Comme vaccin, prendrons-nous une copie ou un original ?

Image by Gerd Altmann from Pixabay

La proposition de dérogation temporaire aux droits de propriété intellectuelle des vaccins anti-COVID-19 a reçu le soutien de l’administration américaine le 5 mai. L’impact de cette proposition doit être évaluée sur toutes les étapes depuis les ingrédients jusqu’à la vaccination des populations et aussi sur le court, moyen et long terme.

Aller au-delà des évidences avec la levée des brevets sur les vaccins anti-covid
La proposition d’une levée des brevets a été lancée par l’Afrique du Sud et l’Inde en 2020 et a pour but d’accélérer la production des vaccins et à les rendre plus accessibles aux pays pauvres. Cette proposition continue d’être examinée à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Bien que soutenue par de nombreux pays et des ONG, la pertinence de cette proposition est contestée, n’est pas soutenue par plusieurs pays européens dont l’Allemagne et la Suisse.
Aux yeux de nombreuses ONG et de politiciens, cela parait une évidence : bien qu’important pour l’innovation, les brevets entravent la production et la distribution de divers médicaments et en augmentent leur prix. Face à la pandémie COVID-19 et l’urgence sanitaire, il faudrait donc lever les brevets et y être opposé revient simplement à défendre les intérêts de l’industrie pharmaceutique. Toutefois, le sujet reste débattu et des économistes dont un professeur de l’Université de St. Gallen et des dirigeants de l’industrie pharmaceutique considèrent qu’il ne faut pas entraver l’augmentation de la production mondiale de vaccins.
L’examen de la situation actuelle de l’Inde et les diverses conséquences de la levée des brevets sur les vaccins doit permettre d’y voir plus clair.

Le soi-disant frein par les brevets n’est pas la cause de l’incapacité indienne à produire assez de vaccins
Entre 2020 et début 2021, le COVID-19 a touché plus particulièrement l’Europe et les Etats-Unis qui reprennent le contrôle de leur situation épidémique nationale grâce aux mesures sanitaires et à l’accaparement de l’essentiel des doses des vaccins grâce à leurs ressources industrielles et financières. En ce 2e trimestre 2021, la pandémie flambe encore dans quelques pays européens (Suède, pays baltes et Hollande) et surtout fait des ravages en Amérique du Sud (Brésil mais aussi l’Uruguay et l’Argentine) et en Inde.
La seconde vague épidémique en Inde a conduit à un revirement spectaculaire de l’Inde qui est passé de puissance vaccinale au côté de la Russie et de la Chine à celui de pays assisté avec un système de santé submergé.
Les plans indiens étaient ambitieux avec un plan vaccinale avec 60% de la population indienne couverte d’ici fin 2021 et 50% d’exportation de la production du Serum Institute of India (Institut) soit 1.1 milliards de doses en 2021. En 2020, l’Institut a signé un accord pour produire sous licence le vaccin Oford-AstraZeneca sous la marque Covishield. L’Institut a reçu une aide de 300 millions de dollards de la fondation Gates afin de fournir 200 millions de doses de Covishield pour l’Alliance Gavi qui dirige le programme COVAX de distribution de vaccins. Seules 120 millions de doses ont été exportées (dont 60 millions pour le COVAX). Face à l’urgence sanitaire, l’Inde a depuis réservé la production du Covishield pour sa propre population.
L’Institute est à la peine pour augmenter sa production malgré une situation de licence de brevet, de transfert de technologie et le statut de plus grand producteur mondial de vaccin. Après un incendie dans un site de production et des restrictions d’accès à des ingrédients américains, l’Institut n’arrive qu’à produire 72 millions de doses par mois et espère atteindre 100 millions cet été. Le directeur général de l’Institut a subi de sévères menaces sur sa vie et est parti à Londres.
Au vue de son statut d’usine du monde des médicaments génériques, l’Inde présente la surprise d’avoir une faible capacité de production de vaccin. Il y a des causes domestiques avec
seulement deux vaccins approuvés, huit en développement dont quatre d’origine indienne. En plus du vaccin Covishield par l’Institut, Bharat Biotech a développé son propre vaccin, le Covaxin qui bénéficie d’une autorisation d’urgence. Il y a une absence surprenante d’accord pour produire localement le vaccin russe Sputnik V.
Comme relaté dans le Temps le 14 mai 2021, l’Inde n’a administré que 210 millions de doses pour 1.3 milliard d’habitat. Tout est fait accélérer l’accès aux vaccins comme trouver des doses de Sputnik V ou de ne pas livrer les 2e doses de Covishield au Népal qui les a payées d’avance soit 6.4 millions de dollard. Dans ce contexte de tensions extrêmes, ce jeudi 13 mai, la société Bharat Biotech (700 employés) a annoncé lever ses brevets sur son vaccin Covaxin et a lancé une invitation à des fabricants de monter des lignes de production de Covaxin qui pourrait être approuvé rapidement par l’OMS. La réputation moyenne du vaccin Covaxin (données cliniques sorties tardivement) , la petite taille de la société Bharat Biotech et le petit nombre de dosses de vaccins Covaxin distribués expliquent certainement ce choix de lever ses brevets afin de réduire ses risques d’investissement en capital et de gagner en visibilité.

