Les Romands investissent-ils comme les Alémaniques ?

 

Philippe Gay, responsable de l’offre domestique suisse

 

Gérard Felley, associé et responsable des marchés Suisse et Europe francophones

 

Disons-le d’emblée : le sentiment des investisseurs n’était pas à la fête en début d’année, quel que soit le côté de la Sarine. Les inquiétudes sur secteur bancaire et la chute de Credit Suisse n’ont rien arrangé. Des différences notables sur la manière dont investissent Alémaniques et Romands ressortent d’une étude menée par Lombard Odier auprès de 300 investisseurs suisses fortunés (HNWI)*. Ces différences régionales portent en particulier sur trois aspects : la manière de gérer son patrimoine, l’intérêt pour les actifs privés (c’est-à-dire non cotés en bourse, comme le « private equity ») et enfin l’investissement durable.

Ce sondage, mené entre décembre 2022 et janvier 2023, s’inscrivait dans un contexte de marché inédit : « Nous avons aujourd’hui le pire des années 1930, des années 1970 et de 2008 », comme le déclarait l’économiste américain Nouriel Roubini dans Le Temps fin janvier. Et pour cause, les marchés boursiers et obligataires ont souffert en tandem en 2022, en raison de la hausse de l’inflation et de la remontée des taux. Les actions et les obligations n’avaient connu que trois années de performances négatives simultanées depuis les années 1920.

Pas étonnant donc que l’on retrouve dans les principales préoccupations des investisseurs les rendements négatifs, la volatilité et la crainte de passer à côté d’opportunités d’investissement. Parmi les principaux facteurs qui vont impacter l’économie en 2023, les conflits géopolitiques, l’inflation et la crise énergétique arrivent en tête. Plus surprenant toutefois : c’est le changement climatique qui est le 4ème facteur le plus cité par les répondants, devant les craintes de récession, de licenciements massifs ou de volatilité des marchés. Passons désormais au cœur du sujet annoncé : quelles sont les différences les plus notables entre HNWI romands et alémaniques ?

Divergences sur la gestion de portefeuille et les actifs non cotés

La manière de réagir face à la situation des marchés financiers ces derniers mois constitue une première divergence : 53% des Alémaniques disent avoir repositionné eux-mêmes leurs portefeuilles d’investissement, contre 39% seulement côté romand. L’écart se creuse encore plus au niveau de la composition de ces portefeuilles, puisque plus de la moitié des Alémaniques (51%) disent avoir augmenté leur diversification, contre moins d’un tiers des Romands (31%).

« Nous observons tous les jours des attentes et des réactions très différentes en fonction de nos clients. Dans des moments volatils et incertains, l’expérience montre qu’il est toujours bénéfique de confronter son point de vue à celui de son banquier, qui est lui-même entouré d’analystes et de spécialistes en investissement, afin de prendre du recul sur les événements. En effet, les réactions instinctives ou émotionnelles ne sont pas rares chez les investisseurs, qui vendent parfois leurs positions au plus bas et accentuent ainsi leurs pertes », commente Philippe Gay, responsable de l’offre domestique suisse.

Autre divergence : les Alémaniques sont 37% à avoir augmenté leur part d’investissements durables, contre à peine 23% de Romands en 2022. Enfin, l’une des différences les plus notables concerne les investissements alternatifs, comme les actifs non cotés ou l’immobilier, puisque 57% des Alémaniques disent avoir augmenté leur exposition à cette classe d’actifs, contre un tiers des Romands (32%).

Les Alémaniques sont par ailleurs déjà beaucoup plus présents sur les actifs non cotés : seulement 13% n’en détiennent pas du tout, contre 36% de Romands. Quand on leur demande quelle part d’actifs non cotés ils pensent détenir dans deux ans, 26% des Alémaniques pensent qu’ils composeront plus de 20% de leur portefeuille, alors que seulement 13% des Romands font la même estimation.

