Pouvoir choisir quand et comment, et pourquoi pas ?

Choisir de mourir alors que l’on a la santé. C’est la décision prise par Jacqueline Jencquel. A l’âge de 76 ans, tout s’arrêtera, c’est programmé. Avec son billet dans le Temps, elle relance le débat du suicide médicalement assisté. Le sujet peut sembler ordinaire chez nous, pourtant il n’y a que six pays (La Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, cinq états des États-Unis et le Canada) qui en autorisent la pratique. En Suisse, c’est le cas depuis 1942.Le code pénal suisse rappelle cependant à l’article 115 que l’incitation et l’assistance au suicide pour mobile égoïste (« basé sur l’idée qu’il ne fallait pas punir celui qui agissait pour des motifs d’amitié, notamment celui qui agit par pure pitié ou compassion, dans le seul intérêt de la personne qui veut se suicider ») est passible de maximum cinq ans de prison ou d’une peine pécuniaire.

L’assistance au suicide versus l’euthanasie

L’assistance au suicide est à distinguer de l’euthanasie. Lors d’un suicide, c’est la personne qui s’administre elle-même les substances létales que lui fournit le corps médical. Si elle en est physiquement incapable, c’est un tiers qui s’en occupe sous la surveillance d’un médecin. Il peut également intervenir en cas de complications afin de prendre les mesures nécessaires à la mort. Dignitas et Exit, deux associations emblématiques du suicide médicalement assisté, précisent qu’il faut souffrir d’une maladie mortelle, d’un handicap et/ou de douleurs intolérables. L’euthanasie est une mort provoquée par un tiers, un médecin ou un collège de médecins par l’administration ou l’omission de soins. La principale distinction de l’aide au suicide avec l’euthanasie est que, dans le premier cas, la personne prend par elle-même la substance létale et doit être consciente de ce qui est en train de se dérouler.

L’euthanasie en Suisse :

L’euthanasie se divise en deux catégories : L’euthanasie passive et l’euthanasie active. La première consiste à renoncer à maintenir en vie par des traitements ou à arrêter les traitements. Par le refus de l’acharnement thérapeutique, cela revient à mettre fin aux jours d’une personne sans que celle-ci n’ait à faire quoi que ce soit. Elle n’est pas explicitement réglée dans la loi. L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) admet néanmoins sa pratique.

L’euthanasie active est à subdiviser en deux catégories. Elle peut être indirecte ou directe. L’aide indirecte est de soulager les souffrances d’une personne capable de discernement en lui administrant « des substances […] dont les effets secondaires sont susceptibles de réduire la durée de la survie ». Cela implique que la personne donne son consentement lors de l’acte. Tout comme l’euthanasie passive, l’euthanasie active indirecte n’est pas inscrite dans la loi et est toutefois acceptée en pratique.

C’est au niveau de l’euthanasie active directe que le bât blesse. Contrairement à la précédente, le patient n’a plus la capacité de demander que l’on mette fin à ses jours ou qu’on le fasse pour lui. Il ne peut donc consentir valablement lors de la prise des substances. Autrement dit, si vous êtes dans un état végétatif, mais que votre corps fonctionne parfaitement, on ne peut rien faire. Si une personne venait à mettre fin à vos jours, la loi suisse condamne cela au même titre qu’un meurtre. Toutefois, si cela était sur votre demande, la peine n’excèderait pas trois ans au lieu de cinq ans prévus pour un meurtre sans une telle circonstance atténuante (art. 111 et 114 du code pénal).

Des propositions ont été formulées pour changer la situation légale depuis 1942. Certains élus ont demandé que l’euthanasie passive et active indirecte soient incluses à l’article 115 afin de combler le flou juridique.  Renouvelée à plusieurs reprises, cette proposition n’a jamais abouti car considérée comme inutile.

L’euthanasie active directe

La question de la légalisation de l’euthanasie active directe fut posée en 1994, la réponse du Conseil fédéral mérite d’être citée.

« [Le Conseil fédéral] a fondé son avis essentiellement sur le raisonnement suivant, à savoir que l’assistance au décès ayant pour seul but d’entraîner la mort du patient et de le délivrer ainsi de ses souffrances n’était pas compatible avec le devoir de protection de la vie humaine incombant à l’Etat et découlant de l’ordre des valeurs sur lequel se fonde notre constitution. »[1]

Si le suicide est autorisé en Suisse, cela ne veut pas pour autant dire que le citoyen a un “droit à la mort“. Il ne peut exiger de l’État qu’il lui donne la mort. Libre à nous de mettre fin à nos jours par nous-mêmes. L’euthanasie active directe ne requiert pas forcément une intervention étatique. Pourquoi des individus ne pourraient-ils pas convenir d’une mort anticipée en cas de perte significative de discernement ? Comme pour un testament ou un mandat pour cause d’inaptitude, un individu pourrait désigner la procédure à suivre pour sa mort. La Belgique a autorisé en 2002 l’euthanasie active directe. Si cela est possible sans excès chez nos voisins, pourquoi l’interdire ici ?

Il est tout à fait concevable de condamner moralement la solution du suicide ou de l’euthanasie. Pour autant doit-on en interdire à tous l’usage ? Si un individu décide, pour des motifs qui lui sont propres, d’interrompre sa vie, doit-il être soumis à l’approbation de toute la communauté ? Du moment que le suicide est légal, n’est-il pas plus prudent de le faire dans les meilleures conditions possibles ? En étant accompagné par des professionnels qui savent ce qu’ils font. Car l’interdire ne signifie pas que le patient renoncera à son projet. En 2016, un octogénaire, ne pouvant recourir à Exit, avait mis fin à ses jours tout seul. Ou d’autres, comme David Godall, un scientifique australien de 104 ans, a dû venir jusqu’en Suisse pour mourir.

« “J’aurais préféré que cela se passe dans ce pays [ndrl. En Australie]”, confie-t-il, “ce pays est ma maison, je suis désolé de faire un si long voyage, pour en finir avec ma vie”. »[2].

En conclusion

Cessons de croire que nous avons le droit de décider de la mort de nos concitoyens. Mme Jencquel l’exprime magnifiquement :

« On prépare tellement de moments importants : les baptêmes, les mariages, les diplômes… pourquoi pas la mort ? Pourquoi vouloir absolument laisser un moment aussi important de nos vies au hasard ? »[3]

Avec nos idéaux de protection du bien commun, que cela soit en Suisse ou ailleurs, nous forçons nos compatriotes à aller mourir loin de chez eux ou à agir seul dans des conditions bien moins sûres. Si le but est de préserver la dignité humaine, c’est en rendant accessible, près de chez soi, une fin de vie tranquille que l’on y parviendra. Pas en poussant dans la clandestinité un phénomène de plus en plus populaire.

Quelques chiffres :

  • En Suisse, 40% des décès sont le résultat d’une euthanasie passive indirecte.
  • En 2017, 286 personnes ont eu recours à l’assistance au suicide en Romandie. Au niveau national, ce sont 965 personnes en 2015 (il n’y a que les résidents suisses qui sont comptabilisés).
  • Le nombre d’étrangers venant mourir en Suisse est inconnu, il y en aurait eu 91 en 2007.
  • Les patients d’Exit ont en moyenne 77,5 ans.

[1]https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=19943370

[2] https://www.francetvinfo.fr/societe/euthanasie/david-goodall-le-choix-de-l-euthanasie_2735237.html

[3]https://blogs.letemps.ch/jacqueline-jencquel/2018/08/08/sagesse/