Examiner la levée des brevets sur les vaccins à l’aune des conséquences sur chaque étape du laboratoire à l’injection
Une levée des brevets aurait des impacts différents sur les diverses étapes qui mènent de l’invention à la campagne de vaccination. Les étapes en amont et en aval de la fabrication ont été peu commentées :
1) la découverte jusqu’au début du développement clinique : les starts-ups au cœur des découvertes mettront moins de ressource pour trouver de nouveaux vaccins
C’est peu connu, la majorité des vaccins développés dans les pays développés a été découverte en dehors des groupes pharmaceutiques : Moderna, BioNtech, Oxford University, CureVac, Novavax , etc. A l’exception d’Oxford University qui est universitaire, les vaccins de ces compagnies biotech sont une part essentielle de leur travail comme de leurs créations de biens médicaux et de valeurs économiques. L’impact négatif de la levée de brevets sur le développement les futures produits est quasi garanti sur ces entreprises agiles et rapides qui vont centrer leurs efforts sur des domaines thérapeutiques « moins risqués » que celui des maladies infectieuses.

2) la fin du développement clinique coutera probablement plus cher aux collectivités publiques :
Au contraire de l’étape précédente, les groupes pharmaceutiques ont été au cœur de la partie la plus lourde et chère du développement de médicaments : les études de Phase 3 massives et la préparation de la fabrication. Lever les brevets risque bien d’être un jeu à somme nulle avec des activités maintenues pour les cas de marge faible ou nulle comme AstraZeneca ou des activités futures réduites comme pour Pfizer qui a refusé les fonds publics américains dans une démarche de business. Pour ces derniers cas, l’argent public viendra pallier la réduction éventuelle d’investissement privé.

3) une capacité suffisante mondiale de fabrication pourrait arriver quelques mois plus rapidement :
Comme décrit plus haut, les raisons des délais dans la distribution des vaccins est très largement liée aux capacités limitées mondiales de fabrication. Actuellement, les ressources manquent à de très nombreux niveaux : matières premières, principes actifs, fioles, spécialistes, usines certifiées, etc. Pire certains ingrédients sont interdits d’exportation par les Etats-Unis et réduisent les capacités de production par le Serum Institute of India en Inde et de CureVac en Allemagne.
Avec la fin de la vaccination de masse dans les pays les plus développées vers la fin du 3e trimestre 2021 et l’augmentation progressive de la capacité de production des ingrédients, on peut prédire qu’en début 2022, il y aura une opportunité pour avoir un maximum de fabricants de vaccins non-mRNA dans le monde. Ces efforts prendront plusieurs trimestres entre les investissements en mi-2021, l’assemblage de nouvelles de production, leur certification (deux trimestres) et des essais cliniques de Phase 3 (un trimestre de plus). Ainsi, on pourrait bien attendre un total d’une année et se retrouver en 2e ou 3e trimestre 2022 avec un pic de production mondiale. Le gain se trouverait finalement dans la réalisation de capacités supplémentaires de fabrication que ceux fournis par les accords actuels entre les groupes pharmaceutiques et les sociétés de fabrication. Ainsi, il y aurait de nouveaux fabricants comme par exemple de plusieurs petits fabricants indiens ou d’un leader mondial des médicaments génériques Teva (Israel) qui n’a entamé des discussions avec des groupes pharmaceutiques début 2021 sans arriver à en conclure. Une estimation basée sur un doublement de la production mondiale par rapport à aujourd’hui (production mensuelle de 400-500 millions de doses de Moderna, Pfizer et Johnson&Johnson plus possiblement le même nombre en Chine) conclut à un gain de temps d’un ou deux trimestres avant d’arriver à une capacité mondiale suffisante de fabrication de vaccin soit le 2e trimestre 2022 au lieu de la fin 2022.

