doses pour 1.3 milliard d’habitat. Tout est fait accélérer l’accès aux vaccins comme trouver des doses de Sputnik V ou de ne pas livrer les 2e doses de Covishield au Népal qui les a payées d’avance soit 6.4 millions de dollard. Dans ce contexte de tensions extrêmes, ce jeudi 13 mai, la société Bharat Biotech (700 employés) a annoncé lever ses brevets sur son vaccin Covaxin et a lancé une invitation à des fabricants de monter des lignes de production de Covaxin qui pourrait être approuvé rapidement par l’OMS. La réputation moyenne du vaccin Covaxin (données cliniques sorties tardivement) , la petite taille de la société Bharat Biotech et le petit nombre de dosses de vaccins Covaxin distribués expliquent certainement ce choix de lever ses brevets afin de réduire ses risques d’investissement en capital et de gagner en visibilité.

Examiner la levée des brevets sur les vaccins à l’aune des conséquences sur chaque étape du laboratoire à l’injection
Une levée des brevets aurait des impacts différents sur les diverses étapes qui mènent de l’invention à la campagne de vaccination. Les étapes en amont et en aval de la fabrication ont été peu commentées :
1) la découverte jusqu’au début du développement clinique : les starts-ups au cœur des découvertes mettront moins de ressource pour trouver de nouveaux vaccins
C’est peu connu, la majorité des vaccins développés dans les pays développés a été découverte en dehors des groupes pharmaceutiques : Moderna, BioNtech, Oxford University, CureVac, Novavax , etc. A l’exception d’Oxford University qui est universitaire, les vaccins de ces compagnies biotech sont une part essentielle de leur travail comme de leurs créations de biens médicaux et de valeurs économiques. L’impact négatif de la levée de brevets sur le développement les futures produits est quasi garanti sur ces entreprises agiles et rapides qui vont centrer leurs efforts sur des domaines thérapeutiques « moins risqués » que celui des maladies infectieuses.

2) la fin du développement clinique coutera probablement plus cher aux collectivités publiques :
Au contraire de l’étape précédente, les groupes pharmaceutiques ont été au cœur de la partie la plus lourde et chère du développement de médicaments : les études de Phase 3 massives et la préparation de la fabrication. Lever les brevets risque bien d’être un jeu à somme nulle avec des activités maintenues pour les cas de marge faible ou nulle comme AstraZeneca ou des activités futures réduites comme pour Pfizer qui a refusé les fonds publics américains dans une démarche de business. Pour ces derniers cas, l’argent public viendra pallier la réduction éventuelle d’investissement privé.

3) une capacité suffisante mondiale de fabrication pourrait arriver quelques mois plus rapidement :
Comme décrit plus haut, les raisons des délais dans la distribution des vaccins est très largement liée aux capacités limitées mondiales de fabrication. Actuellement, les ressources manquent à de très nombreux niveaux : matières premières, principes actifs, fioles, spécialistes, usines certifiées, etc. Pire certains ingrédients sont interdits d’exportation par les Etats-Unis et réduisent les capacités de production par le Serum Institute of India en Inde et de CureVac en Allemagne.
Avec la fin de la vaccination de masse dans les pays les plus développées vers la fin du 3e trimestre 2021 et l’augmentation progressive de la capacité de production des ingrédients, on peut prédire qu’en début 2022, il y aura une opportunité pour avoir un maximum de fabricants de vaccins non-mRNA dans le monde. Ces efforts prendront plusieurs trimestres entre les investissements en mi-2021, l’assemblage de nouvelles de production, leur certification (deux trimestres) et des essais cliniques de Phase 3 (un trimestre de plus). Ainsi, on pourrait bien attendre un total d’une année et se retrouver en 2e ou 3e trimestre 2022 avec un pic de production mondiale. Le gain se trouverait finalement dans la réalisation de capacités supplémentaires de fabrication que ceux fournis par les accords actuels entre les groupes pharmaceutiques et les sociétés de fabrication. Ainsi, il y aurait de nouveaux fabricants comme par exemple de plusieurs petits fabricants indiens ou d’un leader mondial des médicaments génériques Teva (Israel) qui n’a entamé des discussions avec des groupes pharmaceutiques début 2021 sans arriver à en conclure. Une estimation basée sur un doublement de la production mondiale par rapport à aujourd’hui (production mensuelle de 400-500 millions de doses de Moderna, Pfizer et Johnson&Johnson plus possiblement le même nombre en Chine) conclut à un gain de temps d’un ou deux trimestres avant d’arriver à une capacité mondiale suffisante de fabrication de vaccin soit le 2e trimestre 2022 au lieu de la fin 2022.

