Le bricolage sanitaire de l’économie par le Conseil fédéral fort économe

Le 16 mars, le Conseil fédéral a pris des mesures exceptionnelles pour lutter contre le COVID-19. La cohérence de ces mesures est organisée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), et le Secrétariat de l’Etat à l’économie (SECO) agit dans ce cadre. Toutefois, à la lecture des nouvelles de la semaine, le SECO est bien à la traine.

En premier, après une semaine de bras de fer avec le Tessin sur la fermeture des chantiers, le 27 mars, le Conseil fédéral a partiellement cédé en permettant sous conditions strictes l’arrêt des activités dans certaines branches économiques.
Parmi ces conditions strictes, on trouve des critères objectivement liés à la santé publique comme des mesures de prévention qui ne peuvent pas être respectées dans le secteur en question, un taux d’infections au SARS-CoV-2 supérieur à la moyenne suisse et des frontaliers en nombre. A ces conditions objectives, il y a des mesures étonnantes comme un système de santé saturé alors que des trains de malades vers la Suisse allemande moins touchée pourraient être organisés comme la France le fait ces jours.
A l’évidence, ces critères d’arrêt de secteur économique au niveau cantonal ont été taillés sur mesure pour le Tessin. Ainsi le Conseil fédéral a ajouté des critères qui font que seul le Tessin les remplit comme l’a bien précisé Alain Berset. Genève et Vaud qui ont des taux d’infection élevés, et des frontaliers nombreux sont expressément exclus de ces mesures malgré un accord parmi les partenaires sociaux. Au final, les chantiers sans lien avec l’effort sanitaire vont rouvrir et exposer les ouvriers et indirectement des personnes à risques de manière non-nécessaire.

En deuxième, il apparait selon les syndicats que de nombreuses entreprises protègent mal leurs collaborateurs. Pire, il semble que les inspecteurs du travail sont en confinement à la maison et ne remplissent donc pas ou peu leur rôle de protection qui est de faire appliquer les mesures nécessaires de médecine du travail édictées par l’OFSP.

En troisième, comme rapporté dans le Temps, il y a une initiative genevoise privée pour créer un pont aérien et importer du matériel sanitaire depuis Shanghai. De manière bureaucratique, le SECO refuse d’offrir une garantie économique à ces vols vers Genève qui sont une vraie nécessité de santé publique.

Au-delà d’une communication de crise bien maitrisée, dix jours après l’entrée en état d’exception, le Conseil fédéral apparait toujours avoir un train de retard et pire, le SECO qui clame bien suivre les recommandations de l’OFSP n’oeuvre pas ou guère pour protéger la santé des acteurs économiques qu’ils soient ouvriers, cadres ou patrons. En absence d’une cellule de crise unifiée comme des pays asiatiques démocratiques l’ont mis en oeuvre, le Conseil fédéral n’a pas compris qu’en temps de crise extraordinaire, le rôle du SECO n’est pas simplement d’être au service de l’économie mais au contraire que l’économie soit au service du pays qui lutte contre le COVID-19. Comme en temps de guerre en somme.

Luc Otten

Luc Otten est médecin et biologiste. Après 15 années de recherche académique, il a travaillé 7 ans comme analyste financier puis comme venture capitaliste dans le domaine des sciences de la vie. Depuis 2015, il travaille dans le monde des start-ups en biotechnologie dans des positions opérationelles le plus souvent.

25 réponses à “Le bricolage sanitaire de l’économie par le Conseil fédéral fort économe

  1. De mon côté, je vois les choses différemment.

    Nos autorités n’ont pas paniqué devant un virus qui affectent peu les moins de 60 ans. Elles ont dès lors:

    – limité le déplacement des plus jeunes (fermeture des écoles) afin de retarder la transmission du virus;
    – mis en teletravail les plus sédentaires (obésité est un facteur aggravant) et les plus âgés;
    – et ont permis de continuer le travail en exposant les travailleurs en pleine force de l’âge (et en incitant au maximum de mesures de protection).

    Je trouve cette méthode brillante, compte tenu de l’impréparation des premiers mois.

    Nous obtiendrons ainsi une immunité de masse par l’exposition des moins fragiles. Et seront donc à l’abri de retourner sous terre tous les 3 mois, en cas d’éternuement d’un touriste.