4) le transfert de technologies sera difficile s’il est forcé et mal mené:
La levée des brevets sur les vaccins aurait deux conséquences très directes : le transfert de technologie (connaissances hors brevets) sera rendu plus difficile et les détenteurs des autorisations de commercialisation des vaccins « génériques » changeront. Pour la question des transferts de technologie, on peut imaginer les Etats « forcer » les groupes pharmaceutiques à transférer leur savoir-faire avec d’inévitables lenteurs et échecs. Au final, ces difficultés pourraient diminuer l’ampleur de l’augmentation de la production de vaccins sans toutefois l’abolir. Ce risque pourrait être clairement diminué en cas de compensation et de contrats futurs après le rétablissement des brevets.

5) le cadre légal de vaccin hors brevet n’est pas celui des génériques mais celui bien plus contraignant des biosimilaires:
Comme les brevets deviendraient un bien public, les vaccins originaux actuels seraient transformés en produits médicaux génériques ou plus exactement biosimilaires. Cette différence est essentielle car au contraire des médicaments avec des petites molécules comme principes actifs produits chimiquement, les vaccins sont usuellement des produits « biologiques ». Pour les petits composés chimiques, la levée de brevets conduit à un marché de génériques où le fabricant de génériques doit montrer l’équivalence chimique, des données de processus de qualité de fabrication et stabilité et des données d’essai clinique simple montrant que le produit chimique se répartit de manière attendue chez le corps humain. Ce processus d’autorisation de mise sur le marché assez simple a été mis à profit lors de la levée des brevets pour les médicaments « chimiques » contre le SIDA au début des années 2000. La situation des vaccins est clairement différente avec une administration à des personnes saines et des produits clairement plus compliqués. Les vaccins anti-COVID-19 sont à classer parmi les produits « biologiques » qui ont un contexte d’autorisation de mise sur le marché beaucoup plus exigeant nommé « biosimilaire ». Ainsi, les fabricants de vaccins  devront non seulement montrer la «biosimilarité » mais aussi une efficacité et une sécurité montrant l’équivalence avec le produit original. Des essais cliniques de type de Phase 3 de taille de quelques milliers de personnes pourraient être nécessaires.