4) le transfert de technologies sera difficile s’il est forcé et mal mené:
La levée des brevets sur les vaccins aurait deux conséquences très directes : le transfert de technologie (connaissances hors brevets) sera rendu plus difficile et les détenteurs des autorisations de commercialisation des vaccins « génériques » changeront. Pour la question des transferts de technologie, on peut imaginer les Etats « forcer » les groupes pharmaceutiques à transférer leur savoir-faire avec d’inévitables lenteurs et échecs. Au final, ces difficultés pourraient diminuer l’ampleur de l’augmentation de la production de vaccins sans toutefois l’abolir. Ce risque pourrait être clairement diminué en cas de compensation et de contrats futurs après le rétablissement des brevets.

5) le cadre légal de vaccin hors brevet n’est pas celui des génériques mais celui bien plus contraignant des biosimilaires:
Comme les brevets deviendraient un bien public, les vaccins originaux actuels seraient transformés en produits médicaux génériques ou plus exactement biosimilaires. Cette différence est essentielle car au contraire des médicaments avec des petites molécules comme principes actifs produits chimiquement, les vaccins sont usuellement des produits « biologiques ». Pour les petits composés chimiques, la levée de brevets conduit à un marché de génériques où le fabricant de génériques doit montrer l’équivalence chimique, des données de processus de qualité de fabrication et stabilité et des données d’essai clinique simple montrant que le produit chimique se répartit de manière attendue chez le corps humain. Ce processus d’autorisation de mise sur le marché assez simple a été mis à profit lors de la levée des brevets pour les médicaments « chimiques » contre le SIDA au début des années 2000. La situation des vaccins est clairement différente avec une administration à des personnes saines et des produits clairement plus compliqués. Les vaccins anti-COVID-19 sont à classer parmi les produits « biologiques » qui ont un contexte d’autorisation de mise sur le marché beaucoup plus exigeant nommé « biosimilaire ». Ainsi, les fabricants de vaccins  devront non seulement montrer la «biosimilarité » mais aussi une efficacité et une sécurité montrant l’équivalence avec le produit original. Des essais cliniques de type de Phase 3 de taille de quelques milliers de personnes pourraient être nécessaires.

6) l’inconnue des détenteurs des autorisations de commercialisation de vaccins biosimilaires est un risque non pris en compte à ce jour :
Ainsi, les groupes pharmaceutiques à l’origine des vaccins autorisés ne seront plus en charge pour effectuer les études clinique de Phase 3 de comparabilité (étape nécessaire pour des produits biosimilaires), de soumettre les dossiers pour approbation des autorisations de commercialisation et de garantir le maintien de la qualité des vaccins. Il y aura certainement certaines entreprises spécialisées dans les produits génériques qui pourront prendre le relai, voir certains Etats en prenant le relai qui se retrouveraient dans une situation de conflit d’intérêt en tant régulateur et fabricant.
En cas d’étude clinique de comparabilité peu convaincante et de réputation non établie pour la fabrication, il est à craindre que l’adhésion des populations à ces vaccins biosimilaires sera réduite. A l’exemple des réputations très moyennes des vaccins pourtant innovant par Bharat Biotech ou par AstraZeneca qui sont de réels freins à l’adhésion des populations à la vaccination, il est à craindre que des vaccins biosimilaires souffrent aussi de mauvaise réputation. Evidemment, si les études cliniques de comparabilité sont suffisamment grandes et les contrôles de qualité sont rigoureux, la disponibilité de ces vaccins sera plus tardive mais l’acceptation que meilleure voir tout à fait à l’égale des vaccins originaux. En résumé, la levée des brevets forcera un passage de vaccins originaux à des vaccins biosimilaires. Deux scénarios majeurs peuvent être esquissés : «les vaccins biosmilaires hâtivement développés » avec un impact transitoire positif lié à l’offre augmentée rapidement puis un impact négatif pour le déroulement des campagnes vaccinales ou «les vaccins biosimilaires développés avec des données solides » avec un impact positif plus tardif et plus réduit sur la distribution de vaccins mais plus durable une adhésion plus élevée des populations. La réalité en 2022 pourrait bien se situer entre les deux avec des populations voir des pays hésitant pour la vaccination entre des vaccins originaux plus chers et rares et des vaccins de « 2e rang » comme cela est apparu pour le vaccin d’AstraZeneca en Afrique du Sud qui avait renoncé à ce vaccin en février 2021.