    Je suis d’accord pour la fin de votre article. Nos autorités se ridiculisent avec les masques, empêchant le démarrage rapide de chaînes de production locales en exigeant des certificats reconnus (comme si l’urgence ne primait pas) et en faisant pas tout le nécessaire pour obtenir de l’étranger des masques… ne serait-ce déjà ceux bloqués en Allemagne, France et Italie…

    1. Je vous remercie pour votre analyse détaillée. Mais j’y vois un problème: l’épidémie en Suisse semble toujours en phase exponentielle et les soins pourraient bien arriver à saturation dans quelques jours. Il faut donc absolument diminuer la vitesse de propagation et donc exposer le moins possible de personnes.
      Par la suite, effectivement, il faudra compter sur l’immunité globale de la population. Pour cela, il faudra la mesurer et les tests qui arrivent tout bientôt permettront de suivre le taux de réponse immunitaire des personnes déjà infectées (symptomatiques ou non). Cela permettra baisser la garde de manière prudente avec une bonne information sur le terrain.

      1. “Il faut donc absolument diminuer la vitesse de propagation et donc exposer le moins possible de personnes.”

        Sur quelles données vous basez-vous pour affirmer que la progression actuelle du virus n’est pas suffisamment freinée?

        Les décès d’aujourd’hui ont été vraisemblablement infectés avant le confinement et nos hôpitaux sont loin d’être débordés. On accueille même des patients italiens et français… Je suis donc convaincu que ces décès étaient malheureusement inévitables.. (pensées respectueuses aux familles)

        Et la planification hospitalière du Tessin surtout, de Vaud (Maillard…) et de St Gall a toujours été pointé du doigt. Mais les structures sont objectivement loin d’être débordées… et la courbe des entrées commence à fléchir grâce au confinement.

        1. Je relate les craintes (ou les estimations) des autorités sanitaires qui pensent que les soins intensifs pourraient être saturés en fin de semaine prochaine. Aujourd’hui il est heureusement vrai que les soins intensifs ne sont pas saturés mais si l’augmentation reste à un niveau de doublement tous les trois jours, les craintes des autorités paraissent fondées.

          1. L’augmentation de quoi?

            https://www.corona-data.ch

            Actuellement, les autorités se fondent sur l’amélioration de leur capacité à réaliser des tests … la courbe à tendance exponentielle montre donc le résultat des investissements (massifs) dans le domaine des tests (limités à de très rares malades sévères).

            Mais le virus est bien déjà là et il circule. Et moi, mes collègues, etc on a déjà été infectés… comment on le sait? Comme nous sommes en relative bonne forme, on n’a pas accès aux tests. Mais les parents de ma collègue ont été accueillis au CHUV (heureusement sortis depuis lors, mais testés covid+). Et comme elle vivait avec eux et était malade la semaine dernière, puis nous cette semaine… Pour 2 tests positifs, il y a 7 personnes de mon unité qui ont des symptômes. Et la contamination remonte à plusieurs semaines…

            Je vous propose plutôt de vous référer à la courbe des hospitalisations/décès et celle-ci montre un pic. Et de la marge.

            Le confinement fonctionne donc mais avec deux semaines de décalage pour pleinement montré ses résultats…

            Courage, nous vaincrons ce virus et survivrons. Cela ne veut malheureusement pas dire que le virus ne tuera pas encore plusieurs de nos aïeux. C’est donc important de suivre les consignes strictement et de les soutenir moralement et logistiquement.

          2. Bravo pour avoir trouvé et mis à disposition cet article de recherche écrit par un groupe de l’ETH (25.03.). Résumons simplement les conclusions principales en page 1:
            – les soins intensifs sont actuellement proches de la saturation et la capacité a été excédée au Tessin, Vaud, Valais et Grisons
            – selon le trend actuel, 1000 lits de soins intensifs seraient nécessaires pour le 2 avril
            – il y a réservoir de lits disponibles au nord, centre et est de la Suisse
            – il y a très peu de ventilateurs en réserve en Valais et au Tessin
            En conclusion, ce rapport du 25 mars montre une situation très tendue et heureusement hier après midi 28.03. il semble que le front est moins tendu

      2. “l’épidémie en Suisse semble toujours en phase exponentielle”, désolé mais cette affirmation est fausse: le nombre de nouveaux cas est constant depuis les 23 mars, entre 900 et 1100 cas par jour, ce dénote une augmentation linéaire.

        Une augmentation exponentielle implique que le nombre de nouveaux cas soit tous les jours supérieur au jour précédent, or depuis le 21 mars, ce n’est plus le cas.

        En comparaison des pays qui nous entourent, la Suisse a commencé à aplatir sa courbe. Il faut voir ce qui va arriver la semaine prochaine, mais pour l’instant il n’y a aucun fait pour justifier une catastrophe à venir.

        Le déplacement de malades n’a aucun sens à part en cas de débordement des services d’urgence, or à ma connaissance, ce n’est pas le cas. Si vous avez des sources qui disent le contraire, merci de les mentionner.