6) l’inconnue des détenteurs des autorisations de commercialisation de vaccins biosimilaires est un risque non pris en compte à ce jour :
Ainsi, les groupes pharmaceutiques à l’origine des vaccins autorisés ne seront plus en charge pour effectuer les études clinique de Phase 3 de comparabilité (étape nécessaire pour des produits biosimilaires), de soumettre les dossiers pour approbation des autorisations de commercialisation et de garantir le maintien de la qualité des vaccins. Il y aura certainement certaines entreprises spécialisées dans les produits génériques qui pourront prendre le relai, voir certains Etats en prenant le relai qui se retrouveraient dans une situation de conflit d’intérêt en tant régulateur et fabricant.
En cas d’étude clinique de comparabilité peu convaincante et de réputation non établie pour la fabrication, il est à craindre que l’adhésion des populations à ces vaccins biosimilaires sera réduite. A l’exemple des réputations très moyennes des vaccins pourtant innovant par Bharat Biotech ou par AstraZeneca qui sont de réels freins à l’adhésion des populations à la vaccination, il est à craindre que des vaccins biosimilaires souffrent aussi de mauvaise réputation. Evidemment, si les études cliniques de comparabilité sont suffisamment grandes et les contrôles de qualité sont rigoureux, la disponibilité de ces vaccins sera plus tardive mais l’acceptation que meilleure voir tout à fait à l’égale des vaccins originaux. En résumé, la levée des brevets forcera un passage de vaccins originaux à des vaccins biosimilaires. Deux scénarios majeurs peuvent être esquissés : «les vaccins biosmilaires hâtivement développés » avec un impact transitoire positif lié à l’offre augmentée rapidement puis un impact négatif pour le déroulement des campagnes vaccinales ou «les vaccins biosimilaires développés avec des données solides » avec un impact positif plus tardif et plus réduit sur la distribution de vaccins mais plus durable une adhésion plus élevée des populations. La réalité en 2022 pourrait bien se situer entre les deux avec des populations voir des pays hésitant pour la vaccination entre des vaccins originaux plus chers et rares et des vaccins de « 2e rang » comme cela est apparu pour le vaccin d’AstraZeneca en Afrique du Sud qui avait renoncé à ce vaccin en février 2021.

7) la logistique et les assurances pourraient être prises en charge par l’effort COVAX lié à l’ONU :
Avant dernières étapes avant les injections, il y aura la logistique et les assurances (en cas d’effets imprévus des vaccins) à mettre en place. Ici, heureusement, le système de distribution COVAX pourrait être mis à contribution comme dans le système de brevet actuel. En supposant un effort plus important des pays donateurs et une fabrication en suffisance dès mi-2022, la levée des brevets aurait un impact neutre. Comme aujourd’hui, les limitations d’une distribution équitable seront levées avec l’accroissement de la disponibilité des vaccins.

La levée des brevets sur les vaccins induira une amélioration transitoire au prix de conséquences négatives à terme ; d’autres solutions doivent être cherchées
Malgré l’attrait apparent de la levée des brevets sur les vaccins, un examen de la situation en Inde et des conséquences d’un passage à un marché de vaccins biosimilaires montrent que lever les brevets n’est pas une solution miracle pour passer de 1.4 milliard de doses distribuées à ce jour à une immunité globale soit 75% de vaccinés parmi les 7.9 milliards d’habitants sur notre planète. Les versions biosimilaires des vaccins plus longues à rendre disponibles à cause de nécessaires nouveaux essais cliniques, potentiellement de qualité mal assurée et donc mal acceptés sont à intégrer sérieusement dans l’équation qui contient aussi un potentiel de distribuer plus rapidement des vaccins à de nombreux pays.
Comment arriver à la fois à augmenter au maximum les futures capacités de productions en maintenant les brevets afin d’assurer la qualité et la confiance des vaccins anti-COVID et aussi l’innovation nécessaire même pour les nécessaires améliorations de ces vaccins ? C’est l’ambition de la nouvelle secrétaire de l’OMC, la docteur Dr Ngozi Okonjo-Iweala qui propose une 3e voie maintenant les brevets et surtout soutenant les efforts des transferts de technologie cordonnés et volontaires avec l’industrie pharmaceutique.
Cette 3e voie de soutien à un maximum de transferts de technologie doit être soutenue par la Suisse qui a de manière pragmatique raison de s’opposer à la levée des brevets et à soutenir les collaborations industrielles volontaires. La Suisse peut faire plus : elle doit augmenter largement son financement au mécanisme de distribution COVAX soutenu par l’ONU (seulement 20 millions à ce jour semble-t-il). La Suisse devrait aussi faire don des doses réservées du vaccin Oxford/AstraZeneca qui n’est toujours pas approuvé par Swissmedic, voire même faire preuve de courage politique et de vision globale en santé publique en faisant don d’une partie de doses de vaccins mRNA déjà achetées.