7) la logistique et les assurances pourraient être prises en charge par l’effort COVAX lié à l’ONU :
Avant dernières étapes avant les injections, il y aura la logistique et les assurances (en cas d’effets imprévus des vaccins) à mettre en place. Ici, heureusement, le système de distribution COVAX pourrait être mis à contribution comme dans le système de brevet actuel. En supposant un effort plus important des pays donateurs et une fabrication en suffisance dès mi-2022, la levée des brevets aurait un impact neutre. Comme aujourd’hui, les limitations d’une distribution équitable seront levées avec l’accroissement de la disponibilité des vaccins.

La levée des brevets sur les vaccins induira une amélioration transitoire au prix de conséquences négatives à terme ; d’autres solutions doivent être cherchées
Malgré l’attrait apparent de la levée des brevets sur les vaccins, un examen de la situation en Inde et des conséquences d’un passage à un marché de vaccins biosimilaires montrent que lever les brevets n’est pas une solution miracle pour passer de 1.4 milliard de doses distribuées à ce jour à une immunité globale soit 75% de vaccinés parmi les 7.9 milliards d’habitants sur notre planète. Les versions biosimilaires des vaccins plus longues à rendre disponibles à cause de nécessaires nouveaux essais cliniques, potentiellement de qualité mal assurée et donc mal acceptés sont à intégrer sérieusement dans l’équation qui contient aussi un potentiel de distribuer plus rapidement des vaccins à de nombreux pays.
Comment arriver à la fois à augmenter au maximum les futures capacités de productions en maintenant les brevets afin d’assurer la qualité et la confiance des vaccins anti-COVID et aussi l’innovation nécessaire même pour les nécessaires améliorations de ces vaccins ? C’est l’ambition de la nouvelle secrétaire de l’OMC, la docteur Dr Ngozi Okonjo-Iweala qui propose une 3e voie maintenant les brevets et surtout soutenant les efforts des transferts de technologie cordonnés et volontaires avec l’industrie pharmaceutique.
Cette 3e voie de soutien à un maximum de transferts de technologie doit être soutenue par la Suisse qui a de manière pragmatique raison de s’opposer à la levée des brevets et à soutenir les collaborations industrielles volontaires. La Suisse peut faire plus : elle doit augmenter largement son financement au mécanisme de distribution COVAX soutenu par l’ONU (seulement 20 millions à ce jour semble-t-il). La Suisse devrait aussi faire don des doses réservées du vaccin Oxford/AstraZeneca qui n’est toujours pas approuvé par Swissmedic, voire même faire preuve de courage politique et de vision globale en santé publique en faisant don d’une partie de doses de vaccins mRNA déjà achetées.

15 morts à vélo électrique valent-ils plus que 9830 morts COVID dans leur lit ?

Le 13 avril 2021, deux services fédéraux à Berne ont communiqué sur des promotions de santé publique avec une abyssale différence entre la prévention des accidents de vélo électrique et l’épidémie COVID-19.

 

D’un côté, le Bureau de prévention des accidents (BPA) lance une nouvelle campagne de prévention des accidents de vélo électrique. En 2020, il y a eu 536 accidents graves dont 15 morts. Suite à cette augmentation des accidents, le BPA lance une campagne composée d’affiches et de brèves vidéos.