« Ces résultats confirment l’intérêt grandissant des actifs non cotés pour les investisseurs, qui souhaitent très majoritairement augmenter leur exposition à l’avenir. Les performances remarquables des actifs non cotés comme le private equity sur la décennie écoulée et leur intérêt en termes de diversification en font un investissement particulièrement pertinent dans l’environnement actuel. Naturellement, leur liquidité n’est pas comparable à celle des marchés cotés, mais cela va de pair avec une volatilité nettement plus faible », ajoute Philippe Gay.

La durabilité reste une priorité, en particulier outre-Sarine

Dans l’ensemble des répondants, plus de 7 HNWI suisses sur 10 se disent intéressés par l’investissement durable et qu’il s’agit d’un sujet important pour eux, voire plus important encore en temps de crise économique. Seulement 8% déclarent qu’ils vont mettre de côté la durabilité en attendant la fin de la crise. Pour près d’un quart des Alémaniques, l’investissement durable est même devenu un « must absolu » durant la période de crise, tandis qu’ils ne sont que 16% côté romand à en dire de même.

En termes d’allocation actuelle dans les portefeuilles, 15% des Alémaniques disent n’avoir aucun investissement durable, alors qu’ils sont plus nombreux chez les Romands (26%). Des deux côtés de la Sarine, un tiers disent en détenir « moins de 20% ». L’écart se creuse de nouveau ensuite, puisque 36% des Alémaniques ont entre 20 et 40% de leurs portefeuilles investis de manière durable, contre 15% des Romands. A noter toutefois qu’à l’autre bout du spectre, 12% des Romands ont déclaré détenir plus de 80% d’investissements durables, alors que l’on ne trouve que 4% d’Alémaniques dans le même cas.

On remarque aussi des différences en termes de thématiques d’investissement privilégiées. Parmi une liste de plusieurs sujets, la protection du capital naturel arrive en tête, coté romand comme alémanique. On retrouve ensuite sur le podium romand l’atténuation du changement climatique, puis la protection de la biodiversité. Chez les Alémaniques, c’est l’économie circulaire qui arrive en deuxième position, suivie de l’adaptation au changement climatique.

« En termes d’investissement durable, et malgré quelques divergences, nous voyons que Romands comme Alémaniques se rejoignent sur des thématiques qui ont un impact direct sur leur environnement, comme la protection du capital naturel et la préservation de la biodiversité, qui sont également au cœur des discussions sur la scène internationale », relève Gérard Felley, associé et responsable des marchés Suisse et Europe francophones chez Lombard Odier.

Enfin, pour le futur, près de 50% des Alémaniques sont d’accord ou totalement d’accord avec le fait « d’augmenter la part d’investissements durables dans leurs portefeuilles », tandis que 33% des Romands sont dans cet état d’esprit.

Explorer ce qui rassemble et ce qui divise les investisseurs au sein de notre pays ouvre un champ des possibles passionnant. De notre point de vue, il ne s’agit pas d’ignorer ou de lisser ces différences, mais de les adresser et de confronter les points de vue, afin que les investisseurs aient toutes les cartes en main pour prendre des décisions éclairées pour leur patrimoine. Il s’agit finalement de l’une des missions essentielles des banques privées, qui se doivent d’informer leurs clients de tous les enjeux et opportunités, et de construire pour eux des solutions d’investissement personnalisées, en fonction de leurs préférences et aspirations.

 

* Méthodologie : l’étude menée par Lombard Odier rassemble les réponses de 300 Suisses fortunés, disposant d’au moins un million de francs d’actifs à investir (HNWI), qui ont répondu à un questionnaire en ligne. Le sondage a été mené entre décembre 2022 et janvier 2023. 40% des répondants résidaient en Suisse alémanique, 58% en Romandie et 2% au Tessin. 40% des répondants se situaient dans la tranche d’âge 35-50 ans et 47% des répondants avaient entre 50 et 70 ans. A noter que l’emploi du genre masculin dans le présent texte est employé au sens neutre, désignant à la fois les répondantes et les répondants au sondage.

Lombard Odier

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