        Finalement, le maintien de l’activité économique est nécessaire dans une situation qui va durer: tous les pays qui avaient annoncé un confinement de 15 jours ont dû prolonger. Maintenir les gens enfermés chez eux pendant 4, 6 voire 8 semaines va bloquer toute activité économique, même celles des secteurs prioritaires. En 6 semaines, des ordinateurs peuvent rendre l’âme dans un hôpital, des conduites d’eau potable peuvent lâcher dans les rues, des éléments électroniques peuvent griller dans les réseaux électriques. Plus le temps passe, plus le nombre de secteurs critiques augmente.

        1. Merci pour votre réponse qui est détaillée. Afin de nourrir le débat:
          – le nombre de cas diagnostiqués dépend beaucoup de la capacité à diagnostiqueer. A ce stade, l’arrivée de nouvelles hospitalisations est un paramètre plus fiable et surtout plus critique pour la capacité du système de santé à tenir la vagze
          – au sujet de la sur-occupation des soins intensifs (pas d’urgence), le Conseil fédéral lui-même considère que le Tessin est dans cette situation dans le cadre de son décret sur la fermeture de certaines branches économiques.

        2. Au sujet de votre remarque sur le maintien de l’activité économique, je vois avec plaisir une logique de maitien d’activités pour lutter contre le COVID-19. C’est bien cette logique qui manque au SECO avec les trois exemples que j’ai cités

        3. La courbe des personnes infectées a bien pris une allure exponentielle jusqu’à ce qu’il y ait une décision officielle de limitation des tests. Le taux de personnes infectées était de 1,43 par jour soit un doublement tous les deux jours. De même pour la courbe des décès qui a très logiquement augmenté de manière exponentielle en suivant celle des infections avec 2 à 3 semaines de retard mais avec un taux de progression de 1,3 seulement en tendant vers 1,4 ce qui est logique. Puis, elle a commencé à prendre des allures étranges avec des oscillations dont la fréquence augmente légèrement avec l’amplitude. Quelle est la source du déphasage qui produit ces oscillations? De plus, sa progression est devenue beaucoup plus faible que les nouvelles infections il y a 2 à 3 semaines… d’où un doute.

        1. Merci pour cet excellent article !
          A noter que même une augmentation linéaire peut conduire à un débordement de la capacité de soins. L’Italie est dans cette situation.

        2. Je rejoins Mr Otten.
          Excellent article, mais il faudrait comparer le nombre d’hospitalisation et le nombre de décès. Là, on voit juste la capacité des Etats à faire des tests et l’augmentation de leur disponibilité par pallier. Or tous les pays manquent de réactifs pour mener des testtesttest…, comme dit l’OMS.

          Les décodeurs donnent donc juste un indice sur les capacités opérationnelles d’un Etat donné, mais rien sur l’étendue de la pandémie (sauf pour quelques petits pays autoritaires qui ont réussi à circonscrire les foyers de contamination … ou la liberté de la presse).

          Bon dimanche cinfiné à tous! Gardez le morale.

  2. Il y a de quoi critiquer l’impréparation. Mais peut-on critiquer si rapidement un peu de chaos dans la mise en oeuvre de mesures absolument exceptionnelles? Cela semble un peu facile, et pour une bonne part, du fait de subalternes mals lunés.
    Comme citoyen, je suis très curieux (et susceptible) à propos de la communication de OFSP. Maintenant que nous ne sommes plus en mesure de suivre la propagation des personnes infectées, je serai curieux de connaître les critères pour qu’une personne soit comptabilisée comme décédée du coronavirus. Car là aussi, les courbes prennent des formes étranges et le recoupement de l’information de plus en plus difficile… ce qui tend à prouver que nous sommes réellement en guerre.

      1. Merci beaucoup pour ce lien qui prouve d’une part que les personnes qui ont rédigé ce rapport sont globalement conscientes du problème comme des risques sanitaires et vont jusqu’à proposer une ébauche partielle de solution, et d’autre part, que la seule approche sérieusement abordée est d’ordre économique, soit la réduction des dépenses par la réduction des stocks d’une part et le soutien à l’économie en cas de rupture temporaire d’approvisionnement en produits pétroliers d’autre part. Car aucune étude n’est avancée pour évaluer les besoins en cas de crise sanitaire majeure. Oui, les 168400 masques paraissent ridicules, de même que le désinfectant humain dont les stocks sont vraisemblablement évalués à 3-4 mois en période “normale” et probablement vingt fois moins actuellement. Heureusement, contrairement à ce que prédit le rapport, les acteurs civiles ont rapidement trouvé des solutions.
        Ce rapport prouve effectivement que l’impréparation (ou la vulnérabilité) est un choix économique délibéré plutôt qu’une surprise.