 

De l’autre côté, l’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP) a organisé une conférence de presse sur la situation sur le COVID-19. Après 9830 morts liés au COVID en Suisse et au Liechtenstein depuis 13 mois, l’OFSP déclare que chacun (des Suisses et Suissesses) devra se poser la question sur son choix de vaccination d’ici l’été. A nouveau, aucune annonce de nouvelle campagne de promotion de la vaccination anti-COVID n’est effectuée malgré les morts prévisibles avec la 3e vague qui est aux portes de la Suisse.

 

Pendant la même conférence de presse de l’OFSP du 13 avril, un sondage sur les intentions vaccinales a été présenté. Il montre qu’actuellement 60% des personnes en dessous de 65 ans ont été ou seraient prêtes à se faire vacciner. Ce pourcentage de 60% (avec 0% en dessous de 18 ans et 75% en dessus de 65 ans) fait partie de l’un des scénarios de vaccination par Berne, mais cet objectif de 60% chez les adultes de moins de 65 ans ne permettra très probablement pas une immunité de groupe car il faudrait plutôt 80% selon plusieurs experts déjà cités dans ce blog et le Professeur Didier Pittet  dans un article du Temps publié le 12 avril 2021. La conclusion s’impose : il n’y a pas assez d’adhésion dans la population suisse pour atteindre l’immunité collective et donc pouvoir lever les mesures sanitaires contraignantes.

 

Le contraste entre les 15 morts par vélo électrique déclenchant une campagne de prévention et les 9830 morts ne suffisant pas à déclencher une campagne de promotion de la vaccination est saisissant. Pourquoi une telle différence ? Est-ce le fruit d’une position historique très prudente des autorités de santé pour promouvoir la vaccination dès le 19e siècle ? Est-ce la crainte de l’électorat des Verts et de l’UDC qui sont rétifs à la vaccination ? Est-ce une manœuvre de retardement du Conseil Fédéral attelé à faire accepter la loi COVID en juin ?

 

Pour conclure, la différence abyssale entre la prévention des accidents de vélo électrique et l’absence de promotion assumée de la vaccination anti-COVID met aussi en lumière la différence d’acceptation de la population à des mesures de sécurité individuelle contre des risques non-infectieux (port du casque ou de la ceinture obligatoire) au contraire de mesures finalement collectives (vaccination ou rassemblements) contre un risque transmissible.

 

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Sans ambitions ni marketing, la vaccination en passe de rater sa cible

Le gouvernement fédéral suisse l’a annoncé le vendredi 26 mars : la campagne de vaccination en Suisse est en passe de changer d’échelle et va devenir massive avec 8 millions de doses livrées d’ici fin juillet. Malheureusement, les objectifs de pourcentage de vaccination à atteindre, les ratés de certains cantons dans leur campagne de vaccination et l’absence de promotion vaccinale soulèvent de sérieux doutes.

 

Le 26 mars, les objectifs de couverture vaccinale sont révélés

Les objectifs fédéraux de taux de couverture ont été annoncés par Nathalie Vernaz la pharmacienne cantonale de Genève à l’émission Forum ce vendredi 26 mars : 75% de vaccination pour le groupe des personnes de 65 ans et plus et les personnes « vulnérable » et 50% pour la “population générale”. L’objectif est d’atteindre une couverture de 50% d’ici fin juin. Avec 5.9% de la population ayant reçu deux injections, le chemin est encore long. Selon l’annonce de Berne ce vendredi, les cantons doivent être prêts pour la vaccination de masse de ce printemps. Mais le sont-ils et est-ce que 50% de couverture suffira ?

 

Jusqu’à ce jour, le nombre limité de doses disponibles explique l’avancement relativement lent de la vaccination

A ce jour, 527 million de doses auraient été administrées dans le monde et la Suisse est dans la moyenne européenne pour le nombre de doses administrées par rapport à la taille de sa population (15.6 injections/100 habitants). Mieux, le choix des commandes avec les vaccins de Moderna et Pfizer/BioNTech s’est révélé remarquablement avisé et la prudence de Swissmedic par rapport au vaccin d’AstraZeneca doit être saluée vu la difficile communication des résultats cliniques aux USA, comme des experts l’ont commenté cette semaine.
Selon les chiffres de l’OFSP (26 mars 2021), il existe des différences d’avancement des campagnes de vaccination. Les livraisons de doses (fioles par cent habitants) ont défavorisé certains cantons et expliquent une bonne partie de ces différences. Mais pas toutes ! Les cantons de Zurich et Vaud montrent des défaillances qui ont attiré l’attention des média.

