Les vaches à cornes : la question des subventions

Le 25 novembre prochain, nous votons. Partout nous entendons parler de l’initiative dite d’autodétermination. Parfois du référendum sur la surveillance des assurés. Mais il est rare que le troisième soumis au vote soit sérieusement mentionné.

Depuis des années, on sourit doucement en racontant qu’en Suisse, on peut voter sur tout et n’importe quoi. Aucun sujet n’est trop bien ou trop mauvais pour notre démocratie. “On vote même sur les cornes de nos vaches.“ Il s’agit de l’inscription dans la Constitution fédérale de subventions pour les paysans dont les vaches, les taureaux reproducteurs, les chèvres et les boucs reproducteurs conservent leurs cornes. La pertinence d’un tel objet me paraît peu évidente. Pourtant, les initiants ont récolté quelques 119 626 signatures validées par la Chancellerie fédérale. Selon les derniers sondages, l’initiative serait soit acceptée à 49%, soit refusée à 52%. Heureusement, son soutien semble s’éroder, le premier sondage la donnait gagnante à 58%.

Cependant, la confusion règne autour de ce sujet. Ainsi, BFM TV titre « Les Suisses vont devoir se prononcer pour ou contre les vaches à cornes ». Non, nous ne votons pas sur les bienfaits de laisser aux vaches leurs cornes mais sur l’attribution de subventions pour des paysans possédant des bêtes à cornes. Le bien-être animal semble être un sujet plus sexy, or il n’est ici question que d’argent. Quel que soit le résultat le 25 novembre, les paysans pourront continuer à écorner leurs animaux.

Le bien-être animal

Mais ces paysans réclamant plus de subventions pour leur bétail à cornes plaident que laisser les cornes coûte. En effet, les animaux ont besoin de plus d’espace afin d’éviter de se blesser… avec leurs cornes. Mais est-ce si nocif que cela que d’enlever à un animal ses cornes ? Non répond le Conseil fédéral dans son message. Il n’existerait aucune étude attestant d’une entrave significative au bien-être animal. Cet avis est disputé.

La corne des vaches n’est pas un os mort et nu, explique Anet Spengler, responsable du groupe sélection animale de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL).

En enlevant les cornes à leurs vaches, les paysans priveraient ces dernières d’une partie de leur sinus. Le crâne se déformerait alors pour compenser l’écornage. Les cornes auraient également une fonction sociale importante pour nos amis les bêtes. Grâce à ces dernières, leur position sociale est généralement plus élevée que celle d’un animal en étant dépourvu. Ils ont également droit à un espace individuel plus étendu. Précisons tout de même qu’il existe de plus en plus de vaches naissant sans ces excroissances osseuses. Ces dernières ne pourraient donc pas bénéficier de subventions alors qu’elles n’ont pas été écornées ! Où est la justice ? Le caractère sans corne est un gène dominant, c’est-à-dire qu’il se manifeste toujours quand il est dans l’ADN de l’individu. Cela fait qu’il est facile d’obtenir via la reproduction des animaux sans encornures.

L’écornage en lui-même n’est pas sans risque, il peut en résulter des infections, du stress et des douleurs pour l’animal. Cependant, c’est oublier qu’un animal avec des cornes est un danger pour le paysan qui s’en occupe et ses congénères ruminants. Il n’existe pas de chiffres sur le nombre d’accidents en Suisse, mais en Autriche, c’est un accident de bétail sur six qui est dû à des coups de cornes. Notre conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann en charge de l’économie a avoué avoir été lui-même victime d’un tel accident lors de sa jeunesse.

Il appartient donc aux éleveurs de choisir ce qu’ils veulent pour leurs bêtes. Les deux choix se défendent, que cela soit la sécurité, versus le bien-être animal et une certaine image traditionnelle. Garder les cornes des vaches pourra à l’avenir être un fort argument marketing quand on constate le capital sympathie dont a bénéficié cette initiative. Il appartient aux consommateurs de décider s’ils sont prêts à payer un peu plus cher pour des produits issus d’animaux à cornes. Mais ce choix entrepreneurial n’a pas être financé par les impôts de nos concitoyens. Le Conseil fédéral estime que cela coûterait entre 10 et 30 millions de francs au contribuable par an. Libre à chacun d’investir ses deniers comme il ou elle le souhaite. Point besoin de forcer son voisin à en faire de même.

Les subventions agricoles 

Cela ne veut pas dire l’enveloppe de subventions à nos paysans se verrait augmenter (rappelons ici que les dépenses officielles en faveur de l’Agriculture et de l’Alimentation se monte déjà à 4,9 milliards par an selon une étude d’Avenir Suisse),  mais que sa répartition se verrait modifier en faveur des paysans possédant des animaux à cornes.

Pour finir, il s’agit d’une aberration que d’inscrire dans notre Constitution fédérale des détails relatifs à une subvention. Une norme constitutionnelle se doit d’être générale et abstraite. Elle organise la structure de l’Etat et protège les citoyens face à l’administration, mais elle n’est pas un registre listant des subventions pour n’importe quelle cause ; aussi bien intentionnée soit-elle.

A titre personnel, je suis contre le modèle actuel de subventionnement de l’agriculture, ce protectionnisme mène à des prix fort élevés et est problématique pour le libre-échange. Cela retarde notamment depuis 10 ans un accord avec les Etats-Unis. L’habitant suisse n’a le choix que de se faire traire, que cela soit via les impôts ou ses courses. Cela mène par ailleurs à du tourisme d’achat dans les zones transfrontalières. Ces mêmes habitants que l’on montre ensuite du doigt comme étant des mauvais Suisses. Peut-être agiraient-ils différemment si les prix n’étaient pas si élevés.

Avenir Suisse a récemment publié une étude, “Une politique agricole d’avenir“ qui donne plusieurs pistes de réflexion pour une ouverture et une évolution de la présente situation. Le Conseil fédéral, avec la mise en consultation de sa “Politique agricole 2022“, ne semble pas vouloir renoncer de sitôt au protectionnisme. Il fait fi de l’ouverture aux frontières relative aux produits agricoles, de la réduction de la protection douanières ou de la consolidation des accords de libre-échange. Au programme: encore et toujours une large redistribution de notre argent.