    1. Effectivement, les chiffres ne sont pas clairs.
      Une autre manière d’estimer les décès est de regarder la surmortalité en hiver. Ici sont comptés les décès liés aux maladies hivernales (grippe mais aussi les autres maladies respiratoires) et les accidents.
      Avec cette logique, pour évaluer le COVID-19, les régions/villes européennes (ex: Grand Est en France) rapporteraient des décès selon les registres de l’état civil clairement en dessus de l’année passée. Pergame -épicentre de l’épidémie- rapporte quatre fois plus de décès.

  3. Vous qui êtes médecin, le risque n’est pas de manquer de masques ou de respirateurs, mais c’est que le monde devienne fou (d’angoisse, d’exiguîté et bla, peut-être même de faim).

    Alors, il faut calmer le jeu, des médias qui pleurent déjà misère, à ces blogs qui n’ont plus d’autre sujet, à part notre ami Pierre qui n’aura jamais vu Mars, mais qui l’aura rêvé!

  4. Bonjour Mesdames et Messieurs, vous avez tous la mémoire courte ! Le 31 décembre 2019, l’OMS tirait la sonnette d’alarme pour le covid-19 et informait tous les gouvernements des périls du covid-19. En Suisse, nous n’avions pas de stocks au 31 décembre 2019 pour gérer une pandémie et nous ne l’avons toujours pas au 29 mars 2020 pour une population suisse en détresse: pas de désinfectant hydroalcoolique, pas de masques de protection, pas de tests de dépistages et la liste n’est pas EXHAUSTIVE . Les aéroports, les frontières restaient ouvertes sans contrôles. Le 13 mars 2020, un confinement timide de la population de 1000 personnes. Pas de prise de conscience d’un retour d’expériences. IL LEUR FAUT COMBIEN DE MORTS POUR QUE LA SITUATION SOIT PRISE AU SERIEUX ? Je suis très en colère comme beaucoup d’autres personnes. Nous devrions lancer une pétition pour que les responsables politiques rendent des comptes. Prenez bien soin de vous ! je reprends Racine “… vous mourûtes là où vous fûtes laissés…”

  5. En résumé: Le Seco et tous nos offices fédéraux sont dépassés ! ils sont dans la réactivité!
    par manque de lucidité et de compétence.
    Que dire des fonctionnaires fédéraux et cantonaux? Rien c’est affligeant.
    Le peuple pensait être protégé par des managers, des gouvernants compétents et on peut le voir que ce n’est pas le cas. N’est ce pas la dénomination du DDPS? “Protection de la population”
    Diriger ou manager c’est prévoir. Ils n’ont absolument RIEN prévu !
    Affligeant. Ils nous devront des comptes le moment venu.
    Terrible pour nos équipes de la santé.

  6. Vos informations sont erronées.

    – En décembre 2019, l’OMS mentionnait le MERS CoV, qui est un autre coronavirus (plus dangereux mais moins contagieux);
    https://www.who.int/csr/don/archive/year/2019/fr/

    – Mi-janvier, les autorités fédérales ont prévenu tous les hôpitaux et EMS qu’ils devaient augmenter massivement leurs stocks de masques et de matériel de protection; les bons élèves l’ont fait, d’autres ont attendu mars pour passer des commandes (trop tard, vu la concurrence mondiale);

    – “Pas de prise de conscience d’un retour d’expériences.”
    Si, nous sommes passés progressivement de 1000 à 5…

    À mr Bonvin

    – Les offices fédéraux ont tout prévu, lancé l’alerte dès mi-janvier et ont déstocké des millions de masques (tous les stocks prévus par la loi était au max fin janvier). Mais les hôpitaux ne s’étaient pas assez préparé (demandez des comptes à la lobbyiste des hôpitaux qui siège au parlement) et les citoyens se sont rués sur les pharmacies pour acheter leurs stocks (inexcusable de les conserver,malgré les appels à les donner aux EMS);

    – ce n’est ni à l’armée ni au seco de gérer une pandémie. Mais ils veillent à l’application des décisions du CF. Ils vont faire mieux.

    Les institutions sont solides. Faites leur confiance. Les mesures prises fonctionnent. Un épisode grippale tue ~ 2000 personnes chaque année. Les chiffres actuels sont remarquables pour un virus 10 à 20 fois plus létal. Ne paniquez pas, respectez les consignes. Et vous survivrez!

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