 

Zurich est le dernier de classe pour le nombre de doses administrées et pour l’activation de son site de réservation online qui ouvrira le 29 mars

Zurich montre le plus bas taux de doses distribuées de Suisse avec 13.2 injections/100 habitants (2.4 injection de moins que la moyenne nationale). Cette sous-performance n’est expliquée qu’en partie par le plus faible nombre reçu de doses de vaccins. L’explication réside ailleurs : une incroyable incapacité d’organiser la réservation en ligne des vaccinations. Comme décrit dans un article dans la NZZ du 24 mars, le canton a mis en place sa propre plateforme au lieu d’utiliser celle de la Confédération. Fin décembre, la première plateforme s’est écroulée sous le nombre de demandes. Une autre plateforme disponible fin janvier n’a jamais été utilisée. Finalement, Zurich utilise la plateforme de Berne et ouvrira la réservation online le 29 mars pour ceux de 75 ans et plus. Le coût financier de ces errements n’a pas été divulgué.

 

Vaud n’atteint pas ses propres objectifs de vaccination parmi les 75 ans et plus, objectifs pourtant plus bas que ceux de la Confédération

Comme décrit par le 24 Heures le 13 mars et le Temps le 23 mars, Vaud était le seul canton romand à avoir de nombreuses plages de réservation de vaccination libres pour la population des 75 ans et plus, et les personnes vulnérables. De manière presque improvisée à la radio publique le lundi matin 22 mars, la conseillère d’Etat Rebecca Ruiz appelait la population à faire des réservations. Sous pression, le Canton se résout à ouvrir la vaccination aux 65 ans et plus dès lundi 29 mars.
La comparaison avec le Canton de Fribourg est cruelle pour Vaud. Avec un nombre similaire de doses reçues par habitant (3% de différence seulement), Fribourg a déjà réussi à administrer au moins une dose à près de 70% des 75 ans et plus (La Liberté du 24 mars) tandis que Vaud annonce arriver à vacciner que 60 % des 75% ans et plus (24 heures du 25 mars) soit moins que ses propres objectifs de vaccination entre 65% et70%. Selon l’article du 24 heures, «des disponibilités importantes dans les centres montrent que l’on a épuisé le potentiel de vaccination du groupe 1», explique Oliver Peters, président du comité de pilotage de vaccination. Le comité de pilotage semble se résigner de son faible score de couverture vaccinale parmi les 75 ans et plus.

 

La Suisse a des objectifs de couverture vaccinale en dessous des chiffres discutés par les experts internationaux

La Suisse a maintenant un objectif de couverture vaccinale de 75% pour les personnes à risques et 50% pour la population générale. En 2020, avant l’apparition de variants plus infectieux, l’immunité collective requise avait été estimée entre 65% et 70%, ce qui est le pourcentage de la population avec une réponse antivirale efficace (article de Fontanet et Cauchemez 2020, post du 20.09.2020). En 2021 avec l’apparition de variants plus infectieux, le degré d’immunité de groupe est revu à la hausse sans être connu précisément. La couverture requise est dernièrement estimée entre 70% et 90% par le fameux Dr Anthony Fauci aux USA (directeur du NIAID aux USA).
Les questions du besoin de la vaccination en plus de l’immunité naturelle ou le besoin de vacciner les enfants dépassent le cadre de ce post. Notons finalement que l’immunité naturelle à 76% à Manaus n’a pas empêché une nouvelle épidémie en janvier 2021 et que le taux de 44% d’injection unique de vaccines au Royaume Uni ne lui permet pas de juguler l’épidémie actuelle malgré de sévères restrictions sanitaires.
Gageons que les experts de la Confédération ont bien soupesé l’objectif de 75% de couverture vaccinale pour les personnes à risques. Toutefois, l’objectif de 50% pour la population générale avec une probable non vaccination des enfants laisse présager que l’engorgement des soins médicaux pourra être contenue seulement de manière partielle. Mais les virus SARS-CoV2 continueront de circuler largement en Suisse avec un risque important de propagations de futurs variants !
On le voit, les objectifs suisses de couverture vaccinale sont en dessous des chiffres discutés par les experts internationaux. Ces objectifs ne semblent pouvoir fournir qu’une future protection relative et manquer d’ambition.

 

La population suisse reste réticente à se faire vacciner et les autorités sanitaires demeurent attentistes face à la promotion vaccinale

Cette semaine, Vaud avouait ne pas savoir combien de Vaudois voulaient se faire vacciner. Ce vendredi 26 mars, les autorités fédérales se voulaient rassurantes quant à la volonté des Suisses à se faire vacciner. De manière surprenante, il était énoncé que seulement 25% des Suisses sont opposés à la vaccination. Evidemment, cela ne présage pas que le reste soit 75% soient enclins à se faire vacciner contre le COVID-19. Comme des sondages précédents et dans d’autres pays, la population suisse est peu enthousiaste. Pire, un sondage en mars 2021 montre moins d’un quart des Romands veulent se faire vacciner, en particulier les jeunes où le SARS-CoV2 circule activement (la tranche de 20-29 ans présente le plus grand nombre de cas détectés selon FOPH/corona-data.ch).
Avec des quantités de doses limitées, les autorités sanitaires semblent se satisfaire de la demande vaccinale relativement importante chez les personnes âgées. Elles sont opposées à ce stade à faire de la promotion vaccinale ni de faire des pré-inscriptions pour les groupes 3 ou la population générale. La conseillère d’Etat Rebecca Ruiz cite la peur de générer des frustrations tandis que Nathalie Vernaz la pharmacienne cantonale genevoise (Forum du 26 mars) considère que le moment n’est pas venu pour une campagne de sensibilisation.
Au final, les autorités sanitaires ne semblent pas connaître la proportion de la population adulte de moins de 65 ans prête à se faire vacciner et clairement ne sont pas prêtes à déclencher une campagne de sensibilisation ou de marketing efficace et créative en faveur de la vaccination.

 

L’absence de technique de marketing pro-vaccinale est patente et conduit déjà à une sous-vaccination dans le canton de Vaud

Il n’est finalement pas étonnant que des juristes, économistes ou des personnes médicales qui dirigent ces campagnes vaccinales ne connaissent pas la puissance du marketing digital et ne connaissent pas la différence entre un but d’amélioration de l’image d’un service (être favorable à la vaccination) et celui d’une action immédiate (décider de se faire vacciner).
Devant l’incapacité à atteindre leurs objectifs de vaccination, il est déplorable de voir les autorités vaudoises réduites à un expédient de communication avec un appel radiophonique à la sauvette par une Conseillère d’Etat à se faire vacciner et finalement se contenter de ne pas atteindre l’objectif de couverture vaccinale.

 

La campagne de vaccination est d’une taille inédite et appelle à des solutions à la hauteur

Les critiques ci-dessus ne doivent pas faire oublier les incommensurables difficultés pour cette gigantesque campagne de vaccination. Il est remarquable qu’en moins d’une année les campagnes de vaccination ont pu commencer et il faut même soutenir les efforts de répartition envers les pays à bas revenus via le mécanisme international COVAX. Mais avec la prochaine accélération des livraisons de doses vaccinales en Suissse, les plans et l’exécution des campagnes de vaccination pourraient bien révéler leur faiblesse.
Sans des objectifs ambitieux pour une couverture vaccinale, sans des équipes expérimentées en campagne de vaccination, sans recours à des méthodes de marketing inventif –comme les extraordinaires campagnes de prévention anti-SIDA à l’époque-, la campagne suisse de vaccination anti-Covid-19 est en passe de rater la cible, soit une véritable immunité collective.
Si en 2020, le but des mesures sanitaires était d’éviter l’effondrement des soins. En 2021, le but est d’éviter l’apparition et la propagation de nouveaux variants. Ce but de santé publique pourra se faire grâce à des campagnes ambitieuses de vaccination avec un tracking efficace maintenu à long terme et un allègement graduel des diverses mesures restrictives sanitaires.

 

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